Chapitre 11
Désireuse de ne pas se laisser perturber par le refus de Bellamy qu'elle comprenait parfaitement, Clarke se concentra à nouveau sur son rôle de dirigeante suprême par intérim des Triges. À mesure que les jours s'écoulaient, la neige se fit de plus en plus rare et les arbres commencèrent à reverdir, signe que le printemps approchait et, avec lui l'intronisation de Derek au rôle de Heda.
— Non, je ne suis pas prêt !
Clarke pivota.
— Tu le seras. Écoute, tu n'as pas le choix, d'accord ? Tu es l'unique Natblida sur un rayon de cinquante kilomètres à être en âge de gouverner et...
— Et j'ai douze ans, Clarke ! répliqua le jeune homme. Pourquoi tu ne réquisitionnes pas un adulte de force, hein ? N'importe qui, je m'en tape !
La jeune femme serra les lèvres puis tourna le dos au garçon qui serra les poings et quitta l'appartement. Il était huit heures du matin et la journée commençait bien...
La porte à peine refermée, elle se rouvrait sur Goran, armé de sa besace remplie de rouleaux à lire et à signer ; Clarke soupira.
— Vous avez croisé Derek ? demanda-t-elle.
— Oui, il ne m'a même pas salué, que s'est-il passé ?
— Monsieur ne veut plus être Heda, il pense qu'il est trop jeune...
— Allons donc, encore ?
Clarke souffla par le nez.
— Je savais que je n'aurais pas dû l'autoriser à s'amuser avec les enfants des serviteurs ; ils lui ont mis des idées saugrenues dans la tête.
Goran grimaça et changea de pied d'appui, Clarke lui jeta un regard suspect.
— Non, dit-elle. Vous n'êtes pas de son avis.
Le ton était fermé et l'Intendant plissa le nez.
— Je suis désolé, Wanheda, mais vous saviez pertinemment ce que vous faisiez en prenant cet enfant comme futur Heda.
— Oui, mais je pensais qu'en bon Trige qui se respecte, il aurait à cœur de maintenant la tradition de son peuple.
— Deviendriez-vous la Chancelière des Skaikrus si votre père venait à ne plus pouvoir supporter la charge ?
Clarke ouvrit la bouche pour répondre puis la referma et se détourna.
— Qu'est-ce qu'on a aujourd'hui ? demanda-t-elle plutôt.
Comprenant que la jeune femme ne voulait plus en parler, Goran traversa la pièce et déposa sa besace sur la grande table qui servait de bureau à Clarke la journée et de table à repas aux heures définies.
.
Un peu plus tard dans la journée, alors que l'heure du repas de midi approchait, Derek reparut dans l'appartement de Clarke comme elle lisait des rapports de chasse. Elle fit mine de l'ignorer et il s'approcha de la table en silence. Quand il se racla la gorge, elle haussa un sourcil puis leva les yeux vers lui.
— Je te demande pardon, Clarke, dit-il en baissant la tête. Je n'avais pas à te parler sur ce ton, ce matin.
La jeune femme serra les lèvres puis se leva et contourna la table, les bras tendus. Derek se laissa enlacer puis recula et elle lui caressa les joues.
— Tu es un enfant, je sais, d'accord ? Mais je n'ai pas le choix... Je ne veux pas devenir Heda, je n'en ai pas le droit, pas après tout ce que j'ai fait et qui a mené Lexa à la mort.
Derek déglutit.
— Tu es une Natblida, dit-il doucement en lui prenant le poignet. Personne ne broncherait si tu décidais de devenir Heda...
— Je sais, mais je ne peux pas. Bellamy m'attend, mon cœur, j'ai une vie, dans le sud, et je ne peux pas rester encore des années à m'occuper d'un peuple qui m'a fait tant de mal.
— Parce que tu crois que je vais arriver à en faire quelque chose, sans toi ?
— Tu auras Goran et Tylo et Roan... Ils te protégeront quoi qu'il arrive.
Derek secoua la tête et alla s'asseoir sur une banquette. Clarke le rejoignit et se baissa devant lui.
— Regarde-moi, chéri...
Le jeune garçon leva ses yeux bleus sur elle ; ils étaient pleins de larmes. Clarke posa son front contre le sien en fermant les yeux.
— Je suis désolée... Si je le pouvais, je partirais en t'emmenant avec moi, mais tu es Heda, tu es le Commandant Suprême des Triges, je ne peux pas t'enlever...
