21. Retrouvailles

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Axel

J'allumai l'écran de mon téléphone et poussai un soupir en passant une main dans mes cheveux. Encore un message. Camille n'avait cessé de m'en envoyer depuis la veille. Ce n'était pas comme s'il me harcelait, et je ne le ressentais pas comme ça, je ne croulais pas sous les messages. Mais il tentait seulement de me joindre, de savoir si j'allais bien.

Cela avait commencé hier matin avec un message pour savoir si j'étais bien rentré puis un autre pour savoir si j'allais bien. On était même passé par un long message où il s'excusait, de m'avoir fait peur, de m'avoir fait fuir. Et lire ça m'avait mis tellement mal à l'aise, en plus de me retourner le cœur. Ce n'était pas à lui de s'excuser, il n'avait rien fait de mal. C'est moi qui devrais le faire, pour ma fuite et pour le traitement que je lui infligeais depuis notre soirée – et nuit – ensemble. Il ne méritait pas ça, et je me sentais encore plus mal depuis ce message.

Quant à celui de ce matin, il me demandait si on pouvait se parler. Il le faudrait, je le savais. Mais je n'avais toujours pas la force de lui répondre. Et je m'en voulais terriblement pour ça. J'étais un lâche et un putain d'idiot, j'avais conscience qu'il fallait l'être pour jouer au fantôme et infliger ce traitement à ce garçon qui n'avait rien fait d'autre que de toujours me mettre à l'aise, de gagner ma confiance et de prouver sa bienveillance. Et moi, qu'est-ce que je lui offrais en retour ? Un silence pesant.

Mais je n'y arrivais pas, je ne pouvais pas lui répondre sans être mal à l'aise, sans avoir cette boule au ventre qui, je l'admettais, grandissait au fur et à mesure que je laissais les jours passer. Et je ne savais pas quoi lui dire, comment réagir après cette nuit de vendredi que nous avions passée ensemble.

Deux jours plus tard, j'étais toujours aussi perdu. Et je m'inquiétais de revoir Camille au centre lundi, lorsque je rendrais visite à mon frère. Je m'inquiétais de ce qu'il allait me dire, de comment il allait régir. C'était idiot parce que j'avais peur de la distance qu'il pourrait mettre entre nous alors que, actuellement, c'était moi qui l'imposais, cette distance.

J'avais peur que son comportement envers moi change. Que tout change après notre nuit ensemble. Je me doutais que Camille n'était pas comme ça mais j'avais peur qu'il ne veuille plus de moi maintenant que nous avions couché ensemble.

C'était stupide, et surement minable, mais c'est cette peur qui me paralysait.

Et je n'avais vraiment pas envie d'y penser maintenant ou de laisser ces messages me préoccuper. J'avais des choses à faire cet après-midi et je ne voulais pas laisser mes propres doutes polluer ma journée. Alors j'oubliais. Et je continuerai de faire traîner.

Je secouai la tête, poussai un long soupir et me relevai enfin. Je ne pouvais pas rester assis sur mon lit à rien faire de la journée. J'attrapai ma veste et sortis de ma chambre, je me regardai une dernière fois dans le miroir que les jumelles avaient installé dans le salon et me recoiffai. J'étais prêt et impatient. Ce devait être un bon moment, et c'était là-dessus que je devais me concentrer.

Après plusieurs mois d'absence, j'allais enfin revoir mon père. Il avait passé un long moment en Amérique du Sud, au Pérou très exactement, pour tourner un de ses fameux documentaires. Et aujourd'hui il était enfin de retour à Paris, et c'était enfin le jour du déjeuner que nous avions prévu ensemble. J'avais hâte de le revoir et de le prendre dans mes bras, surtout après ses longs mois compliqués pendant lesquels je m'étais senti plus seul que jamais. C'était la seule chose sur laquelle je devais me concentrer aujourd'hui, nos retrouvailles.

Je pris une grande inspiration et me dirigeai vers l'entrée. C'est alors que je croisai Prune qui sortait en même temps de la cuisine.

