11. Juste Axel

"C'est dans l'extraordinaire que je me sens le plus naturel."

André Gide

⭐️⭐️⭐️

Axel

C'était une très mauvaise idée.

Pourquoi est-ce que j'avais accepté cette invitation à dîner ? Dans quoi est-ce que je m'étais embarqué ? Est-ce que j'avais réellement bien fait d'accepter cette invitation ? Est-ce que je pouvais réellement compter sur un simple dîner entre amis ou étais-je en train de me faire avoir ?

Laisser Camille m'approcher, accepter de lui faire une place dans ma vie, envisager même une amitié avec lui était une chose, mais accepter un dîner en était une autre. N'étais-je pas en train de lui en donner trop ? N'étais-je pas en train de trop m'investir à mon tour ? Peut-être que je ne devrais pas, que je ferais mieux d'annuler, j'avais l'impression que tout ça devenait trop sérieux.

Ce n'était pas réaliste. Un dîner seul avec lui, en tête à tête, et nous espérions tous les deux que ce n'était seulement qu'un synonyme d'amitié ? Qui voulions-nous convaincre ? Je ne pouvais évidemment pas parler à sa place, puisque j'avais aucune idée de ce qu'il se passait dans sa tête et je ne savais même pas s'il était intéressé par quelque chose de plus qu'une amitié, mais moi, je commençais à prendre conscience de ce que je ressentais. Je commençais à prendre conscience de mon cœur qui battait un peu plus vite lorsqu'il était à mes côtés, lorsqu'il me souriait, ou même lorsqu'il m'écoutait.

C'était peut-être bête mais, lorsqu'il me regardait avec intensité - comme il le faisait souvent - lorsqu'il n'était concentré que sur moi et sur ce que je lui disais, lorsqu'il se souvenait des moindres petits détails de nos conversations, lorsqu'il semblait réellement intéressé, sans faire semblant, ça me touchait. Mon coeur se gonflait et mon corps se réchauffait. Je me sentais enfin pris en considération. Cela me donnait l'impression qu'il tenait vraiment à moi, que j'étais important. 

Par la façon dont Camille interagissait avec moi, agissait envers moi, j'avais l'impression de compter pour quelqu'un. Évidemment, j'avais les jumelles, mais elles avaient leur vie à côté aussi, elles étaient là avant l'accident de Noé, et je ne voulais jamais les déranger ou être un poids pour elles. Je ne voulais pas les accabler encore plus face à mon inquiétude pour Noé et pour la suite. Mais au-delà de Prune et Cerise, je me sentais seul, je devais bien l'avouer. Et j'avais aussi parfois l'impression de m'effacer au profit de Noé et de son bonheur.

Mais auprès de Camille, j'avais l'impression que j'étais plus que le frère de Noé. Et je ne me sentais plus non plus comme le gamin oublié dans une famille déchirée. Mon père était présent pour moi par la pensée et les appels mais il l'était très peu physiquement puisqu'il était très souvent en déplacement pour son travail. Ma mère était évidemment à côté de la plaque et, de toute façon, notre relation s'était déjà fanée à partir de mes douze ans, après le divorce de mes parents. Mon frère était encore trop petit, trop jeune pour être mon confident. Même s'il était la prunelle de mes yeux, il y avait des choses que je ne pouvais pas lui dire. Et mon grand-père ne se souvenait plus de moi. Alors oui, parfois je me sentais seul, oublié, impuissant.

Cependant, face à Camille, j'avais l'impression d'exister. J'avais l'impression de redevenir Axel. Juste Axel. Et ce Axel était écouté avec patience.

C'était agréable. Mais ça faisait aussi terriblement peur. Oui, c'était terrifiant tous ses sentiments et ses pensées qui se bousculaient dans ma tête. Est-ce que j'avais le droit de ressentir ça ? Est-ce que ce n'était pas trop tôt ? Est-ce que ça en valait la peine ? Ou est-ce que je me plantais complètement et je ne finirais que par être qu'un nouveau souvenir effacé ?

