Chapitre 25 - Brooklyn 🌶️

La maison de Rolland était à son image : luxueuse. L'intérieur épuré offrait une impression de confort et d'apaisement. Le sol de marbre glissait sous mes talons. Les plantes donnaient un peu de couleurs dans ce coloris de blanc et de noir. Les canapés de cuir ornaient le centre de la pièce. Mon regard se promenait sur les murs crèmes. Des tableaux minimalistes les recouvraient. Certains motifs m'étaient familiers, mais je ne parvenais pas à me souvenir d'où je les avais déjà vus. Des tomettes sombres recouvraient le mur de l'escalier. Celui-ci, en verre opaque, menait au premier étage, probablement aussi luxueux que ce rez-de-chaussée.

La nuit était tombée et jetait son manteau de ténèbres sur le jardin. Au travers de l'obscurité, j'aperçus des marches de pierre descendre vers ce que je devinai comme étant une piscine naturelle. Les rayons de la lune se reflétaient sur l'eau. Je m'approchai des baies vitrées pour contempler ce paysage. Je fermai un instant les yeux et m'imaginai le bruissement du vent, l'odeur des fleurs et le clapotis des vaguelettes.

— Tu as l'air de te plaire, Beauty.

J'entendis Rolland enlever sa veste et la jeter sur l'un des canapés. Le ton mielleux de sa voix m'irrita. Je me retournai pour lui faire face. Le cinquantenaire s'était assis et ôtai tranquillement sa cravate. Il défit les premiers boutons de sa chemise, révélant sa pierre. Cet enfoiré me narguait. L'œil du tigre rayonnait sous la faible lumière du lustre design. L'hématite brillait elle aussi, mais elle avait perdu du terrain depuis la dernière fois que je l'avais aperçu. Quelque chose de bizarre se tramait avec cette pierre.

Rolland croisa les jambes et me fit signe d'avancer d'un vague signe des doigts. Je ne bougeai pas. Son regard s'obscurcit, il ne semblait pas apprécier que je lui résiste.

— Rappelle-moi ce que tu souhaitais sacrifier en échange de ma pierre ?

— Ma dignité, affirmai-je après quelques secondes.

Il se leva et s'approcha d'une démarche féline. Ses doigts se posèrent sous mon menton. Je fermai les yeux alors qu'il relevait mon visage. Sa poigne était ferme et dominante. Une grimace de dégoût manqua de m'échapper et je fermai les paupières. Tout dans ses manières me rappelait Alres. Tout comme mon ex, il me montrait qui commandait. Il me remettait à ma place : à ses pieds.

— Ouvre les yeux, Beauty.

À nouveau, je mis plusieurs secondes à réagir. Rolland me montra son exaspération en claquant sa langue contre son palais. Ses doigts serrèrent plus fort mon menton.

— Ne m'oblige pas à sévir, Beauty. Tu m'as donné ta soumission ce soir.

— Je vous ai donné ma dignité. Personne n'a dit que je devais me soumettre.

— Tu joues sur les mots.

D'un geste brusque, il me poussa sur le côté. Sur mes talons hauts, je vacillai et dus me rattraper à un fauteuil pour ne pas chuter. Le cinquantenaire était énervé et il me le faisait comprendre. Je déglutis. Peut-être n'aurais-je pas dû le provoquer ainsi. Je me redressai et ployai l'échine.

— Pardonnez-moi, Monsieur.

Il haussa un sourcil, étonné par ce revirement d'attitude. Je ne devais pas perdre de vue mon objectif : récupérer sa pierre. Ce soir, je devais mettre de côté mes traumas et m'offrir à cet homme. Alors, le regard empli de détermination, je murmurai :

— Je suis à vous ce soir.

Un sourire satisfait étira ses lèvres. Ses doigts vinrent les masquer, comme s'il ne voulait pas me montrer sa joie. J'inspirai et expirai calmement, cherchant à supprimer la honte qui me montait aux joues. Mon pouce jouait avec mon ongle, trahissant ma nervosité.

— Ce soir, tu m'appartiens. Tu obéiras à tout ce que je te demande et je n'irai pas au delà de tes limites. Si celles-ci sont dépassées, prononce le mot crème et je m'arrêterai. En revanche, tu n'auras pas ma pierre si tu viens à le dire. Est-ce clair ?

Je hochai timidement de la tête. Rolland me regardait fixement. Ce ne fut qu'après quelques minutes qu'il ordonna :

— Déshabille-toi.

