Chapitre 52 - Brooklyn
Lundi
Agenouillé à côté du corps, je réalisais à peine ce que je venais de faire. Je venais de tuer un homme. Et contrairement au sentiment de culpabilité que j'aurais dû ressentir, je n'éprouvais que de la satisfaction à le savoir mort. Le cadavre reposait à côté de moi, encore tiède. Un énorme vide emplissait ma poitrine alors que je regardais le visage de cet homme qui m'avait fait tant souffrir. Il ne méritait rien de plus.
Une main se posa avec douceur sur mon épaule. Je relevai la tête avec lenteur et me noyai dans les yeux bleus de Carlyle. Anxieux, il m'aida à me relever et me serra dans ses bras. Je me laissai étreindre et inspirai son parfum qui me réconfortait. Les paupières fermées, je retenais mes larmes alors qu'il me fredonnait des mots réconfortants. Les souvenirs avaient fini par tous revenir et leur quantité m'avait submergé. Pendant une fraction de seconde, j'avais perdu la notion du temps et de la réalité.
J'entendis à peine Fred et Thussvor se relever. Ce ne fut qu'après quelques instants que Carlyle s'écarta. Il me prit la main et serra mes doigts. Il remit une mèche de mes cheveux derrière mon oreille et caressa ma pommette de son index. Il tenta de m'adresser un sourire, mais son inquiétude le ternissait.
S'assurant une dernière fois que je tenais le choc, Carlyle se tourna vers Thussvor. Notre chef était en train de prendre des photos du corps. Du sang coulait de son front. Ses yeux gris analysaient tout et il fouilla brièvement le cadavre. Il y trouva une petite clé. Après quelques secondes, il se releva et observa la pièce. La conduite d'eau continuait de cracher son contenu aqueux.
— Que fait-on ? murmura Fred d'une voix balbutiante.
Pour la première fois depuis longtemps, Thussvor semblait perdu et ne savait pas quoi faire. Il regarda à tour de rôle le corps et la conduite d'eau éventrée. D'un geste las, il se frotta les yeux. Il se détourna finalement avant de sortir son téléphone et d'appeler Rolland. Le cinquantenaire décrocha à la première sonnerie. Devyan lui explosa le problème. Il hocha de la tête et raccrocha.
— On rentre.
— Et le corps ? s'enquit Carlyle.
— On le laisse là.
Je n'eus aucun regret à abandonner cet homme. Sans un dernier regard, je me laissai entraîner par Carlyle. Vide et déconnecté de la réalité, je ne réalisais plus ce qui se passait. Mon cerveau sembla me protéger une dernière fois en occultant les événements du retour. J'émergeai de mon black-out lorsque Devyan parqua la voiture devant la villa.
Yohan vint en courant nous accueillir. Ses prunelles miel nous inspectèrent avec minutie avant de se tourner vers Devyan. Notre chef lui tendit la clé.
— Elle doit ouvrir un coffre dans son bureau. Je te laisse t'en charger.
— Oui, Monsieur. Monsieur Deswalters a pu obtenir un rendez-vous demain en début d'après-midi.
Devyan hocha la tête, validant les propos de l'homme de main. Celui-ci, ayant rempli sa mission, détourna son attention sur Fred. Le magicien gris tendit les bras, ses yeux s'emplirent de larmes. Les émotions de la soirée commençaient à le submerger. Yohan l'étreignit avec tendresse tandis que Fred se mettait à pleurer.
Je restai figé devant ses larmes silencieuses. Et sans que je ne sache pourquoi, l'émotion m'envahit. Des perles salées roulèrent sur mes joues. Tous ses problèmes, étaient-ils nés à cause de moi ? Je me sentis responsable de tout ce carnage. Si je ne m'étais pas enfui de ce laboratoire, Page ne serait pas mort. Milie Parollère ne serait pas passée à deux doigts de la tombe. Alres ne m'aurait pas fait souffrir. Rolland et Duncan n'auraient pas transgressé les Anciens Écrits. Tant de problèmes engendrés par ma fuite. Tous les événements tournaient en boucle dans mon esprit. Le sang et les souffrances trônaient en reine parmi mes souvenirs.
