Chapitre 17

Le silence était pesant dans la salle du trône de la tour de commandement. Assise au bureau, Clarke était immobile. Devant elle, posée dans sa vieille boîte en aluminium, sur son tissu rougeâtre, la Flamme luisait doucement sous la lumière de la lampe à huile.

— Clarke...

— Non. Non, John, je ne peux pas, je...

— Je ne te demande rien maintenant, répondit le jeune homme en récupérant la boîte. Je veux juste que tu y réfléchisses. Tu es une Natblida, tu es respectée ici, les gens t'obéissent alors que tu n'es que la Régente auto-proclamée...

Clarke serra les lèvres.

— Il va devoir partir, tu en es consciente ? dit Murphy. Il ne va pas pouvoir rester ici, il serait bien trop en danger maintenant que les Commandants l'ont rejeté.

— Il rentrera à Arkadia avec toi, répondit Clarke en quittant sa chaise. Il... sera en sécurité avec ma mère... Je suppose.

Elle s'approcha de la cheminée et John regarda la boîte dans sa main puis la glissa dans la manche de son manteau.

— Je dois retourner au sanctuaire, dit-il. Et annoncer aux apprentis que Derek a été rejeté. Ils ne diront rien tant que tu n'aurais pas décidé de l'annoncer publiquement, peu importe quand ce sera. Mais ne traîne pas trop quand même.

Clarke ne répondit rien et John quitta la salle en soupirant. Il tomba sur Roan dans le couloir, assis par terre, dans un recoin sombre. Moins de vingt-quatre heures plus tôt, il découvrait que Clarke avait le sang noir, d'une façon parfaitement bête, et depuis, il n'arrivait pas à s'ôter de la vue cette image de l'eau avec ces volutes grises...

— Tu... vas bouder encore longtemps ? lui demanda alors Murphy.

— Je ne boude pas, j'encaisse.

— T'as pas intérêt à en parler à qui que ce soit, dit alors Murphy, les sourcils froncés. Si on n'en a pas parlé, c'est pour une bonne raison.

Roan se remit sur ses pieds et entraîna John un peu plus loin.

— Pourquoi ?! dit-il à mi-voix. Pourquoi n'avoir rien dit ? Regarde comme elle est respectée depuis qu'elle s'est auto-proclamée Régente des Terriens ! Si elle avait... si...

— Elle ne veut pas, Roan ! Elle ne veut pas devenir Heda ! Tout ce qu'elle voulait après la guerre, c'était vivre tranquillement dans sa maison au bord de la mer et toi, tu es venu l'en tirer et la priver de cette quiétude qu'elle avait méritée ! Tu n'as rien le droit de lui demander, plus maintenant, c'est compris ?

Roan serra les mâchoires. John tourna alors les talons et le Terrien grommela. Tout ça ne serait jamais arrivé s'il avait réussi à se faire obéir des siens ! Jamais il n'aurait eu à aller pleurnicher auprès de Wanheda si son titre de Roi n'était pas aussi factice que lui ! Avec un juron, il regagna sa chambre et décida de ne plus en sortir. Il avait besoin de digérer la nouvelle de Clarke au sang noir et pour ça, il avait besoin de calme.

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— Heda ne dîne pas, Rijant ?

— Non, il est fatigué, répondit Clarke. J'irais le voir en allant me coucher, ne vous en faites pas. Ce n'est qu'un enfant après tout.

La servante s'inclina après avoir déposé le repas de Clarke devant elle, puis la jeune femme soupira par le nez. Elle n'avait pas revu Roan ou Derek de toute la journée. Elle ne s'inquiétait pas pour Derek qui n'avait pas quitté sa chambre, mais plutôt pour Roan qui était parti presque en courant en découvrant le sang noir dans la paume de la blonde.

J'espère qu'il parviendra à surmonter ça... songea Clarke en observant la soupe de légumes devant elle. J'ai besoin de lui à mes côtés pour gouverner correctement, je...

La jeune femme songea alors à la Flamme et serra les mâchoires. Non. Non, elle ne deviendrait pas Heda, il en était hors de question. Elle avait pour but ultime de retourner vivre chez elle, au bord de la mer, dans sa petite maison, avec personne d'autre que son cheval pour lui tenir compagnie et de temps en temps, un Skaikru venu se reposer un peu loin d'Arkadia.