— Ça y est, tu pars voir ton père ? lança-t-elle en m'adressant un sourire sincère. Je suis contente qu'il soit revenu, ça va te faire du bien de le revoir.

Je ne répondis que par un simple hochement de tête, me concentrant plutôt sur mes lacets que je nouais. Je pouvais sentir le regard de Prune toujours bien ancré sur moi.

— T'es sûr que ça va ? s'inquiéta-t-elle en fixant visiblement mes mains tremblantes.

Je me redressai rapidement et attrapai mes clés et mes papiers.

— Oui, oui, t'inquiète pas pour moi, éludai-je. Je dois y aller, je voudrais pas être en retard et faire attendre mon père.

Les bras croisés, un sourcil haussé, je remarquai bien que Prune était en train de me scruter. Elle devait bien voir que je n'allais pas si bien que ça, mais je n'avais certainement pas envie de m'attarder là-dessus ou de subir une nouvelle vague de conseils de sa part. La veille m'avait suffi. Et Prune sembla le comprendre.

— D'accord, tu passeras le bonjour à ton père de notre part, dit-elle alors simplement.

Je me contentai de hocher la tête et me retournai, plaçant ma main sur la poignée de la porte.

— Et Axel ? m'interpella-t-elle une dernière fois avant que je ne parte. Réponds-lui.

Un coup d'œil dans sa direction me suffit pour remarquer qu'elle fixait mon téléphone, auquel je me cramponnais sévèrement d'ailleurs. Je poussai un léger grognement et m'échappai sans lui répondre quoi que ce soit.

Les jumelles savaient que Camille n'avait pas arrêté de m'envoyer des messages, et mon dilemme intérieur ne leur était pas étranger non plus. Mais, une fois encore, je n'avais vraiment pas la tête à ça pour l'instant. Je ne voulais pas paraître perturbé par quoi que ce soit une fois que je retrouverai mon père. Je ne voulais pas qu'il s'inquiète plus qu'il n'en fallait pour moi.

Et pour ce qui était de Camille, je finirais bien par le revoir au centre de toute façon, alors je trouverais bien le courage de lui parler un jour ou l'autre.

L'esprit toujours agité, je pris le chemin du lieu de rendez-vous que nous nous étions fixés avec mon père. Cesser de ruminer semblait plus facile à dire qu'à faire. Surtout lorsque je me retrouvai en face de la devanture du petit restaurant que nous avions choisi. Je m'arrêtai quelques secondes et poussai un soupir. Il s'agissait du même petit bistrot dans lequel j'avais déjeuner pour la première fois avec Camille. Je ne savais pas comment j'avais pu oublier ce détail en proposant cet endroit à mon père mais ce qui était certain, c'est que cela ne m'aidait définitivement pas à sortir Camille de mes pensées.

Je devais me faire une raison, il ne les quitterait plus désormais. Et cela faisait un moment que ça durait, bien avant notre nuit ensemble. Camille s'était simplement immiscé dans mon esprit, sans prévenir, pour ne plus jamais en ressortir.

Ce fut une silhouette familière qui me sortit de mes pensées. Mon père se trouvait déjà installé à la terrasse du restaurant, il avait dû se lever en me voyant arriver. Il ouvrait déjà grand ses bras. Je n'attendis pas une seconde de plus et m'avançai vers lui, le pas rapide. J'eus soudainement l'impression de rajeunir. Comme un enfant de cinq ans, je me précipitai dans ses bras, un grand sourire aux lèvres, et appréciai cet instant de retrouvailles lorsqu'il referma ses bras autour de moi. Cela ne dura que quelques secondes mais ce fut assez pour que je ferme et les yeux et que je pousse un soupir, profitant du réconfort que m'apportait soudainement mon père après de longs mois sans l'avoir vu ou pris dans mes bras.

Il m'adressa à son tour un sourire lorsqu'il se recula, il semblait réellement heureux. Et je l'étais aussi. Je l'inspectai un instant, il portait toujours cette éternelle veste beige à poches larges et sa casquette bleue préféré, comme s'il allait faire un safari en plein milieu de Paris. Une chose était certaine, il n'avait pas changé.