C'était pour toutes ces questions qui ne cessaient de revenir me torturer que je redoutais ce dîner. Parce que j'étais perdu. Je ne savais plus si je voulais que ce soit un rendez-vous ou si je craignais trop de me faire des idées. Peut-être qu'un dîner entre amis était le mieux, le plus raisonnable. Mais était-ce ce que je voulais vraiment ? J'étais encore bien trop terrifié pour répondre à cette question. Avais-je le droit d'espérer plus ou était-ce complètement malvenu ?

— Arrête de réfléchir ! lança soudainement Prune à mes côtés, me faisant rapidement revenir sur terre. Tes sourcils sont tellement froncés que tu vas avoir des rides avant l'âge, et si je regarde d'assez près, je suis certaine que je vais voir les rouages de ton cerveau tourner. Ça ne peut pas être bon.

Je ne répondis rien d'autre qu'un regard noir dans sa direction. Elle n'avait pas tort mais, justement, elle me connaissait trop bien, et ça m'agaçait.

Debout devant le miroir en pied que nous avions installé dans un coin du salon, près de l'entrée, Prune m'observait à travers le reflet alors que j'étais moi-même en train de m'étudier. Je ne savais plus si je craignais d'être trop habillé ou, au contraire, de ne pas l'être assez. Le jean noir et le tee-shirt de la même couleur que je portais étaient simples, mais j'avais peur que la veste marron que j'avais rajoutée par-dessus ne soit de trop.

Cerise nous rejoignit devant le miroir alors que je poussai un soupir. Imitant involontairement la position de sa sœur, elle m'observa à son tour avant de hausser un sourcil.

— Tu es très beau, affirma-t-elle, un sourire mutin aux lèvres. Arrête un peu de t'inquiéter, Camille va te trouver très élégant.

— C'est pas la question, j'ai surtout peur qu'il pense que j'en fait trop, dis-je en évitant de m'attarder sur mes joues rosies. Ce n'est qu'un dîner entre amis après tout.

— Si tu penses que ce n'est pas un rendez-vous, alors tu es vraiment idiot, me fit remarquer Prune, un sourcil haussé.

Je grognai légèrement, tentant de toutes mes forces de ne pas me braquer et passer sur la défensive, comme j'avais trop souvent tendance à le faire.

— Non, je... on a convenu que c'était un dîner entre amis, c'est tout, m'obstinai-je. Camille veut simplement être mon ami.

— Est-ce que, toi, tu veux que ce soit un rendez-vous ? me questionna soudainement Cerise.

C'était ça le problème, je n'en savais rien ! Et j'avais déjà mal à la tête à cause de ma précédente introspection, je n'avais vraiment pas envie de me replonger là-dedans. Mes pensées étaient en bordel depuis des jours, tout comme mes sentiments d'ailleurs, et je n'arrivais plus à réfléchir. Je n'arrivais plus à trouver des réponses convenables à mes questions.

— Non, je... ça serait trop compliqué, finis-je par soupirer.

— C'est pas ce qu'on te demande, répliqua Prune. Ce n'est pas parce que tu t'obstines à trouver ça compliqué que tu n'en as pas envie. Tu devrais un peu plus écouter ton cœur et te laisser porter au lieu de te braquer.

Je poussai un énième soupir alors que Cerise attrapait mon bras, m'intimant de me tourner vers elle. Délicatement, mon amie passa sa main dans mes cheveux pour me recoiffer, puis elle plongea ses yeux bleus dans les miens. Son regard était doux, compréhensif, c'était presque comme s'il me couvait avec bienveillance.

— Arrête de trop réfléchir et détends-toi, me souffla-t-elle. Tu es très beau, tu es jeune, tu as plein de qualités et tu mérites de profiter. Et, même si je sais que c'est compliqué, évite de t'imposer des barrières.