Avec un soupir, Clarke attrapa sa cuillère en bois finement ciselée et mangea en silence, écoutant le bruit du feu dans la cheminée. Quand elle eut terminé, une servante lui apporta la suite puis, après avoir arrosé le tout d'une tisane bien chaude, elle décida d'aller voir Derek. Elle annonça donc rentrer chez elle et ne pas vouloir être dérangée et elle s'enferma dans son appartement tandis que Tylo se postait devant la double-porte avec son dîner et un livre.

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Après s'être mise en tenue de nuit, Clarke se rendit dans la chambre de Derek et le trouva profondément endormi sur son lit. Elle s'assit au bord du matelas et observa le pansement sur la nuque du garçon. La veille, Murphy était parti sans même la panser et c'était Clarke qui l'avait fait une fois qu'elle avait réussi à se débarrasser des garçons. Elle décida de changer le pansement et quand elle le retira, Derek ouvrit les yeux.

— Ne bouge pas, chuchota Clarke.

— Je suis désolé... répondit le jeune garçon.

— Tu n'as pas t'excuser, je le savais depuis le début, répondit Clarke en secouant la tête. Assieds-toi...

Derek obéit et laissa Clarke panser la plaie de sortie de la Flamme.

— Tu as mal ? demanda la jeune femme.

— Non... Pas là, du moins...

Clarke serra les lèvres. Derek pivota une fois qu'elle eut fini de bander son cou et il la regarda, le visage marqué d'avoir tant pleuré toute la nuit.

— Qu'est-ce que tu vas faire, maintenant ? demanda-t-il. Je ne suis plus Heda, je n'ai plus le droit de...

Clarke inspira.

— Tu vas rester Heda jusqu'à ce que nous trouvions le moment opportun pour annoncer publiquement que l'Esprit des Commandants t'a rejeté. Ce sera un choc, et tu devras quitter Polis, mais ne t'en fais pas, tu iras à Arkadia, et mes parents s'occuperont de toi jusqu'à ce que je puisse rentrer à mon tour.

— D'accord... Et tu as confiance en Roan ?

— Je ne sais pas encore, mais il n'ira pas le crier sur tous les toits, je le sais. Cependant, pour la première fois en plus de huit mois, je n'ai aucune idée de quoi sera fait demain...

Clarke quitta alors le lit et s'éloigna vers la porte de la chambre. Elle posa sa main sur la poignée et pivota à demi.

— Repose-toi, dit-elle. Les prochains jours vont être compliqués.

Le jeune garçon hocha la tête puis se rallongea et Clarke quitta la chambre en fermant la porte. Elle s'adossa contre, regarda le plafond un moment puis décida de se coucher. Elle eut du mal à trouver le sommeil cependant, perturbée par cette journée et elle décida de lire un peu en attendant que le sommeil ne vienne.

Alors que son livre arrivait à la fin, la porte de sa chambre s'ouvrit soudain et Derek apparut, pieds nus. Clarke le regarda, surprise et il grimpa sur le lit en silence et se blottit contre la jeune femme qui, les bras levés, resta immobile un moment.

— Derek ? Mais qu'est-ce qui se passe ? lui demanda-t-elle en posant son livre près d'elle.

— Clarke, tu vas m'abandonner, toi aussi ? demanda alors le jeune garçon.

La blonde haussa les sourcils, surprise.

— T'abandonner ? Mais... Mais non enfin, d'où tu sors une telle idée ?

— Je... Je l'ai vu, je... Lexa, elle...

— Lexa ?

Clarke se redressa et Derek soupira. Il s'assit en tailleur à côté d'elle avant qu'elle ne repousse les couvertures pour se lever.

— Viens, dit-elle. Allons demander quelque chose de chaud et tu vas tout me raconter.

Derek hocha la tête et la suivit au salon. Il se pelotonna devant le feu et Clarke sortit ensuite sur le palier de son appartement et trouva Tylo assis par terre, somnolant, son livre tombé près de lui. Elle le secoua doucement et il sursauta.

— Wanheda ? Mais qu'est-ce...

— Du calme, il n'y a rien de grave, répondit Clarke. Peux-tu aller nous chercher de la tisane chaude, s'il te plaît ? Derek a fait un cauchemar...

— Oui... J'y vais.

Un peu endormi, Tylo se leva en marmonnant et Clarke retourna dans l'appartement en serrant sa robe de nuit contre elle.

.

— Tu es sûr des mots ?

— Oui. Ce n'était pas un rêve, Clarke, répondit Derek. Je l'ai vue comme quand j'avais encore la Flamme, elle était debout devant moi et moi devant elle et elle avait l'air... contrariée, elle faisait peur... Elle m'a parlé si durement !

