2 : Et mes désirs m'ont dévasté l'âme
"On doit être des centaines à vivre
la même scène chaque soir
seul, face à soi
le regard déchiré
la peau brisée
mais rien n'y fait
toutes les nuits j'ai l'impression
d'être le seul sur Terre."
(your.nash - 00h07)
Elouan laissa Swann devant chez lui en lui faisant promettre de l'appeler s'il avait besoin de quoi que ce soit. Swann rentra, épuisé, les yeux gonflés et les cheveux en bataille. Il retira sa veste et ses chaussures, puis alla se servir un verre d'eau dans la cuisine.
Il se pencha au-dessus de l'évier, s'appuyant de chaque côté à l'aide de ses mains, avant de lâcher un profond soupir. Les émotions ressenties plus tôt ne l'avaient toujours pas quitté.
Alors qu'il s'apprêtait à se déshabiller et se préparer pour aller dormir, on sonna à la porte. Swann, d'abord surpris, se demanda qui pouvait bien lui rendre visite à cette heure-ci. Il s'avança jusqu'à la porte et ouvrit, se retrouvant face à Tristan, un petit sourire contrit aux lèvres et une boîte de thé vert à la main.
Swann fronça les sourcils mais se décala pour laisser entrer son ami. Celui-ci retira rapidement ses chaussures et rejoignit la cuisine, s'activant comme s'il était chez lui.
— Désolé de ne pas t'avoir rejoint plus tôt, j'ai dû aller voir mes darons, un problème avec la voiture. Elouan m'a raconté pour votre petite sortie, j'aimerais qu'on parle Swann.
— Qu'on parle de quoi ? demanda le jeune homme, ne voyant pas où il voulait en venir.
— De Ellie.
Swann se redressa subitement. C'est comme si la sentence venait de s'abattre sur lui. Comme s'il venait de prendre un énorme coup dans le dos.
— Tristan, je n'ai pas envie de parler d'elle, j'en ai eu assez pour aujourd'hui...
— Je ne te demande pas ton avis. Il faut que je sache ce qui s'est passé, et je te promets que ça va te faire du bien d'en parler à quelqu'un, reprit Tristan en plantant son regard dans celui de Swann.
Le plus jeune souffla, découragé d'avance. Il n'aurait pas le choix.
— J'aime pas le thé, grogna-t-il.
— Mais tu vas en avoir besoin.
Les deux garçons finirent par s'installer dans le salon. Tristan posa deux tasses encore brûlantes sur la table et s'installa dans le canapé pendant que Swann se laissa tomber par terre, s'appuyant contre le divan.
— Pourquoi tu ne parles jamais d'elle ? Pourquoi tu gardes tout pour toi Swann ?
— Parce que j'essaie de l'oublier et que parler d'elle ne fait que me rappeler tout ce qu'on a vécu, murmura le jeune homme en passant une main dans ses cheveux.
Swann marqua une courte pause, le temps de trouver les mots et reprit :
— C'était ma meilleure amie, depuis des années. Nous sommes rentrés en maternelle ensemble, et tout le reste de notre scolarité. On était... on était comme frère et sœur, on ne se quittait jamais. Et puis, elle est devenue la première fille que j'ai aimée...
— Tu l'aimais ? coupa Tristan.
Swann releva la tête et son regard se perdit dans les pupilles de son meilleur ami.
— Oui. Je voulais lui dire le lendemain...
— Que s'est-il passé ?
Swann poussa un long soupir et son regard retrouva le sol.
— Le jour de son anniversaire, j'ai insisté pour qu'on aille à cette fête... Au début, elle était un peu réticente, elle n'aimait pas vraiment traîner dans ce genre d'endroit. Mais j'ai réussi à la convaincre qu'on s'amuserait, je lui avais promis que ce serait le meilleur anniversaire de sa vie... Quand on est ressorti, quand on a quitté la fête pour rentrer, elle était complètement bourrée, moi, j'étais déjà plus habitué à boire alors j'étais plus lucide. Pour elle, ça n'arrivait jamais. J'aurais dû me méfier... j'aurais dû lui tenir la main, la protéger... Elle était si joyeuse, elle affichait ce sourire radieux que j'aimais tant... Son rire résonnait dans la nuit, et elle s'est mise à courir. Elle criait qu'elle était heureuse, qu'elle ne s'était jamais sentie aussi bien en courant devant moi. Je la regardais en souriant, qu'est-ce qu'elle était belle... Elle a crié mon nom, m'a mis au défi de l'attraper. J'ai fini par accepter, tu me connais...
Il marqua une nouvelle pause et inspira doucement, serrant les dents.
— Et puis, elle a continué de courir... jusqu'à ce carrefour. Ce carrefour où une voiture arrivait à toute vitesse. Je l'ai vu arriver, mais elle ne l'a pas vu. J'ai tenté de l'arrêter, mais elle était déjà loin devant. J'ai crié son nom mais elle a continué de courir en riant. J'ai paniqué et je me suis arrêté brusquement. Les larmes ont coulé avant même que l'accident n'arrive. Je savais que c'était trop tard, je savais qu'elle ne s'arrêterait pas à temps.
