Chapitre quatre : Avec ou sans toi, j'ai quelques problèmes.

[...]
J'ai constaté que même
un silence de toi, pouvait pousser mon rire
à mourir
[...]
Avec ou sans toi, j'ai quelques problèmes
Tu t'en fous, Laura, j'suis désolé quand même
[...]
En attendant je sais
que le jour viendra, où je pourrais en mourir de rire

Noir désir, L'appartement

Mon amour lui faisait peur, son amour pour moi lui faisait peur. Le lien qui nous unissait était devenu trop essentiel à sa survie. Il craignait de tout perdre, il était terrifié à l'idée que je parte, que je le laisse seul.
Alors il tentait de me rejeter, par tous les moyens.
Il y a des jours où c'était juste des remarques blessantes, en public de préférence et assénées avec ce masque goguenard qu'il portait si souvent. J'étais blessée par ces mots durs mais je savais le prendre à part et désamorcer ces accès de haine que je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas son attitude lunatique à mon égard mais je savais comment y mettre un terme.
Et puis il a commencé à me tromper. En voyant que ces mots ne me touchaient pas, que j'arrivais à lui tirer des excuses, il a sans doute eu peur. Peur que mon attachement à lui ne soit pas aussi fort que l'inverse. Alors il a décidé de frapper plus fort, de tester les limites de l'affection que je lui portais.
Mais il faisait exprès de se faire prendre. Plusieurs fois quand j'arrivais chez lui, je le surprenais avec une fille dans sa chambre, en train de s'habiller.
Il croisait mon regard détruit, mon visage décomposé et la fin d'un sourire qui mourrait sur mes lèvres et il regrettait déjà sincèrement son geste. Combien de fois l'ai-je récupéré, à ma porte, saoul, pleurant comme un enfant et me suppliant de lui accorder mon pardon ...
Je le faisais taire pour qu'il ne réveille pas mes parents, je lui caressais les cheveux et le pardonnais. Systématiquement.
Ses regrets étaient sincères, comme l'était sa jalousie. Il posait sa tête sur mes genoux et me racontait, m'expliquait pourquoi il avait fait ça. Parfois c'était parce que j'avais simplement sourit à un autre que lui. Parfois, c'était parce que j'étais allée chez un ami sans lui. Ces évènements futiles pour moi, comptaient énormément à ses yeux. Sa jalousie maladive le faisait imaginer tout ce que je pourrais faire pour tromper sa confiance, pour trahir son amour.
« C'était bête, je sais que je t'ai fais du mal. Mais tu sais, cette fille ce n'était rien, rien du tout comparé à toi. »
C'était sa phrase fétiche. A chaque fois, il se mettait dans de tels états que j'apercevais enfin ses doutes, son mal-être. 
Je fermais les yeux et avalais mes couleuvres en silence. En parallèle, je prenais de plus en plus de drogue. Il m'était désormais impossible de ne pas passer une soirée sans sniffer. J'avais même essayé, au lycée, pour faire passer la sale envie de pleurer qu'un week-end avec lui avait provoqué.