Derek serra ses doigts autour de la tisane. Assise sur la table basse, Clarke était sceptique. Sans la Flamme, Derek ne pouvait pas avoir vu l'esprit de Lexa et encore moins converser avec elle. Peut-être que les événements liés à la fatigue lui avaient fait imaginer des choses.

— Je connais bien Lexa, Derek et je doute qu'elle parle aussi durement, surtout à un enfant... répondit alors la blonde.

— Eh bien, elle n'a pas été sympa du tout, dans cette vision, répliqua Derek, un peu renfrogné. Même Roan ne m'a jamais parlé comme ça...

— Ce n'était qu'un rêve, dit alors Clarke. Pas une vision. Tu ne peux plus voir l'Esprit des Commandants. C'était sans doute des souvenirs et ta fatigue...

— Écoute, Clarke, je sais ce que j'ai vu, d'accord ? coupa le jeune garçon. Et je sais que Lexa m'a dit des choses qui ne sont pas sympa, ni pour toi, ni pour moi. Elle a été très dure et...

Il baissa le nez et soupira.

— Je suis désolé de m'être réfugié dans ton lit, mais j'ai eu peur et...

— Ce n'est rien, répondit Clarke. Ne t'en fais pas, je ne vais pas me fâcher pour ça, va.

Derek esquissa un sourire et regarda la jeune femme.

— Tu ne vas pas m'abandonner alors ?

— Non, bien sûr que non, répondit Clarke en secouant la tête. Allez, retourne te coucher, maintenant, il est très tard et tu as toujours in agenda de ministre, alors...

Derek eut un léger rire sans joie et lui souhaita alors bonne nuit. Il emporta sa tisane et la jeune femme le regarda partir en soupirant. Elle n'avait aucune idée de quoi les prochains jours allaient être faits, et elle allait devoir s'armer de patience et d'un solide bouclier pour ne pas dévoiler par inadvertance que Heda n'était plus...

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Lorsque Roan et John eurent vent du cauchemar de Derek durant la nuit, tout comme Clarke, ils restèrent dubitatifs.

— Je ne connais peut-être pas Lexa aussi bien que toi, mais je l'ai toujours connue bienveillante, dit Roan. Dure, certes, mais bienveillante.

Ils étaient en train de prendre le petit-déjeuner tous ensemble.

— Elle t'a dit quoi, exactement, demanda alors Murphy. Répète chaque phrase comme tu t'en souviens, s'il te plaît.

Derek hocha la tête.

— D'abord, je me suis endormi dans mon lit, puis je me suis réveillé dans un endroit que je ne reconnaissais pas, une ville gigantesque avec des immeubles en verre immenses. J'ai marché un peu, surpris et puis je l'ai vue, debout sur un muret. Elle avait deux sabres dans les mains. Elle les a rangés dans son dos et elle a sauté du muret pour venir vers moi. Je n'ai jamais vu Lexa vivante, mais je l'ai reconnue grâce à l'Esprit des Commandants.

— Elle a fait quoi après ? demanda Roan.

— Elle m'a fondu dessus et j'ai été obligé de reculer, reprit Derek. J'ai trébuché et je suis tombé sur les fesses. Je l'ai regardée d'en bas et elle m'a toisé avant de dire que j'étais faible, que je n'avais aucun mérite d'avoir été choisi par Wanheda pour devenir Heda, que je ne serais jamais aussi fort qu'elle, qu'elle avait honte que quelqu'un comme moi lui succède...

Clarke prit la main du jeune garçon qui soupira.

— Je me suis relevé en lui disant qu'elle avait raison, que je ne serais sans doute jamais comme elle et que je l'ai accepté. Elle m'a alors dit que c'était une bonne chose qu'on m'ait retiré la Flamme, parce que je ne la mérite pas. Elle m'a alors demandé si je savais qui allait devenir Heda et quand j'ai répondu que je n'en savais rien, elle a ricané. Elle a croisé les bras et répondu qu'elle espérait vivement que ce ne serait pas cette petite prétentieuse de Skaikru. Au début, je n'ai pas compris, puis je me souvenu que tu étais une Skaikru et j'ai alors répondu que tu n'étais pas prétentieuse et que si tu avais fait tout ça c'était pour notre bien, mais Lexa s'est mise à rire et j'en ai frissonné...

Il croisa les bras et souffla par le nez. Roan lui flatta l'épaule.

— Continue, dit-il. Ça m'intrigue.

— Moi aussi, répondit Clarke, les mâchoires crispées. Lexa... Ce n'est pas Lexa, dit-elle.