Tristan se laissa tomber à côté de Swann, prêt à lui apporter son soutien. Il savait que les minutes qui allaient suivre s'avèreraient des plus compliquées pour le plus jeune.
— Et c'est arrivé. Le choc a été brutal, et c'était comme si c'était moi à sa place. C'était comme si je venais de me faire renverser, pas elle. Le conducteur est descendu, paniqué lui aussi et j'ai couru jusqu'à elle. Je me suis agenouillé à ses côtés mais je le sentais. Je le savais que c'était trop tard, que c'était la fin. Le chauffeur a appelé le SAMU et je me souviens seulement du moment où ils sont arrivés. Je n'ai jamais vu son regard aussi vide... Ils ont tout essayé mais elle était déjà partie. Ils ont recouvert son corps frêle d'un drap blanc et j'ai crié à nouveau son nom, personne ne parvenait à me calmer... « Ellie ! Ellie... »
Swann se mit à pleurer à chaudes larmes, comme s'il revivait ce moment si atroce. Tristan s'empressa de le prendre dans ses bras.
— Pleure, n'aie pas peur, ça va te libérer.
— J'étais comme un fou, continua-t-il en reprenant son souffle. Je ne savais pas quoi faire, je ne savais pas comment faire pour apaiser cette douleur qui m'oppressait. Personne ne semblait comprendre ce que je ressentais, les médecins s'agitaient autour de moi comme des robots. Je n'arrivais pas à me dire que c'était vraiment fini, que c'était la dernière fois qu'elle respirait. C'était la dernière fois qu'elle disait mon prénom, la dernière fois qu'elle me prenait dans ses bras, la dernière fois que j'entendais sa voix, que je voyais son beau visage... C'était fini pour toujours. J'ai si mal, j'aimerais tellement l'avoir avec moi, j'aurais tellement aimé lui dire tout ce que je ressentais pour elle, à quel point elle était importante pour moi, à quel point je l'aimais.
Une nouvelle vague de pleurs submergea Swann, il prit sa tête entre ses mains alors que Tristan tentait vainement de l'apaiser.
C'était trop dur, c'était insupportable pour lui de parler d'elle. Parce qu'au fond, il ressentait une faute immense.
— Si je n'avais pas insisté pour qu'on aille à cette fête, si je l'avais empêchée de s'en aller en courant ?! J'ai eu un nombre incalculable de chances d'éviter le drame, mais je n'en ai saisi aucune ! Si nous n'étions jamais allés à cette foutue fête, elle serait encore là aujourd'hui !
Swann envoya valser tout ce qui se trouvait sur la table basse en se relevant avec rage. C'était de sa faute. De sa faute si elle était morte.
Ces pensées fusèrent dans sa tête et il fut pris d'une colère immense. Il lui arrivait d'avoir des crises de colère lorsqu'il était plus jeune mais cela n'était pas arrivé depuis de nombreuses années.
Ni une, ni deux, son poing finit dans le miroir qui se tenait juste au-dessus de la commode du salon. Tristan sursauta et se précipita vers Swann qui se laissa tomber contre la console en bois, sans prêter attention aux éclats de verre par terre ou à sa main droite ensanglantée. À nouveau, il s'enferma dans son désespoir, il laissa la tristesse couler en lui et reprendre le dessus sur la rage.
— Je n'ai jamais pu lui dire que je l'aimais...
Tristan entendit à peine le murmure presque inaudible de son ami. Il attrapa une des tasses de thé sur la table et la tendit vers Swann qui la récupéra avec hésitation.
— Il est encore temps de le faire.
Le jeune homme releva la tête vers son aîné en fronçant les sourcils.
— Elle n'est peut-être plus là mais elle t'entend, elle te voit. Tu peux lui parler tu sais ? Elle ne te répondra pas mais elle sera là à t'écouter avec attention. Elle veille sur toi Swann, elle ne t'en veut pas, j'en suis certain. Et puis, tu n'aurais pas pu éviter ce qui s'est passé ce soir-là, tu ne fais que te torturer en pensant de cette manière. Retournons au cimetière demain, je pense que tu as des choses à lui dire.
Tristan lâcha un sourire à l'intention de Swann qui s'était légèrement calmé.
— T'arrives à te soigner ? demanda-t-il en désignant la main du jeune homme d'un geste du menton. Monte, je vais te ramener un peu d'eau.
Swann acquiesça vaguement et se releva avec l'aide de son ami. Il monta à l'étage pour nettoyer sa plaie et entendit Tristan s'activer en bas.
Une fois qu'il s'était occupé de sa main, il s'assit rapidement sur son lit et le sommeil lui tomba soudainement dessus. Cette soirée riche en émotions l'avait abattu et la fatigue eut raison de lui. Il s'endormit immédiatement.
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