Chapitre 6
Si Indra n'apprécia pas du tout que Clarke lui renvoie sa fille sans même la prévenir à l'avance, le fait qu'elle prenne la décision de la démettre de sa fonction de Fleimkepa ne la surprit qu'à peine. Elle se garda cependant d'envoyer une lettre à la nouvelle Régente des Terriens, surtout quand Gaia lui expliqua toute la situation en reconnaissant que la punition était lourde, mais qu'elle l'avait mérité et qu'elle était allée trop loin, n'ayant pas d'autre choix que de dire la vérité, surveillée par le Trikru géant qui l'avait escortée jusqu'ici.
— Tu as sous-estimé Wanheda, ma fille, dit Indra en s'asseyant en face d'elle à table.
— Oui, mère... Je l'ai bêtement crue moins tenace que ça, moins hargneuse, mais elle ne lâche rien, elle veut vraiment que les Terriens retrouvent la fierté qu'ils avaient avant la guerre...
— Et... ce n'est pas une bonne chose ? s'étonna Indra en étalant du miel sur du pain.
— Sans doute que si, mais elle prend son rôle bien trop à cœur... Elle s'est attachée à Derek, à cette vie et j'ai peur que quand elle devra laisser sa place, elle ne soit pas capable de le faire.
Indra reposa le bouchon de liège sur le pot de miel et mordit dans sa tartine.
— Chérie, Clarke Griffin est de loin la jeune femme la plus solide que ce monde ait porté un jour. Depuis leur arrivée sur cette planète, elle a tout pris à sa charge, soit parce que leurs adultes étaient absents, soit parce qu'ils en étaient incapables. Jamais une enfant de dix-sept ans n'aurait eu à faire de telles choses chez nous !
— Mais elle...
— Elle sait où sont ses intérêts, et les nôtres, coupa Indra. Les Cents passeront toujours avant tout le reste, mais pour le moment, elle est à Polis, à essayer de remettre à flots ce qu'il reste de notre peuple et nous ne pouvons que la soutenir et la féliciter. Elle n'avait pas à dire oui à Roan quand il l'a envoyée chercher, elle était avec Bellamy, elle aurait pu dire non et rester avec lui, mais non, elle a préféré partir, elle a quitté sa maison, l'homme qu'elle aime, pour on ne sait combien de semaines, de mois, d'années ! Tout ça pour nous, Gaia... Sans rien demander en retour que le respect qui lui est dû en tant que Wanheda.
— Mais...
Indra secoua la tête et Gaia comprit que la discussion était terminée.
— Lorsque Derek sera capable de gouverner seul, elle se glissera dans les ombres et le laissera voler de ses propres ailes, s'étant assurée, pendant tous ces mois de Régence, qu'il serait entouré des meilleures personnes qui existent, dit-elle en se levant. La guerre a pris beaucoup trop des nôtres, nous sommes un peuple brisé, mais trop fier pour demander de l'aide, alors Clarke a fait ce qu'elle a toujours fait, elle a pris les devants. Et elle le fait bien.
Gaia serra les mâchoires. Indra lui indiqua alors qu'il y avait de la lessive à faire et quitta ensuite la maison comme sa fille marmonnait, revenue vivre chez sa mère et renvoyée à l'âge adolescent où les corvées journalières étaient monnaie courante...
.
— Vous en avez pour deux jours de voyage jusqu'à Arkadia. Ne sortez pas du bois avant d'être sûrs que les gardes ont bien compris vos intentions.
Goran hocha la tête. Indra lui tendit une gourde d'eau.
— Je vais contacter Marcus Kane via la radio pour le prévenir de votre arrivée ; il serait dommage que le garde personnel de Wanheda et son Intendant se fassent bêtement tuer par ses propres hommes...
Le sarcasme était évident et Goran plissa le nez.
— Elle serait capable de se venger...
Indra pinça les lèvres.
— Non, je ne pense pas, elle considère Kane comme son père, mais disons qu'elle pourrait tirer un peu la tête quelques temps... Allez, partez maintenant, vous risquez d'avoir besoin de temps pour parlementer avec John Murphy ; il ne vous suivra pas aussi facilement.
— Pour quelle raison ? s'étonna Goran. Quand Wanheda demande...
— Elle est Clarke pour lui, personne d'autre, répondit Indra.
— Elle demande après Fleimkepa, rappela Tylo.
— Quand bien même, il ne vous suivra pas sans une bonne raison parce que sa femme est enceinte, tout simplement.
