Chapitre 2 - Carlyle

La carrelage sable de la salle d'eau m'apaisa et je me fis couler un bain pour me détendre. J'ôtai mon jeans et ma chemise, dévoilant mon corps musclé. Quelques cicatrices parsemaient ma peau, résultats de mon entrainement intense avec des types de magie agressive. Le Conseil de la Magie avait classé notre magie en dix types de magies bien distincts, toutes représentées sur le Cercle de la magie - une étoile à dix branches symbole de notre espèce. Ces types de magie avaient eux-mêmes été séparés en trois catégories : les magies agressives, regroupant la magie de sang, de feu et de foudre ; les magies pacifistes composées des magies de guérison, d'eau et de nature ; et les magies sombres cumulant les magies de la terre, de l'air, de la pensée et la nécromancie.

Ces trois catégories cohabitaient en harmonie depuis des années. Pourtant, leurs différences pouvaient créer des rivalités. Ce fut pour cette raison qu'une formation fut imposée. Dès que notre magie apparaissait, vers l'âge de quinze ans, chaque magicien devait suivre des séminaires pour apprendre à maitriser son type de magie et à se servir de son pouvoir. L'un des cours était consacré à la collaboration entre magie et des entraînements réguliers permettaient d'appréhender les capacités de chacun.

Au début de cette formation, le magicien recevait une pierre précieuse ou semi-précieuse conformément à son type de magie. Je portais une perle en pendentif autour du cou, symbole de la douce magie de guérison aussi appelée magie blanche. Brooklyn portait son rubis, symbole de la somptueuse magie du sang - magie rouge -, au téton. Cette pierre représentait notre appartenance à notre type de magie et à sa catégorie, mais permettait de canaliser la magie. En effet, celle-ci était synthétisée à partir d'une énergie crée par des cellules souches spécifiques à chaque type de magie. Notre gemme permettait de distribuer la bonne quantité d'énergie lorsque j'activais mes pouvoirs et de synthétiser la bonne quantité de magie. Cela évitait de s'épuiser ou que la magie ne devienne incontrôlable. Il était fortement déconseillé par le Conseil d'enlever sa pierre canalisatrice sous risque de succomber à la force de sa magie.

Celle-ci pouvait notamment se corrompre plus vite si elle était séparée trop longtemps de son propriétaire. On parlait de magie corrompue lorsque la magie mourrait. La matière de la pierre devenait noire et la magie incontrôlable, le bijou de régulation ne parvenait plus à faire face à cette énergie négative. Le magicien devenait fou si sa pierre ne lui était pas enlevée et nettoyée. Malheureusement chaque magie pouvait se pervertir. Les magiciens ne comprenaient pas encore bien ce mécanisme de corruption, plusieurs hypothèses existaient, notamment quant à une accumulation d'émotions négatives du possesseur. D'autres pensaient qu'il s'agissait plutôt des cellules souches qui ne parvenaient plus à fabriquer l'énergie nécessaire à la synthèse de la magie. Rien n'avait été prouvé. Des magiciens chercheurs travaillaient actuellement sur le sujet pour trouver une solution.

La Milice - un regroupement de magiciens formés comme une police - avait pour mission de réguler cette corruption de magie. Elle était formée de cinq corporations. L'Unité 1 - à laquelle appartenait Brooklyn - se concentrait sur la recherche de magie pervertie sur le terrain et devait récupérer les pierres canalisatrices. Le magicien porteur de cette magie corrompue était ensuite interrogé par l'Unité 2. L'Unité 3 se chargeait de la pierre pervertie, soit de la détruire soit d'essayer de la nettoyer. Bien souvent, les agents de la Milice étaient blessés et c'était à l'Unité 4 de les remettre sur pied et de les guérir.

J'appartenais à cette Unité et j'étais le seul membre de la ville. Notre chef, Devyan Thussvor, était à lui seul l'Unité 5, il coordonnait la Milice, prenait les décisions et enquêtait sur les différents crimes qui survenaient dans notre société magique mais qui ne concernait pas les pierres corrompues. Et finalement, l'Unité 6 avait le rôle de « nettoyage ». Elle éliminait discrètement les magiciens, corrompus ou non, qui présentaient un danger pour la société.