D'un geste furtif, je tentai de hocher la tête, même si ce nœud que j'avais dans la gorge ne semblait pas vouloir se dénouer.

— Je suis sûre que, pour Camille, c'est un rendez-vous, intervint Prune. J'ai vu la façon dont il te dévorait des yeux l'autre soir.

Mes yeux quittèrent instantanément Cerise pour se poser sur sa jumelle. Je ne savais pas si le regard que je lui lançai était critique ou paniqué mais ce qui était certain, c'est que ce genre de remarques ne m'aidait définitivement pas à me détendre.

Cerise, qui dût visiblement sentir mon trouble, poussa un soupir avant de placer ses mains sur mes joues afin de capturer à nouveau mon attention.

— L'écoute pas, et ne la laisse pas te stresser, me dit-elle. Laisse-toi juste porter et tu verras où ce dîner vous mènera. Respire un grand coup, et ne te mets pas la pression.

Sans rechigner, je m'exécutai et laissai un bon bol d'air envahir mes poumons. Je laissai retomber mes épaules et m'obligeai à faire taire ces voix dans ma tête qui semblaient s'être données pour mission de gâcher ma soirée.

Les jumelles avaient certainement raison, je devrais éviter de me mettre tant la pression et d'être si exigeant envers moi-même. Et puis Camille était quelqu'un de bien et, même sans mettre des mots sur cette sortie, j'étais content de passer un nouveau moment avec lui. Je me sentais léger, il me faisait sourire et quelque chose faisait que cela me paraissait toujours être naturel entre nous. Alors peut-être que je ferais mieux de me concentrer là-dessus.

Écoutant les conseils de Cerise, j'arrêtai de réfléchir et me contentai de rassembler mes affaires. Un coup d'œil à mon téléphone et je constatai qu'il était l'heure de me mettre en route si je ne voulais pas arriver en retard au restaurant. Je vérifiais une dernière fois l'adresse que m'avait envoyée Camille puis me mis en route après quelques derniers encouragements de la part des jumelles.

J'avais rapidement compris que, Camille et moi, nous habitions dans le même quartier. Je savais déjà que son appartement n'était pas loin du Mo-Derne Cinéma et, dans son message qui me donnait le nom et l'adresse du restaurant, il m'avait appris qu'il avait expressément choisi un endroit qui ne serait pas trop loin du cinéma. Et lorsque je m'étais renseigné sur le trajet, je m'étais rapidement rendu compte qu'il ne me faudrait qu'une quinzaine de minutes de marche pour arriver sur place.

Je marchais alors tranquillement, ne voulant pas avoir l'air trop pressé ou pire, ne voulant pas arriver transpirant devant Camille. Et je profitais de l'air doux, de cette fin de journée agréable et du soleil qui réchauffait mon visage pour prendre une grande inspiration, m'aérer l'esprit et laisser des pensées plus positives m'envahir. Les journées étaient bien plus longues désormais, et le temps était idéal, tout était réuni pour une bonne soirée. Les jumelles avaient raison, je devais me laisser porter.

Alors je me promis d'essayer de toutes mes forces.

Ce fut d'un pas que je voulais plus léger, plus assuré que j'arrivais devant le restaurant. Camille s'y trouvait déjà. Je l'observais de loin, il était terriblement charmant. Il portait encore sa veste en jean, j'avais l'impression qu'elle ne le quittait jamais, et en-dessous, il semblait arborerune chemise simple mais qui lui allait à la perfection. Mon coeur se réchauffait face à cette vision. Comment pouvait-il être aussi séduisant sans avoir à en faire trop ? Comment mon cœur était-il censé résister face à lui ?

Ce fut lorsque je me rapprochai un peu plus que Camille remarqua ma présence. Il m'adressa un grand sourire, le genre qui illuminait aussi ses yeux, et je lui répondis. Seulement le mien devait certainement être plus timide. Cela semblait être une réaction automatique de mon corps face à sa présence. Je me sentais soudainement petit, trop conscient de mon corps et de ma probable capacité à dire ou faire une bêtise. Je n'aimais pas tellement ce côté timide de ma personnalité mais, face à Camille, je n'arrivais visiblement plus à le contenir.