Derek renifla et passa sa main sous son nez en se redressant.
— Ma maman a été tuée en croyant en toi, dit-il. Mon papa aussi... Ils sont sans doute ravis que tu t'occupes de moi, mais je sais qu'ils n'aimeraient pas savoir que je suis condamné à devenir Heda.
— Derek... Arrête, ne me fais pas culpabiliser, je t'en prie !
— Non, c'est pas ça, c'est juste que... Je ne veux pas sacrifier toute ma vie pour une cause à laquelle je ne crois pas, c'est tout.
Clarke fronça les sourcils et s'assit près de lui.
— Mais encore ? Tu ne crois pas en Becca Pramheda ?
— Si, si, je crois à son histoire, comment elle a su fédérer les survivants de l'holocauste autour d'elle, mais je sais aussi qu'ils l'ont tuée, Clarke... Ils ont pris peur quand ils ont compris qu'elle était immunisée contre les radiations, alors ils l'ont tuée...
Clarke se mordit la joue. Quand elle était sur le Go-Scie, ALIE et Becca lui avaient montré la vérité, ce qu'il s'était réellement passé près de cent ans en arrière, après que ALIE ait déclenché toutes les bombes nucléaires de tous les pays de la planète. Elle avait été choquée quand elle avait découvert que les survivants, pas encore des Triges, l'avaient tout simplement brûlée vivante, terrorisés par son sang noir et son immunité naturelle aux radiations...
— Heureusement, elle a pu inoculer le sang noir à d'autres personnes, dit-elle. Et tu descends de l'une de ces personnes, tu es une sorte d'élu, tu es né pour diriger, c'est littéralement dans ton sang et avec l'aide de la Flamme et de Becca Pramheda, tu seras un grand Commandant, je le sais.
Derek eut un ricanement amer.
— Je mesure un mètre quarante ! Comment tu veux que je sois un grand commandant ?
Clarke rigola, avec son mètre soixante, elle n'était guère plus grande que lui. L'atmosphère sembla alors détendue et la jeune femme posa sa main sur la nuque du garçonnet.
— Va te reposer un moment, dit-elle doucement. Je reste ici toute la journée, j'ai beaucoup de travail. Je dirais à Roan que tu n'es pas bien.
Derek hocha la tête sans répondre puis quitta la pièce principale et disparut dans le petit corridor qui menait aux trois chambres de l'appartement. Clarke souffla alors par le nez et retourna à sa table de travail. Normalement, elle montait travailler dans les appartements de Heda, attenants à la salle du trône, mais elle n'en avait pas eu envie aujourd'hui. Elle préférait l'ambiance chaleureuse de son appartement qu'elle avait su décorer et arranger comme elle le voulait au fil des semaines, loin de la décoration qu'il avait quand elle y séjournait alors que Lexa était encore en vie. Elle avait fait exprès, du reste, de tout tournebouler, de faire en sorte qu'aucun meuble ne soit à sa place d'origine, afin de pouvoir oublier cette atroce journée.
Secouant la tête, la jeune femme souffla par le nez et se remit au travail. Quand une cloche sonna midi quelque part en ville, sans doute celle du sanctuaire, on toqua à la porte et deux servantes entrèrent avec le repas.
— Attendez, je vous fais de la place, dit aussitôt Clarke en rassemblant ses papiers.
— Merci, Rijant. Est-ce que Haihefa déjeune avec vous aujourd'hui ?
— Non, je ne crois pas... C'était prévu ?
La servante secoua la tête.
— C'était juste une question, comme cela le lui ait déjà arrivé par le passé.
— Je vois. Alors non, pas aujourd'hui. Je serais seule avec Derek.
La servante s'inclina brièvement puis entreprit de dresser le couvert comme d'autres serviteurs apparaissaient avec les plats chauds. Rangeant ses affaires, Clarke traversa l'appartement rond et s'enfila dans un couloir qui longeait le mur extérieur. Elle s'arrêta devant une porte ouverte et jeta un coup d'œil dans le miroir au-dessus du lavabo pour remettre quelques tresses en place, puis elle fit quelques pas de plus et toqua à une porte entrouverte.
— Le déjeuner est servi, dit-elle doucement en poussant le panneau.
— Je viens...
Derek était assis sur son lit, les genoux repliés contre son torse, en train de lire. Clarke se mordit la lèvre supérieure puis vint s'asseoir au bord du lit. Il la regarda du coin de l'œil.