Les deux hommes se regardèrent.
— La Wastelander ? Mais elle n'en a pas le droit ! répliqua Goran, choqué.
— Elle est une Skaikru désormais, ils sont unis, répondit Indra avec un haussement d'épaules. De plus, j'ai cru comprendre que cet enfant n'est pas désiré, du moins, pas maintenant...
Goran grimaça violemment, ce qui lui donnait un air étrange combiné à son allure délicate. Il secoua la tête en tirant la langue et fit tourner son cheval. Tylo l'observa puis reporta son attention sur Indra.
— Je vais le raisonner et je parlerai à Fleimkepa, dit-il en réponse à la question silencieuse.
— Ce sera plus sage. Faites bon voyage.
— Merci Indra kom Trikru, et prends soin de ta fille.
La femme opina puis Tylo tourna bride et rejoignit son compagnon de voyage un peu plus loin sur le chemin.
.
Le voyage fut court et presque une promenade de santé malgré le froid ; les deux hommes furent en vue d'Arkadia le lendemain aux alentours de midi et, comme prévu, ils demeurèrent à la lisière du no-man's-land à attendre un quelconque signal qui les autoriserait à franchir la zone déboisée.
— J'espère qu'il acceptera rapidement.
— Pourquoi ? Qu'il accepte demain ou dans trois jours, nous aurons toujours quinze jours de voyage pour rentrer à Polis, répondit Tylo.
Goran plissa le nez puis souffla en observant Arkadia.
— Cet endroit est si... moche !
— Ça, je suis d'accord, mais ils n'ont pas vraiment eu le choix... Je crois qu'à quelques kilomètres d'ici, vers le nord, il y a le campement des enfants, avec cette navette...
— Hm, Wanheda m'en a parlé, oui, répondit Goran en secouant la tête. Quelle triste manière de commencer la vie que d'être condamné à mort...
— C'est vrai... Mais maintenant, ils sont ici et dans quelques années, ils seront un peuple comme nous autres, installés quelque part confortablement, prêts à faire des bébés pour repeupler cette planète !
Goran esquissa un sourire en coin ; Tylo lui coula un regard.
— Tu ne parles quasiment jamais de tes filles, dit-il en remuant légèrement dans sa selle.
— Pourquoi ? C'est ma vie privée, je n'ai pas à l'étaler...
— Certes, mais...
— Chut, le portail s'ouvre, le coupa l'Intendant.
Tylo se redressa dans sa selle et observa les quatre soldats armés qui sortaient. Ils escortaient un homme de grande taille aux cheveux poivre et sel.
— C'est le Chancelier Kane, dit alors Goran. Allons-y.
Il claqua de la langue et sortit du bois ; Tylo l'observa un instant avant de le suivre et ils franchirent la large zone déboisée. Kane et les gardes s'étaient arrêtés à moins de cinq mètres du portail, sans doute prêts à faire demi-tour au cas où, et les deux Terriens s'arrêtèrent devant eux à environ autant.
— Je vous salue, Chancelier Kane, dit Goran en levant une main. Je vois qu'Indra vous a prévenu de notre visite.
— En effet... Qui vous envoie, et pourquoi ?
— Oh, elle n'en a rien dit ?
Goran esquissa un sourire.
— Chancelier Kane, nous sommes en mission officielle, mandatés par Rijant, pour venir chercher, à sa demande, le dénommé John Murphy, aussi connu sous le nom de Fleimkepa.
Il y eut aussitôt des murmures derrière le portail et Kane jeta un coup d'œil derrière lui avant de reporter son attention sur Goran.
— Je ne connais pas ce « Rijant », dit-il, fronçant les sourcils. Et pour quelle raison demande-t-il après l'un de nos enfants ?
Tylo releva le menton puis s'accouda à sa selle.
— Rijant n'est pas un homme, Chancelier, dit-il. Et vous la connaissez parfaitement bien... puisque vous la connaissez aussi sous le nom de Wanheda.
Kane perdit le peu de couleurs qu'il avait sur le visage.
— Clarke ? souffla-t-il. Mais que fait-elle à Polis ? Roan a été tué ?
Tylo se redressa, les mains sur les hanches.
— Hm, non, bien que cela ait titillé beaucoup des miens ces derniers mois...
— Je t'en prie, répondit Goran en levant les yeux au ciel. L'histoire est trop longue pour la raconter ici ; soit vous nous faites entrer et nous vous expliquons tout, soit vous nous envoyez John Murphy et nous disparaissons.
Kane secoua vivement la tête.
