Chapitre 14
Miyeon était passée outre sa répulsion et avait commencé à analyser la chair putréfiée dès que Changbin la lui avait rapportée. Elle avait installé son chaudron d'alchimie, auparavant contenu dans ses poches dimensionnelles, dans un coin de la grotte assez éloigné de là où ils dormaient. Elle ne pouvait pas faire grand-chose pour l'odeur infecte, mais en disposant des herbes que Changbin faisait brûler près de leurs lits de fortune, cela leur permettait de limiter leurs nausées. Ils ne s'étaient presque pas parlé depuis la veille, tous les deux perdus dans leurs pensées.
L'alchimiste était très prise par ses expériences et ses tentatives pour découvrir ce qu'étaient ces monstres. Le sorcier lui montait la garde. Il faisait des rondes régulières, allait chercher de la nourriture et tentait de repérer des habitudes chez les créatures qu'il croisait. Il transmettait les informations à son équipière lorsque celle-ci sortait de sa transe alchimique, mais leurs échanges ne se résumaient plus qu'à ça.
— Miyeon.
— Je suis occupée, pas maintenant.
— Je sais que tu es occupée, mais tu as besoin de manger quelque chose, tu ne peux pas continuer comme ça, insista Changbin en agitant un bol dans sa direction.
La jeune femme lui jeta un regard agacé, mais son estomac se manifesta soudainement et lui ôta toute crédibilité. Elle s'empressa de poser ses mains sur son ventre dans l'espoir d'en atténuer le bruit, mais Changbin l'avait parfaitement entendu. Il lui offrit un sourire moqueur et agita une nouvelle fois le récipient. Miyeon cessa d'insuffler son énergie dans son chaudron et épousseta ses vêtements. Un vertige la fit vaciller quand elle se mit debout et elle leva aussitôt la main pour empêcher son partenaire de venir l'aider. Elle se sentait déjà suffisamment redevable envers lui et elle ne voulait pas qu'il la traite une nouvelle fois de petite fille fragile.
— Comment est-ce que c'est dehors ? demanda-t-elle pour changer de sujet.
Miyeon n'avait pas mis les pieds à l'extérieur depuis plusieurs jours pour des questions de sécurité et elle avait été bien trop occupée pour y penser. Changbin lui donna son bol et poussa un profond soupir.
— Aucune amélioration, c'est même encore pire qu'avant. Il y a plusieurs créatures différentes dans le ciel... et je pense en avoir reconnues une ou deux. C'est assez difficile de voir et les plantes semblent contaminées, j'ai dû m'éloigner encore plus aujourd'hui pour en trouver des saines.
— Je vois...
— Et toi, t'as découvert de nouvelles choses ?
La jeune femme mangea quelques bouchées avant de poser le réceptacle devant elle, l'appétit coupé. Il était difficile d'avoir faim quand un morceau de cadavre putréfié se décomposait dans un chaudron non loin.
— Ce n'est pas du poison, j'ai décomposé la structure de la chair et je n'en ai repéré aucun. Je n'ai pas trouvé non plus de trace de maléfice. C'est plus comme... si la magie elle-même pourrissait. C'est huileux, écœurant. Je crois que si les corps sont dans cet état c'est parce que cette mutation détruit la chair en la submergeant de force. Le corps et la magie se corrompent et pourrissent alors que la personne est encore vivante, expliqua Miyeon.
L'alchimiste avait le cœur au bord des lèvres en expliquant sa découverte et elle plaqua une main devant sa bouche pour s'empêcher de vomir. Elle avait espéré trouver une explication qui contredirait l'intuition de Changbin, mais c'était tout l'inverse qui s'était produit. Elle venait de lui donner raison.
— C'était donc bien Seungmin, comprit le sorcier.
— Je suis vraiment désolée...
Le sorcier fit un rapide geste de la main pour repousser sa compassion, une braise s'allumant dans le fond de ses yeux noirs. Miyeon n'insista pas, elle avait pu constater avec Soojin que lorsque la colère s'installait, il ne servait à rien d'envenimer la chose.
— Donc on ne sait toujours pas ce que c'est pas vrai ? On n'est pas plus avancé qu'hier.
— En fait, oui et non.
La jeune femme releva ses cheveux détachés en une queue de cheval haute. Elle avait le cœur lourd et aurait préféré dormir pour oublier tout ce qu'elle avait découvert, mais Changbin méritait aussi de connaitre la vérité, surtout si cela pouvait leur sauver la vie plus tard.
