Rise & Fall
Il doit être environ 2h. Peut-être 3. Je pourrai bien regarder en bas de mon écran pour le savoir, mais je suis bien trop concentré. Une main sur ma souris et l'autre sur mon clavier, je travaille sur mon nouveau projet. Je rajoute des pistes, cherche de bons samples, teste des mélodies, superpose les instruments, change la fréquence de basses, trifouilles ci et là pour mouler les sons à ma guise afin de crée une magnifique musique.
J'aimerais vous dire que j'ai acheté légalement le logiciel, mais me croiriez-vous ? J'ai déjà pas de quoi m'acheter un nouvel ordinateur. Ni un bon casque... Ni des enceintes. Maman dit que je vais devoir travailler cet été, les factures s'entassent et je vais devoir prendre un prêt pour aller à la fac... Alors mon équipement n'est clairement pas la priorité.
Fac de quoi ? J'ai pas encore décidé. Ma raison de vivre c'est la musique, mais je ne vous apprends rien en vous disant qu'on n'en fait pas un métier, selon ma mère en tout cas...
J'enregistre le projet que j'ai appelé « Rise and Fall » -j'essaye de faire des drops vraiment travaillés et uniques avec de lentes montées, d'où ce nom-. Puis je retourne sur Youtube. Je lance une vidéo d'un festival électronique. Je vois la foule en délire, en transe même, tandis que le DJ donne tout ce qu'il a pendant son set. Les sourires sur les visages, les lumières, les feux d'artifice, l'ambiance, et bien sûr la musique.
Le rêve absolu.
Je m'imagine alors, sur la scène, jouissant intérieurement devant cette foule venue pour moi. Observer sur leurs visages l'admiration et la joie que je leur procure, me sentir véritablement moi-même libre de toutes contraintes. Pouvoir me lâcher tel un animal et danser avec eux tout en mixant mes propres musiques. Transmettre les vibrations que j'ai créées au travers de leurs oreilles et de leurs corps, dessinant de grands sourires sur leurs visages.
Mais quand je rouvre les yeux, je suis dans ma petite chambre, assis en tailleur sur mon lit, mon vieux PC sur mes jambes. Je profite de la connexion qu'il me reste, car maman va couper l'abonnement d'internet le mois prochain... La voiture est tombée en carafe et le mécanicien ne va pas travailler gratos.
Qu'est-ce que j'aimerais être riche... Habiter dans une énorme villa et conduire des voitures de sport ! Ne devoir rien à personne ! S'éclater et vivre ma vie à fond ! Tous mes problèmes seraient bien loin avec des millions sur mon compte en banque ! Bon l'argent ne fait pas le bonheur, mais mieux vaut pleurer dans un manoir que dans la rue non ?
Je retourne sur ma musique. J'y arriverai. Je le sais. Je n'arrêterai pas tant que mon nom ne sera pas crié dans tous les festivals et que mon visage apparaîtra sur tous les magazines !
Cette musique. C'est le début de ma carrière de DJ, je vous le dis ! Les autres n'ont pas vraiment marché, mais celle-là va tout défoncer ! Je prends une grande respiration tandis qu'un sourire se dessine sur mes lèvres. Je pense à ma copine et mes amis qui doivent supporter toutes les musiques que je leur envoie et qui sont toujours disponibles pour me donner leur avis. Alex, Max, Joe,... Je vous le promets les gars, on vivra tous dans une villa immense à Los Angeles un jour !
La vie de rêve !
***
La musique hurle dans mes oreilles. Soit elle est vraiment forte, soit j'ai encore la gueule de bois d'hier. Tous ces gens autour de moi se déhanchent. Je vois ces magnifiques filles qui dansent à moitié nues, avalant des petits cachets comme des bonbons et buvant du JackDaniel comme si c'était de l'eau. Le monde tremble. Non, c'est juste ma tête. Je titube et manque de tomber par terre, mais me raccroche à une poignée. La salle de bain !
Je repense vaguement au concert d'hier. J'ai foutu une sacrée ambiance sur scène, après on m'a invité à une petite fête et trou noir... Je me suis réveillé chez moi et on m'a proposé de recommencer le soir même. Vous croyez quoi, bien sûr que j'ai dit oui !