Chaque ville possédait sa Milice et tous les magiciens connaissaient les risques d'être confronté à l'Unité 1. Celle-ci était mal vue et les agents étaient souvent pris à parti, violentés et tabassés lorsqu'ils montraient leur carte d'appartenance. La plupart ne disaient donc pas appartenir à cette Unité. Je ne comptais plus le nombre de fois où j'avais dû soigner Brooklyn à la suite de missions qui avaient tourné au fiasco. Souvent, les agents s'infiltraient auprès des magiciens corrompus sous une autre identité. Lorsqu'ils arrivaient à les arrêter, l'agressivité des coupables explosaient à l'encontre de nos fonctionnaires.

L'Unité 2 effaçait la mémoire des magiciens arrêtés confrontés à l'Unité 1 pour préserver les agents et éviter les vengeances. Pour intégrer la première Unité, il fallait passer de nombreux tests et certains types de magie, comme la blanche et violette, avaient l'interdiction de se présenter à l'examen de régulation. Le Conseil privilégiait les magies agressives pour ces postes. L'accès aux autres Unités n'était pas autant réglementé, mais certains profils étaient prédisposés.

Travailler dans une Milice n'était pas de tout repos. Les événements dangereux apparaissaient très rapidement. Même si les humains connaissaient notre existence et avaient signé un traité de non-agression avec le Conseil de la magie, maintenir une entente était difficile. Les humains avaient crée un groupe - la Coalition - qui se chargeait des cas impliquant humains et magiciens. Notre Conseil, malgré toutes les lois implantées chez les magiciens, craignait de revenir au temps de l'Inquisition. Dans chaque ville, il avait désigné un Légat qui se chargeait de communiquer avec la Coalition et de régler les différends entre nos deux peuples. Tout était millimétré pour que nous puissions vivre sans problème et dans une harmonie relative. Malheureusement, ça n'empêchait pas la haine et des accidents arrivaient de temps à autre.

Léo et moi discutions souvent de la magie, des différents types et de l'organisation politique de notre société. Mon fils s'y intéressait beaucoup et, même s'il ne possédait pas encore de magie, il voulait tout savoir. Il me posait des questions quant à ma magie, mais surtout au sujet de celle de Brooklyn. La magie du sang le passionnait et Brook se refusait souvent à en parler, il disait que cela ranimait les démons de son passé. Et ces démons-là, il ne voulait pas en parler à Léo.

Ma tête tomba brusquement vers l'avant. Le mouvement me tira de ma léthargie et de mes pensées. L'eau était froide. Combien de temps étais-je resté dans ce bain ? Presque une heure estimai-je. Il était temps de sortir et de préparer le repas. Lorsque je descendis rejoindre Léo, Sidney et Céline étaient partis. Mon fils était assis à la table en train de travailler. Il tirait la langue alors qu'il traçait des cercles avec son compas. Son agenda était ouvert et deux pages avaient été glissées à l'intérieur. Je ne dis rien, me contentant d'observer cet enfant dont j'étais si fier. Il releva la tête en entendant mes pas sur l'escalier en verre.

— Tes amis sont partis ? demandai-je en me versant un verre d'eau.

— Oui, la mère de Céline est venu la chercher et a ramené Sid.

Je hochai la tête avant de m'asseoir en face de lui. Mon fils esquissa un petit sourire gêné et poussa l'agenda dans ma direction. Lorsque j'aperçus le 10/20 annoté sur le haut de la copie, je haussai un sourcil. Léo était comme moi, il détestait les maths et préférait les langues. Il se mit à mordiller l'ongle de son pouce alors que je lisais son interrogation sur les équations. Il attendait que je dise quelque chose.

— C'était difficile pour toi ? demandai-je finalement.

— Je me suis senti dépassé par le temps... j'ai pas pu finir.

J'encrai nos prunelles. Il ne me disait pas tout, ce n'était pas qu'une question de temps. Il tordait ses doigts et évitait mon regard.

— Léo, dis-moi ce qui se passe. Je ne pourrai pas t'aider si tu me caches des choses.

— La prof ne m'aime pas. Et je la trouve bizarre.

— C'est-à-dire ?

— Elle s'est permis de critiquer ton éducation et...

Léo se stoppa net. Il inspira profondément avant de continuer.

— Tu m'avais dit qu'on ne pouvait appartenir qu'à un seul type de magie.

— C'est exact.

— Eh bien cette prof, on dirait qu'elle en contrôle deux. Elle utilise l'eau pour effacer le tableau et on dirait qu'elle lit dans mes pensées !