Carlyle essuya mes joues du bout des doigts. Son regard tendre m'adressait un certain pardon. Il caressa mes cheveux et me prit dans ses bras. Son cœur battait près du mien et, telle une princesse, je posai ma tête dans le creux de son cou. J'étais si fatigué. Carlyle ne dit rien et m'emmena jusqu'à notre chambre. Mon esprit commençait à s'étioler. Alors que le soleil était encore haut dans le ciel, je m'endormis dans les bras de celui que j'aimais.
Mardi
Le sommeil m'avait assommé jusqu'au lendemain matin. Je n'avais pas entendu Devyan et Rolland se disputer, ni Yohan qui tentait de les interrompre. Il était presque neuf heures lorsque j'émergeai. Mon esprit était vide. Les événements de la veille me semblaient si loin. Ils étaient flous, seules quelques bribes nettes persistaient. Je me revoyais enfoncer l'aiguille dans le cou du Conseiller et lui injecter le produit de sa folie. À nouveau, je n'éprouvai pas de culpabilité. Sa mort protégerait d'autres vies. Je ne devais pas m'en vouloir. Je n'avais pas décidé ce qui m'était arrivé. Ce n'était pas de ma faute si j'avais subi ces expérimentations. Au fond de moi-même, je savais que je ne pouvais rien me reprocher.
Pour effacer le malaise qui comprimait ma poitrine, je pris une douche et me lavai les cheveux. L'eau purifia mes blessures impalpables et guérit un instant le mal-être qui s'enracinait. Je me sentis apaisé lorsque j'enfilai un pull trop grand de Carlyle. L'odeur corporelle de mon compagnon parvenait à me réconforter. Son absence m'était insupportable, même si je savais qu'il ne serait jamais loin. Comme je m'en doutais, il s'était levé plus tôt et avait préparé le petit déjeuner.
Il lisait le journal tandis que Thussvor tapait un rapport. Ses doigts se déplaçaient rapidement sur le clavier alors qu'il enchaînait les phrases. Rolland fumait sur la terrasse, son téléphone collé à l'oreille. Fred et Yohan manquaient à l'appel. Carlyle releva la tête. Il m'adressa un sourire et me tendit la main.
— Bien dormi ?
Je hochai la tête alors qu'il me tendait sa tasse de café. Le liquide ambré me réchauffa la gorge. Avec plaisir, j'avalai un bol de céréales. Les bruits du clavier cessèrent et Thussvor s'appuya contre le dossier de la chaise. Il me lança un regard analytique, vérifiant que j'allais bien.
— Cet après-midi, tout sera réglé, affirma-t-il.
La baie vitrée chuinta alors que Rolland entrait dans le salon. Son regard sévère se posa sur Devyan qui prit le fuite jusqu'au bureau. Il revint quelques instants plus tard, une pile de papiers dans les mains. Il avait remis tout le dossier à jour.
— Une fois que cette affaire sera terminée, je te forcerai à dormir, Babydoll.
— Notre contrat prendra fin d'ici quelques heures, vous n'aurez plus aucun ordre à me donner, Monsieur.
La colère illumina les prunelles ardoises de Rolland alors qu'il s'avançait d'un pas décidé. Devyan s'était rassis et avait reporté son attention sur la tablette.
— Yohan a mis la main sur une preuve capitale, annonça-t-il.
Il s'assit à côté de Devyan et posa une main possessive sur la cuisse du magicien vert.
— Alterswarse a consigné toute son histoire dans un carnet. Il y raconte tout le déroulé depuis le commencement.
Devyan hocha de la tête tout en s'appuyant contre le dossier de la chaise. Il ferma un instant les yeux. Tout à coup, il semblait exténué. Je fronçai les sourcils, ne comprenant pas vraiment ce qui se passait. Pourquoi remettre le dossier à jour ? À qui voulaient-ils le présenter ? Devyan dut saisir l'interrogation muette qui perçait dans mon regard.
— Monsieur Deswalters a contacté le Président Oltenier pour un entretien privé.
— Lui seul saura comment régler cette affaire de manière plus ou moins légale, confirma Rolland.
— Vous avez réussi à avoir un rendez-vous aussi rapidement ? s'étonna Carlyle.
