Chapitre 45 - Carlyle
Fred se précipita vers moi et m'aida à m'asseoir. Je toussai, les poumons en feu à cause de la poussière et de la douleur. Yohan se tenait à côté de Devyan. Le magicien vert avait réussi à se redresser. Lorsque le magicien blanc voulut le guérir, Thussvor l'arrêta d'un geste de main.
— Il y a plus grave à gérer. Emmène ces magiciens à la clinique.
— Monsieur ne sera pas content de vous savoir blessé.
— Il s'en remettra. Fred ?
L'interpellé se redressa tout en me tenant par l'épaule. Il lança un petit regard inquiet à Yohan.
— Emmène Alres avec toi et confie-le à Rolland, il saura quoi faire.
Fred n'osa pas protester. Avec l'aide de Yohan, il attacha les poignets et les chevilles d'Alres avant de le soulever sur son épaule. L'homme de main prit le magicien évanouit dans ses bras et ordonna d'une voix douce aux deux autres de le suivre. Il nous lança un dernier regard avant de s'éclipser.
Profitant de ce répit, je laissai ma magie glisser le long de mon corps. L'énergie que j'avais utilisée pour immobiliser Alres avait également agi sur mes blessures les plus graves. Les autres pourraient attendre. Encore étourdi par la confrontation, je me sentais perdu.
— Va retrouver Brooklyn, finit par ordonner Devyan.
— Et toi ? Tu ne veux pas que je soigne ta brûlure ?
— On n'a pas le temps. Même si Duncan et Alres sont hors d'état de nuire, il reste leur commanditaire. On n'est pas en état de l'affronter s'il se pointe.
À court d'argument, je hochai de la tête. Thussvor clopina jusqu'à la porte. Je le suivis d'un pas vacillant. Le blanc des couloirs ne m'aidait pas. Tout semblait identique, cela décuplait mes vertiges.
Thussvor s'arrêta devant une porte qui ne nécessitait pas de badge.
— Cette pièce a servi à préparer les injections. Je me charge d'y prélever des échantillons.
Comprenant que je devais avancer, je l'abandonnai et poursuivis mon chemin. Les pièces se succédèrent jusqu'à ce que j'arrive au bout du couloir. Comme la salle où nous nous étions battus, elle ne comprenait pas de code ou de badge. Titubant, je parvins à passer la main devant le rectangle. Il devint vert et la porte coulissa dans un chuintement. Comme pour le reste, le blanc avait été privilégié. La couleur claire m'éblouit, l'odeur du désinfectant me brûla les narines. La pièce était presque vide. Une armoire contenait du matériel médical. Une autre, verrouillée par un digicode, était remplie de fioles de différents produits. À côté d'une porte métallique, un plan de travail et des poubelles comblaient l'espace.
Je ne perdis pas plus de temps et ouvris la porte métallique. Elle s'ouvrit sans problème. La sécurité des lieux n'était visiblement pas une priorité. L'odeur du gel hydroalcoolique mêlée à la peur me serra la gorge. J'eus l'impression d'entrer dans une salle d'autopsie. Un insidieux malaise me picota la nuque alors que je me revoyais, des années auparavant, avancer dans les locaux de la médecine légale pour identifier le corps de ma sœur. Sans je ne puisse lutter, les larmes me montèrent aux yeux. J'inspirai longuement et soufflai.
Une table en acier trônait au centre de la pièce. Je sentis mon cœur s'accélérer et mon ventre se tordre. Les longs cheveux rouges glissaient sur le côté de la table, dégoulinant telle une traînée de sang. Des sangles en cuir maintenaient ses poignets et ses chevilles sans le blesser. Ses yeux fixaient le plafond, vidés de vie et de sens.
Nauséeux, je me précipitai vers lui. Je percutai un charriot qui se renversa. Le matériel stérile heurta le sol avec fracas. Brooklyn sursauta, la peur emplit ses yeux. Il ferma les paupières pour échappa à la réalité. Ma poitrine se serra de le voir ainsi. Je ne perdis pas une seconde. Les doigts tremblants, je délaçai le bandeau que mordaient ses dents. J'effleurai sa joue avant de défaire les sangles. Le cuir tomba sur le sol dans un bruit mat. Brooklyn ouvrit les yeux lorsque la première attache céda.