Je me souviens du soir où j'ai compris qu'il se passait quelque chose de grave dans le coeur de ma soeur. J'étais parti en soirée, chez un ami qui habitait à quelques rues de chez nous. J'étais rentré tôt, vers minuit et quelques et j'étais en train de me préparer à dormir lorsque j'ai entendu des pas dans l'allée. Silencieusement, et sans allumer la lumière, j'ai collé mon visage à la baie vitrée du salon pour savoir qui arrivait. Ma soeur qui était partie en soirée, elle aussi ? Ou un voleur ?
J'ai aperçu une silhouette sombre, un homme visiblement, un peu plus petit que mon mètre 90, à la carrure bien dessinée. Serrant les mâchoires, je me suis furtivement glissé dans la cuisine et j'ai attrapé un immense couteau à pain. Mon coeur allait sortir de ma poitrine lorsque je revenais à mon poste d'observation, le poing serré sur mon arme de fortune.
Curieusement, l'inconnu ne semblait pas vouloir pénétrer dans la maison. Il faisait les cents pas devant le portail. Il s'est allumé une cigarette et j'ai aperçu rapidement son visage. Il avait les traits tirés, et semblait sur le point de s'effondrer. J'ai posé la main sur la poignée de la porte, décidé à sortir et à lui demander ce qu'il faisait là lorsque j'ai entendu un crissement de pneu. Une voiture noire s'est arrêtée devant le portail et ma soeur en est sortie. Je l'ai entendu dire en revoir et merci au conducteur et elle a ouvert le portail. De mon côté, j'ai ouvert la porte et je suis sortit. Qui que soit cet étrange visiteur, il ne devait rien faire à ma soeur. Mais cette dernière s'est arrêtée net en l'aperçevant. Caché par l'ombre du grand pin près de l'entrée, j'ai fais un pas en avant. Elle aussi a avancé, vers l'homme près du portail. 
- Qu'est-ce que tu fais là ? lui a-t-elle demandé.
Son ton était agressif. Je suis retourné me cacher à l'ombre de l'arbre pour leur laisser un moment, mais je ne suis pas rentré dans la maison, prêt à intervenir en cas de besoin. Je n'ai pas entendu ce qu'il lui a dit mais soudain, il a tendu ses bras vers elle, comme pour l'inviter à s'y blottir. Elle l'a repoussé violemment.
- J'en ai marre de tes excuses à deux balles ! Tu te pointes chez moi, tu pourrais réveiller mes parents et mon frère et tout ça pour me dire que tu es désolé ? Tu me sers une excuse bidon pour justifier ton comportement et tu pense que je vais avaler ça ?
Ses mains tremblaient lorsqu'elle a attrapé un paquet de cigarettes dans son sac. L'homme en noir lui a tendu du feu, mais elle a attrapé son briquet sans lui dire un mot. Il lui a répondu quelque chose. J'ai seulement entendu sa voix, sans saisir ses mots. Elle était rauque, cassée par les larmes que je sentais poindre dans sa gorge.
Le visage de ma soeur était éclairé par les lampadaires de l'avenue. J'ai vu la colère sur son visage s'effacer petit à petit. Ses yeux s'humidifiaient au fil des mots du type en noir. J'ignorais qui il était, mais j'ai senti ma petite soeur submergée par ses sentiments. Elle qui était si rancunière, si vindicative et si sûre d'elle, je la sentais flancher devant les paroles de ce mec. Au bout de quelques minutes de silence, elle a laissé tomber sa cigarette sur les graviers de l'allée et s'est jeté dans ses bras.
Ils se sont embrassés, pendant de longues minutes. Le vent sifflait dans les arbres et m'apportait le bruit de leur baiser. Silencieusement, je me suis glissé dans la maison, troublé par ce que je venais de voir. J'ignorais qu'elle sortait avec quelqu'un. J'ai pris les escaliers et j'ai enfilé mon pyjama. Je me suis brossé les dents en silence. En relevant la tête du lavabo, j'ai croisé le regard de ma soeur dans le miroir de la salle de bain. Son teint était gris, ses yeux cernés de noir.
Ses yeux ... ils étaient bizarres. Je me suis tourné vers elle.
- Salut.
- Salut Sam. Tu as passé une bonne soirée ? Comment va ta copine ?
Son ton était vif, son débit de paroles impressionnant. Sans lui répondre, je me suis avancé vers elle, attrapant son visage entre mes mains. Elle a fait un pas en arrière mais n'a pu se dégager de mon étreinte. J'ai plongé mes yeux dans les siens et j'ai compris. Ses yeux, verts à l'ordinaire, étaient pleins de noir. Sa pupille débordait  et lui donnait un regard vide, comme absent.
- Tu as pris de la drogue ?
- Mais ça va pas ou quoi ? Je toucherais pas à un truc comme ça !
- Tes yeux ...
J'étais estomaquée. Je n'arrivais pas à y croire. Profitant de mon absence de réaction, elle s'est dégagée de mon emprise et s'est glissé dans sa chambre en me souhaitant bonne nuit, comme si de rien n'était. Je restais les bras ballants, planté au milieu de la salle de bain. Lorsque j'ai repris mes esprits, je me suis jeté sur la porte de sa chambre.
- Iris ouvre moi ! Tu me dois une explication ! 
La porte était fermée à clef et seul le silence me répondit.