Sans m'en rendre compte, je haussai un sourcil. C'était impossible d'appartenir à deux types de magie. Les livres relatant les capacités des sorciers étaient très clairs sur ce point. Nos Anciens Écrits - qui décrivaient toute notre histoire et les règles qui s'appliquaient aux magiciens - considéraient la magie comme un élément instable qui avait besoin d'être canalisé. Ce fut pour cette raison que chaque magicien portait une pierre de son type pour se contrôler dès que des signes de pouvois apparaissaient. Ces écrits évoquaient le désastre que causerait une pierre regroupant les dix types de magie. Selon eux, c'était impossible, mais si cela devait arriver, notre société magique virerait au chaos et cette pierre signerait la mort de tous les magiciens.

Le Conseil ne cessait de nous le répéter dès que nous entrions à l'école : on n'appartenait qu'à une seule magie et si par malheur celle-ci se combinait à une autre, la mort viendrait accompagnée de son bourreau et nous massacrerait. Ce dicton était implanté dans les esprits de chaque magicien, personne n'oserait dérogé à cette règle, nous craignions trop la Faucheuse. Notre espèce était déjà en voie de disparition à cause de la transmission de nos pouvoirs. Pour comprendre cela, il fallait en revenir à notre Cercle de la magie où se réunissaient les dix types de pouvoirs. La magie ne pouvait se transmettre à la génération suivante qu'en suivant le principe du fer de lance. Les deux magiciens devaient être séparées d'un autre type de magie pour transmettre leurs pouvoirs. Ainsi, une magie de foudre et une magie de l'eau donnait une magie noire. Mon père de la magie de l'air et ma mère de la magie de pensées avaient donné naissance à une magie blanche.

Si deux magies côte à côte sur le Cercle, séparées par plusieurs types ou simplement opposée sur le cercle s'unissaient, elles ne transmettraient pas à la génération suivante leurs pouvoirs. Notre reproduction était compliquée et notre survie dépendante des magies qui s'associaient. Les mariages arrangés étaient très fréquents et permettaient de perpétuer notre espèce. Alors qu'est-ce qui avait donné l'impression à Léo que cette femme avait combiné deux types de magie ? C'était tout bonnement impossible.

— Qu'est-ce qui t'a donné cette impression ? enquêtai-je. Elle a peut-être juste une très bonne intuition.

— Je... c'est rien. T'as raison, mes pensées doivent se lire sur mon visage.

J'eus beau insister, Léo ne m'en dit pas plus. Il ne parvenait pas à mettre des mots sur son ressenti et ne cessait de m'affirmer qu'il se trompait, que ce n'était rien, qu'il avait surinterprété les choses. Lorsque je vis ses yeux s'embuer, je laissai le sujet mourir. J'aurais pourtant dû insister pour savoir ce qui tracassait mon fils, mais je ne voulais pas le braquer ou l'importuner. Durant mon adolescence, je détestais que mes parents me forcer à parler de mes problèmes, il était exclu que je reproduise cela avec mon enfant. La pensée fugace de deux types de magie cohabitant finit par s'estomper et par disparaitre totalement de mon esprit. C'était de toute manière impossible, pourquoi s'embarrasser l'esprit avec cette irréalité ?

Nous mangeâmes calmement ensemble. Léo me racontait sa journée avec un enthousiasme retrouvé et m'expliquait à quel point les maths étaient démoniaques. Mon fils ne craignait pas que je le réprimande pour une mauvaise note. M'était d'avis que la culpabilité ressentie était une sanction suffisante, il n'avait pas besoin que je m'énerve. Mes parents avaient appliqué cette méthode et cela n'avait fait que détruire ma confiance en moi. Ils continuaient d'ailleurs de le faire en me rappelant à quel point j'étais laxiste avec Léo. Leurs visites étaient d'ailleurs une source d'angoisse permanente - et ils venaient tous les week-ends me rendre visite. Maintenant que je n'habitais plus le manoir, ils perdaient un peu de leur emprise sur moi. Ils ne voulaient pas perdre la main mise qu'ils avaient sur ma vie. Et même si je faisais mon possible pour m'écarter de notre milieu bourgeois, ils ne me laissaient pas couper le cordon.

Ma mère avait beaucoup pleuré lorsque j'avais catégoriquement refusé leur aide pour payer ma maison. C'était leur rôle de me l'offrir s'était-elle insurgée. Pourtant, je savais qu'ils se serviraient de ce prétexte pour me rappeler que je leur étais redevable et je craignais qu'ils n'installent des caméras pour me surveiller. Alors j'avais décliné leur offre et utilisé mes économies pour m'installer ici. Vexés par mon refus, ils me présentaient sans cesse leurs reproches et leur dédain dès qu'ils venaient chez moi. Mon bien n'était pas aussi luxueux que le manoir et faisait une tache sur leur nom. Comme toujours, je leur faisais honte. J'en avais l'habitude. Leur présence me vidait de mon énergie et dès qu'ils rentraient, j'appelais Brooklyn pour qu'il passe la soirée avec moi. La Bloody Mary ne me refusait jamais une soirée.