Mon souffle s'amenuisa. Je déglutis. Ce n'était pas le moment de flancher. Lentement, je déboutonnai ma veste et la laissai choir sur le sol. Ma peau nue se couvrit de frissons sous l'air frais. Les yeux de Rolland me détaillèrent, s'attardant sur le strass à mon nombril et sur l'anneau à mon téton.

— Tu es percé à de nombreux endroits, Beauty.

— Cela gâche-t-il ma beauté, Monsieur ? répliquai-je avec ironie.

— Tu sais bien que non.

J'eus envie de lever les yeux au ciel. Je n'en fis rien et défis le bouton de mon pantalon.  Celui-ci, ample et fluide, glissa le long de ma taille et de mes cuisses. D'un mouvement du talon, je l'envoyai valser sur le côté. Le froid mordit mon corps dénudé et je tremblotai légèrement. L'appréhension n'y était pas étrangère. Je me sentais si vulnérable sous les yeux gorgés de plaisir de cet homme. Mon sous-vêtement ne cachait pas grand chose. Je baissai le regard, ne supportant pas le désir que je lisais dans celui de Rolland.

Le cinquantenaire vint me saisir par la main et me fit tourner sur moi-même. Raidi par l'incompréhension, je me laissai faire. Ce ne fut que lorsque sa cravate se referma sur mes poignets que je compris qu'il m'attachait les mains dans le dos. Je tentai d'échapper à sa poigne, mais il serra mon épaule avec tant de force qu'un sifflement de douleur m'échappa.

— Tiens-toi tranquille, Beauty. Il serait dommage que je doive te forcer à obéir.

La gorge nouée, la honte chevillée au corps, je cessai mes mouvements. Une nausée écœurante me submergea lorsqu'une bande de satin masqua ma vision. Précipité dans le noir, je ne pus empêcher mon agitement. La peur, tout comme les souvenirs, m'oppressait. Les gestes de Rolland me rappelaient des pratiques sexuelles que je ne voulais pas tester. Je ne voulais pas avoir mal, je ne voulais plus avoir mal.

— Dernier avertissement, Beauty.

Rassemblant toute ma volonté, je me forçai à rester immobile. Rolland était bien plus patient qu'Alres pensai-je avec ironie. L'esprit en ébullition, je sentis le cinquantenaire me contourner et s'asseoir dans le fauteuil qu'il fit pivoter. Toujours debout, je me sentis étrangement instable sur ces escarpins blancs. L'obscurité m'avait enlevé mes repères et la peur brouillait les derniers qu'il me restait. Le souffle de Rolland était la seule chose qui me raccrochait à la réalité. Tout mon corps frémit alors qu'il m'ordonnait :

— À genoux.

Cette fois-ci, je m'exécutai sans perdre une seconde. Et même si la position était humiliante, le sol glacé m'aida à garder mon sang-froid. Pourtant, la peur ne me quittait pas. Tout comme l'appréhension de ses prochaines directives. Je lui avais offert ma dignité et le cinquantenaire était visiblement décidé à me faire payer mes mensonges. Ses doigts tapotèrent le haut de mon crâne comme si j'étais un chien obéissant.

— Ouvre la bouche.

Dépité, je fis ce qu'il me demandait. Pourtant, contrairement à l'humiliation que j'attendais, Rolland ne glissa rien entre mes lèvres. Le silence avait envahi la pièce. Je ne voyais rien, n'entendais rien si ce n'était mon cœur battant et mon esprit cogitant. Je perçus à peine Rolland se lever, aller chercher quelque chose et se rasseoir. Même ma magie de pensées dormait. La honte emprisonnait ma poitrine malgré mes efforts pour la garder loin. Minable, c'était tout ce que j'étais à cet instant. Agenouillé et attaché, je n'étais qu'une chienne qui attendait ses ordres. Ridicule. Un filet de salive glissa du coin de ma bouche. L'embarras que je ressentis me fit rougir. Je fermai un instant la bouche pour déglutir.

Un sifflement trancha l'air. La douleur brusque qui scia mon trapèze me fit gémir et mon corps se crispa pour encaisser le choc. Rolland venait de m'assener un coup de cravache.

— T'ai-je dit de fermer la bouche ?