— Tu sais que je ne fais pas ça pour te nuire...
Le garçonnet soupira, le menton sur ses genoux.
— Si je le pouvais, je t'enverrais chez moi, avec Bellamy, jusqu'à ce que je puisse vous rejoindre, mais c'est impossible...
— Arrête, dit alors Derek. Arrête, Clarke, j'ai compris. Je n'ai pas le choix, c'est comme ça, mais sache que je ne fais pas ça pour les Triges, mais pour toi. Tu es ce que j'ai de plus proche d'une maman présentement, et même si tu me terrifies parfois, j'ai appris à t'aimer et je n'ai aucune envie de te décevoir. Alors je vais le faire, je vais devenir Heda, mais pas pour eux, ni pour moi, mais pour toi, pour que tu puisses rejoindre Bellamy et ne plus jamais avoir affaire à nous autres.
Clarke ferma les yeux et une larme glissa sa joue. Elle porta une main à sa bouche et un hoquet lui secoua les épaules. Abandonnant son livre en dépliant ses jambes, Derek l'entoura de ses bras maigres et elle l'enveloppa des siens presque farouchement.
— Ta maman est si fière de toi ! dit-elle en reniflant.
Derek se figea et Clarke recula en passant ses mains sur ses joues. Elle regarda le garçonnet dans les yeux puis tourna la tête et sourit au vide. Derek devint blême.
— Ils sont là... ? dit-il.
— Oui. Ta maman, et ton papa sont juste là, sur le tapis... Ils sont si fiers de toi, si tu savais...
Sans préavis, Derek fondit en larmes et plongea dans les bras de Clarke en sanglotant bruyamment. Bien évidemment, c'était un mensonge, il n'y avait aucun esprit debout à côté de la jeune femme, mais plus le temps passait et plus elle commençait à croire aux croyances des Triges, au fait qu'elle, en tant que Wanheda, permettait aux morts de passer de l'autre côté. Caressant les cheveux de Derek, elle sentit soudain un courant d'air glacial lui traverser l'épaule gauche et elle se figea, les yeux grands ouverts. Le rideau bougea alors devant la fenêtre, comme s'il y avait eu un courant d'air, mais sur les trois fenêtres de la chambre, seul le rideau de celle-ci avait bougé.
— Ils sont partis... dit-elle alors.
Derek cessa aussitôt de sangloter et se redressa.
— Partis ? répondit-il.
— Oui, mon cœur, ils sont partis pour les Plaines Dorées... Ton papa et ta maman sont en paix, maintenant.
Et ça, elle en était convaincue. Le garçonnet sourit malgré les larmes qui ruisselaient sur son visage. Clarke lui essuya les joues de sa manche puis on les appela de la pièce principale et la jeune femme se leva.
— Prend un moment pour te remettre et viens déjeuner, dit-elle.
Derek hocha la tête et Clarke quitta ensuite la chambre en se frottant vigoureusement le visage. Elle s'ébroua et décocha un large sourire aux six serviteurs qui attendaient.
— Merci beaucoup, dit-elle en voyant la table mise et les plats préparés. Vous pouvez aller déjeuner vous aussi.
— Merci, Rijant. Bon appétit.
— À vous aussi.
Le groupe quitta l'appartement et Clarke se rassit à sa place en ouvrant les couvercles des pots de terre cuite posés au centre de la table. Aussitôt, un fumet de viande embauma la pièce et la jeune femme sentit la salive lui remplir la bouche. Derek se montra un instant après et, alors qu'il prenait place à table en tendant son assiette de bois, la porte s'ouvrit et Roan entra.
— Je t'en prie ! répliqua aussitôt Clarke. Et frapper ?!
— Il n'est pas venu, répondit l'Azgeda. Je l'attendais pour un traînement au couteau.
— Il n'est pas bien. Il a mal à la tête et est fatigué.
— Faible.
Clarke serra le poing sur la cuillère de service. Roan sembla s'en rendre compte et plissa les yeux.
— Prononce encore un mot, Roan d'Azgeda, et cette cuillère finira dans ton œil !
— Wanheda, je n'ai... s'étonna le roi de la Nation de la Glace.
— Tu viens de le traiter de faible alors qu'il est Heda ! Maintenant, va-t'en d'ici, laisse-nous déjeuner en paix. Derek va rester avec moi tout l'après-midi.
— Clarke, il doit s'entraîner ! protesta l'autre.