Le Président Oltenier se déplaçait très rarement et prenait très peu de rendez-vous. Bien que très apprécié par les magiciens, c'était un homme occupé qui apparaissait très peu en société, sauf pour les événements officiels. Son secrétariat était connu de tous pour ne répondre au téléphone que de manière sporadique. Alors comment avaient-ils pu le joindre aussi rapidement ?
Rolland haussa des épaules d'un air théâtral alors que Devyan lui lançait un bref regard. Ils gardèrent un instant le silence.
— Monsieur Deswalters a les contacts qu'il faut.
J'échangeai une œillade entendue avec Carlyle avant de retourner à mon bol de céréales. Ma fréquence cardiaque s'était accélérée. La visite soudaine du Président me rendait nerveux. Devrais-je expliquer ce que j'avais subi ? Aurais-je la force de tout avouer ? Rien que l'idée d'évoquer les violences d'Alres me donnait la nausée. Je saisis la main de Carlyle pour me rassurer. Mon geste ne passa pas inaperçu. Mon teint pâle et mon regard hanté ne trompèrent personne.
— Tu n'es pas obligé de parler, Brooklyn. Monsieur Deswalters et moi nous chargerons de lui expliquer les événements et les investigations que nous avons menées. Ton identité ne sera citée que si tu le souhaites.
Thussvor utilisait un ton calme, presque paternel qui me rassura. Jusqu'à la fin de cette affaire, il me considérait et prenait soin de mes émotions. Je lui souris avec reconnaissance.
— Je pensais taire ton identité pour ne pas attirer les convoitises, ajouta Devyan.
Je hochai de la tête, soulagé. Il m'ôtait un poids des épaules.
— En revanche, si je peux protéger Brooklyn, ce ne sera pas votre cas, Monsieur. Nous ne pouvons pas taire votre implication dans cette histoire.
— Je n'ai pas besoin de protection, Babydoll.
Devyan haussa un sourcil, mais ne dit rien. Il savait qu'argumenter contre Rolland était une perte de temps. Le regard noir de Thussvor me fit sourire. Carlyle se cacha derrière son journal.
Le claquement de la porte me fit sursauter. Yohan ne perdit pas une seconde avant de remettre le carnet à Thussvor. L'ouvrage en cuir était orné de dorures éparses. Le papier jauni prouvait son ancienneté et les pages cornées étaient témoins de nombreux méfaits. Un léger malaise m'assaillit lorsque je sentis cette désagréable odeur de brûlé. Un frisson me secoua. Je n'avais tout à coup plus envie de savoir ce que contenait les mémoires d'Alterswarse.
— Nous n'avons rien trouvé d'autre dans son bureau ni à son domicile, conclut Yohan. Toutes les preuves sont réunies dans ce carnet.
Nouveau hochement de tête de la part de Thussvor. Il s'était déjà plongé dans le carnet.
Personne ne tenait en place. L'arrivée du Président avait semé un vent de panique sur notre équipe. Seul Thussvor parvenait à rester calme. Notre chef sirotait une tasse de thé lorsque la sonnette retentit.
J'échangeai un regard terrifié avec Carlyle qui me caressa les cheveux. Il m'embrassa sur la joue et me sourit avec tendresse.
— Tout va bien se passer, mon cœur. Si tu te sens mal, serre-moi la main et on trouvera un prétexte pour sortir.
Pour toute réponse, je déposai un baiser sur ses lèvres et lui souris. Tant qu'il serait à mes côtés, tout se passerait bien. Tant qu'il me protègerait, je ne risquais rien. Et savoir cela suffit à apaiser mon esprit.
Je me levai de concert avec Fred et Carlyle lorsque des pas résonnèrent. Yohan débarrassa le Président de son manteau et l'invita d'un geste de la main à nous rejoindre. Devyan fut le premier à s'avancer.
Le Président était un homme jovial. Son visage rond et sa moustache fournie inspiraient la sympathie. Ses yeux pétillaient et renvoyaient un éclat de bonne humeur à quiconque les croisait. Comme beaucoup de Conseillers, le Président avait revêtu un costume noir discret.
— Cher Thussvor ! Cela fait bien longtemps que je ne vous avais pas vu ! s'exclama-t-il en serrant la main de notre chef.
— Monsieur le Président.
Thussvor s'inclina et invita Oltenier à s'asseoir auprès de nous.
