13 - Harlock

À mi-chemin, le sentier bifurque vers une vallée secondaire, et suit la ligne de crête pour rejoindre le flanc d'une montagne abrupte. La masse sombre et imposante, aux roches nues et aux pics acérés, se démarque des monts environnants, plus verdoyants et aux contours moins agressifs. Harlock plisse les yeux. Il ne le distingue pas encore, mais le temple abandonné est là-bas, au pied de cet à-pic.

— T'es sûr qu'on a le droit, capitaine ?

Il y a un léger doute dans la voix de Lydia, un soupçon d'inquiétude quand elle le regarde. Il hausse les épaules. Il est presque sûr qu'il n'a pas le droit et tout à fait sûr que Lydia n'a pas le droit, mais il n'a jamais laissé personne lui dicter ce qu'il pouvait ou ne pouvait pas faire en fonction de son âge et ce n'est pas maintenant que ça va commencer. Surtout maintenant.

— S'ils veulent venir, ils nous rattraperont, dit-il.

Éluder est une bonne méthode. Il a toujours procédé ainsi et ne voit pas de raison de changer. D'autant que la réponse semble contenter Lydia.

— En tout cas, c'est super que je puisse t'aider, capitaine ! Grand-Père dit tout le temps que je suis trop petite, mais je fais partie de l'équipage aussi, hein ?

Harlock acquiesce. Il prend garde à rester posé, distant comme un capitaine doit l'être, même si l'expédition l'emplit d'un enthousiasme qu'il n'a plus ressenti depuis... Son regard se voile. Une bourrasque ébouriffe ses cheveux. Derrière lui, en contrebas, l'Arcadia est posée sur le lit d'un ancien glacier. Ce vaisseau est à moi, songe-t-il.

Je rêve de voler.

Il secoue la tête. Le rêve a toujours été une part de lui. Aujourd'hui, il se souvient des adultes qui refusent de l'entendre, il s'émerveille de ce qu'il a accompli sans leur aide, il grimace d'un décalage qu'il ne parvient pas exactement à cerner. C'était il y a longtemps.

C'était hier.

— Capitaine, tu viens ? On fait la course ?

L'appel de Lydia le ramène au présent, quel qu'il soit. Et à l'insouciance du jeu, qu'il accueille avec nostalgie et, euh... insouciance.

Lydia rit. Elle court. Il la poursuit. Le chemin sinue sur l'alpage. Elle rit. Il se souvient d'une autre petite fille blonde – ou peut-être est-ce elle ? C'était hier. La prairie est couverte d'herbes folles. Elle court. Il pourrait la dépasser, il zigzague, il la frôle, il fait mine de l'attraper. Leur course soulève un nuage de pollen et d'insectes. Il rit.

Ils s'arrêtent essoufflés au pied d'une colonne de pierre. Lydia s'assied en tailleur, Harlock l'imite, puis, un irrépressible sourire aux lèvres, bascule sur le dos, les bras écartés. Les herbes lui chatouillent la nuque. Le ciel est sans nuage.

Voler.

Le vaisseau est à lui. On ne lui enlèvera pas ça.

— J'ai des bonbons et du yaourt à la fraise ! annonce Lydia.

Oh. Et lui il n'a... rien, s'aperçoit-il. Même pas une bouteille d'eau. Même pas une arme. À nouveau, il ressent ce « décalage » insaisissable, superposition d'impressions proches et lointaines, fugaces et importantes. Quelque chose ne va pas.

Le yaourt les rafraîchit aussi bien que de l'eau. Son malaise s'efface. N'en reste qu'un écho. Ténu. Déjà oublié.

— Tu vois la grande porte en haut des marches ? dit-il à Lydia. On est presque arrivés !

La petite fille est debout, l'air déterminé, les poings serrés, les yeux pétillants. Convaincue de pouvoir déplacer les montagnes, tout comme il en est convaincu lui-même.

— Les méchants n'ont qu'à bien se tenir, nom d'une loutre ! s'exclame-t-elle.

Elle lui sourit, un sourire éclatant de confiance aveugle, d'adoration enfantine. Il comprend qu'elle est prête à le suivre au bout du monde. Au fond de lui, une voix lui chuchote que ce n'est pas le meilleur choix.

Il ne parvient pas à s'en soucier.

Il est plus fort que les adultes, il le sait et il l'a toujours su. À deux, ils seront invincibles.

Les méchants n'ont qu'à bien se tenir.

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