Je m'arrêtai alors devant lui et ne pus m'empêcher de me balancer légèrement sur mes jambes, plaçant mes mains dans les poches de mon jean pour contenir leur tremblement.

— Ça fait longtemps que tu m'attends ? m'inquiétai-je après l'avoir salué.

— Non, je viens d'arriver, me rassura Camille dans un nouveau sourire. Je me suis dit que c'était mieux si on entrait ensemble. Tu me suis ?

Je hochai simplement la tête et Camille ouvrit la porte du restaurant avant de me laisser passer. Une employée vint rapidement à notre rencontre, elle nous conduisit aimablement vers une table sur notre droite après que mon accompagnateur eut donné son nom.

Moi je laissai mes yeux vagabonder sur ce qui m'entourait, tentant de capturer la décoration et l'ambiance de cet endroit. Le restaurant était assez chic avec un mobilier dans les tons gris et des luminaires de qualité. La pièce était plutôt moderne et lumineuse mais le restaurant ne semblait pas trop en faire. J'avais peur de me retrouver dans un endroit où je ne me sentirais pas à l'aise, dans un endroit bien trop guindé qui pourrait donner à ce rendez-vous une signification bien plus importante, bien plus intimidante. Mais, finalement, je m'y sentais bien. L'atmosphère restait chaleureuse, et les autres clients déjà présents semblaient dîner sans chichis, profitant simplement de leur sortie. Oui, ce restaurant était classe mais simple, et ça me rassurait.

A peine assis, je m'emparai déjà du menu dans le simple but de me cacher derrière. Et lorsque je trouvai le courage de relever le regard, je ne pus que remarquer ce petit sourire mutin que m'adressait Camille. Je reposai alors la carte du restaurant et tentai de me concentrer un peu plus sur mon vis à vis.

— Tu peux te détendre, tu sais, on est là pour passer un bon moment, sans pression, dit-il sur un ton tendre et rassurant.

Je hochai la tête, ne trouvant rien à dire, et tentai de respirer à nouveau correctement, détendant mes épaules. Je ne savais pas pourquoi je me sentais si anxieux, c'était simplement Camille en face de moi, et j'avais désormais compris qu'il était sincère et bienveillant. Je ne devrais pas être si angoissé.

— Tu... tu as passé une bonne journée ? demandai-je timidement mais déterminé à engager la conversation d'une façon ou d'une autre afin de ne pas laisser de malaise s'installer.

— Oui, j'avais beaucoup de travail au centre mais c'était une plutôt bonne journée, me répondit-il, l'air satisfait. Noé m'a appris de nouveaux mots en langue des signes, juste quelques verbes simples comme manger, dormir ou marcher.

Je souris à cette information. Je trouvais ça génial et - je devais bien l'avouer - absolument adorable de voir mon frère apprendre ces quelques notions à Camille, et de voir ce dernier aussi investi dans son envie de communiquer avec mon petit frère. Cela comptait beaucoup pour moi, que Noé soit considéré et qu'il ne soit pas mis à l'écart, et je savais que c'était aussi très important pour mon petit frère d'avoir des personnes avec qui parler. Et je voyais bien Camille être infiniment patient et doux avec lui, c'était agréable à voir.

J'aimais la relation qui s'établissait entre Noé et lui. Je le savais sincère, et je savais que mon frère l'aimait bien. C'était évidemment important qu'il s'entende bien avec les professionnels qui l'encadraient, et c'était toujours préférable que son séjour et sa guérison se passent dans une bonne atmosphère. Et j'étais persuadé que l'aide que lui apportait Camille était aussi importante que celle des autres spécialistes qui l'entouraient. Je serais toujours reconnaissant envers eux, et envers Camille, pour avoir redonné un peu de confiance et d'optimisme à mon  petit frère.