— Tu ne peux pas être moins claire ? grinça le jeune homme.
— Déjà on sait ce que sont ces monstres. Ce sont nos camarades qui ont muté, même si on ignore comment. Quant à savoir comment les vaincre... ce n'est peut-être qu'une piste, mais je crois qu'ils ont gardé leur attribut de base donc le même système de force et de faiblesse doit s'appliquer. Tu as eu du mal, mais je pense que c'était parce qu'ils s'agissaient initialement de sorciers de la famille Seo, donc des sorciers naturellement résistants au feu.
— Donc on peut tomber sur n'importe quoi et n'importe qui.
— Je pense qu'on peut essayer d'identifier les créatures que l'on croise. Peut-être grâce à des objets ou des armes qu'elles portent. Ça pourrait nous donner des indices.
Changbin se prit la tête entre les mains et soupira lourdement.
— Sauf qu'il est impossible de s'adapter à chaque type. Si je tombe sur un monstre qui était un sorcier de l'eau, en sachant que leur puissance a augmenté, je ne suis pas sûr de gagner. Je serai défavorisé et ce n'est pas toi qui vas changer le résultat final du combat.
— C'est toujours aussi plaisant à entendre.
Miyeon soupira de dépit, elle n'aurait pas dû s'attendre à autre chose du sorcier, surtout dans l'état dans lequel il se trouvait. Elle n'arrivait pas être en colère contre lui, au contraire elle ressentait plutôt une peine immense et de la pitié. Il ne savait pas s'exprimer autrement que de manière agressive, il venait de perdre ses amis et était celui qui leur avait ôté la vie, elle comprenait. Ce n'était pas plaisant, mais elle allait s'adapter et être un soutien pour lui le temps qu'il se reprenne.
La jeune femme se décala comme elle le pouvait pour aller s'asseoir près de Changbin et elle ferma les yeux en posant sa tête sur son épaule. Elle souhaitait le réconforter, mais si elle le prenait dans ses bras, il risquait de se braquer en clamant qu'il était un homme fort. Si elle faisait croire que c'était elle qui avait besoin de soutien, il la repousserait moins facilement. Elle le sentit se tendre sous sa joue, mais le sorcier ne la fit pas changer de position. Ses muscles se relâchèrent au bout de quelques secondes et elle se laissa aller à chercher sa main. Elle la trouva et entrelaça ses doigts couverts de cicatrices avec ceux non moins couturés et rêches de Changbin.
— Est-ce que tu veux me parler de Seungmin ? demanda doucement Miyeon. Je ne le connaissais pas, mais ça devait être un sorcier super.
— Loin de là, rit tristement le jeune homme. C'était un sorcier catastrophique et il n'aimait pas ça en plus.
Elle lui caressa le dos de la main de son pouce, les yeux fermés et la joue appuyée contre l'épaule robuste. Miyeon attendait qu'il se livre à elle et se libère du poids qui l'étouffait.
— Est-ce que tu connais le mode d'éducation de ma famille ?
— Pas vraiment, mais quelque chose du style nous sommes les meilleurs et ceux qui disent le contraire ne sont que des insectes ? C'est un peu l'impression que vous donnez avec Soojin. C'est un peu prétentieux d'ailleurs.
Changbin grimaça et ronchonna, très mécontent d'être assimilé à sa cousine qu'il détestait profondément. Il donna un coup d'épaule à l'alchimiste qui rit légèrement, le geste n'avait pas été méchant.
— Je t'aurais bien dit que tu racontes n'importe quoi, mais je ne peux même pas... On nous pousse à être les meilleurs depuis l'enfance. On apprend à se servir de la magie vers nos quatre ou cinq ans, donc quand on entre à l'école on est déjà bien en avance sur les autres. On a aussi des cours bien plus tôt pour être en avance sur les autres familles, c'est un système fou qui nous pousse à nous tenir au sommet ou à rester la face contre le sol. J'imagine que c'était bien différent chez toi, pas vrai ?
— J'ai eu une enfance un peu particulière, même pour un membre de la famille Cho, avoua doucement Miyeon. Lorsque je suis née, on a dit à mes parents que je ne survivrais pas, que j'étais trop petite et fragile. On ne me donnait que quelques années à vivre alors je n'ai pas eu l'éducation classique des héritiers. Mes parents m'ont juste donné tout l'amour du monde, m'ont offert des jouets et des livres par dizaines pour que je sois heureuse les quelques années que j'avais à passer avec eux.