— Et il aura tout le temps de le faire demain. Dehors !
Roan serra les mâchoires puis tourna les talons. Quand la porte se fut refermée, Derek pouffa, le nez baissé. Clarke lui jeta un regard puis soupira.
— Ces hommes... Heureusement que Bellamy est loin d'être aussi brute avec les femmes et les plus jeunes ! Donne ton assiette.
.
Durant l'après-midi, Clarke travaillait sur les multiples demandes de n'importe quoi qu'elle recevait chaque matin de la part de Goran. Cela allait de la demande d'autorisation pour déménager, à celle pour une union, pour faire des travaux, avoir un enfant, vendre ou acheter un cheval... C'était assez barbant et répétitif, mais cela lui permettait de ne pas penser au destin tragique de Derek et encore moins à Bellamy. À la fin de la journée, alors que le soleil se couchait et que les serviteurs étaient venus tirer les lourdes tentures empêchant le froid de rentrer, la jeune femme abandonna sa table de travail avec soulagement pour s'écrouler dans le canapé. Elle fut à peine surprise de voir Roan débouler et Tylo, qui campait de la porte de la jeune femme, avoir à peine le temps de l'annoncer.
— Fais comme chez toi, grogna la blonde en déposant son manteau sur une patère. Deux fois dans la même journée, tu es gonflé, tu sais ?
— Désolé, Wanheda, mais faut qu'on discute.
— Et de quoi ? Si c'est de Derek, il aura tout le temps de s'entraîner avec toi à partir de demain. N'oublie pas que c'est un enfant qui n'a rien demandé et qu'on oblige à faire des choses dont il n'a aucune envie.
Roan grogna en croisant les bras.
— Ça s'appelle devenir adulte. Tu l'as expérimenté, je crois, non ?
Le ton était sarcastique et Clarke inspira.
— Nous étions en guerre, répondit-elle en indiquant le canapé. C'était différent.
— Certes.
L'Azgeda déposa son lourd manteau de peau de loup sur le dossier du canapé et s'y assit. Un silence s'installa et Clarke se pencha alors pour se servir un peu de vin qu'une servante avait apporté quelques instants plus tôt. Comme elle se réadossait au fauteuil, Roan comprit qu'il devait se servir lui-même et il marmonna quelque chose qui fit sourire la jeune femme.
— Ne dis rien, dit-il simplement.
— Oh, je n'allais rien dire, mais tu l'as pensé tellement fort...
Le guerrier renifla et avala un peu de vin.
— As-tu déjà fixé la date de l'intronisation ? demanda-t-il soudain.
— Non, pas encore, j'attends que le printemps revienne. À ce propos, saurais-tu sonder les Triges ?
— À quel sujet ?
— L'intronisation. Étant donné que Derek est le seul prétendant au trône, il n'y aura pas de Conclave cette fois-ci, et sans doute plus jamais, donc j'aurais aimé savoir s'il y a un mauvais coup de prévu qui pourrait ruiner tous les plans d'avenir que j'ai faits.
Roan but un peu de vin, les sourcils froncés, puis baissa sa coupe.
— Je n'ai pas entendu quoi que ce soit à la taverne aujourd'hui, mais les gens ne sont pas vraiment encore au courant que tu planifies une intronisation sans conclave. Et encore moins que tu sembles avoir l'intention de tout modifier sur plusieurs générations.
Clarke baissa le nez et pivota vers Roan.
— J'allais t'en parler, dit-elle en reposant sa coupe sur la table basse.
— Je n'en doute pas, mais...
— Goran est au courant. J'essaie de trouver un moyen de rassembler les Triges durablement sans trop changer les habitudes. Je ne fusionnerai pas les clans, hors de question, mais la Coalition va rester. Par contre, je vais essayer de faire en sorte qu'il n'y ait plus jamais de mise à mort pour le trône.
Roan secoua la tête.
— Tu voudrais faire comment ?
— Des familles. Comme dans l'ancien temps avec les familles royales.
— Mais encore ? Raconte-moi, tu es plus au fait que nous de ce qu'il se passait avant.
Clarke opina, avala une gorgée de vin puis entreprit d'expliquer à l'Azgeda le principe des familles régnantes, des mariages entre membres de ces familles afin de renforcer la lignée. Quand elle se tut, l'homme bourru semblait pensif mais pas loin d'être convaincu.
— Si je comprends bien... dit-il en changeant de position. Partons de Derek. Il est Heda.
