XXIV


Il prends ma tête entre ses mains et m'embrasse fougueusement. Je pousse un cri de surprise puis lui rend son baiser. Il s'écarte de moi, essoufflé. Ses yeux étincellent, ce qui me fait rire.

«-Bordel May t'es... T'es complètement folle.
-Je sais... Tu m'aimes quand même?
-C'est trop cher une Fender, je peux pas accepter. Non c'est vraiment trop cher il faut que tu la ramène!»

Je souris, il fronce les sourcils.

«-May, je ne veux pas que tu jettes l'argent par la fenêtre pour moi je...
-Thomas, je ne jette par l'argent par la fenêtre si c'est pour toi. Et puis comme tu le sais, je suis la dernière de la famille. Donc j'ai hérité d'un paquet d'argent, ce n'est pas ça qui va me ruiner.»

Ses yeux se remplissent de larmes.

«-May je... Je t'aime... C'est pas possible comme je t'aime... Je ne sais pas comment te remercier...»

Je m'assieds sur le sol froid et laisse pendre mes jambes dans le vide, les glissant entre les barreaux. J'aime de plus en plus cette position, je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que j'ai une belle vue tout en étant assise, et le fait que mes images soient dans le vide me donne l'impression de flotter.

«-Joues-moi une chanson. »

Il ne fait rien pendant un moment, mais je ne le regarde pas, j'entends juste le silence, puis le bruit de l'étui qui glisse contre la boite de résonance. Il s'assied à côté de moi et positionne sa guitare. Ses doigts commencent à jouer une mélodie douce, je pose ma tête contre son épaule et ferme les yeux.

•••

«-Tu m'as dis des cauchemars. Peux-tu m'en parler un peu plus?»

Madame White se repositionne comme pour mieux m'écouter. Je soupire et détourne le regard.

«-C'est toujours les mêmes. Je marche sur une route, il fait froid, une fine couche de neige blanchit tout le paysage. Puis j'entends un grognement, comme celui d'un loup, je commence à courir. Mes pieds se prennent dans quelque chose, je m'écroule à terre. Quand je relève la tête, une voiture et une moto complètement cabossées ont apparu. Puis il y a elle...
-Elle

Je me mords la lèvre.

«-Ma mère.
-D'accord. Continue.
-Et elle me parle, elle me dit que tout est de ma faute. Que c'est moi qui aurait dû mourir à sa place. Que j'aurais pu empêcher ça mais que je n'ai rien fais. Un tas de choses comme ça.»

Elle griffonne sur son paquet de feuilles bleues pastel, je n'ai jamais compris pourquoi elle ne prenait pas des blanches, ça lui ferait des économies. Peut-être qu'elle pense que si elle prends des feuilles colorées ce serait plus joyeux. Ou que ça ferait moins hôpital et que ses patients se sentiraient un peu moins mal. Mais j'ai une question pour vous Madame White:

Dans ce cas pourquoi avoir peint les murs en blancs?

«-Et les visions?
-Elle apparaît quand elle le veut. Quand ça lui chante. Et elle me dit les mêmes choses que dans les cauchemars.
-Donc pour toi qu'est-ce que c'est?»

Je réfléchis. Mon regard se perd sur le mur blanc aveuglant derrière elle. Un petit chat roux couché sur un coeur en velours est entouré d'un cadre doré. Des photos de toutes sortes de paysages, tous aussi exotiques que les autres, nous rappellent que pour voir ces beaux décors il faut être friqués.

«-C'est surement elle qui veut me faire passer un message. Assez clair.
-Tu penses?»

J'opine en grattant la couture du canapé noir sur lequel je suis assise.

«-Moi je ne suis pas d'accord.»

Je fronce les sourcils. Elle se penche vers moi et appuie sa tête sur le dessus de son poignet tout en faisant cliquer bruyamment son bic.

Tikitac, tikitic, tikitac, tikitic.

Elle plisse les yeux avec un petit sourire.

