26 - Harlock

Facile.

Mais impressionnant tout de même.

Lorsqu'il descend du graviscoot, Harlock se dit qu'il aurait peut-être dû trouver un bar moins louche : le bâtiment mal éclairé disparaît dans les ombres des immeubles voisins, la façade décrépie est piquetée d'éclats circulaires qui ressemblent beaucoup trop à des impacts d'armes, et le trottoir est encombré de badauds patibulaires qui lui lancent des regards tout sauf amènes.

— Tu vas entrer là ? chuchote Lydia.

La fillette est agrippée à son bras, collée contre lui. Harlock devine sa peur aux trémolos de sa voix. « Me laisse pas toute seule », lui souffle-t-elle à l'oreille. Non, bien sûr que non.
Il voudrait la tranquilliser, mais les mots ne parviennent pas à sortir. Il voudrait reculer, mais il a une mission à accomplir. Une mission vitale. Une mission qui se floute chaque seconde un peu plus. Il déglutit. Avec elle il sera plus fort, parce qu'il se doit de la protéger.

— On va s'asseoir au bar, dit-il. Les barmans sont gentils, en général.

C'est une donnée qu'il tient comme acquise, même si son souvenir évoque davantage un géant bourru avec trop de bras qu'un gentil barman.

Au moment où ils franchissent la porte battante, les conservations se stoppent une poignée de secondes, puis quelqu'un lance « hé, l'école maternelle, c'est à trois blocs d'ici ! ». La salle enfumée s'emplit aussitôt de rires gras. Harlock les ignore, il ignore les apostrophes moqueuses et les sourires goguenards, il pousse Lydia devant lui et ils se hissent tous les deux sur des tabourets trop haut pour eux. Le barman les accueille d'une moue suspicieuse.

— Vous vous êtes égarés, les mioches ?

Harlock soupèse sa réponse. « Oui » apportera de la compassion mais aussi des questions sur l'endroit où il faut les ramener – à savoir un foyer, et non pas un temple secret dans la montagne. « Non » risque d'attirer les soupçons, et Harlock pressent que mettre sur le tapis leur statut de pirate ne leur sera pas favorable. Bon, va pour « oui ». Lydia le prend toutefois de court.

— On cherche mon papa, annonce-t-elle d'une voix claire. Il a dit qu'il allait voir des dragons. Sur un mur.

La petite fille lève de grands yeux innocents d'enfant sage vers le barman interloqué.

— Il a dit qu'il nous ramènerait des gâteaux et qu'on ferait la fête, mais il n'est pas rentré hier soir. Alors on est parti pour le retrouver. Vous savez où il est ?

Le silence se fait à nouveau autour d'eux. Cette fois-ci, il est plus dense, et s'éternise jusqu'à tomber comme une chape de menaces. Finalement, une matrone trapue vient se placer à côté d'eux.

— Certains lieux ne doivent pas être mentionnés à voix haute, les enfants... On ne sait jamais qui écoute.
— Mais je veux mon papa ! insiste Lydia.

Elle joue la comédie à la perfection, c'est fascinant, admire Harlock. En face et s'il en juge la grimace qui tord ses traits, la femme est en proie à un dilemme. Lydia renchérit d'un sourire adorable... et un tantinet diabolique, à n'en pas douter.

— Bon, d'accord, cède la matrone. Venez, il ne faut pas rester ici.

Lydia l'interroge du regard. Il hoche la tête : ils n'auront pas d'aussi belle occasion.
Il angoisse un peu lorsque la femme les conduit à l'arrière du bar et les fait sortir dans une cour encombrée de palettes, mais sa mine avenante est plus engageante que les rustauds crasseux de l'entrée. Et puis il est armé, se rassure-t-il. Il a pensé à glisser un couteau dans sa poche, avant de partir.

— Okay les moustiques... Il s'appelle comment, votre papa ? Il ressemble à quoi ?

Ah. C'est parti pour les questions auxquelles il est préférable de ne pas répondre, songe Harlock. Évidemment il saurait s'inventer un papa de toutes pièces, mais s'il est trop précis la supercherie risque d'être découverte plus vite qu'il ne le souhaite.

— Il est grand avec des cheveux sombres, lance-t-il avec aplomb.

Description qui peut correspondre à peu près à n'importe qui – en espérant que leur interlocutrice n'insiste pas pour obtenir un nom.

— Galactique ? demande-t-elle.
— Oui. J'ai même déjà visité la Terre ! Et Mars !

Règle numéro une : détourner l'attention des adultes sur des futilités. Cela semble fonctionner, puisqu'elle ne tente pas de leur extorquer leur planète d'origine. Mais bon... peut-être que « galactique » suffit. Si ce Mur aux Dragons est secret, il ne doit pas y avoir beaucoup d'extra-planétaires qui s'y rendent.

La femme farfouille dans ses cheveux ras, puis elle s'accroupit pour amener son visage à hauteur de celui de Lydia et lui offre un sourire maladroit.

— Ne t'inquiète pas, ma chérie. Je vais t'aider à le retrouver, ton papa... Moi c'est Jelle. Et toi ?
— Lydia !

Harlock met une poignée de secondes à interpréter le mouvement de sourcils à son intention. Et pour moi ? Euh... En tout cas, « Harlock » n'est pas la bonne réponse.
Il fouille rapidement sa mémoire. Autrefois il savait pourquoi il refusait de donner son prénom à quiconque. Aujourd'hui cela lui échappe, comme tout le reste.
Il hausse les épaules. Ce n'est sûrement pas très grave.

— Franz.

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