Chapitre 37 - Brooklyn
⚠️ violences conjugales
Ma terreur était si intense qu'elle m'anesthésiait. Mon corps tremblait, je m'en rendais à peine compte. Mon sang bruissait dans mes oreilles, je ne l'entendais pas. Mes sanglots, à peine contenus, bloquaient ma respiration, je ne le sentais pas. Je ne voyais que ces prunelles adamantines. La rancœur les rendait si sévères que ma peur grossissait. Je tremblais sans pouvoir me contrôler.
L'habitacle de la luxueuse voiture était tiède, confortable. Pourtant, je me sentais glacé, transis de froid. Il m'avait retrouvé. Ce fut la seule pensée cohérente que je parvins à aligner. Trois ans. Il lui avait fallu trois ans. Sa détermination fit déborder les larmes que je retenais désespérément. Pourquoi avait-il fallu qu'il me retrouve ?
— Ça ne te servira à rien de pleurer, Princesse.
Sa voix était calme. Trop calme. Et si avec Rolland j'aurais protesté avec véhémence, avec Alres je ne fis que me recroqueviller sur le siège. Un soupir agacé lui échappa. La voiture s'arrêta à un feu rouge. Il se tourna vers moi et la pulpe de ses doigts essuya mes joues. Je frémis d'appréhension. Je fermai les paupières pour ne pas affronter la colère que je lisais dans les prunelles grises. Son toucher aurait pu être délicat, mais je sentis la retenue qui empêchait sa violence d'exploser. Il y avait quelque chose de terriblement cruel dans ce toucher empli de douceur.
Mon corps et mon esprit avaient suffisamment éprouvé sa rage pour savoir qu'il ne m'offrait qu'un bref répit avant de me brutaliser. Même si j'essayais de tenir le passé à distance, il revenait sans cesse me tourmenter. Les tortures d'Alres me paraissaient infinies, chacune plus douloureuse que la précédente. Mes larmes redoublèrent et j'apposai mes doigts sur mes lèvres pour contenir le sanglot qui m'échappait. Alres posa sa main sur ma cuisse et je détournai la tête alors que la voiture démarrait silencieusement.
— À quoi pensais-tu en t'enfuyant ?
Je gardais le silence, mordant mon doigt pour contenir la souffrance psychologique qu'engendrait cette voix douceâtre.
— Pensais-tu vraiment que tu pourrais m'échapper, petite putain ? Je te l'ai dit. Tant que je serai en vie, je te retrouverai où que tu ailles.
— Pourquoi ? murmurai-je. Pourquoi tiens-tu tant à me faire souffrir ?
— Parce que tu m'appartiens. Si tu te comportais correctement, je n'aurais pas à te faire souffrir.
Les larmes coulèrent à nouveau. Leur sel se mêla au goût métallique du sang. Je m'étais mordu la langue en tombant dans les escaliers. La respiration encombrée, j'inspirai l'odeur familière qui régnait dans l'habitacle. Un mélange de cannelle et d'une autre épice que je n'avais jamais pu identifier. Un parfum que j'aurais aimé ne plus jamais sentir.
Alres gara la voiture dans le parking sous-terrain d'un hôtel de luxe. L'appréhension glaça ma poitrine alors qu'il sortait pour venir ouvrir ma portière. Celle-ci s'ouvrit dans un petit déclic, mes tremblements s'accentuèrent. À travers les larmes, je vis Alres me tendre la main pour m'aider à sortir.
Des bruits de pas annoncèrent l'arrivée de quelqu'un. Alres garda son calme. Il entoura mes épaules de sa veste, masquant ma robe déchirée. Il adressa un charmant sourire à l'inconnu et saisit ma main pour me tirer à l'extérieur. Je manquai de chuter. Mes jambes me paraissaient en coton. Alres secoua la tête et m'agrippa par la taille. Un frisson dégoûté me fit tressaillir. Malgré moi, je tentai de lui échapper. Sa prise se durcit et son regard sévère me fit déglutir.
— Cesse tes simagrées, Princesse.
S'il ne me tenait pas par la taille, peut-être aurais-je tenté une fuite désespérée. Pourtant, je savais que je n'aurais pas atteint l'entrée du parking. Pas avec ces talons. Alres était bien plus rapide et je n'aurais fait qu'aggraver mon cas.