Les larmes roulèrent sur ses joues. Il essuya ses yeux de la paume alors que je finissais de le détacher. Avec douceur, je l'aidai à s'asseoir au bord de la table. Il tremblait et tendit les bras. Comprenant sa demande muette, je m'approchai pour le serrer contre mon torse. Ses pleures redoublèrent alors qu'il enfouissait son visage dans mon cou. Je frissonnai lorsque les larmes salées glissèrent contre ma peau et mouillèrent mon col. Je renforçai ma prise dans son dos et caressai ses cheveux. J'inspirai son parfum, il était imprégné par la peur. À part le pansement compressif dans son coude gauche, il ne semblait pas blessé.
— Tu es venu me chercher, murmura-t-il.
Sa voix était rauque et emplie de sanglots. Je le serrai plus fort. Doucement, je m'écartai et lui tapotai le haut du crâne avec tendresse. Ma paume se posa sur joue et il y appuya sa pommette. Une larme glissa entre mes doigts.
— Toujours. Je viendrai toujours te chercher, Brooklyn.
Un spasme traversa la Bloody Mary alors qu'il sanglotait contre mon épaule. J'essuyais ses joues de la pulpe du pouce et l'embrassai sur le front. J'aurais voulu le serrer plus longtemps contre moi, mais le temps était compté. Ni lui ni moi ne pourrions combattre le commanditaire s'il venait à entrer dans la pièce. Flattant une dernière fois ses cheveux avec toute la douceur dont j'étais capable, je lui demandai :
— Peux-tu marcher ?
Il hocha de la tête, mais ses jambes se dérobèrent lorsqu'il se leva. Je le rattrapai maladroitement et le hissai dans mes bras. D'ordinaire, il ne semblait rien peser. À cause de mes blessures, il me fallut toute ma concentration pour ne pas le lâcher.
Sans un seul regard en arrière, je sortis de la salle et retrouvai Thussvor au bout du couloir. Le magicien vert inspecta Brooklyn d'un coup d'œil avant de nous guider jusqu'à la sortie. Je fus soulagé de déposer la Bloody Mary dans le véhicule.
— Es-tu sûr de pouvoir conduire dans ton état ? m'inquiétai-je.
— Je n'utilise que la jambe droite, répliqua mon chef en haussant les épaules.
Il avait entouré la gauche dans une bande trouvée dans la salle d'échantillon. Il ne perdit pas une seconde et se mit au volant. Comment pouvait-il être si concentré après de telles blessures ? Assis à l'arrière du véhicule, Brooklyn couché contre mon épaule, je luttais pour ne pas succomber à mon inconscient. Par automatisme, je caressais les cheveux de la Bloody Mary pour l'apaiser. Je ne rêvais que d'une chose ; me coucher en le serrant dans mes bras et oublier toute cette affaire.
Thussvor manqua d'emboutir la luxueuse voiture de Rolland en se parquant. Le crissement des freins dans le gravier me tira de mon état de somnolence. Du mieux que je pouvais, je fis sortir Brooklyn de la voiture. Il tituba un instant, mais parvint à rester debout. Le tenant par la taille, je nous fis avancer jusqu'au confortable canapé de Rolland. J'y assis mon compagnon et lui embrassai à nouveau le front. Mon cœur fut définitivement soulagé lorsqu'il m'adressa un petit sourire avant de se lover dans les coussins. J'avais eu si peur pour lui que je ne réalisais pas encore qu'il était sauf.
Yohan arriva quelques minutes après nous. Il jeta un coup d'œil à Brooklyn, avant de reporter son attention sur Devyan.
— Les trois magiciens ont été pris en charge. J'ai placé des micros dans les chambres. Personne à part nous n'est autorisé à y entrer. J'ai sélectionné le personnel soignant responsable des soins, ce seront les seules personnes à côtoyer les victimes.
Thussvor hocha de la tête, appréciant le sens du détail et du devoir de Yohan. L'homme de main allait ajouter quelque chose lorsque Fred et Rolland entrèrent. Notre collègue vint tout de suite à côté de Brooklyn et me questionna du regard. J'acquiesçai brièvement, lui signifiant qu'il allait bien. Rolland nous examina le temps de décréter que nous étions saufs avant de reporter son attention sur Devyan. Ses prunelles s'obscurcirent alors qu'il avisait le bandage sur sa cuisse.