Les souvenirs se dessinèrent sous ses paupières closes, chaleureux et rassurants. Si elle n'était plus dans le même état d'esprit que sa famille, qu'elle n'avait pas le même objectif, elle ne voulait pas oublier les souvenirs heureux qu'elle avait construits avec eux. Elle les aimait vraiment et les chérissait précieusement. Miyeon sentit la joue de Changbin se poser contre le haut de son crâne et elle sourit doucement.
— Tu n'as pourtant pas l'air d'une petite fille fragile. Enfin tu es petite et toute maigrichonne, mais tu n'as pas l'air malade.
— On va dire que je le prends comme un compliment, sourit la blonde. Contrairement aux pronostics j'ai survécu et je suis en très bonne santé, même si je tombe plus facilement malade que la plupart des sorciers. C'est principalement pour ça que je me suis concentrée sur l'alchimie au départ.
— Vraiment ?
La jeune femme hocha doucement la tête. Elle avait conscience qu'il avait sauté sur l'occasion pour basculer le sujet sur elle et ne plus avoir à parler de lui, mais cela ne la dérangeait pas. Miyeon sentait que le sorcier était moins tendu et sa voix lui semblait moins morne. Parler d'elle ne suffirait pas à lui faire passer son deuil, mais si cela pouvait soulager son esprit quelques minutes alors elle pouvait bien lui confier quelques faits de plus sur elle.
— Oui, je voulais arrêter d'être tout le temps malade et pouvoir jouer avec les autres enfants. Je n'avais pas le droit de sortir à cause de ma santé, mais c'était trop risqué alors je pouvais simplement les regarder par la fenêtre. C'est l'un des professeurs qui venaient chez moi qui m'a initiée et il s'est avéré que j'avais un véritable talent pour ça. Maintenant, même si mon corps faiblit, je suis capable de créer une potion pour aller mieux.
Elle joua un petit peu avec leurs doigts entrelacés, étonnée qu'il ne se soit toujours pas retiré. Changbin paraissait à la fois ailleurs et près d'elle, c'était une sensation un peu perturbante.
— Et toi ?
— Quoi moi ? Je ne suis pas alchimiste.
— Merci gros benêt, ronchonna Miyeon. Je te demande comment ça se fait que tu sois spécialisé dans l'épée.
— Ah. Ça. C'est à cause de Soojin.
La jeune femme lui mit un petit coup de coude dans les côtes et soupira pour lui faire comprendre que ce n'était pas drôle. Changbin appuya plus fort contre sa tête pour l'embêter en retour.
— Arrête de tout remettre sur le dos de ta cousine, faut vraiment que vous arrêtiez de penser que c'est toujours la faute de l'autre. Pourquoi est-ce que vous vous détestez autant ? Vous êtes pourtant de la même famille, j'aurais adoré avoir un cousin ou un frère avec qui tout partager.
— On ne partage rien chez les Seo, et surtout pas le pouvoir, mais si tu tiens tant à le savoir je peux te raconter. De toute façon on va mourir dans peu de temps, ça ne changera pas grand-chose.
— Vraiment, ce que j'aime le plus chez toi ça doit être ton optimisme. Tu es un vrai rayon de soleil, grinça la blonde.
— Ah ? Et moi qui pensais que tu étais tombée pour mon charme ravageur.
Miyeon souleva les paupières juste le temps de rouler des yeux, pendant un instant elle avait oublié l'égo surdimensionné de Changbin. Elle ne réagit pourtant pas violemment, elle le préférait trop sûr de lui que complètement abattu.
— Du coup, Soojin et toi ?
— Je suis le fils unique du patriarche de la famille, Soojin est la fille de sa sœur, mais personne ne sait qui est son père. Ma tante est juste revenue un jour en déclarant qu'elle était enceinte et qu'elle ne dirait rien sur le père, juste qu'il ne fallait pas compter sur lui et qu'elle allait garder sa fille. Ma tante était jeune et la famille avait organisé un mariage politique avec elle, mais tout est tombé à l'eau avec ça et la réputation du convent a été entachée.
— Vous ne pouviez pas juste la laisser vivre sa vie ? Elle n'était même pas l'héritière.