— Frederik, Carlyle et Brooklyn sont les agents qui nous ont aidés sur cette enquête.
Le Président nous salua d'un signe de tête respectueux et nous gratifia d'un sourire reconnaissant. Sans que je ne puisse l'expliquer, je me sentis soulagé de m'entretenir avec lui de cette affaire.
Rolland sortit du bureau alors que Yohan amenait une tasse de thé au jasmin. Il la déposa devant le Président qui avait pris place face à Devyan. Sur le troisième canapé, Carlyle et Fred m'entouraient. Ils seraient attentifs au moindre changement d'attitude.
Le Président se tourna vers le millionnaire alors que celui-ci contournait Yohan. Un sourire bienveillant illumina le visage du Conseiller. Il se leva pour étreindre Rolland.
— Rolland, cher ami, comment vas-tu ?
— Plutôt bien. Et vous ?
— Oh, du mieux que je peux. Je ne m'attendais pas à te retrouver avec des Miliciens. Surtout après le départ de Karen.
Rolland haussa un sourcil et son regard se ternit. Il secoua la tête, ne voulant pas s'engager sur cette pente. Dans les tréfonds de ma mémoire, je me souvins que Karen était le nom de son ex-femme.
— Il faut parfois faire des concessions, conclut simplement le millionnaire. Mais ce n'est pas pour parler de cette trahison-là que je vous ai demandé de venir.
Il s'assit à côté de Devyan et fit signe au Président de l'imiter. Thussvor lança un regard entendu à Rolland. Il savait visiblement que le millionnaire et le Président étaient proches. J'aurais pu m'en étonner, mais venant de Rolland plus rien ne me surprenait. Le cinquantenaire nous avait prouvé à plusieurs reprises qu'il avait des contacts et Thussvor savait tout en ce qui concernait son compagnon d'un instant. Les deux hommes avaient comploté dans notre dos pour boucler cette affaire. J'aurais pu me sentir trahi par ces messes basses, pourtant je n'éprouvai qu'un profond soulagement. Mes épaules n'auraient pas pu supporter une telle responsabilité.
— Alors, de quoi vouliez-vous m'entretenir ? commença le Président.
Thussvor nous lança un dernier regard avant de reporter son attention sur le Conseiller Oltenier. Les jambes croisées avec élégance, il fit signe à Oltenier de prendre le dossier devant lui.
— Il y a quelques temps, mes agents m'ont fait remonter des éléments préoccupants. Des pierres mélangeaient deux types de magies. Vous trouverez des images à la page treize.
Une ride d'inquiétude barra le front du Président. Ses yeux analysaient les images des quatre pierres bipolaires. La mienne était séparée des trois autres. Mon cœur s'accéléra sans que je ne puisse rien y faire.
— Le patient 1, Rodrigue Page, est malheureusement décédé. La patiente 2, Milie Parollère est à l'hôpital en surveillance. Le patient 3 a disparu.
— Je suis le patient 4, déclara Rolland.
Le Président haussa un sourcil surpris. Le soulagement m'envahit tandis que Devyan passait sous silence mon identité. Même si le Président m'inspirait plus confiance qu'Alterswarse, je ne voulais pas attirer l'attention et me remettre en danger.
— Après plusieurs investigations, nous avons compris qu'il y avait deux sortes de pierres bipolaires. Celle du patient 3 était durable dans le temps et résultait d'injections répétées de cellules souches d'une magie précise. Malheureusement, elle produisait des anticorps contre la magie blanche. Une antidote est en cours d'élaboration.
— Le deuxième type apparaît suite à des injections répétées de débris d'une pierre. La bipolarité ne tient pas dans le temps, elle s'estompe dès que les injections sont arrêtées. La résistance à la magie blanche diminue à mesure que la bipolarité s'efface. Des effets secondaires plus au moins importants apparaissent lorsque le sevrage au produit est initié, compléta Rolland.
À mesure qu'ils avançaient les éléments, l'inquiétude perçait dans les yeux du Président. Il feuilletait les pages avec précaution.
— Avez-vous fait remonter ces éléments au Conseiller Alterswarse puisque c'est lui qui gère les problématiques Miliciennes ?