— Papa, je peux te demander quelque chose ?

— Hm ?

La voix de mon fils me tira de mes réflexions. Celles-ci se dirigeaient vers Brooklyn et, lorsque cela arrivait, jouaient de nombreux scénarios plus au moins érotiques. Je me concentrai sur mon fils et tentai d'empêcher mes joues de rougir. Léo inclina la tête et un sourire espiègle se dessinait sur ces lèvres.

— À quoi tu pensais ? demanda-t-il.

— À rien. Qu'est-ce que tu voulais me demander ?

— Est-ce que Sidney peut venir à la maison demain ?

— Oui bien sûr. D'ailleurs, comment l'as-tu rencontré ? Je ne l'avais jamais vu avant.

— Sa famille a déménagé parce que des élèves de son ancien lycée le harcelaient.

Une grimace tordit son visage. Léo détestait la violence et ne supportait pas que l'on s'en prenne à d'autres. Comme moi, il défendait la veuve et l'orphelin, même s'il prenait des coups qui ne lui étaient pas destinés.

— Tu connais son nom de famille ?

Ce n'était pas une question innocente. Toutes les familles de magiciens de Becky Halls - la ville où nous habitions - se connaissaient. Le nom de famille m'aiderait à savoir si Sidney appartenait au même monde que nous.

— Page.

Je haussai les épaules. Ce nom m'était inconnu. Léo ne voulait visiblement pas s'attarder sur le sujet et changea très rapidement de conversation. Le repas se termina dans la bonne humeur.

Finalement, épuisé par la journée, je me laissai tomber sur le canapé, face à la télévision que je n'allumai pas. Ces derniers temps avaient été mouvementés dans la Milice. Celle-ci observait de nombreux cas de magies corrompues qui ne cessaient d'augmenter depuis quelques semaines. Tous mes collègues de l'Unité 1 revenaient blessés de leurs missions ce qui augmentait considérablement ma charge de travail et mon épuisement. Utiliser la magie n'était pas de tout repos et demandait une capacité conséquente d'énergie. Certaines magies, comme la magie blanche et rouge, exigeaient des quantités de vitalité incroyables. Ce n'étaient pas pour rien que ces magiciens-là ne vivaient pas vieux. Alors lorsque plus de quatre cas se présentaient dans une journée, je m'écroulais sur mon canapé pour me reposer et rétablir mon énergie vitale.

Léo me tendit un chocolat chaud en s'asseyant auprès de moi. Il m'adressa un petit sourire, me faisant comprendre qu'il était là pour moi si j'en avais besoin. Mon fils, qui n'avait pas encore développé de magie, prenait soin de moi lorsque je me sentais au bord de l'évanouissement. Je me saisis de la tasse, la chaleur qui s'en dégageait réchauffa mes mains et m'apaisa.

— Papa ?

— Hm ?

— Tu fais une partie de Switch avec moi, avant que j'aille dormir ?

À nouveau, Léo sourit pour m'amadouer. Et cela marchait à chaque fois car je cédais à sa demande. Je le laissai installer le matériel et saisis la manette bleue - avec laquelle je perdais toujours. Malgré l'épuisement et le malaise qui m'habitait, je me forçai à rester concentré et essayais de donner le change à mon fils, qui ne cessait de me tuer. Après une heure de jeu, je l'envoyai dormir.

L'heure du coucher avait souvent été un moment compliqué. Lorsqu'il avait perdu sa mère, de nombreux cauchemars avaient perturbé ses nuits. Il venait dans ma chambre en larmes et je n'avais jamais eu le cœur de le renvoyer dans sa chambre une fois la crise passée, alors il restait dormir avec moi. À l'heure actuelle, cela arrivait encore que Léo vienne dans ma chambre car il n'arrivait pas à dormir. Pour l'instant, cela ne me dérangeait pas, mais je savais que cela poserait rapidement problème. Léo et moi avions toujours été fusionnels et cela étonnait parfois mes parents qui ne pensaient pas que l'adolescent s'adapterait aussi facilement à moi. Mon fils était toute ma vie et je ferais tout pour le protéger, qu'importe le prix.

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