Je l'avais connu avec un style très classe, en costume lorsqu'il restait à Paris et qu'il avait des rendez-vous avec sa boite de production, son agence ou des collaborateurs, des investisseurs. Mais lorsqu'il passait plus de deux semaines en dehors de la France pour tourner ses documentaires, il semblait retrouver sa vraie nature, son vrai style d'aventurier. C'est ce qu'il était au fond, un grand enfant curieux qui avait soif de découverte.

— Axel ! Tu m'as vraiment manqué, mon grand, lança-t-il sans se départir de son sourire. Je comptais les jours jusqu'à mon retour en France. Comment tu vas ?

— Ça va, répondis-je simplement. Tu me manquais aussi, je suis content de te revoir.

— Allez, viens, on va s'installer et tu vas tout me raconter, dit-il doucement en posant sa main sur mon épaule avant de me conduire vers notre table.

Nous nous assîmes et commandâmes tranquillement. Un léger silence pesait entre nous au début, avant qu'une conversation banale et réconfortante ne se mette en place. Nous n'abordions aucun sujet lourd, nous parlions simplement de tout et de rien. Curieux, je posais beaucoup de questions en rapport avec le documentaire que venait de tourner mon père. Il me racontait des anecdotes, certaines difficultés qu'ils avaient pu avoir mais aussi et surtout tout ce que ça lui avait apporté. Je voyais bien que chaque voyage et chaque film documentaire qu'il produisait lui apportait un enrichissement et un épanouissement incroyable.

Même si la conséquence était que je ne le voyais pas beaucoup, et qu'il m'avait beaucoup manqué durant mon adolescence, j'aimais le voir faire un métier qu'il adorait et qui lui procurait autant de plaisir et de joie. J'étais heureux pour lui, de le voir faire de sa passion son métier.

— Comment va Noé ? demanda soudainement mon père au milieu du repas.

J'esquissai un sourire, cela semblait une réaction automatique de mon corps à la mention du prénom de mon frère. J'étais toujours heureux et fier de parler de lui. Et mon père ne manquait jamais de prendre de ses nouvelles, surtout après son accident. Le divorce de mes parents avait définitivement été difficile mais ça ne l'avais jamais empêché d'apprécier et de prendre en considération mon petit frère.

Et j'admirais ça chez mon père. Les rancœurs des adultes n'avaient pas à peser sur les enfants. Il avait toujours mis un point d'honneur à appliquer cette règle. Et il ne m'en avait jamais voulu de considérer Noé comme mon frère à part entière et non pas seulement comme mon demi-frère. Il savait à quel point ce petit bonhomme était important pour moi.

— Il va mieux, répondis-je alors, heureux de cette constatation. Il a vraiment fait beaucoup de progrès ces dernières semaines, physiquement et psychologiquement. Je suis tellement fier de lui ! Et puis il a pu sortir un week-end ! Si tu savais papa comme j'étais si content de le voir retrouver une vie normale pendant quelques heures ! Tout n'a pas été parfait ce week-end là mais on a passé des bons moments ensemble. Je crois que les médecins commencent à envisager une sortie définitive. Je l'espère en tout cas.

— Ce serait une super nouvelle ! s'enthousiasma sincèrement mon père. Je suis vraiment content d'entendre ça. C'est bien s'il fait des progrès, ce petit garçon mérite d'aller mieux et de retrouver sa vie d'enfant. Tu me tiendras au courant ?

— Bien sûr !

— Et avec ta mère, comment ça se passe ? reprit-il, prudemment.

Cette fois-ci je baissais les yeux sur mon assiette, prenant ma fourchette en main pour jouer avec mes frites. Je poussai un soupir que je voulais discret. Ça y est, on entrait dans les sujets plus graves, plus douloureux.

