LXXI.
Le jour-j du déménagement arriva enfin. Il avait expressément ramené des cartons de son boulot pour ranger tous ses affaires à l'intérieur. Etrangement, il se sentit nostalgique, au sol, en train de remplir minutieusement ses effets personnels. C'était une période de sa vie qui se terminait, des années rangées dans une case de sa mémoire.
Il se posait quelques questions, comme celle à propos de son futur ou encore concernant Ariel. Allait-il se mettre en couple avec lui ? Ou se laisseraient-ils partir ? Que ferait-il seul, dans son nouvel appartement ? Qui sera là quand il fera ses crises de paniques ? Il avait des appréhensions quant à vivre loin de la seule personne qui savait le calmer. Sa nouvelle vie débutait dans l'incertitude la plus complète, mais c'était un processus que tous connaissait. Il finirait par s'adapter.
La montre du même modèle que celui de son voisin apparue devant ses yeux. Il la tourna entre ses doigts, regardant chaque détails de celle-ci. Il l'avait acheté sur un coup de tête, pour, au final, ne jamais la porter. Il ne savait pas vraiment ce qu'il avait tenté de se prouver en obtenant la montre d'Ariel, peut-être avait-il eu un complexe d'infériorité, qu'il pensait régler en ayant des choses de valeurs ? Ou alors, c'était de l'admiration refoulée ? Dès le premier jour, Ariel lui avait plu physiquement. Il l'avait trouvé incroyablement séduisant et avenant, contrairement à lui.
Neven ne se dévalorisait pas, il connaissait son pouvoir de séduction, mais Ariel avait un truc qu'il n'avait pas : il était normal, bien dans sa peau, dans sa tête.
Le bouclé remarquait à quel point c'était précieux, d'être saint d'esprit. Beaucoup se complaisait dans leur malheur, s'inventant même des problèmes pour attirer l'attention ou bien par simple masochisme. Il ne comprenait pas les personnes autodestructrices, mais après tout, c'était un sujet délicat et tout le monde était différent. Il avait subi... Un traumatisme, comme tous s'évertuaient à le nommer, mais il s'en était sorti, enfin, excepté ses crises d'angoisses qui lui rappeler ce qu'il avait vécu. Comme si son cerveau tenait à ce qu'il se rappelle de cette semaine, un peu pour le prévenir.
Ses psychologues étaient en cohésion pour lui faire entendre que son passé y avait joué pour beaucoup. Neven s'était toujours reproché d'avoir dérapé, cela s'était amplifié quand, quelques semaines après son enlèvement, sa mère lui avait bourré le crâne en lui disant que s'il l'avait écouté, jamais ça ne se serait produit. Il aurait pu tomber dans la perversion de sa mère et partir en dépression, au crochet de celle-ci, mais à la place, il avait ressenti un très grand dégoût pour sa part et avait tout fait pour fuir une bonne fois pour toutes. Pendant de longues années, il lui avait attribué la faute, jusqu'à ce qu'il comprenne que la vie n'était pas toute blanche ou toute noire.
Rejeter la faute sur sa mère était un moyen de projection, afin de se dispenser de sa colère pour la transposer dans une personne, tout ceci dans le but de ne pas sombrer. En réalité, ce n'était la faute de personne. Ce jour-là, quand son ami l'avait poussé à boire et essayer la drogue dure, il ne pensait pas à mal. Ils n'avaient souhaité que s'amuser et prendre du bon temps. Lorsqu'il l'avait amené à l'écart, dans un vieil hôpital désaffecté, il n'y avait pas vu le potentiel danger. Ils s'amusaient. Neven s'était enfin senti libre de faire ce qu'il voulait, de fréquenter qui il souhaitait. Ce sentiment l'avait submergé et il avait consommer des drogues, comme pour se prouver qu'il détenait son âme, son esprit, ses actions, son libre-arbitre. C'était une sensation si grisante, qu'il n'avait pas trouvé ses limites et s'était rapidement effondré.
Une semaine plus tard, on retrouvait son corps, inanimé et froid, sur une banquette pourrie dans une maison abandonnée.
Que s'était-il passé ? Que lui avait-on fait ? Il ne se souvenait de rien, le trou noir complet. On lui avait révélé, par des examens médicaux, que son corps regorgeait de substances illicites. La première chose qui lui avait glacé le sang, était de se demander s'il avait été violé. Cette hypothèse fut rapidement écartée par les médecins, bien que les attouchements restèrent plausibles. Seules des années entre les doigts de spécialistes pourraient lui rappeler ce qu'il avait vécu, si cela était possible.
Soit les drogues l'avaient rendu amorphe durant plusieurs jours, rendant ses souvenirs impossibles, soit son cerveau occultait ce dont il avait conscience pour le protéger.
Deux propositions s'offrirent alors à lui, un dilemme aux allures cornéliens, même si les spécialités étaient tous d'accord pour se pencher vers un choix précis. D'un côté, il y avait celui de connaître la vérité, d'apprendre ou se souvenir des actes subis, pour ensuite vivre en sachant tout cela. D'un autre, il y avait le déni, tout ranger dans une boite qui ne serait jamais ouverte, mais qui engendrait des dégâts psychologiques énormes. Deux oppositions : faire face ou fuir ? La difficulté ou la facilité ?
Neven était conscient qu'il devait se tourner vers la connaissance. Un mal connu est capable de se régler, contrairement à un déni. Mais pour l'instant, il n'y parvenait pas. Dès qu'il y pensait, qu'il semblait ressentir une odeur ou un attouchement familier, il paniquait et cela partait en crise, difficilement contenue.
Il avait cette impression de sombrer dans les profondeurs du mal lorsqu'il tentait de faire appel à sa conscience et à ses cachettes secrètes.
Le bouclé posa la montre dans le carton. Il avait envie d'avancer dans la vie, il ne voulait plus rester enfermer et craindre l'extérieur. Son cerveau lui avait créé ce système de peur pour le préserver, mais cela l'empêchait d'aller de l'avant, de vivre sa vie pleinement. Il n'en avait qu'une, pourquoi la gâcher ?
Son téléphone se mit soudainement à vibrer. Il se leva et s'en saisit, alors qu'il était posé sur le lit, et lut son nouveau message :
" Comment allez-vous, jolies bouclettes ? "
Neven esquissa un sourire. S'il se mettait avec Ariel, il ne voulait pas lui faire tout le mal dont avait hérité Marion.
Même si la jeune femme l'avait connu peu après son traumatisme, il se dit qu'il aurait pu mieux la traiter. Elle n'avait rien demandé, elle ne s'était pas attendue à vivre dans cet incertitude en s'engageant avec lui. Elle l'avait trompé, certes, mais dans un sens, il comprenait cet acte. Il avait été si exécrable envers elle, qu'il était normal qu'elle aille chercher du réconfort ailleurs. C'était dans la nature humaine. Si on offrait pas ce qu'on attendait de nous, alors on partait chercher autre part.
Le bouclé soupira. Il avait pas mal de travail, alors il reposa le téléphone, se promettant de lui répondre un peu plus tard.
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