Interlude

Depuis qu'il était tout jeune, il ne s'était jamais laissé abattre. Et cela n'allait pas commencer aujourd'hui... Oh que non, parole du comte de Beaujeançais de Millepertuis. Après la révolte de ses sujets, la prise de son magnifique château et les dîners à l'originalité plus que discutable de son cuisinier, il se plaisait à penser qu'en quarante ans d'existence, il avait déjà vécu ce qui pouvait arriver de pire à un homme.

Le comte errait à présent dans des tunnels qui n'en finissaient pas. Était-il perdu ? Allons, il avait vécu situation plus critique que celle-ci ! Parlons par exemple de cette part de gâteau aux pommes sur son lit de viande... Là n'était pas le propos, il repoussa donc ce souvenir dans le coin de sa tête réservé aux pensées parasites, coin qui débordait allègrement sur celui réservé au sens des réalités. Était-il perdu, donc ? Bon, il était vrai qu'il était un peu égaré depuis... deux jours ? Un peu moins ? Un peu plus ? Pourchassé par une bande de miséreux mal lunés qui en voulaient à sa tête, il s'était réfugié dans ces souterrains parisiens dont le dédale lui avait offert dissimulation et protection. Maintenant qu'il avait semé ses poursuivants, il était bien décidé à retrouver la sortie.

Pris d'une inspiration soudaine comme il en avait parfois au détour d'un chemin, il se glissa dans ce nouveau tunnel qu'il pensait ne pas encore avoir exploré. Ils se ressemblaient tous, mais se repérer devenait de plus en plus aisé grâce aux peintures colorées qui recouvraient peu à peu les murs. Était-ce le fait du Seigneur qui souhaitait lui venir en aide ? Le comte appréciait l'intention, quoique les messages illustrassent parfaitement le proverbe selon lequel Ses voies étaient impénétrables.

Impénétrables, mais également inondées pour la plupart. Justement, le comte se retrouva incessamment avec de l'eau jusqu'à la taille dans un tunnel qui continuait de s'enfoncer toujours plus profondément sous terre. L'homme se marqua du signe de croix et avança, gardant pour lui les protestations qu'il aurait bien adressées au Tout-Puissant. Le comte était homme de foi et n'aurait seulement osé se plaindre des épreuves qu'Il plaçait sur sa route, mais tout de même... Un peu de considération pour cet humble serviteur eut été appréciable et appréciée. Sans parler de ces symboles fort peu convenables apparaissant sur nombre de murs qui lui avaient fait lever plus d'une fois un sourcil...

Et la salubrité, parlons-en ! Les rats, l'eau... les os ! Les os, vous rendez-vous compte ? Ils jonchaient là le sol en un macabre tapis de crânes et de fémurs, grossièrement déposés pêle-mêle à même la terre nue. Le comte fronça le nez et s'engagea sur ces restes peu accueillants. Des paysans ne s'en seraient peut-être pas formalisés, mais ses ancêtres à lui étaient enterrés sous la chapelle de son domaine dans de beaux cercueils en bois précieux et non à même la terre comme ces pitoyables miséreux. Pourquoi donc le Seigneur se montrait-Il si cruel envers Son pauvre serviteur ? Tout ce qu'il voulait, c'était garder sa tête là où elle était plutôt que de la voir dans un panier de l'autre côté d'une lame de guillotine.

Cette pensée lui rendit force et courage. Ces mécréants sans foi ni loi n'auraient pas sa tête ! Jamais ! Foi du comte de Beaujançais de Millepertuis ! Ces manants n'avaient qu'à bien se tenir ! Il sortirait un jour de ces tunnels et les prendrait en chasse à son tour... Avec l'aide de quelques nobles amis, d'un mousquet, voire de la cavalerie espagnole. Ils verraient ce qu'il en coûtait de s'en prendre aux nobles du royaume de France.

Après quelque temps, il déboucha sur une salle plus vaste où une lueur vacillante attira son attention : un feu ! L'excitation ainsi que la prudence le saisirent et il avança doucement vers le foyer.

Un groupe d'hommes et de femmes était attroupé autour de vives flammes jaunes et riait gaiement. Le comte grimaça. Des gens du petit peuple, sans aucun doute. Il ne s'en inquiéta pas. Ses riches habits étaient à présent dans le même état que leurs guenilles, maculés de terre et déchirés par endroit. Il s'approcha donc davantage tout en veillant à maintenir une certaine distance vis-à-vis de ces miséreux puis s'éclaircit la gorge :

― Excusez-moi, braves gens, auriez-vous l'amabilité de m'indiquer la direction de la sortie ? s'enquit-il poliment.

Ils verraient ce qu'il en coûtait de s'en prendre aux nobles du royaume de France plus tard. Le comte devait d'abord trouver la sortie.

L'un des hommes se tourna vers lui et le dévisagea, surpris. Sa pilosité incontrôlée ne fit que confirmer ses doutes quant à la classe sociale de cet étranger.

― Bah dis donc, mec, je sais pas dans quoi tu t'es fourré, mais tu verrais ta gueule... fit l'énergumène.

... avec la pauvreté de langage de ladite classe sociale. Le comte retint une nouvelle grimace et se contenta de sourire tout en reculant sensiblement d'un pas. Fort heureusement, cet homme du tiers état semblait avoir reconnu en lui un supérieur et lui indiqua respectueusement le chemin vers la liberté. À droite puis à gauche. Fort simple, donc. Le comte fut ravi de recevoir le traitement dû à son rang et décida dans un sursaut de bonté qu'il ne truciderait peut-être pas ce miséreux-ci.

― Je vous sais gré de l'aide que vous m'avez apportée. Soyez assuré que si nos chemins venaient à se croiser à nouveau, vous serez grandement récompensé, le remercia le comte avant de reprendre sa route.

Des rires étouffés dans son dos firent monter une nouvelle fois sa colère. Ces manants... Qu'ils rient tant qu'ils le pouvaient encore... Bientôt, ce serait leur tête qui roulerait dans un panier...

Si ses doigts avaient été tangibles, il leur aurait bien lancé quelque chose... Cette petite pierre que son pied venait de traverser, par exemple. Il soupira pour se calmer et tourna à gauche.

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