41 - Jelle
Se souviendra-t-elle ? Jelle se place sous le cube, mobilise sa mémoire, choisit ses mots avec soin.
— Le rite est accompli, prononce-t-elle. Que les chemins qui se sont rejoints divergent à nouveau !
Elle se mord la lèvre inférieure. Jadis son père l'avait hissée sur ses épaules afin qu'elle puisse voir les prêtres officier, mais des gestes et paroles séquencées elle n'a retenu que des bribes. La cérémonie de clôture lui avait semblé durer des heures, ponctuée de chants, de processions et d'offrandes. Son père lui avait dit que ces deux phrases étaient les plus importantes. Suffiront-elles ?
Elle résiste à l'envie d'ajouter « allô ? » alors que les secondes s'égrènent sans réponse.
Elle jette un regard à la dérobée au garçon à peine conscient dans les bras de la pirate qu'elle a guidée jusqu'ici, y cherche des traces du « capitaine Harlock », sans vraiment y parvenir. Hormis la couleur de ses cheveux (et encore), celui qui s'est nommé « Franz » devant elle ne ressemble en rien au hors-la-loi sombre et impitoyable qu'elle s'était représenté à partir des images diffusées via les avis fédéraux.
Au-dessus d'elle, le cube se moire de reflets carmin. La voix désincarnée tombe comme un couperet.
— L'enfant est homme. Le cycle se perpétue. Allez !
Sentence lapidaire. Injonction. Est-ce ainsi que s'était close la cérémonie de son enfance ? Elle ne sait plus. Tout était plus... festif, autrefois.
Jelle bascule nerveusement son poids d'un pied sur l'autre. Aujourd'hui, ne restent que des échos, de la poussière et des relents de moisissures. Et nul indice que ces paroles surannées ont encore du sens.
Elle regarde à nouveau Franz. Les sanctions du Conseil Galactique n'ont pas été les seules causes de l'abandon de la fonction première des temples. Nombre de défaillances mémorielles chez les adultes qui participaient au rite avaient fini par convaincre les prêtres que l'on ne manipule pas impunément la matière.
Elle fronce les sourcils. Plus la durée de l'échange était grande et plus les dommages étaient importants, se rappelle-t-elle. Le temps presse. Mais le rite n'est pas fini, et elle ne peut que subir la logique interne du cube. Et attendre. Et prier, peut-être ?
Bruissement. Souffles et chuchotements fantomatiques. Fantasmés sûrement. Les fantômes n'existent pas.
La pirate se rapproche d'elle. L'angoisse transparaît dans ses traits, mais elle ne brise pas le silence. Elle n'a pas lâché son capitaine.
Jelle baisse la tête. L'espoir s'enfuit un peu plus loin à chacune de ses respirations, écrasé par le monolithe inerte.
Une respiration.
Une autre.
Encore une.
Elle ne se résout pas à partir.
— Allez ! répète soudain le cube.
Elle sursaute. Les irisations rouges se colorent d'indigo et forment d'improbables arabesques.
Puis une lueur intense émane du sol. À ses pieds se forme un disque de la taille de sa paume, en cristal fumé. Allez. Le disque couvert de givre lui brûle les doigts lorsqu'elle le ramasse, mais Jelle ne s'en soucie pas. Elle sourit à la pirate. Elle sourit à Franz.
— On a ce qu'il faut. Maintenant on doit retourner au Temple Primaire avec l'autre garçon. Vite !
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