Mes parents qui n'avaient pas vu les changements qui s'étaient opérés en moi suite à ma douloureuse expérience des hommes, ne virent pas non plus les changements qui commençaient chez moi suite à ma rencontre avec Thibaud. Une seule fois mon père eu des doutes.
J'étais rentrée d'une soirée chez Olympe en pleurant et allongée sur mon lit, j'avais revu, en fermant les yeux, Thibaud et cette fille, baisant assez bruyamment dans les toilettes du premier. Quelle excuse allait-il me sortir cette fois ? Qu'avais-je fais qui avait heurté sa sensibilité de détraqué ? Je déversais ma haine sur lui. Je me sentais naze, idiote de ne pas lui offrir ce qu'il voulait. Avec ces filles, il avait enfin ce qui lui manquait chez moi. Je voyais dans ces trahisons agressives un message de sa part. Je me comparais à ces nanas, toutes plus vieilles et plus expérimentées que moi et je me sentais très mal.
Moi je me refusais à lui, je ne voulais pas qu'il me touche.
Ces filles là ne demandaient que ça.
Ce jour là, ivre de douleur, j'ai renversé tout ce qu'il y avait dans ma chambre et je me suis allongée au milieu de mon forfait, l'âme enfin en paix. J'avais lacéré les murs, détruit mon ordinateur et déchiré mes draps. Mon père est arrivé au milieu de ce bordel et il ne m'a même pas engueulé. Il m'a juste dit :
- On t'a fait mal ma chérie n'est-ce pas ?
Et puis
- C'est une fille ou un garçon ?
Sentir la tolérance et le soutien de mon père m'a aidé ce jour là. J'aurais été capable de briser la maison entière sans ce discret message de soutien. Je me suis souvenue qu'il n'y avait pas que lui et moi au monde. Que la terre continuerait de tourner même si nous n'étions plus ensemble.
Alors je suis passée chez Ferdinand, j'ai pris deux rails et je suis allée le retrouver. A cet instant là, je me sentais puissante, bien supérieure à lui. J'ai très vite déchanté.
Lorsque je suis arrivée chez lui, j'ai monté les escaliers quatre à quatre, prête à le frapper, à lui faire mal, aussi mal que ce que je ressentais. J'avais à la bouche tout un tas de paroles blessantes, et même celles qui provoqueraient notre rupture. Lorsque j'ai ouvert sa porte à toute volée, il était en train de s'habiller.
Dans son lit, il y avait une jeune femme, nue.
Mes mains se sont mises à trembler. C'était comme s'il l'avait fait exprès. Comme s'il m'assenait un coup fatal pour tester ma volonté. Je me suis jetée sur lui, je l'ai frappé de toutes mes forces, lui hurlant toute ma haine à la figure. Tant et tant que la fille qui était dans son lit s'est éclipsée avec un « tu m'appelles » urgent lancé du côté de Thibaud. Lequel n'arrivait d'ailleurs pas à me calmer. J'hurlais toujours, le traitant de tous les noms. La drogue, combinée à toute la rage que j'avais accumulée m'ont fait péter un câble.
Je ne me contrôlais plus.
Son petit effet s'était transformé en véritable crise chez moi. Il avait compris que je ne pouvais pas tout encaisser. Pas n'importe laquelle de ses conneries. J'arrivais à mon seuil de tolérance. Il m'a cajolé, s'est encore excusé. Une énième fois. Je ne me rappelle même plus quelle excuse il a invoqué. Il savait très bien que ce qui motivait ses actes était ridicule. Mais il n'y pouvait sans doute rien car à ces instants, c'était son corps et sa haine du monde qui parlait. Il ne pouvait pas croire que je sois amoureuse de lui, et uniquement de lui. Que je n'ai envie que de lui.
Pour lui, j'étais comme toutes ces personnes qui avaient traversé sa vie : j'allais le quitter un jour, l'abandonner. 
Je hurlais toujours, alors qu'il me serrait très fort dans ses bras. Ses larmes se mélangeaient aux miennes. Nous étions deux fontaines, perdues dans l'avalanche de sentiments qui nous submergeait. Il a attendu que je cesse d'hurler, assis par terre, en me tenant dans ses bras. Au bout d'un moment, mon corps n'a pas suivi. J'ai arrêté de crier, et j'ai sangloté dans sa chemise pendant de longues minutes.
J'avais envie de lui dire que c'était inutile, que j'étais de toute manière trop faible pour l'abandonner, pour le laisser seul. Que c'était déjà fini pour moi, que je l'aimais trop pour lui résister.
Ce soir là, pour la première fois, toutes mes barrières ont cédés. Mon flegme premièrement. Et puis j'ai fais l'amour avec lui.
Je me rappelle de son regard, de ses paroles. « Tu es sûre de ce que tu fait ? » m'avait-il demandé.
S'il savait ! Je n'ai jamais été aussi sûre de toute ma vie qu'à cet instant là.