Sa voix était si sévère que je me recroquevillai sur moi-même. Mon corps tressaillit de douleur. Soumis, je ne pus que secouer la tête en signe de dénégation. Je me faisais honte. Rappelle-toi, Brooklyn, tu lui as offert ta dignité. Je devais garder mon objectif en tête. Inlassablement, je me répétai ma mission. Je me focalisai sur mon but pour tenir ma peur et mes remords éloignés.

— Ouvre la bouche. Je ne te le répéterai pas une troisième fois.

Réticent, j'obéis. La salive ne tarda pas à dévaler mon menton. Cela était si avilissant, si honteux. J'en aurais pleuré si je m'étais pas délibérément jeté dans la gueule du loup. Je devais rester fort. L'avenir de notre espèce dépendait peut-être de moi. Alors pour me redonner confiance, je me redressai et bombai le torse. Je sentis le cuir de la cravache caressa ma peau et taquiner le piercing à mon téton. Je retins un mouvement de recul. Rolland avait-il remarqué que ma propre pierre était bipolaire ? Cette pensée me glaça.

Le cuir du fauteuil chouina, preuve que Rolland avait bougé. Mon cœur ratait un battement alors qu'il me susurrait :

— Suce, Beauty.

Obscène. Un frémissement de dégoût me traversa. Comment en était-je arrivé à ça ? Et même si je n'avais pas le choix, je m'écœurais. Quelque chose frôla mes lèvres, ce qui provoqua un haut-le.cœur. Un étrange goût sucré se répandit dans ma bouche. Quelque chose d'acidulé picota ma langue et je me mis à saliver sans pouvoir l'empêcher. Je fermai mes dents sur le bâton du bonbon et le suçotai comme Rolland me l'avait ordonné. Je ne pouvais pas voir le regard du millionnaire, mais j'étais persuadé que celui-ci était emprunt d'un désir sombre.

La salive continuait de couler le long de mon menton sans que je ne puisse l'essuyer. Rolland ne me touchait pas, ne parlait pas, il me laissait dans l'expectative, admirant le mouvement de mes lèvres autour de la confiserie. Un long frisson me parcourut alors qu'il ordonnait dans un murmure :

— Avale, Beauty.

Déglutir me demanda un effort colossal. Ma pomme d'Adam semblait bloquer ma gorge, m'empêchant d'avaler correctement. Rolland retira la sucette, qui cogna contre mes dents. Le souffle court, je me sentis tomber vers l'avant. La douleur qui émana de mon épaule m'obligea à me redresser. Rolland venait de m'infliger un deuxième coup de cravache. Sa main me repoussa vers l'arrière. Des vertiges m'envahissaient, mon esprit était ivre de ces ténèbres.

— Lève-toi.

Je m'exécutai avec difficulté. Sans repère et sans mes mains, j'étais démuni. Instable sur mes escarpins, je basculai vers l'avant. Rolland me rattrapa par l'épaule. Ses doigts appuyèrent cruellement sur les marques qu'avait laissé la cravache. Sans la vue, la douleur me semblait décuplée. Un gémissement m'échappa face à la brûlure que son geste occasionna.

— Tu fais beaucoup de bruit, Beauty. Devrais-je te bâillonner ?

Un insidieux malaise m'étrangla tandis que sa main vint comprimer ma gorge. Un dernier élan de fierté manqua de protester, mais je le fis taire. Plus je me soumettrais et plus Rolland serait conciliant.

— Comme il vous plaira, soufflai-je.

Je devinai son corps près du mien et cela me faisait trembloter. Dans le bas de mon dos, je sentais le cuir de la cravache caresser ma peau. Celle-ci se couvrit de frissons, appréhendant la douleur. J'avais complètement perdu la notion du temps et plus les secondes s'égrenaient, plus je sombrais. Mon esprit semblait m'avertir ; j'arrivais au bout de ce que je pouvais tolérer, mais je ne pouvais pas dire mon safeword. Les larmes me montèrent aux yeux alors que le souffle de Rolland caressait mon oreille. L'une de ses mains glissa le long de ma colonne, s'attardant sur chacune de mes vertèbres jusqu'à envelopper ma fesse. Sa paume était chaude et possessive. Un sanglot me comprima la poitrine alors qu'il me susurrait :

— Écarte les jambes.

L'ordre, bien que clair et explicite, mit du temps à atteindre mon esprit. Je ne parvenais pas à l'exécuter. Et Rolland me punit immédiatement. Il abattit la cravache dans le creux de mes reins. Sous la douleur, je me cambrai. Les larmes m'échappèrent et roulèrent sur mes joues.