Dans les chiottes, quelques visages inconnus et flous se sniffent un rail de coke sur la cuvette remplie de gerbe. Le PQ a volé un petit peu partout et deux gars sont en train de s'enculer sur l'un des lavabos. Je vais à celui d'à côté et me regarde dans le miroir.
Putain de merde.
J'ai la plus grosse villa d'Hollywood. Les voitures les plus rapides du monde. Des servants. Littéralement tout ce que je veux. Je n'ai qu'à demander pour que n'importe quelle bonnasse se mette à 4 pattes en attendant de se prendre la queue d'une star. Alors pourquoi est-ce que je ressemble à un putain de cadavre ?
Je prends mon téléphone. Aucun message. Cela fait une éternité que j'ai pas eu de nouvelles de mes potes... Alex, Max, Joe, putain qu'est-ce qu'ils sont devenus ? Je devrais leur envoyer un message un de ces jours.
Tellement de gens dans mon répertoire. Des stars, des milliardaires, mes agents,... Et si peu d'amis. Combien de ces personnes ne connaisse ne serait-ce que mon âge ou même mon putain de nom de famille ? Je retourne dans la salle et quelques regards se posent sur moi, quelques portables aussi pour me prendre en photo. Tous ces gens m'adorent. Tout du moins ma musique et ma notoriété. Mais aucun ne m'aime réellement.
Aller ! Je suis juste en redescente ! La fête continue ! Un petit cachet, et ça repart ! Je vais me trouver la plus bonne de cette fête et la choper dans les chiottes, ça me changera les idées !
***
Elle est plus sèche qu'un putain de désert ! Bon en même temps, si j'arrivais à bander mieux que ça...
Ses jambes écartées et son magnifique cul rond sur le lavabo, je donne des coups de reins dans son intérieur alors qu'elle ne semble même pas réellement prendre de plaisir. La drogue l'a transporté dans un autre monde, elle ne sent sûrement rien...
Je pose la main sur le miroir. Lorsque mes doigts rentrent en contact avec la surface gelée, mon regard se jette sur le fautif. Je me vois alors, dans la glace, une fois de plus, les cheveux en bataille en train d'essayer de bander. En train d'essayer de jouir. En train d'essayer d'être heureux.
Mes yeux ont les veines explosées et des cernes plus creusés que des tranchées en 14-18. Mon arrière-grand-père y était... Je me demande ce qu'il penserait de moi. Mais je sais ce que moi, je pense de moi. J'ai autour du poignet une montre plus chère qu'une voiture, autour du cou un collier lui aussi hors de-prix, et autour de la queue une meuf qui ferait baver n'importe quel gars. Et malgré tout ça, je me trouve immonde. Je ne reconnais pas cet homme dans le miroir. Je repense à ce à quoi je ressemblais enfant... Qu'est-ce que le moi du passé penserait de moi ?
Je sors et balance la capote avant de reboutonner mon pantalon. Elle ne l'a même pas remarqué, son air est toujours perdu dans un autre univers.
Je vais rentrer chez moi. Je serais toujours mieux qu'entouré de tous ces hypocrites !... Non, hors de question que je retourne dans cette immense villa vide. J'ai qu'à m'appeler des putes pour me tenir compagnie et-...
...
Putain.
Mon poignet me démange. Je remonte ma manche et vois toutes ces cicatrices. Certaines à cause de nombreuses lames, et d'autres à cause de piqures. Mais pas d'insecte.
Je suis entourée de tant de monde. Mais bordel que je me sens seul. Je me regarde à nouveau dans le miroir. Mon poing se fracasse contre ce dernier, le fissurant au passage. Mes phalanges pissent le sang maintenant... Génial...
Un morceau de miroir vraiment long tombe sur le sol. Je le ramasse et me coupe en l'attrapant. Je le prends tout de même dans ma main et me regarde dans son reflet. Puis cette fille. Puis les gens dans la grande salle en train de gesticuler sur la musique. Ma musique. Mon regard recroise celui du cadavre de l'autre côté du miroir. De l'autre côté...
Personne ne m'attend chez moi.
Personne ne s'intéresse à moi.
Personne ne s'inquiète pour moi.
À quoi bon...
Je m'enferme dans les toilettes.
Personne ne m'aidera...
Personne ne me voit.
Personne ne m'aidera.
Parfait.
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