«-Je pense que c'est ta conscience May. Perdre un proche est quelque chose de très dur, l'accepter l'est encore plus. Pendant le deuil, on se pose beaucoup de questions. Est-ce que c'est à cause de moi? Qu'est-ce que j'aurais pu faire pour l'empêcher? Pourquoi ça c'est passé? À cet endroit à ce moment? Mais May. Es-tu convaincue que c'est de ta faute?
-Je n'ai rien fais pour l'empêcher. J'aurais pu.
-Tu vois? Je pense que c'est ton esprit qui fait ça. Ta mère n'a rien à voir là dedans, elle ne te pense pas coupable. C'est ta culpabilité qui prends forme de ta mère.»

Je me tourne vers elle les sourcils froncés.

«-Non c'est faux.
-Et pourquoi? Explique-moi.
-Ma mère me hait! Maintenant encore plus!»

Elle grimace et griffonne encore sur son papier. Quand la séance sera finie, elle rangera sa feuille dans une petite farde à rabat rouge avec mon nom marqué dessus. Voila ce que je suis. Un nom marqué sur une farde, qui contient une histoire. Peut-être qu'après la fin du monde quelqu'un trouvera cette farde, la lira. Et se rendra compte à quel point je suis pathétique...

«-Ta mère t'aimais May. Reprends-t-elle d'une voix calme.
-Pourquoi? Vous la connaissiez?»

Elle sourit, c'est plutôt une grimace.

«-Je le sais tout simplement. Une mère aime son enfant. Même s'il n'était pas voulu, un lien incassable les relie.
-Elle était amoureuse de mon père, quand elle a su qu'elle était enceinte de moi, mon père l'a quitté. Elle a passé sa vie à s'occuper de moi, sacrifier tout pour moi, ses passion, sa vie sociale, sa famille. Je lui pompais l'oxygène. Elle a réussi à trouver un autre copain, mais je piquais des crises quand il était là parce que je ne voulais pas partager ma mère! Puis quand elle est morte, j'ai eu à plusieurs reprises un moyen de la sauver, de la garder en vie, mais je n'ai rien fais. Ne me dites pas que j'étais un cadeau!»

Elle me fixe tristement.

«-J'étais une bombe à retardement!»

Elle se mords la lèvre et détourne le regard. La penderie sonne six coups. Je me lève et sors sans lui dire un mot.

L'air frais me fait tellement de bien. Je m'appuie contre le mur et expire bruyamment.

«-May?»

Je sursaute et me tourne vers un garçon que je reconnais tout de suite.

«-Noah? Qu'est-ce que tu fais là?
-J'allais chercher du pain.»

Il lève sa main pour me confirmer sa réponse en me montrant son sachet de la boulangerie. Je souris.

«-Tu n'as pas froid habillée comme ça?
-Non ça va. Je rentre de toute façon.
-Chez toi?! Mais c'est loin! Laisse-moi te raccompagner!»

J'ouvre la bouche, les mots restent coincés dans ma gorge. Il me fait signe de venir, je lève les yeux au ciel et m'approche de lui.

La voiture de Noah est spacieuse, une jeep kaki. J'aime beaucoup ce genre de voiture. Je m'installe à la place passager et boucle la ceinture.

«-Tu es sûr que ça ne te dérange pas?
-Non ne t'en fais pas, c'est sur le chemin! Et puis je ne vais quand même pas te laisser rentrer toute seule dans ce froid.
-Il ne fait pas si froid que ça!» Je m'exclame en riant.

Le ciel s'assombrit à vue d'œil. Je regard par la fenêtre la ville qui défile devant les yeux en écoutant la musique douce s'échapper de la radio.

«-May... Je voulais te remercier pour le livre...
-Encore?
-Oui. C'est vraiment... Le plus beau cadeau que j'ai jamais eu.»

Je me tourne vers lui et lui souris, nous nous arrêtons à un feu rouge. Il y a beaucoup de bouchons à cette heure, c'est le moment où tout le monde rentre du travail.

«-Je veux dire. Je parle beaucoup de jeux videos... J'aime beaucoup ça. J'y joue quasiment tout le temps, et c'est principalement ce que j'ai reçu. Le nouveau Call of Duty ou encore Battlefield,.. Mais toi tu m'as écouté. Même si je n'ai parlé qu'une fois de Stephen King, tu as retenu, et tu as compris, seulement en une phrase, tout ce qu'il représentait pour moi.»

