Chapitre 12 -Brooklyn
Ma vue se troubla à nouveau alors que je franchissais la porte de mon appartement. Putain, une crise. Le sol tanguait sous mes pieds, je manquai de m'effondrer dans l'entrée. Je me raccrochai au mur, rejoignant précipitamment la salle de bain alors que mes nausées menaçaient de me faire vomir. Assis à côté des toilettes, je tentais de reprendre mon souffle. Mon regard s'était fixé sur la vasque noire, fermer les yeux accentuait davantage mes vertiges. Cet état confusionnel dura quelques secondes, voire quelques minutes, avant de s'estomper. Je sentis à nouveau ma magie rouge pulser dans mon corps.
Ma respiration redevint normale, ma nausée disparut tandis que le sol cessa enfin de tanguer. Déboussolé, je ne sus que faire. Pourquoi n'avais-je vu aucune image ? Mes crises étaient toujours accompagnée de souvenirs. Pourquoi pas cette fois ? Pourquoi ma magie s'était ainsi amenuisée lorsque j'essayais de l'utiliser ? J'étais rarement malade alors qu'est-ce qui m'arrivait ? Était-ce Carlyle qui m'avait refilé quelque chose hier soir - ce matin ? Lui aussi semblait très perturbé lorsqu'il m'avait appelé paniqué vers trois heures. Son comportement avait été tout aussi étrange jusqu'à ce qu'il me réveille ce matin. Que lui était-il arrivé ? Souffrait-il du même mal qui m'assaillait maintenant ? Il m'expliquerait probablement ce soir, je comptais bien lui extorquer la vérité. Cette incertitude ne fit que m'angoisser.
Mes vertiges avaient totalement disparu, je me sentais bien. Je sortais de la salle de bain lorsque mon téléphone sonna. Qui osait me déranger si tôt ? Je fronçai les sourcils en avisant le numéro de Thussvor. Pourquoi mon chef cherchait-il à me joindre alors que j'avais signifié sur mon agenda électronique que j'arrivais plus tard - 9h au lieu de 7h30 - le vendredi matin ? Je me levai et m'appuyai contre le canapé avant de décrocher.
— Brooklyn, je t'écoute.
— Salut, Brooklyn. Tu es chez toi ?
La voix de Thussvor était serrée par le stress et étonnement polie, il n'utilisait jamais ce ton pour s'adresser à moi. Et surtout, il ne m'appelait jamais par mon prénom. Un mauvais pressentiment m'assaillit.
— Oui. Je viens travailler plus tard ce matin, c'est marqué dans mon agenda.
— Je sais, je l'ai lu.
Agacé, je levai les yeux au ciel. Pourquoi tournait-il ainsi autour du pot ?
— Si tu l'as lu, pourquoi m'appelles-tu ?
— Tu as vu Carlyle depuis hier ?
— Ce matin, pourquoi ?
— Il ne t'a rien dit ?
La voix de mon chef se tendait davantage et mon mauvais pressentiment se mua en migraine.
— Qu'est-ce qui se passe bon sang ?
— Page est mort hier soir d'une rupture d'anévrisme aortique. Carlyle n'a rien pu faire.
— Quoi ? Celui de la cornaline ?
Je pâlis brusquement. Une rupture d'anévrisme aortique ? Je n'avais vu aucun problème de santé, à part son accident de rallye, en rédigeant le dossier. L'homme semblait se porter bien lorsqu'il m'avait donné sa pierre. Même le jour de sa convocation, il paraissait aller bien. Putain, qu'est-ce qui s'était passé ? Carlyle n'avait rien pu faire. Cela signifiait que sa magie avait à nouveau été repoussée par cette force. Pourquoi ne m'avait-il rien dit ? Je revis son regard perdu, ses yeux me supplier de ne pas le laisser seul. Il était trop choqué pour m'expliquer quoi que ce soit.
— Ouais, celui-là même, grogna Thussvor.
— Tu m'appelais juste pour m'annoncer sa mort ?
— Non pas uniquement. Écoute, Carlyle a précisé dans le rapport de décès qu'une force avait empêché sa magie de guérir Page. Il a mentionné que cela était déjà arrivé avec Fred, qui s'est blessé avec la pierre de Page.
— Et donc ? En quoi suis-je concerné ?
— Putain, Brooklyn ! C'est toi qui as ramassé cette pierre !
— Oui et je l'ai manipulée avec des gants ! La corruption était de stade 1, la pierre ne présentait aucune autre anomalie lorsque je l'ai introduite dans le système mercredi.
Le stress frappait mes tempes avec fracas et je resserrai ma prise sur mon téléphone.
— C'est bien ça le problème ! Carlyle a vérifié la pierre hier soir, elle ne présentait plus de corruption, mais deux magies mélangées !
Mon chef se mit à hurler, il perdait ses nerfs. Moi aussi.