— Nous l'avons contacté à plusieurs reprises, mais les preuves avancées n'étaient pas suffisantes. Nous avons appris plus tard qu'il était le commanditaire de ces expérimentations.
Le Président écarquilla les yeux. Son visage reflétait sa stupéfaction. Il ne dit cependant rien et enjoignit Thussvor à poursuivre.
— Le Conseiller tenait un journal de bord. Il y relate tous les faits depuis presque cinquante ans. Il y explique ses motivations et les moyens mis en place pour atteindre son objectif.
— Il y a quarante ans, il a adopté un enfant de dix ans. Il l'a élevé à l'écart de sa propre famille et a utilisé le nom de son frère ainé décédé, Vincent de Laroncière. L'enfant a grandi dans une atmosphère de fanatisme qui visait à confirmer la théorie que les Anciens Écrits se trompaient. Le Conseiller Alterswarse était persuadé que ces Écrits étaient faux et qu'ils visaient à maintenir les magiciens dans une sorte d'ignorance. Il était intimement convaincu que si dix magies existaient, c'était pour être réunies, avança Rolland.
— Lorsque son fils fut en âge de l'aider et de prendre ses responsabilités, il fit construire un laboratoire. Il y engagea un scientifique qu'il connaissait bien et qui partageait son idéal. Alterswarse laissa ce scientifique construire son équipe et débuter ses expériences.
Thussvor ne me lança aucun regard, se contentant de regarder le Président qui pâlissait à mesure du récit.
— Le scientifique connaissait un couple prêt à « louer » leur enfant pour les expériences, ils avaient besoin d'argent. Les injections ont commencé lorsqu'il avait une année. Il s'agit du patient 3.
Ma gorge se serra à l'évocation de mes parents. Et même si je comprenais leurs raisons, j'éprouvais un désagréable sentiment de déception et d'abandon. Carlyle saisit mes doigts et m'adressa un sourire tendre.
— Avant de commencer ses recherches, le scientifique a fixé une dernière condition ; révéler ses méthodes uniquement lorsque les dix magies seraient réunies. Il voulait fournir le meilleur travail possible et ne pas donner de faux espoirs durant son travail. Alterswarse n'y voyait pas d'inconvénients, il a donné son feu vert. Les expérimentations ont duré près de quinze ans, continua Devyan.
Il désigna l'image qui représentait ma pierre.
— Le cobaye a pu s'échapper avant que d'autres types de magie ne lui soient implantés. Le laboratoire a pris feu et toutes les informations concernant ce premier type de bipolarité a disparu. Le scientifique n'avait pas transmis son savoir au Conseiller, si bien que pendant près de neuf ans, il dut recommencer lui-même les recherches. Pour éviter que les parents du cobaye ne révèlent ce qui se passait, il les fit discrètement éliminer par son fils.
Un nœud étreignit ma gorge à l'évocation de leur mort. Le Président hocha de la tête avec compréhension. Thussvor continua ses explications, reprenant les éléments par chronologie. Il ne s'attarda pas sur les violences conjugales que j'avais vécues, il les évoqua simplement.
— Il y a une année, le Conseiller a décidé de reprendre ses expérimentations car il pensait avoir trouvé une manière de rendre la magie bipolaire. Son fils a alors contacté Duncan Swayer. Celui-ci remplissait le profil idéal.
— C'est Duncan qui m'a contacté pour participer à ce projet pilote. Initialement, je ne savais pas qu'il projetait avec le Conseiller et son fils de faire muter la magie. Il m'a vendu un projet pilote consistant à faire disparaître la corruption. J'ai accepté de prêter ma pierre et ma clinique sans savoir que tout ceci se finirait ainsi.
Rolland secoua la tête, l'air contrarié. Je retins un haussement de sourcil. Quel comédien. Il savait très bien à quoi il s'engageait en acceptant l'accord de Duncan. Devyan semblait penser la même chose vu les bribes de pensées que je saisissais. Il ne releva pas le semi-mensonge du millionnaire et continua d'exposer le plan d'Alterswarse. Le Président secoua de la tête en comprenant que Duncan avait accepté ce projet foireux par vengeance. Thussvor lui explicita le déroulé de notre enquête et comment nous étions parvenus avec l'aide de Rolland à prouver la culpabilité de Duncan et d'Alres. Les paupières du Président papillotèrent alors que Devyan expliquait comment nous nous étions infiltrés dans le club pour confondre Duncan et lui soutirer des cellules souches. Il pâlit lorsque Rolland lui confia l'agression de Devyan après l'entretien avec Alterswarse. Un long frisson nous agita au souvenir du sang qui sortait à gros bouillons de son abdomen.