Mon ex me lança un dernier regard avant de me guider au travers du parking. Tout le décor me paraissait flou à travers de mes larmes. L'ascenseur placardé de miroirs me renvoyait mon image apeurée. Je ne me reconnaissais pas. Ou plutôt, je revoyais mon misérable moi. Toute mon attitude aspirait à la soumission, à l'abandon face à plus fort que soi.
Alres me prit par la main et me tira hors de l'ascenseur alors que les portes s'ouvraient. Il me guida dans le couloir. Le sol recouvert d'un tapis de velours rouge absorbait le bruit de mes talons. Alres déverrouilla la chambre avec une carte magnétique. Il me poussa à l'intérieur sans ménagement. Je manquai de me tordre une cheville.
Un lit deux places trônait au centre de la pièce. La literie était propre et immaculée. Le lustre projetait de jolies taches blanches sur le sol. Le même tapis rouge ornait le parquet. Une porte attenante donnait sur une salle d'eau luxueuse. Alres n'avait pas pris le temps de défaire sa valise. Seul le peignoir offert par l'hôtel trônait sur un confortable fauteuil en cuir. Tremblant au milieu de la pièce, je fermai les yeux pour ne pas apercevoir mon reflet dans le miroir au dessus du lit. La main d'Alres caressa délicatement mon épaule. Un frisson d'appréhension me secoua.
— Pourquoi trembles-tu ainsi, Princesse ? chuchota-t-il à mon oreille.
Les larmes coulèrent à nouveau sur mes joues alors que son souffle chaud caressait ma gorge. Sa tendresse avait quelque chose de menaçant, de cruelle. Ce n'était pas celle de Carlyle, réconfortante et apaisante. Carlyle. Ce fut mon uniquement soulagement ; le savoir en sécurité. Alres pensait que j'étais immaculé du contact de mon trentenaire, qu'il n'y avait eu aucun rapport intime entre nous. Et tant qu'Alres croirait cette version, Carlyle serait en sécurité.
Je frissonnai lorsque les doigts d'Alres effleurèrent ma nuque. Inconsciemment, je tentai de me soustraire à ce contact. Sa paume se referma sur mon épaule et il me fit pivoter. Il me détailla longuement, caressa mon visage de la pulpe de l'index. Je tressaillis, fermai les yeux pour échapper au feu de ses prunelles grises. Il releva mon menton de son majeur.
— Regarde-moi, Princesse.
J'ouvris les yeux avec réticence. D'autres larmes franchirent la barrière qu'avaient momentanément crée mes paupières. Alres m'observait à nouveau avec attention. Son regard sévère ne me laissait aucune chance.
— Pourquoi t'es-tu enfui ? Dis-moi, pourquoi ?
Ses doigts tenaient ma mâchoire avec force. Mes pleurs silencieux redoublèrent. Et cela sembla accroître la colère d'Alres.
— Oh non, Princesse. Tu n'as pas le droit de pleurer, pas après m'avoir brisé le cœur. Pas après avoir fait souffrir tant de gens.
J'aurais aimé lui cracher mon venin. Lui dire qu'il m'avait brisé le cœur en premier. Qu'il était responsable de tous mes traumatismes. Que je le détestais. Que j'aurais voulu ne jamais le revoir. Aucun de ces mots ne furent prononcés. Toute ma rancune resta coincée dans ma gorge. Mais si je ne parvins à prononcer aucune parole, mes prunelles ne manquèrent pas d'exprimer tout mon ressentiment caché derrière la tourbe de peur. Et Alres n'apprécia pas ce qu'il lut dans mon regard.
Sa main me gifla avec force. Je chancelai sous le coup, manquant de tomber. Ma peau brûlait. Pourtant, cette douleur était dérisoire face à la honte qui m'assaillait. Alres haussa un sourcil et leva à nouveau la main. Je fus projeté sur le lit. Ses bagues avaient marqué mon visage et entaillé mes lèvres. Le sang glissa sur mon menton. La peur de ce qui allait suivre me paralysait. Je ne réalisais même pas mes blessures.
— Tu m'obliges toujours à en arriver à cette extrémité, Princesse, déplora-t-il en essuyant le sang qui coulait.