Ses doigts caressèrent sa propre gorge sur laquelle trônaient des traces rougeâtres. Il me sembla discerner la marque typique d'un étranglement avec la magie de l'air. Alres avait-il essayé de l'asphyxier ? Cela expliquerait pourquoi le magicien gris était intervenu dans le laboratoire alors que Rolland devait le retenir. S'il était passé à un cheveux de la tombe, je me doutais bien qu'il avait fait son possible pour nous faire gagner du temps. Ses pupilles dilatées et sa voix rauque prouvaient le choc de cette rencontre.
Devyan le dévisagea un instant avant de s'approcher du cinquantenaire. Ses doigts caressèrent la peau abimée, ce qui fit tressaillir Rolland. Il attrapa le poignet de Devyan et le maintint à distance de sa gorge. Ils échangèrent un regard entendu avant que notre chef ne demande :
— Ne deviez-vous pas tenir Alres à distance ? Que s'est-il passé ?
— Il a compris que je tentais de l'éloigner intentionnellement de toi. Il s'était renseigné après notre soirée et savait que tu étais Milicien Chef. Ça ne lui a pris que quelques secondes pour faire le lien avec Brooklyn et comprendre que je n'étais pas de son côté.
Il haussa les épaules avant de masser légèrement son cou. Après avoir compris que Rolland le maintenait loin du club intentionnellement, Alres l'avait obligé à sortir du restaurant et avait usé de sa magie. Il avait étranglé Rolland, bien décidé à le tuer. Le millionnaire avait réussi à utiliser sa magie pour ouvrir une faille dans le sol, alertant ainsi les gens aux alentours. Alres avait filé afin de ne pas attirer l'attention lorsque des badauds s'étaient précipités. Rolland avait perdu connaissance un instant. Le temps qu'il ne reprenne ses esprits et appelle Yohan, son soi-disant meilleur ami nous avait retrouvés.
Rolland haussa les épaules, gêné de ce qui s'était produit. Il n'avait visiblement pas anticipé la réaction d'Alres comme il l'aurait souhaité. Pourtant, une vague de soulagement m'envahit. Rolland ne nous avait pas trahis et avait fait son possible pour nous protéger. Devyan avait eu raison de lui faire confiance. Le cinquantenaire balaya cette tension de la main et la reporta sur notre chef.
— Alres est au sous-sol, il n'a pas encore repris connaissance. Il n'a aucun moyen de communiquer avec Duncan ou avec l'extérieur, dit-il simplement.
— Très bien. Dans ce cas, je peux interroger Duncan quant aux lettres, assura Thussvor en s'avançant.
Fred secoua la tête alors que Yohan haussait un sourcil. Brooklyn ne réagit pas, bercé par le mouvement de mes bras. Les yeux de Rolland s'enflammèrent de colère. Il fit un pas en direction de Devyan et lui attrapa le poignet.
— Hors de question que tu les interroges maintenant. Tu es blessé, gronda-t-il.
— Peu importe, je tiens encore debout.
— Babydoll, laisse-toi soigner avant que je ne perde patience.
La voix de Rolland était si sévère que Fred tressaillit, même Yohan baissa les yeux alors que cette colère ne lui était pas adressée. Je resserrai ma prise sur les épaules de Brooklyn alors que Thussvor levait les yeux au ciel. Sous cette attitude désinvolte, je pressentais que Devyan tentait d'échapper aux soins ; guérir des brûlures avec la magie blanche était particulièrement douloureux. Son regard laissait sous-entendre qu'il n'avait aucune envie de subir cette torture et préférait souffrir le martyr sans soins.
En revanche, Rolland ne l'entendait pas de cette oreille. Si Devyan réussit à échapper à la poigne du cinquantenaire et à se diriger vers la porte, il ne fit que quelques pas. Rolland le rejoignit. Il saisit le Milicien par la taille et le hissa sur son épaule. Thussvor ne prit pas la peine de gesticuler et se contenta de taper les muscles dorsaux avec hargne.
— Posez-moi tout de suite !
— Sûrement pas. Tu vas être gentil et obéir !
Sous notre regard médusé, Rolland claqua la fesse de Devyan du plat de la main. Le bruit se répercuta dans la pièce. Je sentis mes joues s'empourprer lorsqu'un souvenir en particulier me revint à l'esprit. Je secouai la tête pour le chasser.