— Rien n'a changé, tu sais, soufflai-je. Elle ne se bouge pas, ne s'intéresse pas aux progrès de son fils. Elle reste allongée dans son canapé avec ses médocs. C'est une loque. Et j'en ai marre, j'aimerai tellement la secouer pour la faire réagir.

— Elle ne s'est toujours pas rendue à l'hôpital pour aller voir Noé ? demanda mon père.

— Non. Et elle a même réussi à faire pire que ça. Elle a réussi à faire peur à Noé le week-end où il était à la maison. Je suis juste parti quelques heures pour travailler et elle n'a pas su gérer, elle n'a pas su se retenir de se shooter. Noé n'arrivait pas à la réveiller. Je te jure, papa, ce jour-là j'étais prêt à faire un scandale. J'étais prêt à emballer toutes les affaires de Noé pour l'emmener loin et ne plus jamais laisser sa mère le voir. Mais je sais que ça ne serait pas juste pour Noé.

— Putain, laissa-t-il échapper en passant une main sur son visage. Tu veux que j'aille lui parler ?

— Je suis pas sûr que ça serve à quelque chose, répondis-je, dépité. Et je ne veux pas qu'elle se braque encore plus. De toute façon ça finira bien par se régler au moment de l'audience pour la tutelle de Noé.

— Tu tiens le coup par rapport à ça ? s'inquiéta-t-il. Tu me donneras la date de ton audience, je ferais tout pour être là et te soutenir.

Je hochai la tête et bu une gorgée d'eau avant de reprendre la parole.

— C'est difficile, admis-je. J'ai peur. Je ne peux pas laisser Noé sous la tutelle de sa mère, c'est hors de question. Mais j'ai peur qu'on pense que je suis trop jeune, que je ne pourrais pas m'occuper de Noé, que je n'aurais pas les moyens nécessaires. J'ai l'impression qu'il faut toujours que je prouve mes capacités. Et puis il faut que j'ai les ressources financières, que je nous trouve un appartement pour tous les deux.

— Tu as des pistes pour un appartement ? Tu as continué tes recherches ?

— Rien de probant pour l'instant, soupirai-je. C'est si cher à Paris. Je le savais, évidemment, mais parfois ça me décourage. Et en même temps je ne voudrais pas trop m'éloigner, Noé à des amis ici, et j'ai mon travail.

— On peut passer des appartements en revu dans les prochains jours, si tu veux, proposa mon père. Et quoi qu'il arrive, ne t'inquiète pas trop pour les fonds financiers, je t'aiderai quoi qu'il arrive.

— Non ! protestai-je. Je ne veux pas que tu te ruines pour m'aider. Et je dois prouver que je peux m'en sortir tout seul.

— Axel, tu es mon fils, et je ne te laisserai jamais en difficulté, insista-t-il. Il en est hors de question. Alors je ne te laisse pas le choix, pour ce qui est de l'appartement, je t'aiderai. Pour les premiers loyers, et je me porterai garant. C'est la moindre des choses.

— Merci, murmurai alors doucement en baissant mes yeux sur mes mains.

Ça me gênait toujours de demander de l'argent à mon père, je ne voulais pas qu'il se ruine pour moi et je ne voulais pas être dépendant de lui. Je voulais me débrouiller seul et montrer que j'en étais capable, je le devais, pour Noé.

Mais d'un autre côté, j'étais aussi heureux et soulagé d'avoir un père qui m'aidait lorsque j'en avais besoin. Je ne pourrais jamais lui être assez reconnaissant.

Après un léger moment de silence entre nous, pendant lequel je regardais toujours en direction de mon assiette à moitié vide, mon père me ramena sur terre en posant sa main sur mon bras.

— Tu es si jeune pour vivre tout ça, j'aimerais tellement être plus présent pour t'aider, me dit-il. Je suis désolé d'avoir été si souvent absent. Mais je suis aussi très fier de toi pour avoir pris cette décision et cette responsabilité. Tu es peut-être jeune, mais tu as toutes les capacités pour t'occuper et prendre soin de ton frère.