— Attends, quoi ? Comment ça ? C'est impossible qu'une corruption disparaisse spontanément sans passer par l'Unité 3 et présente deux types de magie mélangées !
— Je ne sais pas ! Il se passe des trucs bizarres, c'est certain !
Je passai une main sur mon visage, essayant de cacher le stress qui m'envahissait. Mon mauvais pressentiment grossit jusqu'à ce que ma poitrine soit douloureuse. Ma tête était sur le point d'imploser tant j'avais mal. Thussvor laissa quelques secondes de silence avant d'enchainer.
— Carlyle a recommandé dans son rapport que Fred fasse un contrôle médical approfondi. Je veux que tu le fasses également.
— Mais je n'ai jamais touché la pierre sans gant.
— Ça, je m'en contre-fous. Tu as été en contact avec cette pierre et ce gars. Je ne veux prendre aucun risque, tu es mon meilleur agent et tu as les missions les plus dangereuses. S'il t'arrive quelque chose, on sera tous dans la merde.
L'inquiétude qui perçait dans la voix de mon supérieur m'étonnait. Il ne m'aimait pas et ne se souciait pas de ce qui pouvait m'arriver en mission. Mais cette fois-ci, c'était différent. Un homme était mort, une force inconnue bloquait la magie de guérison et une corruption avait disparu spontanément. Surtout, deux types de magie s'étaient mélangés. Le Conseil nous avait toujours assuré que c'était impossible et que si cela se présentait, la mort ne tarderait pas. Si la nouvelle se répandait, la panique envahirait tous les magiciens. De quoi étaient capables ces pierres bipolaires ? Elles pouvaient tuer quelqu'un...
Je repensai à Rolland, le client du club qui m'avait ouvertement dévoré du regard. Sa pierre était aussi mutée et je l'avais touchée sans protection.
— Hier soir, j'ai rencontré quelqu'un avec ce type de pierre. Je... l'ai touchée sans gant.
— Quoi ? Putain ! Brooklyn à quoi tu pensais ?
Son hurlement fut si fort que j'écartais l'appareil de mon oreille. Thussvor criait encore alors qu'un vertige m'assaillait subitement. Je dus me rattraper au canapé pour ne pas tomber.
— Est-ce que tu as ressenti un changement depuis ? interrogea-t-il.
— J'ai des vertiges qui apparaissent et disparaissent brusquement.
— Putain ! Viens tout de suite faire ce contrôle médical !
— Est-ce que c'est Carlyle qui le fait ?
Le chef jura davantage.
— Qu'est-ce que ça peut foutre ? T'es peut-être en train de mourir, Brooklyn ! Alors ramène-toi immédiatement !
— T'énerve pas, j'arrive.
Je sentis Thussvor hocher de la tête avant de raccrocher. Mon vertige s'intensifia alors que je posais mon téléphone sur la table. Le goût de la bile se répandit sur ma langue alors que je prenais conscience de l'ampleur de ma situation. Étais-je vraiment en train de mourir ? Et Fred et Carlyle dans ce cas ? Une vive douleur explosa dans ma tête. Mes mains comprimèrent mes tempes pour essayer d'apaiser cette douleur. Ma respiration s'accéléra. Qu'est-ce qui m'arrivait ? Mes mains se mirent à trembler et je vacillai. Mes jambes me lâchèrent et je m'effondrai contre mon canapé.
Un bourdonnement sourd vrilla mes oreilles. Mon tympan vibra si fort qu'un sifflement de douleur m'échappa. Des voix se répercutaient dans mon crâne, j'entendais les pensées d'inconnus. Elles se mélangeaient jusqu'à ce que je ne distingue plus aucun mot. Ce fut telle une mer qui me noyait. Durant une fraction de secondes, je n'entendis plus rien, ne vis plus rien, ne percevais plus la réalité. Je repris connaissances sur le sol de mon salon. Tout était calme. Il n'y avait personne avec moi. D'où venaient ces voix ? Je compris dans le brouillard opaque de mon esprit qu'elles provenaient de mes souvenirs.
Je me levai. Avec prudence, je m'appuyai contre mon canapé et observai mon environnement. Rien n'avait changé. Alors pourquoi avais-je l'impression que plus rien n'était semblable ? Il me fallut quelque secondes pour reprendre correctement mes esprits. Un long soupir m'échappa. Je croisai mes bras autour de ma poitrine pour m'apporter un semblant de chaleur et calmer le tremblement imperceptible de mon corps.
Depuis six ans, j'avais eu le temps de m'habituer à ces crises. Elles avaient commencé peu de temps après que mon père adoptif ne me retrouve couvert de sang dans une ruelle. Pourtant, ces malaises semblaient évoluer. La dernière n'avait rien de semblable aux précédentes, j'avais entendu des voix et je n'avais eu aucun flash du passé... Je me sentis de plus en plus oppressé, il devenait vital que je fasse quelque chose pour contrôler ces crises.
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