29 - Harlock
« É-Ma ! É-Ma ! » Les cris scandés résonnent entre les parois de pierre, rebondissent le long des rocs, s'intensifient lorsque le défilé étroit s'évase en un cirque naturel ceinturé de hauts pics. À l'arrière d'un trimobile toussotant, coincé entre Lydia et une cagette débordant de vieux chiffons, Harlock se tord le cou pour avoir une vue sur l'avant. Au volant, Jelle peste tandis qu'elle se faufile à grands renforts d'insultes et de klaxon entre les bas-côtés encombrés de véhicules.
« É-Ma ! É-Ma ! » Au milieu d'un entrelacs d'échoppes branlantes qui s'agglutinent jusque sous son péristyle, se dresse un bâtiment circulaire coiffé d'un dôme de métal et de verre. Harlock s'emplit les yeux des couleurs de la foule, se gorge des odeurs de sucres et de grillades émanant des étals, se réjouit de l'ambiance festive. Il y a toujours de nombreuses opportunités dans ce genre d'événements : des présentoirs trop exposés, des poches trop accessibles et des badauds trop occupés. Il se dit qu'il pourra facilement semer Jelle pour profiter de la fête comme il l'entend.
« É-Ma ! É-Ma ! » Qui est cette Emma et pourquoi les gens l'acclament-ils ? Jelle semble contrariée. Harlock enregistre l'information et l'écarte aussitôt de son esprit. Ce ne sont pas ses oignons, décrète-t-il. Lui, ce qui l'intéresse, ce sont les engins de course. En trouvera-t-il dans cette cohue ?
Voler.
Il tressaille.
Lydia lui serre la main.
— Capitaine, tu vas bien ?
Voler.
Un instant, il se demande pourquoi la petite fille l'appelle ainsi.
Voler.
Il la fixe sans la voir. Ses yeux sont bleu profond comme le ciel juste avant la nuit.
Voler.
Il est venu ici dans un but précis. Parce que c'est important.
La main de Lydia le serre plus fort.
— Descendez, les moustiques ! On termine à pied !
Jelle a parqué son trimobile dans un recoin improbable et elle s'extirpe de son siège avec un grognement rauque.
— Tu viens ? dit Lydia.
Elle ne le lâche pas. Ses yeux sont bleus.
Voler.
Bleu.
La nuit.
Les étoiles.
Arcadia.
Il cille.
— Oui je... J'arrive.
Le vaisseau. Le vaisseau est à lui.
Arcadia.
Jelle les entraîne. La foule est une gangue bruissante qui lui arrache des morceaux d'âme à chaque pas.
Arcadia.
Le vaisseau est à lui et on est en train de lui prendre.
L'air se fait plus froid.
— Capitaine, tu trembles, lui glisse Lydia. Tu es sûr que ça va ?
Oui. Oui ça va. Il serre les dents.
Ar. Ca. Dia.
Le vaisseau est à lui.
Ils sont arrêtés. Jelle s'adresse à un binôme équipé de tout l'attirail du parfait vigile.
— Une épreuve majeure ? s'étonne-t-elle. Qui l'a déclenchée ?
— Paraît que c'est un galactique, ma'am ! Vous auriez dû voir ça, le round du champion s'est interrompu net !
Jelle fronce les sourcils.
— Un galactique ? répète-t-elle.
Elle regarde Lydia. Elle le regarde. Elle secoue la tête. Il sent le danger obscurcir l'atmosphère et la panique s'enrouler autour de sa taille comme les anneaux gigantesques d'un python immatériel. S'il ne réagit pas, quel sera son sort ?
— Je suis justement à la recherche d'un galactique... reprend Jelle à mi-voix. Vous êtes sûrs de m'avoir tout dit sur votre papa, les moustiques ?
S'il attend, que deviendra son Arcadia ?
Voler.
Les étoiles.
« É-Ma ! É-Ma ! » Le bâtiment pulse au rythme des exclamations. Les réponses sont à l'intérieur.
Lydia ne l'a pas lâché. Il se tend, évalue la meilleure trajectoire. Face à lui, la forêt de jambes est dense, mais ses mouvements ondulatoires y ouvrent sporadiquement des trouées. Là-bas.
— Vite, suis-moi ! lance-t-il à Lydia.
Il court. Il ignore les cris. Il se ferme aux appels. Là où il se faufile, aucun adulte ne peut le suivre.
La touffeur de l'extérieur laisse place à la moiteur âcre des corps suants entassés à l'intérieur. La lumière éclatante de la mi-journée est remplacée par le scintillement psychédélique des néons. Fumée et projecteurs. Kaléidoscope et jeux de lasers. Ambiance concert survolté. Où aller ?
— Capitaine, regarde ! C'est Tadashi !
Il y a un espace dégagé, une scène, une cage, il y a Tadashi seul en son centre, il y a un monolithe noir qui domine le spectacle depuis une niche légèrement en hauteur.
Arcadia.
Il y a un monolithe noir.
Il ne remarque pas à quel moment la main de Lydia ne retient plus la sienne. Un instant elle était là, un instant il est seul. Seul avec le monolithe.
Seul.
Et son Arcadia s'échappe.
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