Je ne savais pas quoi lui répondre, ses mots me touchaient énormément. Alors je me contentai d'un sourire en mesurant la chance que j'avais d'avoir un père comme lui. J'étais heureux qu'il me soutienne dans ma décision de m'occuper de Noé, et qu'il ait confiance en moi pour ça.

— Tu pourras toujours t'appuyer sur moi, continua-t-il. Et je sais que tu en as besoin, je sais que tu es fatigué, Axel, je le vois. Comment ça se passe tes boulots au cinéma et au vidéoclub ? Dis-moi que tu ne t'épuises pas au travail.

— Non, je... le rythme est fatiguant c'est vrai, admis-je dans un soupir en croisant le regard au sourcil haussé de mon père. Mais je gère, je me suis habitué. J'ai mon organisation entre mes horaires et mes visites auprès de Noé, tout va bien.

— Tu es sûr que tu ne veux pas parler à Jérémy et prendre plus de responsabilités au cinéma, auprès de lui ? demanda-t-il prudemment.

Je m'enfonçai dans mon siège, m'appuyant contre le dossier, et secouai la tête de droite à gauche.

— J'aime le cinéma, mais mon rêve était de le créer, pas de gérer un établissement, soupirai-je. Ça, c'est le job de la famille de Jérémy. Moi j'ai juste accepté un emploi qui devait être temporaire.

— Je sais bien, mais je m'inquiète pour toi, souffla mon père. Garde bien en tête qu'il te reste cette option là.

Je hochai la tête mais ne rajoutai rien. Peut-être que je ne devrais pas cracher sur la possibilité d'une promotion, mais je ne changerai pas d'avis. Je ne voulais pas m'engager dans un poste avec plus de responsabilités que je ne pourrais plus quitter. Même si j'aurais dû l'abandonner, j'aimais l'idée d'être encore en mesure de réellement faire du cinéma un jour. Diriger un établissement ne m'intéressait pas, être enfermé dans un bureau toute ma vie et faire des tâches répétitives ne m'intéressait pas.

— Tu as vu papi, au fait ? demandai-je d'une petite voix, changeant légèrement de sujet.

— J'y suis allé hier, me répondit-il en baissant les yeux. Il m'a beaucoup parlé du cinéma justement, et de Yves. Mais évidemment il n'était pas du tout ancré dans le présent. Il perd de plus en plus de souvenirs.

— Je suis désolé de ne pas lui rendre visite plus souvent. J'y arrive pas, admis-je, honteux. Il ne se souvient plus de moi, ou alors il me prend pour toi. C'est trop dur.

— Ne t'en veux pas pour ça, Axel, murmura mon père en posant à nouveau une main réconfortante sur mon bras. Je sais que c'est difficile. Si tu veux la prochaine fois que tu voudras le voir, je viendrais avec toi. On traversera ça ensemble.

Un long silence s'installa à nouveau entre nous, alors que nous finissions nos plats. Nous avions abordé plusieurs sujets de conversation, beaucoup d'entre eux me touchaient énormément et me peinaient aussi. Alors l'ambiance avait changée, désormais un peu plus lourde. Et, malgré tous ces sujets différents, difficiles, il y en avait un qui ne quittait toujours pas mon esprit. Il était omniprésent, et malgré tous mes soucis quotidiens, je ne parvenais visiblement pas à penser à autre chose qu'à lui.

Ce fut lorsqu'on nous apporta notre café - et que je fus plus intéressé par le fait de remuer continuellement ma cuillère à l'intérieur de ma boisson plutôt que de la boire - que mon père reprit la parole.

— Allez, maintenant dis-moi ce qui va pas, lança-t-il. Je vois bien que quelque chose d'autre te tracasse.

Je relevai la tête vers lui et plantai mes yeux dans les siens. Le problème avec un père à l'écoute et attentif, c'est que je ne pouvais rien lui cacher. Même si j'essayais de toutes mes forces, comme à l'instant.

— Non, tout va bien, répondis-je en secouant la tête de gauche à droite.