— Je t'ai demandé d'écarter les jambes, Beauty, gronda-t-il en pressant ses doigts sur la blessure.

Pleurant à chaudes larmes, je n'eus d'autres choix que d'obéir. Mes jambes tremblaient si fort que je craignais de m'effondrer. Je ne pouvais pas, je devais tenir. La peur et la honte firent redoubler mes pleurs lorsque la main de Rolland glissa le long de mon ventre. Ses doigts passèrent sous la dentelle de mon string, le faisant descendre. L'os de mon bassin fut découvert. Ma respiration devenait catastrophique alors que je sentais la pulpe de ses doigts sur mon aine. Même en sachant que ce n'était pas Alres, j'eus le sentiment que c'était lui qui me touchait. Ce n'était pas son parfum et pourtant, je ne sentais que lui. Ce n'était pas sa voix, mais je n'entendais que lui.

Un lourd sanglot déchira ma poitrine lorsque la cravache descendit sur mes fesses. Je ne pouvais pas dire mon mot de sécurité. Mes jambes me lâchèrent, je m'effondrai sur le sol.

— S'il vous plait, arrêtez, je n'en peux plus, suppliai-je.

Mes pleurs rendaient ma respiration erratique. Je n'entendais plus que mes sanglots. La cravate relâcha mes poignets et le bandeau de satin tomba sur le sol. Ma veste fut jetée sur mes épaules. Les mains engourdies et les bras douloureux, je resserrai le tissu sur moi, protégeant mon corps vulnérable. Les yeux fermés, je me perdis dans mes larmes. Mon esprit était vide, traumatisé par les souvenirs qui m'assaillaient.

Des bras musclés enserrèrent mes épaules. Les mêmes qui venaient de me maltraiter. Épuisé, je me laissai aller à cette étreinte. Imperceptiblement, je sentis les regrets de Rolland. Le cinquantenaire me berçait avec douceur. Il fredonnait un air que je ne connaissais pas, mais qui parvint à apaiser les tourments qui me torturaient. Il me fallut de longues minutes pour émerger de cet abysse. Je finis par lever les yeux sur Rolland. Ses prunelles grises exprimaient un remord palpable. Cela me décontenança. Il caressa ma joue, essuyant les larmes qui continuaient de rouler.

— Je ne pensais pas que tu t'offrirais ainsi, Beauty.

— Je... vous avais offert... ma dignité, bégayai-je.

— Certes.

J'inspirai profondément avant de m'éloigner de lui. Je ne voulais plus qu'il me touche. Mes tremblements n'avaient pas cessé et je me sentais si fragile face au regard qu'il posait sur moi. Toutes traces d'amusement ou de désir avait déserté le cinquantenaire. Il respecta néanmoins mon choix de m'écarter. Tremblotant, je rampai pour saisir mon pantalon et me rhabiller. Mes doigts maladroits eurent du mal à boutonner les vêtements.

Je passai une main tremblante sur mes joues pour enlever les traces de larmes. Ma vision peinait à s'habituer à la vive lumière. Durant de longues secondes, je pris le temps de me calmer. De retrouver mes esprits et d'ordonner mes pensées. Je reléguai mes peurs au fond de moi. L'objectif, Brooklyn, ne l'oublie pas.

— Avez-vous eu ce que vous vouliez, Monsieur ?

— Plus que ce que j'espérais.

Rolland me regardait bizarrement. Je ne parvenais pas à décrypter la lueur que je discernais dans ses pupilles. À vrai dire, cet homme était indéchiffrable. Aucun de ses actes n'avait de sens.

Le cinquantenaire porta la main à son cou et détacha la chaînette qui retenait sa pierre. Il me la tendit du bout des doigts. Avec prudence, je saisis le métal sans toucher le minéral. Je glissai le bijou dans la poche de ma veste. Rolland me fixait toujours et j'eus du mal à soutenir son regard. D'une part parce que j'avais honte de ce qui venait de se passer, d'une autre part parce qu'il me rappelait bien trop Alres.

De longues minutes passèrent sans que l'un de nous ne parle. Un dérangeant malaise se tissait dans cette atmosphère figée. Déglutissant, j'allais mettre fin à ce combat silencieux lorsqu'il prit la parole.

— Pourquoi t'infliger tout cela ?

— Vous connaissez aussi bien que moi les Anciens Écrits. La Faucheuse arrive. Je veux empêcher ça.