En ce moment, lorsque je lui rendais visite au centre, je voyais Noé sourire. Je le voyais de bonne humeur, je le voyais s'adapter à sa condition et s'améliorer, je le voyais guérir. Et ça, cela n'avait pas de prix.

— Je suis impatient de le ramener à la maison ce week-end, mais je t'avoue que ça m'inquiète aussi, confiais-je, reprenant enfin la parole. Je veux juste que tout se passe bien, et faire mon maximum pour qu'il passe un bon week-end, pour qu'il profite de ces deux jours en dehors de l'hôpital, qu'il sourit et qu'il se ressource. Je ne sais pas quand une nouvelle opportunité se présentera alors je veux juste que tout soit parfait ce week-end. Noé le mérite tellement.

— Tu n'as pas besoin de te mettre la pression, m'assura Camille. Je suis certain que tout ce qui compte pour Noé c'est de passer du temps avec son grand frère. Je suppose que tu as prévu de passer la journée avec lui ?

— Oui, confirmai-je. J'ai pris ma journée du samedi pour aller le chercher et passer toute l'après-midi avec lui. Je serai libre toute la journée et j'ai prévu qu'on fasse tout ce qui lui fera plaisir. Par contre, je serai obligé de travailler dimanche matin, et j'espère que ma mère saura gérer décemment pendant quelques heures, jusqu'à ce que je rentre après le déjeuner.

Je n'aimais pas particulièrement paraître vulnérable et pourtant je ne pus m'empêcher de baisser les yeux face à cette réalité. Elle avait beau être notre mère, cela m'inquiétait vraiment de lui confier mon frère pendant une simple matinée.

Je ne sortis de mes pensées que lorsque Camille approcha sa main de la mienne, l'effleurant à peine. Je relevai la tête pour plonger mon regard dans celui concerné, mais toujours doux, de mon vis à vis.

— Tu finis à midi ? me demanda-t-il soudainement et je hochai la tête. Alors, si tu veux, je... je pourrais t'apporter quelque chose à manger et... comme ça je saurais que tu as quelque chose dans le ventre et je serais là pour t'aider si tu as besoin de quoi que ce soit.

Je ne savais pas pourquoi il me proposait ça alors qu'il aurait pu simplement profiter de son dimanche chez lui sans avoir à se soucier de mon sort, alors que je ferais mieux de rentrer rapidement chez moi après mon service au cinéma au lieu de donner rendez-vous à un garçon, mais pourtant j'avais envie d'accepter. Parce que Camille semblait sincèrement vouloir m'aider, parce que c'était épuisant de toujours résister et que j'avais envie d'accepter cette aide, parce que j'avais aussi envie de le revoir. Parce que j'avais soudainement envie d'arrêter de réfléchir constamment.

— D'accord, murmurai-je alors finalement.

Le sourire que m'offrit Camille à l'entente de ma réponse en valut la peine. Ses yeux étaient pétillants et il semblait encore plus guilleret qu'auparavant, si cela était même possible. J'aimais bien le voir comme ça, c'était rafraîchissant.

La conversation continua, s'installant confortablement et de manière naturelle. Finalement, c'était facile entre nous et je réussis à me détendre au fil de la soirée. Nos plats nous furent rapidement apportés et nous mangeâmes sans nous presser, profitant simplement de notre soirée ensemble. C'était délicieux.

— Alors Axel, parle-moi de toi, lança soudainement Camille, me poussant à relever la tête vers lui.

— Tu sais déjà presque tout de moi, lui fis-je remarquer. Tu sais même des choses que je n'avais pas prévu de te dire quand on s'est rencontrés au cinéma.