— Est-ce que c'est une histoire de cœur ? insista-t-il pourtant. Tu peux me parler de tout, Axel, tu le sais.

Je poussai un soupir. Je ne pouvais définitivement rien lui cacher.

— J'ai rencontré un garçon récemment, admis-je. Mais c'est compliqué.

— Raconte-moi.

Je l'observai un instant avant de prendre une grande inspiration. J'étais désormais assez à l'aise avec mon père pour discuter de mes histoires de cœur – qui ne concernaient que des garçons – avec lui. Il était au courant de mon homosexualité depuis mes dix-sept ans et aujourd'hui il s'agissait d'une conversation tout à fait normale entre nous.

J'avais eu un peu peur de sa réaction le jour où je lui avais annoncé. J'avais lâché cette bombe en plein milieu du dîner et mon père n'avait plus réagi, ne m'avait plus regardé, pendant de longues minutes, jusqu'au dessert. Ce fut lorsque je lui avais demandé bêtement s'il m'en voulait qu'il m'avait répondu que non et que ça ne changerait rien à l'amour qu'il me portait.

Je crois qu'il lui avait fallu le temps de digérer et d'encaisser. Deux semaines plus tard, nous avions eu une longue conversation lui et moi, plus calme et fournie, et complètement honnête. Et ensuite tout était redevenu progressivement comme avant entre nous, et mon père était devenu plus à l'aise avec le sujet, petit à petit.

C'est ma mère qui n'en savait rien encore. Peut-être qu'elle s'en doutait mais je n'avais jamais explicitement fait mon coming out auprès d'elle. Tout simplement parce que la communication était rompue entre elle et moi depuis mes douze ans alors, quand j'ai pu mettre des mots sur mon orientation en plein milieu de mon adolescence, j'ai préféré faire ce chemin tout seul plutôt que de lui en parler. Et je me foutais bien de ce qu'elle en penserait.

— Ce garçon, il travaille au centre de Noé, expliquai-je finalement. Et il fait partie de l'équipe qui s'occupe de lui, il est éducateur spécialisé. On s'est beaucoup rapprochés ces dernières semaines, on a fait des sorties ensemble en dehors du centre, on s'est vu souvent, et je crois que je commence à beaucoup m'attacher à lui. Mais je ne sais pas si c'est raisonnable.

— Pourquoi ça ne serait pas raisonnable ? demanda mon père avec douceur. Si tu l'apprécies, c'est l'essentiel, non ?

— Mais il travaille au centre, papa ! répétai-je en élevant légèrement la voix. Est-ce que je peux prendre le risque de donner une chance à cette histoire qui est bancale pour lui en termes d'éthique ? Et puis je me pose tellement d'autres questions ! Est-ce que j'ai le temps pour ça, pour une relation ? Tu vois bien que ma vie est déjà tellement chargée. Et est-ce que peux vraiment faire entrer quelqu'un dans la vie de Noé maintenant ? Alors qu'il a besoin de moi en priorité, qu'il doit se reconstruire et que je dois lui montrer toute mon attention et ma capacité à m'occuper de lui si je veux obtenir sa tutelle ?

Je venais de lâcher tous mes doutes d'un seul coup, laissant tout retomber sur mon père qui m'écoutait pourtant attentivement, le regard bienveillant. J'étais essoufflé, épuisé, d'avoir enfin mis des mots sur mes nombreux questionnements.

— Je comprends tes doutes, mais c'est à ce garçon de choisir s'il veut mettre de côté l'éthique de son métier pour votre relation, rétorqua mon père. Tu ne peux pas choisir pour lui. Et ce n'est pas à Noé de choisir qui partage ta vie non plus. Tant que ce n'est pas quelqu'un qui lui porte préjudice, évidemment. Tu m'as dit que ce garçon travaillait auprès de Noé, alors ils se connaissent déjà. Vois ça comme un point positif.

— Oui, mais je ne veux pas que quoi que ce soit puisse le perturber, y compris lorsqu'il sortira du centre. Et...