Rolland secoua la tête. Il ne parlait pas de ça. Un désagréable picotement s'anima dans ma nuque alors que ma magie de pensées s'éveillait. Comment peut-il s'offrir si facilement avec ce qu'il a subi ? Je ne comprends pas. Ce fut la seule pensée que je captai et elle me terrifia. Quelles informations avait-il à mon sujet ? Je reculai encore d'un pas, les jambes tremblantes. Qui était-il ? Il me connaissait bien plus qu'il ne le laissait paraître.

Je me forçai à utiliser la magie de pensées. Je ne savais pas vraiment comment l'utiliser, mais je devais au moins essayer. Je me heurtai à un mur. Le millionnaire avait barricadé son esprit.

— Que savez-vous sur votre pierre bipolaire ? Quand a-t-elle changé, dans quelles circonstances ?

Rolland haussa un sourcil. Il abordait un air hautain que je n'appréciai pas. Il ne dirait rien.

— Reviens me voir et je te donnerai peut-être d'autres informations. Tu n'es pas prêt pour ce soir, tu trembles tant, Beauty, regarde-toi.

Il avait raison. Cela me frustra. Même si cette soirée m'avait éprouvé, tant physiquement que psychiquement, je ne voulais pas rester sur ça. Rolland savait beaucoup de choses. M'était d'avis qu'il était bien plus impliqué dans cette affaire de pierres bipolaires qu'il ne le montrait.

— Dites-moi, à quel point êtes-vous impliqué dans le changement dans votre pierre, Monsieur ?

— Tu serais surpris, Beauty. La réalité n'est pas celle que tu crois. J'aidais simplement, répliqua-t-il en haussant les épaules.

— Vous aidiez ? Qui aidiez-vous ? Est-ce Duncan ?

Je me souvenais très bien de l'attitude du magicien noir avec Rolland ; il lui mangeait dans la main alors qu'il était bien plus puissant que le millionnaire. Si Rolland aidait Duncan à trafiquer la magie, il avait un moyen de pression. Peut-être faisait-il du chantage au patron du club ? Des nombreuses hypothèses fleurissaient dans mon esprit. Rolland avait ouvert - intentionnellement ? - une brèche. Il la referma aussitôt.

— Reviens me voir, et si la compensation que tu m'offres est suffisante, je te donnerai d'autres renseignements, répéta-t-il.

Je serrai les poings. Il me fit un signe de la main.

— Tu connais le chemin. Passe une bonne nuit, Beauty.

Sans un seul regard, il quitta la pièce. La colère substitua la honte. Des dizaines d'insultes me traversèrent l'esprit. Je me sentais si sale. Malgré tout, j'eus le sentiment d'avoir avancé. Il fallait que je soumette ces éléments à Carlyle, Fred et Thussvor. Ensemble, nous déciderions quoi faire.

Mon corps se mit difficilement en mouvement. La fatigue m'accablait, je n'avais pas réalisé à quel point j'avais repoussé mes limites. Tout mon être me faisait payer ce sacrifice. Il me fallait du repos et tout de suite. Pourtant, je devais rentrer et cet enfoiré de Rolland ne me raccompagnait pas. Sa maison, en retrait de Becky Halls, était éloignée de tout. Il me faudrait près de quarante minutes à pied avant de rejoindre mon domicile. Mon épuisement redoubla rien qu'à l'idée de ce long trajet.

D'un pas trainant, je traversai le hall d'entrée. Malgré l'abattement physique, mon attention fut attirée par un cadre sur le meuble près de l'entrée. Je m'approchai pour l'observer. Sur le portrait photo, je reconnus Rolland, cintré dans un smoking, tout sourire. À ses côtés, un homme du même âge le tenait pas la taille et souriait à l'objectif. Un sourire qui se voulait rayonnant mais qui cachait une personnalité perverse et violente. Ses yeux adamantins brillaient et me regardaient avec une sévérité inée. Ses prunelles ne laissaient place à aucune contestation, il était le maître et on lui obéissait. Ses cheveux noirs, laqués vers l'arrière, dégageaient son visage. Ses traits d'une beauté édifiante appelaient à la luxure, à l'abandon de soi. Il dégageait l'assurance et le charisme d'un quarantenaire mûr et rassurant. L'image d'un homme sûr de soi et aimant. Une illusion certaine. Illusion que j'avais éprouvée jusque dans ma chair.

La photo de ces deux amis comportait une unique inscription. À toi, Alres, mon meilleur ami de toujours.

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