— Je crois que tu ne comprends pas quelque chose avec ma famille Miyeon, ou tu es utile ou tu n'es pas un Seo. L'utilité, ça peut être la puissance, mais ça peut aussi être les alliances que l'on peut conclure.
La jeune femme gonfla les joues, elle appréciait peu ce qu'elle entendait, surtout que cela lui renvoyait l'image de ce qui l'attendait si elle ne réussissait pas les épreuves. Elle savait qu'à la différence de la famille de Changbin, la sienne ne s'intéressait que peu aux affaires qui n'étaient pas directement liées à la famille principale. Les sorciers étaient libres de fonder une famille avec qui ils le voulaient après en avoir formulé la demande au patriarche, il n'y avait pas besoin de conclure une alliance quelconque pour se marier.
— Ma tante a été écartée de toutes les affaires familiales et elle a perdu son prestige. Sa fille était une bâtarde sans intérêt, mais elle a éveillé ses pouvoirs très tôt et ils étaient puissants. Ça a attiré l'attention de ma famille qui a décidé d'investir dans son talent. Ils l'ont éduquée et l'ont entrainée, tout ça pour qu'elle ne nous donne pas le moindre crédit. C'est qu'une sale peste égocentrique.
— Est-ce que... tes parents se sont moins occupés de toi après ça ? hésita Miyeon.
— Je n'existais plus, répondit sombrement Changbin. Il n'y en avait que pour elle. Soojin est trop forte, Soojin est en avance sur les autres, Soojin maitrise déjà les bases de la magie. Tous les jours c'était la même chose et moi, pour le peu qu'on m'accord un regard, c'était pour me dire que je devrais avoir honte de ne pas être à la hauteur d'une bâtarde. J'étais l'héritier du convent, mais j'étais incapable de gagner contre elle, j'étais tout le temps à la traîne et tout le monde me le faisait remarquer.
Miyeon continua de lui caresser le dos de la main à l'aide de son pouce sans rien dire. Elle n'aimait pas la manière dont il parlait de la lionne, mais l'amertume dans sa voix trahissait ses peines d'enfant auxquelles elle compatissait alors elle ne dit rien et intériorisa ses pensées.
— C'est pour ça que je me suis intéressé à l'épée à la base, continua Changbin, c'était un domaine où elle n'était pas. Elle avait plus de difficultés à cause du poids et de la taille des armes, alors j'ai eu l'idée de me spécialiser là-dedans. Je ne suis pas buté au point de m'obstiner à vouloir la battre dans un domaine où elle possède un don naturel. La magie pure ce n'était pas pour moi, alors je suis devenu un sorcier épéiste et j'ai récupéré ma place.
— Et... question bête, mais vous avez déjà envisagé l'idée de parler avec Soojin ou ... ?
— Pour quoi faire ?
— Laisse tomber, c'était vraiment une question bête.
Le silence s'installa tranquillement entre eux et Miyeon sentit le sommeil engourdir ses sens. Une discussion au calme avait apaisé son esprit en ébullition et elle se trouvait dans un état plus propice au sommeil. Changbin l'empêcha cependant de sombrer en la faisant se décaler.
— J'ai senti quelque chose, tiens-toi prête, siffla-t-il entre ses dents serrées.
Miyeon n'eut pas le temps de s'exécuter qu'une masse flamboyante s'écrasa sur son équipier et le fit s'écraser quelques mètres plus loin dans un grand fracas. La jeune femme cria et se redressa d'un bond, hésitant entre aller porter secours à son partenaire ou tenter d'identifier la menace qui venait d'apparaitre. Celle-ci se révéla d'elle-même quand une sensation familière de chaleur lui chatouilla la conscience et que la crinière noire comme la nuit de Soojin fit son apparition à l'entrée de la grotte. La sorcière de feu l'avait retrouvée, et elle semblait dans une colère folle.
— Toi, espèce de déchet ! Si t'as touché à un seul de ses cheveux, je te réduis en cendres, gronda bassement la brune.
Alors Miyeon comprit qu'il y avait un grand malentendu et qu'il allait être compliqué de l'expliquer à Soojin.
Nda :
Hello ! J'aime bien ce chapitre, voilà, j'avais trop rien d'autre à dire mdr On se retrouve la semaine prochaine sur cette fiction et mardi sur LDMC2 pour les autres :D
Dalion~ Kiss :3
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