Son toucher était délicat. Sa voix ne l'était pas. Il me regardait toujours avec ces yeux mêlés de colère et de déception. Son visage était figé dans le marbre, insensible à mes pleurs ou à mes blessures. Je tentai de reculer sur le lit, mais il saisit ma cheville et me tira à lui. Une fureur froide brûlait dans ses prunelles adamantines.
— Déshabille-toi.
— Alres, s'il te plait... Je suis désolé. Je...
Un nouveau coup au visage me fit taire. Je crachotai du sang sur le lit. D'amères larmes rejoignirent les gouttes carmin sur le drap blanc.
— Ne m'oblige pas à me répéter, Princesse.
Un sanglot menaça de m'échapper alors que je m'exécutais. Le tissu tomba sur le sol. L'air froid couvrit ma peau de chair de poule. Mon collant noir avait filé sur la cuisse. Alres caressa l'accro du bout du doigt, insensible aux frissons de froid et de dégoût qui m'assaillaient.
— Enlève-le.
Son index déchira les mailles. Mes yeux s'écarquillèrent de peur. Mes mains tremblaient tant que je parvenais difficilement à ôter le collant. Alres soupira, saisit la bordure et tira d'un coup sec. Les coutures sautèrent dans un ignoble craquement. Il jeta ce qui en restait sur le sol. En sous-vêtement sur le lit, je regrettais de ne porter qu'un string rouge.
Alres haussa les sourcils de surprise. Il ne m'avait jamais vu avec de la lingerie fine. Ses prunelles luisirent de colère. Il se contint pourtant, se contentant d'effleurer la matière.
— Tu ne portais jamais ce genre de sous-vêtements avant. Est-ce lui qui t'a dévergondé ?
— Non ! Je... j'ai décidé de porter ça tout seul ! Je te jure !
— Bien sûr. Et tu penses que je vais te croire ?
Je me recroquevillai sur les draps, essayant de masquer mon corps. Alres se pencha en avant. Il caressa ma cuisse. Son index remonta jusqu'à ma hanche. Lorsque son doigt effleura le haut de ma fesse. Ma respiration se coupa, mes larmes redoublèrent et j'eus la force de repousser sa main.
— Pas ça... s'il te plait, Alres... tout, mais pas ça...
Je m'attendais à une autre gifle. Alres éclata de rire. Son visage reflétait une ironie certaine, un tel mépris, une telle haine que je tremblais davantage. Il mit plusieurs minutes avant de se calmer. Il fit miner d'essuyer les larmes de son hilarité. Ses prunelles n'avaient rien perdu de leur froideur, bien au contraire.
— Et tu crois, que je vais passer après lui ? Combien d'hommes t'ont baisé depuis ta fuite ?
— Aucun ! Je te jure ! Aucun ne m'a touché ! Tu es le seul.
Je me redressai prestement. À genoux sur le lit, je lui saisis la main. Je tentais de la convaincre de ma bonne foi. Alres n'était pas dupe. Il m'assena une autre gifle.
— À d'autres. Je sais qu'il t'a touché. Ne crois pas que je n'en ai pas envie, seulement ça me répugne de passer après un autre.
Il grimaça de dégoût. Il se rapprocha de moi et prit mon menton de sa poigne de fer. Ses empreintes semblaient gravées dans ma peau. Un rictus étira ses lèvres. Il me lâcha et recula d'un demi pas.
— Mon jouet a été sali, il faut le nettoyer avant de le réutiliser.
La peur me fit suffoquer alors qu'il utilisait un ton presque enfantin. Et cela reflétait bien son sadisme. Mes yeux s'écarquillèrent alors qu'il ôtait sa ceinture. Les larmes roulèrent sur ma peau. Je ne parvenais pas à bouger, seulement à observer ses mouvements. À attendre l'inévitable. À attendre la douleur et l'humiliation.
Le premier coup me cueillit sur la pommette. Projeté sur le lit, je resté figé, incapable d'émettre un gémissement. La douleur éclata dans mon dos alors qu'il me frappait à nouveau. Un cri m'échappa et déchira l'air. Ma peau brûla lorsque le cuir s'abattit sur mes côtes. Je tentai de protéger mon corps, mais Alres n'en avait cure. La ceinture cingla mes doigts. J'essayais de contenir mes pleurs et mes cris, mais je n'y parvins rapidement plus. Mes sanglots emplissaient l'air au rythme des coups.