— C'est vrai, concéda-t-il. Je sais à propos de ton frère, je connais ta relation avec votre mère, tu m'as parlé de tes projets pour Noé et de l'accident, mais moi c'est toi que je veux apprendre à connaître. Juste Axel. Je veux savoir qui tu es, quels sont tes rêves. Je veux que tu me dises qui tu es, ce que tu aimes, en tant que personne à part entière et non en tant que frère ou fils.

Mon corps se réchauffa, mon cœur se gonfla et mes joues rosirent certainement en entendant son explication. Cela faisait longtemps qu'on ne m'avait pas parlé d'autre chose que de Noé, cela faisait longtemps qu'on ne m'avait plus demandé quels étaient mes rêves, souvent par peur de me saper le moral en me parlant de quelque chose que j'avais abandonné. Mais ici c'était... agréable ? Et cela me donna envie de lui parler, parce que je savais désormais qu'il m'écouterait, et qu'il s'intéresserait.

— Tu sais déjà que le cinéma me passionne, commençai-je alors. J'ai toujours aimé ça, depuis que je suis tout petit. C'est mon père qui m'a offert ma première caméra, et c'est de lui que je tiens ma passion. Il est réalisateur, il fait principalement des films documentaires et c'est pour ça qu'il n'était pas souvent là. C'est aussi pour ça que j'ai dû aller vivre avec ma mère après le divorce de mes parents, même si mes relations avec elle étaient déjà tendues. Mon père n'avait pas un travail qui facilitait la prise en charge d'un enfant de douze ans. Mais, malgré ça, nous avons toujours été assez proches lui et moi. Un jour il m'a emmené sur un de ses tournages, je devais avoir sept ou huit ans et ça été le plus beau jour de ma vie. J'ai été impressionné par toutes les petites mains derrière, toutes les professions différentes, tous ces gens qui faisaient l'équipe de tournage et qui assuraient le bon déroulement de l'évènement. J'ai su que je voulais en faire mon métier. Quand j'ai été pris dans l'école de cinéma, j'avais un an pour me décider d'une spécialité. J'ai toujours hésité entre le montage, qui me fascinait par la patience et la précision que ça demande, et la réalisation. Mais en même temps j'ai toujours aimé filmer tout ce qui m'entourait, tous les moments heureux autour de moi.

Les yeux de Camille étaient uniquement concentrés sur moi. Il semblait m'écouter attentivement tout en m'adressant ce sourire tendre. L'intensité de son regard et de son attention m'intimidait et me boostait en même temps. Toutes ces sensations que je ressentais en sa présence, c'était inédit.

— Est-ce que tu voudrais reprendre tes études, retourner dans cette école de cinéma ? m'interrogeant-t-il.

— Je ne peux pas, j'ai Noé maintenant et...

— C'était pas ma question, me coupa-t-il. Si tu en avais l'occasion, même en t'occupant de Noé, s'il y avait une solution pour que tu reprennes tes études et que tu puisses réaliser ton rêve, est-ce que tu le ferais ?

— Il faudrait que je repasse le concours d'entrée et que je sois à nouveau accepté mais, oui, si c'était possible et si seulement cela ne pouvait en rien nuire à Noé alors oui, je le ferais. Oui, j'aimerais pouvoir finir mes études et enfin mettre un pied dans le cinéma.

— Je suis sûr que ça sera possible, affirma Camille, confiant. Tu auras ta chance.

Je me contentai de hausser les épaules. J'appréciais son optimisme mais je doutais réellement que cela soit possible. Ma vie avait changée, j'avais Noé désormais, et il restait ma priorité. Le cinéma pouvait attendre.

— Je serais aux premières loges pour voir le film auquel tu auras participé, déclara soudainement Camille.

Je baissai le regard et secouai la tête de droite à gauche, tentant de cacher mes joues roses et le sourire timide qui se formait pourtant sur mes lèvres.

— Et toi, Camille, lançai-je subitement, déterminé à changer de sujet et à retourner la conversation. Tu commences à bien me connaître mais, moi, je ne sais pratiquement rien de toi. Alors je ne te dirais plus rien tant que tu ne m'auras pas parlé de toi.