Je ris doucement en secouant la tête. Son regard s'attendrit. Sa main quitte le volant pour prendre délicatement la mienne. Il plonge son regard dans le miens, je me noie dans ses yeux bruns. Il s'approche doucement de moi, je suis comme aimantée et l'imite. Son autre main caresse ma joue alors que ses lèvres s'entrouvrent, je sens son odeur emplir mes poumons. Nos nez ne sont qu'à quelques centimètres.

Un klaxon nous fait sursauter, nous nous rendons compte que la circulation s'est dégagée. Noah démarre, rouge comme une pivoine, je ne dois pas être mieux. Je m'enfonce profondément dans le siège et détournant le regard. Mon coeur bat la chamade, j'ai la tête qui tourne.

Le reste du trajet se passe en silence. Quand nous arrivons devant l'immeuble je reste un moment à attendre quelque chose de la part de Noah, un signe, une phrase, mais rien. Il fixe le volant, le regard paniqué. Je décide de sortir et pousser la porte de l'immeuble. J'appuie sur le bouton de l'ascenseur, j'entre et m'appuie contre le mur en me fixant dans le miroir. La fille devant moi est méconnaissable, sa peau est pâle, ses cheveux sont décoiffés, son nez est rougis, de grosses cernes violettes noircissent son regard et la rendent encore plus fatiguée. Je ne dors presque plus, je n'y trouve aucun intérêt...

Mon téléphone vibre, je le prends et regarde le message de Noah.

"-May s'il te plait réponds-moi! Je suis désolé! Je voulais pas faire ça je sais pas ce qu'il m'a pris! J'ai tout gâché...
-Noah c'est rien.
-Non c'est pas rien! Tu es avec Thomas et tu l'aimes!
-Ne t'en fais pas. On est tous les deux fautifs."

Les portes s'ouvrent, je ferme le téléphone et rentre dans l'appartement. J'appelle Thomas, il ne répond pas. Je le cherche dans toutes les pièces. C'est dans la chambre que je le retrouve, il est allongé sur le lit, je m'approche de lui et m'arrête net quand je vois une bouteille à côté de lui. Je grimace et la prends, puis étends la couverture sur lui. Il dort paisiblement, sa respiration est régulière, sa main est serrée contre le coussin.

Je marche vers la salle de bain alors que je sens mes larmes monter, je ferme la porte et m'appuie contre. J'explose en sanglots. Puis me laisse glisser contre le bois froid et lisse.

Quoi qu'il arrive, quoi que je fasse, je ferais souffrir tous ceux qui m'entourent. Même sur je fais tout pour les empêcher de se rapprocher de moi, je n'y arrive pas. Je ne suis vouée qu'à ça. Faire souffrir les gens. Les larmes ruissellent sur mon visage comme un fleuve salé.

Tu vois? Tu les détruis.

Un gémissement sort de ma bouche et frappe mon front contre mes genoux, entourés par mes bras.

En réalité à quoi sers-tu?

«-Stop...»

Ma voix est faible. Je renifle, ça fait dix secondes que les sanglots m'empêchent de respirer. J'inspire bruyamment, la gorge en feu.

Sérieusement May, si tu disparaissais, le monde serait tellement mieux.

Je baisse la tête. J'ai l'impression d'avoir un coeur en pierre tellement ce dernier pèse lourd. Mais c'est faux, il est en carton, et chaque fois que je respire et que le sang irrigue dans ses veines, il devient fragile et mou. Il suffit d'un moment d'inattention, de brutalité, pour qu'il explose.

Je me réveille tous les matins, espérant ne pas le faire.

Pourquoi tout me paraît si vide?

Je sais que c'est scientifiquement prouvé que dans un atome, entre le noyau et les électrons, il n'y a que du vide. Pas de l'air, du vide. Ce qui veut dire que nous somme constitués d'environ septante pour cents de vide.

C'est surement pour ça...

Ou pas...

Voilaaaaaa
Ça part en couille on est d'accord?
La psy?
Thomas boit?

Ne me frappez pas en commentaire ça fait partie de l'histoire et je ne voulais pas que ça soit tout robe au pays des licornes.

Biz❤️

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