Clarke opina.
— Il va se marier à un moment donné, et avoir un enfant, ou plusieurs, reprit Roan. L'aîné sera le prétendant suivant pour devenir Heda ?
— C'est ça. Si l'aîné disparaît pour X raison, qu'il est tué ou qu'il meure dans un accident, et je dis « il », mais ça peut tout à faire être une fille, on s'entend...
— Bien évidemment, nous ne faisons pas de différence en ce qui concerne Heda.
Clarke nota l'info dans un coin, même si elle savait qu'il y avait plusieurs femmes Commandant, donc Lexa.
— Le mariage devra se tenir dans le clan de Heda ? demanda alors Roan.
— Pas nécessairement. Ça pourrait être un mariage d'amour ou un mariage de raison, sachant qu'avec celui-ci, il se peut qu'il n'y ait pas d'héritier ou que l'entente ne soit pas au beau fixe entre les époux. Mais un mariage de raison peut également renforcer une alliance entre clans et calmer des rivalités. Il y a une énorme quantité de paramètres à prendre en compte et j'aurais grandement aimé avoir accès aux bases de données des Ancêtres pour mettre tout ça en place de manière claire. Je voudrais éviter au possible que quelqu'un trouve une faille et s'y engouffre.
— Il y en aura toujours, tu ne peux pas cadenasser quelque chose à un point tel qu'il n'y aura jamais de faille.
Clarke haussa brièvement les sourcils et inspira en repoussant ses mèches. On toqua alors à la porte et elle fit entrer les serviteurs avec le dîner.
— Vous dînez ici, ce soir, Haihefa ? demanda un des hommes.
— Si Rijant est d'accord... ?
Clarke inclina la tête.
— Dans ce cas, oui, répondit Roan.
— Bien, Haihefa.
Le jeune homme s'inclina puis s'éloigna et Roan se retourna vers Clarke. Derek apparut alors et s'installa près de la jeune femme qui passa son bras dans son dos et l'enlaça un instant.
— Tu t'es endormi ? demanda-t-elle un sourire.
— Je crois, mais j'ignore combien de temps, répondit le garçonnet. Qu'est-ce que tu fais là, Roan ?
— Je suis venu discuter avec Rijant et je reste dîner. Cela te dérange, Heda ?
— Non, pas du tout. Je suis désolé pour ce matin.
Roan secoua la tête et Derek quitta alors le canapé comme les serviteurs annonçaient que le repas était installé. Clarke l'observa puis souffla par le nez en croisant le regard de Roan.
— On en reparlera plus tard, décida-t-il en se levant à son tour.
La jeune femme plissa le nez, termina son vin et les rejoignit à Table.
.
La soirée fut paisible, comme rarement. Dehors, les bruits habituels de la ville meublaient le silence, parvenant jusqu'au sommet de la tour et, alors que le repas était terminé et que Clarke et Roan se partageaient une tisane sur le balcon, emmitouflés dans leurs manteaux, une clameur différente se fit entendre.
— Allons donc, soupira Roan en se levant. Que se passe-t-il ?
Il se pencha par-dessus la rambarde, mais la ville avait beau être toute illuminée de centaines de torches enflammés, il demeurait compliqué de voir qui s'énervait. Soudain, des bruits de bottes se firent entendre, et des sifflets.
— C'est quoi ce bruit ? demanda l'Azgeda en se tournant vers Clarke.
— La milice de nuit. J'ai demandé à Tylo de constituer un groupe armé d'une dizaine d'hommes et de femmes pour maintenir le calme du coucher au lever du soleil.
— Quand ça ?
— Il y a... un mois, environ ?
— Et ça fonctionne ?
— Juge par toi-même.
Roan reporta son attention en bas et, effectivement, le calme était revenu.
— Tu as eu l'idée comment ? demanda-t-il en revenant s'asseoir.
— Ce sont des Triges qui me l'ont demandé, principalement des parents qui craignent pour leurs enfants le soir. Il fait nuit très tôt en ce moment et les brigands aiment bien les ombres...
Roan hocha la tête.
— Je n'y aurai jamais pensé, dit-il. Jusqu'à maintenant, les Triges réglaient leurs problèmes entre eux à coup de poings.
Clarke inspira.
— Les choses changent, Roan, surtout quand un peuple a été massacré dans une guerre qu'il n'avait même pas amorcée.
