Chapitre 1 Les cicatrices qui nous abiment


          Trigger Warning : Violence contre les enfants et meurtre 


Reyes – 9 ans

Les hommes parlent entre eux. Ils sont nombreux autour de moi. Ils sont bruyants, beaucoup trop bruyants. Ça me fait mal à la tête et je me retiens de plaquer mes mains sur mes oreilles.

Mais ça attirerait l'attention de papa sur moi et je ne le veux pas.

La pièce sent l'alcool fort, la sueur et le parfum hors de prix.

Un des hommes mime un coup de feu vers son voisin tout en explosant d'un rire gras qui me fou les jetons.

On dirait un méchant de film que je regarde en cachette à la télévision.

- Sa cervelle a explosé en quelques secondes, braille l'homme avant de taper dans l'épaule de son voisin.

Ces mots, je ne devrai pas les entendre. Aucun enfant ne devrait assister à ça.

Mais comme toujours, le choix n'existe pas. Pas dans ma vie en tout cas. Ma présence a été imposée. Certains diraient que mon destin était tracé depuis ma naissance.

Moi, je dis que je suis maudit. Une sorcière ou le super méchant d'une légende m'a jeté un sort. C'est sûr.

J'ai envie de quitter la pièce, mais si je le fais, papa ne va pas être content. Et lorsqu'il est en colère...

Non, je ne veux pas lui désobéir encore une fois. Il faut être sache. Digne. C'est ce qu'il répète.

Alors je reste là, planté dans un coin de la pièce. Silencieux, je vacille sur mes jambes maigres. J'observe tout ce qui se passe en veillant à rester le plus silencieux possible. La musique résonne derrière la lourde porte en bois qui est fermée à double tour.

Les murs sont richement décorés. L'endroit est luxueux, si on ignore la saleté qui émane des gens présents. Les hommes dans la pièce rendent l'endroit sale. Je suis très jeune, mais je le sais.

Ils sont habillés richement. Mais leur cœur est sale. Leur âme est impure. Tachée d'horreurs que je ne souhaite pas imaginer.

Ils renversent du whisky sur le sol sans y faire attention. D'autres types s'avancent près de la table et ouvre de lourdes valises contenant de l'argent.

Des billets volent et tombent à leurs pieds, écrabouillés comme si ce n'était rien de plus que des bouts de papiers inutiles. Tous s'en moquent et marchent dessus comme s'ils étaient supérieurs à l'argent. Supérieurs au monde.

J'écarquille les yeux à la vue des billets verts. Waouh. Moi, j'ai jamais vu autant d'argent comme ça.

Je tire par réflexe sur le fil qui sort de mon pull gris. Ça m'aide à penser à autre chose. Ça m'aide à arrêter de stresser, ou du moins à cacher quelque peu ce que je ressens.

Papa est assis au bout de la table en bois massif, un cigare au coin des lèvres. Lui, ne rigole pas. Il souffle de la fumée avant de se relever pour inspecter les valises. Il est large d'épaule et musclé. Les hommes se calment et lui jettent des coups d'œil discrets.

J'ai entendu l'un des noms « Sandrez ». C'est un homme qui salue mon père comme s'ils se connaissaient depuis longtemps.

Tous font comme si je n'étais pas là. Et parfois j'arrive à me convaincre moi-même que je n'existe pas. C'est si simple d'oublier sa propre existence.

Il vaut mieux ne pas attirer l'attention des monstres, sinon, ils vous prennent en chasse et vous forceront à en devenir un.

Je ne veux pas devenir un monstre. Mais je crois qu'encore une fois, le choix s'imposera à moi. Pas vrai ?

Peut-être qu'à force d'être plongé dans le noir, je finirai par aimer l'obscurité.

Avant, je n'accompagnais jamais papa quand il sortait le soir. Maman le suppliait à chaque fois pour qu'il parte seul et il finissait par céder. Mais maman est morte il y a deux mois d'un cancer.

Je retiens mes larmes en pensant à elle. Je l'aime. Je l'aime, et elle me manque. C'était la seule qui s'intéressait véritablement à moi. Elle jouait avec moi et me bordait le soir. Parfois, je faisais semblant de faire des cauchemars juste pour qu'elle me laisse me blottir près d'elle. Mais elle est partie, désormais.