Nous étions chez lui, dans sa chambre, entrelacés dans les plis du drap, comme seuls au monde. Il me caressait doucement le dos du plat de la main et me regardait dans les yeux, avec un regard plein de curiosité.
- Qu'est-ce que tu as encore à m'offrir Iris? M'a-t-il demandé. Je t'ai fait déjà tant de mal ... Et j'ai l'impression que plus je t'en fais, et plus je t'aime. Mais je sais que dans quelques temps tout va changer ... Je ne suis pas ce qu'il te faut, je ne suis pas quelqu'un pour toi. Je te détruis. Je détruis tout ce qu'il y a encore de naïf et d'innocent en toi. Quand tu penseras à moi plus tard, ce n'est pas un souvenir positif que tu garderas et pourtant ... j'aimerais tellement que tu puisses ressentir ce qu'il y a pour toi à l'intérieur de mon cœur. Je voudrais que tu voies la place que tu y prends. Tu me comprendrais mieux et jamais tu ne penserais à me quitter.
Il a attrapé en silence une mèche de mes cheveux entre ses doigts et a déposé un baiser sur mon épaule. Je savourais ces rares moments de silence, de calme, de paix entre nous. De toute notre histoire (qui a bien duré trois ans en tout et pour tout), ces moments, je pourrais les compter sur les doigts de la main.
Mais quels moments ! Je me souviens de chacun. A ces instants là, l'amour qu'il me portait débordait de chacun de ses gestes. Nous étions seuls, plus personne n'existait ...

Je m'en voulais sur un point ce jour là. Je me sentais idiote d'avoir dû lui offrir ce que je lui refusais pour qu'enfin la tempête qui nous agitait cesse. Et paradoxalement, je me sentais soulagée de l'avoir fait ... J'avais fait l'amour avec un homme, et je n'avais pas eu mal.
Je n'avais pas envie de filer dans un bain d'acide et de frotter ma peau à l'en faire saigner.
Je me sentais juste ... bien.
Et lorsque je me suis levée du lit pour attraper mon paquet de cigarettes sur la commode, j'ai croisé mon reflet dans le miroir. Devant moi il y avait une jeune fille, le visage encadré par ses boucles châtains, aux yeux pétillants et aux joues roses. Un discret sourire illuminait son visage. J'ai cligné des yeux. Cette fille ce n'était pas moi. Alors j'ai compris, j'ai compris qu'il se trompait. Il détruisait le peu d'innocence qu'il me restait, certes. Mais il détruisait aussi ma peur des hommes, ma peur du sexe. Il rebatissait une partie de ma confiance en moi. Alors je me suis tournée vers lui et en voyant le sourire qu'il avait en m'observant, j'ai été prise d'un besoin impérieux de lui dire.
J'avais envie de lui raconter, à lui et seulement à lui.
- Thibaud ? Il faut que je te raconte quelque chose.
- Je t'écoute.
- Voilà, ça s'est passé en colonie de vacances, l'année dernière ...



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