— D'aussi loin que je me souvienne, il y a toujours eu des conflits sanglants dans les divers clans. En général, le chef règle le problème avec un bannissement ou, plus rarement, une exécution, mais la plupart des miens sont des sauvages en mode survie qui ne fonctionnent qu'à coup de poings.
Clarke serra les lèvres.
— C'est ce que je voudrais changer, dit-elle. Les Triges sont capables d'être civilisés, je l'ai vu, mais ils ont besoin de quelqu'un qui les guide dans la bonne direction, qui leur montre le chemin et ça, je peux le faire à travers Derek. Je peux faire en sorte qu'il grandisse en prenant exemple sur moi et ensuite, une fois que je ne serais plus là, qu'il continue et inculque aux autres la marche à suivre.
Roan baissa le nez un instant, les mains sur les hanches.
— Donc, tu as bien l'intention de repartir, dit-il.
— Oui, répondit la jeune femme sans réfléchir. Quand, je l'ignore, par contre. Je n'ai plus rien à Arkadia, ajouta-t-elle en haussant une épaule. Ma mère est avec Kane, elle n'est plus seule, et...
Elle se tut soudain et se mordit la lèvre. Roan se baissa alors devant elle et elle le regarda.
— Blake et toi n'êtes pas prêts à être ensemble, dit-il doucement en posant sa main sur la sienne. Vous avez traversé l'enfer, vous avez été forcés d'assassiner des gens alors que vous n'êtes que des enfants, ce n'est pas normal. Kane aurait dû prendre la tête des choses, il aurait dû décider et pas te laisser faire ; maintenant, tu es brisée et tu mettras des années avant de t'en remettre.
Clarke renifla et passa sa main sous son nez en détournant la tête. Roan serra ses doigts sur les siens. Elle le regarda alors puis se pencha et posa son front contre le sien.
— Je suis là, dit-il alors. Si tu veux bien de moi dans ta vie, je serais là, peu importe combien de mois, combien d'années, je serais là, je te le promets.
Clarke laissa échapper un rire sans joie en se redressant.
— Ne fais pas de promesses que tu n'es pas capable de tenir, dit-elle.
— Qui te dis que je ne tiens pas mes promesses ?
— Rien, mais je suis sûre d'une chose, dans un monde tel que celui-ci, tirer des plans sur la comète se termine souvent en tragédie. Lexa n'aurait jamais dû mourir comme ça, je n'aurais jamais dû prendre la tête de ce peuple...
— Mais c'est ce qu'il s'est passé et tu ne peux pas changer le passé, répondit Roan en se relevant. Allez, viens, rentrons, il commence à faire très froid.
Un coup de vent chargé de neige ponctua cette phrase et Clarke opina. Ils retournèrent dans l'appartement et Clarke sourit en indiquant quelque chose du menton. Roan esquissa un sourire en découvrant Derek endormit dans le canapé, sous un plaid.
— Tu l'emmènes dans son lit ? demanda alors la jeune femme.
Roan opina.
— Allez, mon grand, au lit, dit-il en le hissant dans ses bras.
Derek marmonna sans se réveiller et Clarke lui sourit doucement. Plus les jours passaient et plus elle aimait ce gamin, quand bien même ils n'avaient que six ans de différence et qu'elle pourrait le considérer comme son petit frère. Ils le considèrent tous comme le fils de Wanheda... songea-t-elle alors en retirant son manteau. Je n'ai que dix-huit ans, je suis trop jeune pour avoir un fils de son âge, mais au moins, il a le meilleur bouclier qui existe...
Roan reparut alors et observa la jeune femme debout au pied de son lit. Elle avait sorti sa robe de nuit et il pencha la tête. Elle haussa les sourcils.
— Ouste, dit-elle, amusée.
— Oh, mince, je me serais bien rincé l'œil...
— Dehors, Roan d'Azgeda ! rigola Clarke en lui lançant un coussin.
Il l'évita d'un pas sur le côté puis lui fit un clin d'œil et quitta l'appartement. La jeune femme l'entendit souhaiter une bonne nuit à Tylo puis écouta ses pas dans l'escalier un moment avant de secouer la tête en récupérant ses affaires de nuit. Elle glissa ensuite derrière un paravent pour se changer, se rendit rapidement jusqu'à la chambre de Derek pour vérifier qu'il dormait – elle constata qu'il était même en tenue de nuit – et elle regagna la pièce principale où se trouvait son lit, derrière un grand brise-vue en cuir peint de scène de chasse.
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