Ainsi, papa m'a emmené ce soir, et je découvre peu à peu un monde que j'ignorais jusque-là.

- J'aime ce que je vois ! s'exclame mon père avec un air satisfait.

Il passe sa main dans ses cheveux bruns tout en faisant le tour de la table. Une femme entre dans la pièce, les mains chargées de verres. Aussitôt, chaque homme présent se tourne vers elle et l'observe d'une manière particulière que je ne comprends pas. Lorsqu'elle passe près de papa, il effleure ses fesses.

Comme si c'était un vulgaire objet.

Ça me dégoute.

La jeune femme inspire brusquement et je fais un pas dans leur direction. Ce n'est pas bien, de toucher une femme contre sa volonté. Maman me l'a toujours appris.

Personne n'a le droit de toucher mon corps contre ma volonté. Mon corps m'appartient. Et celui des autres leur appartient.

Et je veux le rappeler à papa. Il n'a pas le droit de la toucher. Ma bouche s'ouvre, mais aucun mot n'en sort.

Comme depuis deux mois, seul le silence quitte ma bouche. Je demeure muet, comme c'est le cas depuis la mort de maman.

Je...je n'arrive plus à parler. Pourtant, à l'intérieur, je cri. Je hurle toujours, mais personne ne m'entend. Je sais que ça énerve papa, mon silence. Mais je ne sais pas comment en sortir.

La jeune femme finit par sortir, et deux autres hommes rentrent dans la pièce. Ils trainent un autre homme qui manque de s'écrouler à chaque pas. Une trainée de sang s'écoule de sa bouche.

Je me tétanise en voyant l'état de son corps meurtri. Le sang recouvre une bonne partie du visage de l'homme. Mes yeux bleus analysent le moindre recoin de sa silhouette, du sang sur son tee shirt, à ses pieds nus et égratignés. Comme si on l'avait forcé à marcher sur des cailloux pointus.

Il y a tant de choses dans cette pièce, tant de choses qu'un enfant de 9 ans ne devrait pas voir. Mais mes yeux demeurent grands ouverts.

Qui est cet homme ? Pourquoi personne ne l'aide ?

- Oh, mais regardez qui vient d'arriver, débute mon père d'un air moqueur.

Je veux me cacher, quitter cette pièce. Je veux hurler, mais je ne fais rien. Je n'arrive à rien faire. Je suis spectateur d'une horrible réalité qui s'impose à peu à peu à moi.

Papa s'approche de l'homme et il le gifle fortement. J'inspire brusquement en collant mes mains contre ma bouche.

Non ! Pourquoi est-ce qu'il fait ça ? !

Oui, il a déjà porté des coups contre moi. Souvent, même. Mais cet homme ? Il a l'air si mal ! Il faut l'aider. Encore une fois, aucun mot ne sort de ma bouche, je n'y arrive pas.

Mais mon père a entendu ma grande inspiration. Il tourne son regard vers moi. Un regard bleu si similaire et pourtant si différent du mien. Le sien reflète tant de choses qui me font peur. Il ne dit rien, attendant sans doute que je m'exprime, ce que je ne fais pas. Je me recroqueville un peu plus sur moi-même.

La déception prend place sur son visage. Le dégout, aussi.

Un homme s'approche de mon père et ils se ressemblent tellement. C'est mon oncle, Scott. Il presse l'épaule de mon père avant de regarder l'homme blessé en face d'eux.

- Ross, dit-il à mon père, je peux m'en occuper si tu veux.

Mon père se dégage de l'emprise de mon oncle avant de secouer sa tête. Un sourire mauvais se colle sur son visage. J'ai peur. Peur de ce qu'il va faire. Parce que je sens qu'il va faire quelque chose de mauvais.

- Je me charge moi-même des traitres, annonce mon père.

Je fais un pas en arrière et me colle au mur quand mon père récupère le couteau que lui tendait oncle Scott. Au manoir, il n'y a jamais d'armes. Pas devant moi, en tout cas.

Papa, qu'est-ce que tu vas faire avec ça ? je lui demande intérieurement. Mais bien sûr, il ne m'entend pas.