Le sang coula sur les draps. Je ne pensai pas à l'utiliser. J'étais trop faible, trop effrayé, trop plongé dans le passé pour seulement penser à me servir de ma magie. Alres avait trop d'emprise. Ma vue se troubla, la sensation du cuir s'amenuisa. Je ne sus jamais à quel moment je glissai dans l'inconscience.
De l'eau coulait. Ce fut la première chose que j'entendis. Mes paupières papillotèrent. Je gémis alors que la douleur explosait dans tout mon corps. Le moindre mouvement était pénible et m'arrachait des larmes salées. Pourtant, cette souffrance était dérisoire face à la détresse psychologique. À nouveau, j'avais été faible. Je m'étais laissé faire, comme si cela était naturel. J'avais été paralysé par la peur. Le visage souriant de Carlyle et de Léo se dessinèrent dans mon esprit. Si je n'avais pas cédé, Alres s'en serait pris à eux. Cela soulagea un instant ma culpabilité, je les avais protégés.
La ceinture reposait sur le sol. Alres n'avait pas menti, il ne m'avait pas intimement touché. Seulement nettoyé avec du sang. Cette idée ignoble manqua de me faire vomir. L'odeur de ma propre hémoglobine me dégoûtait.
Le bruit de l'eau se fit à nouveau entendre. Alres était parti se doucher. Mon cœur s'emballa à ce constat. Il m'avait abandonné, évanoui sur le lit, pensant que je mettrais du temps à reprendre connaissance.
Malgré la douleur qui traversa mon corps, je me levai. Je descendis précipitamment du lit. Mes vêtements à moitié déchirés jonchaient le sol. Je vacillai. Tout mon corps était faible. L'adrénaline générée par la peur me maintint debout. Le peignoir trainait toujours sur le fauteuil. Je l'enfilai sans me soucier des plaies. Sans perdre une seconde, j'abandonnai toutes mes affaires et fuis. Un éclair de lucidité m'empêcha de claquer la porte. Je me mis à courir. Je ne trouvai pas les escaliers de secours. J'entrai dans l'ascenseur. Plusieurs fois, j'appuyais sur le bouton du rez-de-chaussée, priant pour que les portes se referment. Mon cœur battait si vite que je le sentais contre mon sternum. J'avais tellement peur de voir Alres apparaître au bout du couloir.
La descente me parut interminable, elle ne dura pourtant que quelques minutes. Je me précipitai hors de l'ascenseur. Mes pieds glissèrent sur le sol, je manquai de tomber. Les gens m'adressèrent des regards étonnés, presque choqués pour certains. Je devais paraître fou. Les cheveux ébouriffés, le visage marqué, le peignoir taché de sang.
Je n'entendis pas l'hôtesse m'appeler, ne vis pas les gens qui tentaient de m'arrêter. Je ne voyais qu'une seule chose : les portes de l'hôtel qui se dressaient devant moi. Je courrais jusqu'à sentir l'air sur ma peau. Il pleuvait. Les gouttelettes froides furent les bienvenues sur mon corps abimé. Je ne savais pas où j'étais. La nuit rendait le décor bien différent. Les voitures se succédaient dans la grande rue. Les lumières des immeubles illuminaient les ténèbres. Les lampadaires se reflétaient sur le béton détrempé. Les réverbères troublaient ma vue.
La peur me poussa à avancer. Je traversai la rue au pas de course, manquant de me faire renverser par une voiture. Celle-ci freina dans un crissement de pneus, m'évitant de justesse. Elle se mit à klaxonner. J'aperçus à peine l'homme me menacer de son poing. Je repartis de plus belle.
Je m'engouffrai dans une ruelle désertique, marchai sur des débris de verre. Je ne sentis pas la douleur alors qu'ils m'entaillaient la plante des pieds. Je n'avais qu'un objectif en tête. Fuir le plus loin possible d'Alres. Je voulais retrouver les bras rassurants de Carlyle, pleurer toute ma souffrance contre son torse. Retrouver la tendresse et son amour inconditionnel. Je voulais retrouver une protection et lui seul pouvait me la fournir.
Poussé par la force de ces souvenirs réconfortants, je me mis à courir plus vite. Sans réellement savoir où j'allais, je suis mon instinct qui me menait à Carlyle.
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