— Je t'assure que c'était elle, elle n'avait pas changé de quand j'avais la Flamme... Elle... Quand elle a cessé de rire, elle m'a regardé avec un air mauvais et elle alors dit que tu ne pouvais pas devenir Heda, que tu étais une pauvre fille sans ambition, qui fait passer son cœur avant sa tête, qu'à cause de toi, des centaines d'innocents sont morts et...

— À cause de moi ?! s'étrangla aussitôt Clarke. Mais c'est elle ! C'est elle qui m'a lâchement abandonnée devant Mount Weather ! Elle ne m'a pas laissé le choix !

Elle quitta sa chaise et s'éloigna en traînant ses robes de nuit après elle. Roan l'observa un moment. Visiblement, entendre de telles paroles provenant de Lexa lui faisait beaucoup de mal...

— Continue, dit alors Murphy.

— Lexa m'a alors dit que si Clarke devenait Heda, elle allait m'abandonner, comme elle l'avait fait avec les gens de la montagne, qu'elle allait trahir les Terriens et ne sauver que ceux à qui elle tient. Lexa m'a alors montré le futur, quand je ne sais pas, mais j'ai vu Clarke, à peine plus âgée que maintenant, je crois, mais son visage...

— Quoi mon visage ? demanda la blonde en pivotant.

Derek la regarda, l'air inquiet.

— Tu... Tu avais le visage tout déformé, tout boursouflé comme... comme si tu avais été piqué par des centaines d'abeilles en même temps... C'était moche et...

Derek se tut et posa ses mains sur son visage. Roan lui frotta le dos.

— Lexa m'a dit que tu allais tous nous abandonner et sauver les Skaikrus dans l'espace pour échapper aux radiations, parce que tu sais que la planète n'en a pas terminé avec elles et qu'un jour, elles vont finir par nous tuer, acheva alors le jeune garçon.

Clarke serra les mâchoires. Roan et John la regardèrent, surpris.

— C'est vrai ? demanda Murphy. Clarke, est-ce que c'est la vérité ?!

— Bien sûr que non ! Je n'abandonnerai personne ! répliqua Clarke. Pourquoi je ferais ça ?

— Lexa était sérieuse, Clarke, elle...

— Lexa est morte ! s'exclama alors Clarke d'une voix forte. Elle est morte, Derek, tu entends ? Ce que tu as vu, ce n'est rien d'autre qu'un souvenir que tes propres peurs ont fait parler !

— Non ! explosa le garçon en se levant brusquement. Je sais ce que j'ai vu, Clarke ! Et c'était bien réel !

— Ce sont des restes de la Flamme, rien d'autre ! Je connais Lexa et elle n'aurait jamais fait une telle chose !

— Eh ben visiblement, tu ne l'as pas connue assez longtemps !

Derek repoussa les mains de Murphy et Roan et la porte de sa chambre claqua violemment la seconde suivante. Les trois adultes encaissèrent puis Roan soupira.

— Clarke, il n'a peut-être pas tort, tu sais ?

— Ah, tu t'y mets aussi ?

— Non... Je dis juste que la Lexa qui se trouve dans la Flamme n'est peut-être pas celle que tu as connue... répondit Roan en serrant les lèvres. Et tu vas immédiatement redescendre en pression parce que je ne vais pas le supporter longtemps !

Clarke referma la bouche, surprise. Elle passa alors ses mains sur son visage et soupira.

— Pardon, dit-elle. Excusez-moi, je... C'est juste que je connais Lexa et qu'elle ne dirait jamais ça et encore moins de moi... Nous... Je veux dire, elle et moi...

— Oui, on sait, vous vous êtes envoyées en l'air, siffla Murphy. Mais ça ne veut pas dire que tu la connais mieux que nous, dans sa tête.

— Non, bien sûr, mais...

— Moi, il y a une chose dont je suis sûr, dit alors Roan.

— Laquelle ? demanda Clarke.

— C'est que tu as éludé une question de John...

Les deux Skaikrus se regardèrent et Clarke haussa les sourcils.

— Laquelle ? répéta-t-elle.

— Celle où il te demande si c'est la vérité...

— Je... J'ai répondu, j'ai dit que non... s'étonna Clarke.

— Tu as répondu à la question de l'abandon des tiens, mais pas à celle des radiations...

Clarke se redressa.

— Je... Je ne... Oui, acheva-t-elle alors. Oui, c'est la vérité...

— Explique ? demanda Roan.

Clarke serra les lèvres puis revint à table et raconta pour la première fois ce que ALIE et Becca lui avaient montré dans le centre de contrôle de l'entité...

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