— Aucune chance que...
Murphy apparut soudain près de lui et observa les deux Terriens.
— Pourquoi Wanheda me demande ? demanda-t-il, le visage fermé.
— Enchanté de faire votre connaissance, Fleimkepa, répondit Goran en inclinant la tête. Wanheda, à la demande de Roan d'Azgeda, a pris la tête des Triges depuis un peu plus d'un mois, maintenant, et tente tant bien que mal de redresser tout cela. Malheureusement, Gaia, la fille d'Indra kom Trikru et Fleimkepa suite à la mort de Titus, n'a pas semblé du même avis et a passé ces derniers mois à agir dans le dos de Roan en accédant aux demandes de nôtres sans l'aval de Heda. Cela n'a pas plu à Roan qui a fait appel à Clarke en désespoir de cause.
— D'accord, mais pourquoi demande-t-elle après moi alors qu'elle a Gaia ?
— Elle ne l'a plus, justement, nous venons de la ramener chez sa mère, répondit Tylo. Elle a été déchue de ses fonctions sur l'instant après avoir menacé Heda.
Kane fronça les sourcils.
— Mais Heda a été tuée...
— Oui, nous le savons. Un autre Heda est sur le point d'être intronisé, un jeune garçon de douze ans que Wanheda a pris sous son aile pour lui apprendre à diriger un peuple. Elle s'est prise d'affection pour lui et une menace à peine voilée de Gaia a été la goutte de trop ; elle l'a démise de sa fonction de Fleimkepa et renvoyée chez elle pour une durée indéterminée, nous envoyant, moi Goran kom Sangedakru et son garde personnel, Tylo kom Trikru, chercher notre nouveau Fleimkepa.
Murphy grimaça.
— Réfléchissez rapidement, dit alors Tylo en le regardant. Nous attendons jusqu'au coucher du soleil ; si d'ici-là vous n'avez pas pris de décision, nous rentrons à Polis et avertirons Rijant que vous lui avez fait faux bond.
— Sans nul doute appréciera-t-elle, acheva Goran.
Il claqua de la langue et son cheval tourna ; quand les deux Terriens eurent disparu dans le bois, Kane se tourna vers Murphy.
— Tu ne comptes quand même pas y aller, si ? dit-il.
— Clarke compte sur moi, je suis le seul à savoir faire fonctionner la Flamme...
— Elle trouvera bien un autre pigeon pour leur religion à la noix, grommela un soldat.
Murphy lui darda un regard noir ; Kane le retint par l'épaule.
— Emori est enceinte, John, tu ne peux pas partir maintenant !
Le jeune homme baissa les yeux et soudain, tourna les talons et disparut dans la foule massée dans le portail. Kane soupira en croisant le regard d'Abigail, la mère de Clarke, et la rejoignit. Il dispersa la foule, le portail se referma, puis le couple s'éloigna jusqu'à l'infirmerie.
— Pourquoi Bellamy ne nous a rien dit ? demanda la femme en croisant les bras. Octavia est avec lui en ce moment, elle aurait dû appeler pour nous prévenir que Clarke était partie...
— Peut-être qu'il a reçu des consignes ?
— Je t'en prie, Marcus, ma fille est loin d'être une...
— Une quoi ? Abs, si j'ai bien compris, Clarke est actuellement la femme la plus puissante de ce continent !
— Foutaises. Ce n'est qu'une gamine, qu'est-ce que cette bande de sauvages peut bien apprendre d'elle, franchement !
Kane grimaça.
— Tu sous-estimes tellement ta fille... soupira-t-il. Toi qui l'a trahie en la dénonçant à Thelonius avant de la faire jeter en prison puis envoyer à la mort sur Terre... C'est ta faute si elle en est là, tu sais ? Si tu avais gardé le secret de ton mari, ta fille ne se serait pas sentie l'âme vengeresse et on n'en serait pas là !
Abigail serra les mâchoires et tourna soudain les talons pour disparaître sous la bâche qui fermait l'infirmerie du camp. Le Chancelier soupira, agacé, et avisa alors Emori qui se tenait près de l'entrée d'Alpha, discutant avec John. Lorsqu'elle secoua la tête, les mains levées, avant de tourner les talons à son tour, l'homme comprit que le jeune homme allait avoir un gros dilemme sur les bras, à savoir répondre à la convocation de Clarke ou bien refuser et demeurer auprès de sa femme dont la grossesse presque miraculeuse venait d'être confirmée... en assumant les conséquences de deux décisions.
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