— Très bien, mais je te préviens j'ai rien de super intéressant à te raconter, me dit-il. J'ai vingt-trois ans, je suis fils unique et j'ai la chance de faire un métier qui me passionne. Tu le sais, j'aime le cinéma mais je n'y connais pas grand chose. J'ai fait de la natation jusqu'à mes dix-huit ans, maintenant ça reste seulement un loisir. Mais j'aimais ça et j'ai gagné quelques compétitions quand j'étais plus jeune. Je crois que mon coach aurait voulu me garder dans son équipe mais devenir professionnel n'était pas pour moi. A quatorze ans, je me suis blessé à l'épaule pendant une compétition, ça été douloureux et difficile de retourner dans les bassins après ça, mais ce n'est pas pour cette raison que j'ai arrêté. Je voulais simplement me concentrer sur mes études, j'ai su très tôt que je voudrais être éducateur. Et enfin, je ne pense pas vouloir vivre à Paris toute ma vie, j'aimerais plutôt m'installer en Bretagne, d'où je suis techniquement originaire, dès que j'en aurais l'occasion. J'espère y retrouver un centre comme celui dans lequel je travaille en ce moment, j'aime cette structure qui n'est pas trop grande et j'aime le suivi que j'ai avec les enfants.

— Moi je trouve ça intéressant, affirmai-je, contredisant ce qu'il pensait au début de son récit. Et toi aussi tu mérites d'obtenir ce que tu souhaites. Et je vois bien à quel point ton travail est important pour toi, je trouve que tu as un don avec les enfants.

Le reste de la soirée se déroula ainsi, remplie de discussions simples et légères mais essentielles pour s'apprendre l'un l'autre. Entre anecdotes d'enfance et rêves d'avenir, nous n'eûmes pas l'occasion de laisser le silence s'installer entre nous. Et avant que nous puissions nous en rendre compte, notre repas était terminé. Malgré mes protestations et mes misérables tentatives de négociation, Camille ne me laissa pas payer un centime de l'addition. Mais ce n'était pas bien grave, je ferais en sorte de me rattraper la prochaine fois.

En attendant, je n'avais pas envie de me chamailler avec lui, je préférais profiter de ce qu'il nous restait de la soirée. Pour être tout à fait honnête, je n'avais pas vraiment envie que ce moment se termine, cela se passait si bien que je n'avais pas envie de quitter Camille tout de suite.

Heureusement, sans que je n'ai besoin de rien proposer, Camille décida de marcher un peu avec moi, presque comme s'il partageait la même envie que moi. Les mains dans les poches, je profitai alors de sa présence, écoutant attentivement l'anecdote qu'il me racontait. C'était peut-être étrange mais je ne pouvais plus me départir de mon sourire. Je me sentais bien à ses côtés, et je me sentais même plus léger qu'il y a quelques heures, je me sentais plus détendu et j'aimais la soudaine sensation de sérénité que m'apportait cet instant.

Je fronçai les sourcils lorsque je vis Camille s'arrêter devant un stand de glace qui était encore ouvert à cette heure-ci. Un sourire enfantin aux lèvres, il se retourna vers moi.

— Ça te dit une glace le temps que je te raccompagne chez toi ? me demanda-t-il alors.

— Euh, je... tu n'es pas obligé de me raccompagner jusqu'à chez moi, tu sais, soufflai-je timidement.

— J'y tiens, assura-t-il pourtant. Alors, une glace ?

Face à son sourire et ses yeux brillants, je ne pouvais pas résister. J'acquiesçai donc et lui fis savoir le parfum que je préférais. Nos deux cornets en main, nous continuâmes notre chemin dans cette douce ambiance, à l'image du temps qui nous était favorable. La nuit tombait et, même si nous ne pouvions pas distinctement voir les étoiles à cause des lumières de la ville, je trouvais cette nuit magnifique.