— Et qu'est devenu le Conseiller Alterswarse ? osa demander le Président.
— Il est malheureusement décédé. Nous sommes arrivés trop tard pour le sauver, déplora Devyan en secouant la tête. Il s'était inoculé son produit final.
— Je vois.
Le Président lança un regard désolé à Devyan et à Rolland. Il lissa sa moustache du pouce et de l'index.
— Qu'est-il advenu du premier cobaye ?
— Il a disparu après la mort du Conseiller, affirma Devyan.
Le Président approuva d'un hochement de tête. Il dévisagea Thussvor avec attention. Notre chef ne baissa pas les yeux. Voyant que le Conseiller ne disait rien, il lui tendit le carnet.
— Toutes les informations sont réunies là-dedans. Le dossier que je vous ai remis contient toutes nos investigations et les preuves à l'encontre des différents intervenants.
— Qu'attendez-vous de moi ?
— Que vous concluiez cette affaire en toute discrétion. Les sanctions dépassent mes compétences.
Oltenier saisit le journal de bord ainsi que le dossier. Il soupira et se carra contre le dossier du canapé. Une ride anxieuse barrait toujours son front et ses yeux avaient perdu cette étincelle sympathique.
— Très bien. Je me chargerai de cela.
— Je vous remercie.
Devyan inclina la tête et un bref soulagement passa dans ses prunelles grises.
— Je vous ferai parvenir ma décision une fois que j'aurais étudié ceci. En revanche, un problème se pose.
Thussvor haussa un sourcil. Cela ne faisait visiblement pas partie de ses plans. Rolland croisa les jambes et son pied effleura celui de Devyan. Un discret signe de soutien. Le Conseiller posa une main nerveuse sur sa cuisse.
— Le poste du Conseiller Alterswarse est désormais vacant. Vu tout ce que vous m'avez décrit, il serait sensé de maquiller sa mort. En revanche, qui prendrait sa place au Conseil ?
Devyan échangea un regard avec nous avant de reporter son attention sur Rolland. Une étincelle différente brillait dans les yeux du millionnaire.
— Hector, je sais très bien pourquoi vous abordez ce sujet, s'agaça le cinquantenaire.
— Toutes les planètes sont alignées, Rolland. Tu ne peux pas passer à côté de cette opportunité !
— Je ne veux pas de cette place au Conseil !
Devyan se redressa comme piqué par une abeille. Il dévisagea le millionnaire qui évitait sciemment de regarder le Milicien. Encore des choses que Rolland nous avait cachées.
— Le Conseiller de magie brune transmettra son poste à un magicien bleu d'ici la fin de l'année. Alterswarse étant mort et de la magie bleue, il faudra un magicien de terre pour le remplacer, avança Oltenier.
— Vous avoir au Conseil serait un avantage non négligeable pour les Milices. Si d'autres problèmes de ce genre se présentaient, vous en seriez déjà informé et sauriez comment gérer cette affaire en toute discrétion. Cela permettrait de nous couvrir et de protéger les magiciens, affirma Thussvor.
— Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi !
Oltenier échangea un regard entendu avec Thussvor, ravi d'avoir trouvé un soutien dans cette lutte. Sous notre regard médusé, Devyan fit une moue boudeuse à Rolland.
— Vous seriez d'un grand soutien pour les Milices. Nous pouvons tous retirer des avantages de cette collaboration.
Rolland haussa un sourcil alors que Devyan sortait un document de la poche de sa veste. Le millionnaire plissa les yeux avec méfiance tout en dépliant le papier.
— Acceptez ce poste au Conseil et vous retirez tous les avantages d'une collaboration avec la Milice.
Le millionnaire contempla un instant le document, cligna des yeux, dévisagea Devyan qui lui adressait un sourire que je ne parvenais pas à décrire, avant de reporter son attention sur Oltenier.
— Très bien. Où dois-je signer ?
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