Sa silhouette massive se colle presque à l'homme blessé et il crache entre ses dents serrées :

- Tu as cru pouvoir trahir les Morello en ouvrant ta bouche auprès de certaines personnes ? Laisse-moi te montrer à quel point tu t'es trompé. Laisse-moi te montrer qui dirige ici. Moi. Ross Morello. Et toi, tu n'es qu'une petite merde.

Mon père abat son couteau contre l'homme. Ce dernier hurle tandis que la lame rentre dans son flanc. Mon père le frappe une nouvelle fois. Puis une nouvelle. Les coups se succèdent et le type finit par s'effondrer sur le sol, entouré d'une flaque de sang chaud. L'odeur de fer monte dans la pièce et me retourne l'estomac. Jamais, je n'ai vu une personne en tuer une autre. Mais mon père vient de le faire.

Je tremble de toute part. Les larmes dévalent mes joues sans que je ne puisse rien n'y faire.

Et les hommes rigolent autour de nous, félicitant mon père pour son...Son meurtre.

Mon père vient de tuer un homme et regarde désormais ce dernier se vider de son sang, ce dernier recouvrant le carrelage clair.

Je sens mon corps vaciller une nouvelle fois et un bruit inarticulé sort de ma bouche. Mon père tourne son visage vers moi. Il relève un sourcil , se demandant si j'ai dit quelque chose.

- Tu reparles enfin ? il crache.

Je secoue la tête. Le choc ne me quitte pas. Je veux me rouler en boule contre ma mère. Mais elle n'est plus là, et mon père a tué quelqu'un devant mes yeux.

Il s'approche de moi, mécontent. Mon oncle nous observe, se demandant ce que son frère va me faire. Il se demande s'il doit intervenir, je le vois. Mon cousin Grey, son fils, n'est pas là.

- Parle, exige mon père en s'arrêtant en face de moi.

Mais je ne peux que fixe le couteau ensanglanté qu'il tient. Les larmes dévalent encore plus mes joues et je renifle bruyamment. Voyant que je ne lui obéis pas, mon père récupère le couteau et essuie la lame contre ma bouche.

Le gout du sang percute mes lèvres et j'ai envie de vomir. Mais je suis tétanisé. Complètement mort de peur intérieurement.

- J'ai dit, parle, ordonne mon père avec rage.

Désormais, il n'y a plus aucun bruit dans la pièce. Les sept hommes nous regardent, leurs yeux de rapaces se nourrissant de ma peur.

Je secoue ma tête, défiant mon géniteur. Il s'agenouille devant moi. Mes lèvres s'ouvrent et finalement, un nouveau souffle en sort.

- Plus fort, il crache en réponse.

J'inspire fortement et murmure avec peine :

- Je...Je....

- Tu ? s'énerve-t-il. Articule, bon sang !

Mes yeux me piquent à nouveau, je me frotte la bouche mais aucun mot n'en sort. Je ne veux juste pas qu'il me fasse de mal. Je veux qu'il s'éloigne de moi.

Mon père lève une nouvelle fois sa main vers mon visage et je sursaute. Il interrompt son geste, les sourcils relevés. Mon oncle Scott se tient dans son dos, le visage fermé. Il ne m'aide pas, il observe la scène tout en s'en délectant.

- Je ne vais pas t'abimer, continue mon père avec un petit sourire qui dévoile ses dents blanches, tu es mon héritier, après tout. Mais tu dois parler. Ton caprice s'arrête aujourd'hui.

Ce n'est pas un caprice. Je veux jusqu'on ME LAISSE TRANQUILLE. Je hurle intérieurement. Mes cris résonnent en moi.

Prenant ma réaction pour un nouveau défi, mon père agit sans que je ne puisse comprendre son geste. La pointe du couteau s'enfonce dans le haut de ma joue droite. Ma chair se perce. Ça me brule instantanément tandis qu'il écorche le haut de ma joue dans un geste lent et précis.

A ce moment-là, je m'urine dessus. Le liquide brulant imbibe mon jean et dégouline sur mes baskets. Je me noie dans mes larmes et dans mon sang. Et personne n'intervient.

Alors, je hurle. Un cri déchire ma poitrine et sort de ma bouche tandis que mon père sourit. Je parle.

On me vole mes cris. 

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