Seulement, plus nous avancions, plus mon coeur se serrait et un poids alourdissait mon estomac. J'avais l'impression que ma rue approchait bien trop vite et avant que je ne puisse ralentir la cadence, nous nous trouvions déjà devant la grande porte en bois qui marquait l'entrée de mon immeuble.

Alors que j'aurais dû m'inquiéter de faire le code afin de rentrer enfin chez moi, je me retrouvai à rester planté là, Camille devant moi. Nous nous observâmes pendant quelques secondes, immobiles, les bras ballants, l'air un peu idiot. Alors que tout était léger il y a encore quelques secondes, une soudaine tension s'installa entre nous. Quelque chose de plus pesant, quelque chose qui me réchauffait le ventre et me donnait des frissons.

Les yeux dorés de Camille ne semblaient pas quitter mon visage, son regard était intense, déstabilisant. Et moi, je ne savais pas comment réagir sous ce dernier. Alors tout ce que je trouvai à faire fut d'attendre. Attendre que Camille décide de ce qui se passerait ensuite.

Nous étions déjà proches et je me demandais soudainement s'il oserait faire un pas de plus, réduisant définitivement la distance entre nous. Est-ce que j'en aurais envie ? Était-ce réellement un rendez-vous ? Est-ce que Camille prendrait le risque de franchir cette ultime barrière ? Est-ce que je voulais qu'il le fasse ?

Réfléchissant à nouveau beaucoup trop, je remarquai à peine qu'il s'était bel et bien rapproché, sa chaleur enveloppant désormais celle qui émanait déjà de mon corps. Et tout ce que je sentis ensuite, furent ses lèvres qui se déposèrent délicatement et brièvement sur ma joue gauche.

Cette dernière s'enflamma instantanément et je baissai déjà la tête lorsqu'il se recula, me couvant, je le sentais bien, d'un regard doux. Ce n'était qu'un bisou sur la joue mais cela me suffisait, c'était assez pour le moment. C'était agréable et je crois que j'appréciai déjà beaucoup trop ce contact.

— J'ai passé une très bonne soirée Axel, murmura Camille. Et j'avais raison, tu vaux la peine d'être connu, juste Axel.

Camille m'offrit un dernier regard à faire vibrer mon cœur, un dernier sourire envoûtant, avant de s'éloigner d'un pas élégant. Je l'observai encore quelques secondes avant de relâcher un grand souffle que je n'avais pas remarqué retenir. Et ce fut la main doucement posée sur ma joue encore chaude que je composai mon code et ouvrit la porte de mon immeuble.

Je crois que résister à Camille venait de devenir encore plus difficile.

⭐️⭐️⭐️

Hey !

Vous allez bien ? J'espère que vous avez passé une bonne semaine. Je me répète peut-être mais moi je suis contente tant que je peux vous retrouver. Bon, c'est vrai, j'ai un peu traîné pour cet update, mais je dois vous avouer que je n'ai pas fait grand chose pendant ma semaine d'anniversaire...

Mais je suis de retour et j'espère vraiment que ce chapitre vous aura plu. Il était attendu et moi j'ai beaucoup aimé l'écrire, je vous livre enfin le dîner entre Camille et Axel. J'ai pas grand chose à vous dire, j'aime juste me mettre dans la tête d'Axel et doucement engendrer son évolution. J'espère que vous avez apprécié aussi.

Alors, qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?

L'état d'esprit d'Axel tout au long du chapitre ? Son évolution peut-être ?

Prune et Cerise ?

Camille ? Entre patience et prise d'initiatives ?

Leur diner dans son ensemble ? Leurs conversations ?

J'ai vraiment hâte de lire vos avis !

En attendant, je vous embrasse, et je vous souhaite un très bon week-end. Je vous retrouve au plus vite pour un prochain chapitre qui sera, à nouveau, du point de vue Axel ;)

A bientôt, T.

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