Non sans douceur, Rolland déposa Devyan sur le canapé et commença à ôter le bandage. Il appela Yohan d'un mouvement de la main. Le garde du corps s'avança dans un mouvement mécanique. Thussvor tenta d'éloigner les mains de Rolland qui déchiraient le tissu pour donner un meilleur accès à la plaie. Le millionnaire lui tapa sur les doigts et lui lança un regard désapprobateur.
— Je ne me répéterai pas, Babydoll. Laisse-toi faire ou...
— Ou quoi ? Que comptez-vous faire si je n'obéis pas ? provoqua Devyan.
Je m'étonnai que Rolland ne l'ait pas encore giflé. Il inspira un grand coup avant de plaquer Devyan d'une main contre le dossier du canapé. Son regard sévère le crucifia sur place, mais le Milicien ne semblait pas impressionné, bien au contraire.
— Tu as signé un contrat, Babydoll. Et celui-ci stipule que tu me dois obéissance. Crois-moi, tu ne veux pas faire face aux conséquences maintenant.
Devyan serra les dents, mais ne répliqua pas. Il cessa de lutter et se laissa aller dans les coussins. Ses yeux gris fusillaient Rolland qui lui adressa un sourire entendu. Yohan chercha l'approbation de son patron avant de couvrir la plaie de ses mains gantées de latex. Le halo blanc les illumina et la magie opéra. Il fallut de longues minutes pour reconstruire les tissus. De longues minutes pendant lesquelles Thussvor resta stoïque, seulement trahi par sa mâchoire crispée. Rolland avait enveloppé les épaules du Milicien et le couvait d'un regard tendre, mais empli d'inquiétude.
Lorsque Yohan se redressa, Fred vint poser sa main sur son deltoïde et le remercia. Ils avaient passé beaucoup de temps ensemble sur l'antidote et une certaine complicité avait fini par se créer. Toujours en berçant Brooklyn qui avait fermé les yeux, je dévisageais Devyan qui échappait à la prise de Rolland.
— Où crois-tu aller comme ça, Babydoll ?
— Interroger Duncan. Ma plaie est guérie, non ?
Rolland écarquilla les yeux de surprise avant d'éclater de rire. Un rire ironique qui laissait entendre son mécontentement. Je me sentis très las. Comment Thussvor pouvait-il encore penser à travailler ? Nous étions tous fatigués et éprouvés par les derniers événements. M'était d'avis que l'on ne tirerait rien de moi tant que je n'aurais pas dormi. Brooklyn sembla partager mon avis. Il devait se reposer et se remettre des épreuves par lesquelles il était passées. Devyan se tourna vers moi.
— Rentrez vous reposer. On reprendra les investigations demain matin. Vous deux aussi, précisa-t-il à Yohan et Fred.
Rolland se mordit la lèvre inférieure de rage, comprenant que Devyan comptait avancer seul pour que nous puissions nous reposer. J'étais reconnaissant de la bienveillance que notre chef nous portait, mais j'aurais souhaité qu'il se préoccupe de lui également. La journée avait été difficile pour lui aussi.
— Je crois que tu n'as pas compris, Babydoll. Tu vas monter te doucher et ensuite tu iras te coucher. Et ne pense même pas à protester, gronda Rolland en voyant que Devyan ouvrait la bouche.
Il se tourna vers Yohan.
— Tu as quartier libre pour ce soir.
— Merci, Monsieur.
Fred adressa un sourire timide à l'homme de main avant d'aider Brooklyn à se lever. Je le soutins. La Bloody Mary tombait de sommeil, il avait grand besoin de dormir en sécurité.
— Je vous ramène, proposa Fred.
J'acquiesçai silencieusement du menton, trop fatigué pour articuler mes pensées. Brooklyn dans les bras, je saluai Rolland et Devyan d'un hochement de tête. Fred murmura quelques mots à Yohan avant de me rejoindre.
Dans le reflet des vitres, je vis Rolland pousser Devyan vers l'escalier. Voir mon chef se plier aux ordres de quelqu'un d'autre m'arracha un petit sourire. D'habitude, c'était lui qui les donnait.
— Va à l'étage et gare à tes fesses si j'apprends que tu as fait autre chose que te doucher, Babydoll.
Fred me fit presser le pas, peu désireux de savoir ce qui allait se passer. Aucun de nous ne voulait assister aux promesses de Rolland.
Brooklyn se pelotonna contre moi alors que je finissais de m'attacher. L'esprit fatigué, je me laissai emporter par mes émotions encore trop vives et resserrai mes bras autour de mon compagnon.
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