— Axel, est-ce que ce garçon est gentil ? me coupa mon père. Est-ce qu'il te traite bien ?

— Oui, répondis-je sans aucune hésitation. Je crois même que je n'ai jamais vu une personne aussi adorable et bienveillante que lui.

J'ignorai le petit sourire attendri qui s'était formé sur le visage de mon père.

— Est-ce que tu aimes ce garçon ? continua-t-il.

— Je... non... c'est trop tôt, bafouillai-je. C'est pas... je ne dirais pas que je l'aime mais je... je l'apprécie. Beaucoup.

— Panique pas, cette réponse me suffit, sourit-il malicieusement. Est-ce qu'il est gentil avec Noé, est-ce qu'ils s'entendent bien ? Est-ce que Noé l'apprécie ?

— Oui, beaucoup, confirmai-je avec un sourire attendri. Noé lui apprend la langue des signes, et parfois j'ai l'impression qu'ils sont en train de devenir les deux meilleurs amis du monde.

Le sourire de mon père s'agrandit encore alors qu'il se redressait et s'adossait à sa chaise.

— Alors il faut croire que ce garçon a tapé dans l'œil de toute la famille, en déduisit-il en me fixant de son regard espiègle. Et il faut croire qu'il est certainement quelqu'un de bien. Alors, selon moi, c'est l'essentiel.

— Mais, papa, et si jamais...

— Axel, m'interrompit-il en attrapant ma main. Arrête de réfléchir et suit ton cœur. S'il te rend heureux, s'il rend Noé heureux, et si tu l'apprécies alors il mérite d'être dans ta vie. C'est aussi simple que ça. Ne te pose pas trop de questions.

Je fixai un instant le regard convaincant de mon père avant de baisser à nouveau les yeux. Oui, Camille me rendait heureux. Plus heureux que je ne l'avais jamais été ces derniers mois. Il était une présence positive incontestable dans ma vie, et dans celle de Noé. Et l'entendre dire d'une personne extérieure comme mon père, rendait ce bonheur un peu plus réel à mes yeux, je m'en rendais compte davantage désormais. Et cela provoquait ce petit sursaut dans mon cœur. Un sursaut qui me montrait que je n'avais peut-être pas envie que Camille sorte de ma vie de sitôt.

Peut-être que je n'aurais pas dû l'ignorer ces derniers jours.

Peut-être que je voulais lui assurer une place plus importante dans ma vie, en tout cas c'était ce que mon cœur me dictait.

Peut-être que je devrais rattraper ma connerie auprès de lui au plus vite, celle de l'avoir ignoré.

Peut-être que mon père avait raison. Peut-être que ça devrait être aussi simple que ça.

⭐️⭐️⭐️

Hey !

Contente de vous retrouver ! Est-ce que vous allez bien ?
Finalement j'ai réussi à bien avancer sur mes prochains chapitres ( et même mes prochains tomes...) donc j'ai pu vous prévoir ce chapitre pour aujourd'hui. Bon, je sais que la situation entre Camille et Axel n'est pas encore réglée, mais ça ne saurait tarder. J'espère quand même que ce chapitre vous aura plu... Et on rencontre un nouveau personnage, le papa d'Axel, j'avais hâte de vous le présenter. J'espère qu'il vous aura fait bonne impression !

Alors, qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?

Axel qui ignore toujours Camille - où plutôt qui n'ose plus le contacter ? ( je sais que ça va pas vous plaire...)

Vos impressions sur le papa d'Axel ?

Leurs retrouvailles ? Leurs différentes discussions ?

Les conseils du papa d'Axel par rapport à Camille ?

Impatiente de lire vos commentaires et vos impressions !

Je ne sais pas si j'écrirais beaucoup ce week-end et au début de semaine prochaine mais comme d'habitude je vous tiens au courant et je fais mon maximum. Hâte de vous poster le prochain chapitre, je sais que pour l'instant on est dans l'incertitude par rapport à Camille et Axel mais ne vous inquiétez pas trop.

À bientôt,
Tan 🦋

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