Chapitre 8 : Un plan infaillible

Il était à peine vingt heures quand Enat enfila son manteau sur sa belle robe bleu nuit et prit le petit sac noir en cuir qu'elle réservait aux grandes occasions.

— Je rentrerai tard, donc ne t'étonne pas si je ne suis pas là quand tu reviens. Je t'aime ! Passe une bonne soirée !

Je fermai les yeux le temps que nos lèvres se touchent et quand je les rouvris, ma femme avait déjà disparu dans le couloir et fermé silencieusement la porte.

Elle se rendait ce soir-là à une « réunion avec ses homologues ». Les relations internationales entre douaniers avaient l'air au beau fixe. Peut-être que j'aurais dû choisir ça en boulot secondaire... Mais les horaires décalés n'étaient pas des plus pratiques pour mon activité principale.

En parlant d'activité principale, quelqu'un frappa glorieusement à la porte avant de l'ouvrir en grand. Je grimaçai en voyant le panneau de bois précieux heurter un petit meuble trépied lustré recouvert d'une fine nappe blanche en crochet.

— Bonsoir, monsieur Murphy ! s'écria Léonard. Êtes-vous prêt pour notre deuxième nuit d'enquête ?

Je reportai mon attention sur la starlette en mosaïque en petite robe bleue, micro aux lèvres. Qui avait bien pu commander une merd... pardon... une horreur pareille ?

Erin était affalée dans le canapé avec une glace, les jambes posées à côté de nos assiettes vides sur la table basse que j'avais protégée avec quelques papiers journaux. Elle regardait la télévision et nous ignorait royalement.

Je lui rappelai de ne pas se coucher trop tard, attrapai mon manteau et conduisis mon voisin enthousiaste dans le couloir où nous attendaient son frère et Gary. Qu'est-ce que le téléphone portable de ce dernier avait de si fascinant, à la fin ?

— Voyez-vous, monsieur Murphy, reprit Léonard en ouvrant la marche, nous avons beaucoup réfléchi la nuit dernière et sommes arrivés à quelques conclusions que nous soumettons volontiers à votre bon jugement.

Ah... Je leur avais annoncé que je repenserais aux événements de la veille une fois au calme. Chose que j'avais complètement oublié de faire, bien entendu. Enfin bon, ils avaient l'air de s'être très bien débrouillés seuls pendant mon absence.

Léonard fit un signe de tête à Jocelyn qui sortit un parchemin noircit de lettres rondes, régulières et d'un autre temps.

— Pour convaincre les fantômes de quitter notre monde, il nous faut trouver ce qu'ils cherchent. Or, en l'absence de réponse claire de leur part quant à la nature de l'objet en question, nous n'avons d'autre choix que de rencontrer le voleur pour lui demander ce qu'il a pris et le lui reprendre.

— En conclusion, nous devons partir à la recherche de notre cher ami Honoré, termina Léonard.

Tous deux échangèrent un regard empli de fierté. Ils avaient l'air vraiment heureux d'être parvenus à une telle conclusion.

— D'accord. Et comment on fait ça ? demandai-je en soupirant.

Je les écoutais depuis même pas cinq minutes que la fatigue commençait déjà à m'assommer. Et ne parlons pas de mes jambes endolories suite à la journée de balade en ville.

Leur sourire fondit aussi rapidement qu'une banquise dans le Sahara.

— Eh bien, là se trouve toute la difficulté, reconnut Jocelyn.

— Bah on peut retourner là où vous l'avez vu pour la dernière fois ? suggéra Gary sans lever les yeux de son potable. C'est comme ça que je retrouve mes rouleaux de scotch quand je les perds.

Des étincelles brillèrent dans les pupilles des deux vampires.

— Mais bien sûr ! Un principe vieux comme le monde dont la fiabilité n'est plus à démontrer ! s'exclama Léonard. Où avions-nous la tête ?

— Oh, il me tarde de retrouver Honoré, mon cher frère ! Vous rendez-vous compte de tout ce que nous aurons à nous raconter après deux siècles de séparation ?

Je suivis la troupe de joyeux lurons dans les rues de Paris et le métro (ils n'en avaient pas fini avec leurs « Oh ! » et leurs « Ah ! », à la fin ?) et nous nous retrouvâmes rapidement devant un immeuble en béton datant visiblement du siècle dernier.

— Les lieux ont quelque peu changé, mon très cher frère, constata Jocelyn en détaillant le bâtiment.

— Je suis pourtant certain que c'est en ce lieu que nous avons rencontré notre ami Honoré pour la dernière fois. Les modifications ne sont nullement étonnantes pas ailleurs : rappelez-vous, mon cher, l'incendie qui faisait rage en cette demeure ce fameux jour...

— Je me suis déjà confondu en moult excuses pour le lustre... bougonna Jocelyn en frottant du pied par terre.

— Et vous n'avez plus retenté de vous suspendre au moindre d'entre eux depuis. Il faut apprendre de ses erreurs, mon cher frère, et je constate que vous l'avez fait. Je vous félicite.

Léonard posa une main emplie de fierté sur l'épaule de son frère et ce dernier bomba la bedaine, soudain très content de lui.

Écouter leurs sornettes, ça m'allait cinq minutes, mais si je pouvais rentrer me coucher à la place...

— Dites, on peut chercher votre copain, maintenant ? protesta Gary. J'ai un rendez-vous avec une fille, demain. C'est que la deuxième fois qu'on se voit et je veux pas avoir l'air d'un spectre en arrivant.

Oh, est-ce qu'il comptait se débarrasser de son déguisement ?

— Les cernes accentuent l'ombre de mon œil droit et ça me donne l'air d'un macchabée de cinquante ans... ajouta-t-il en croisant les bras sur sa poitrine.

Ou pas...

Léonard prit la remarque très à cœur et plaça ses mains sur ses hanches dans une posture de super-héros, cape au vent.

— Vous avez raison, Gary ! Réfléchissons...

Il posa une main sur son menton et sembla se plonger profondément dans ses pensées.

Une voix criarde me fit alors bondir.

— Tiens, si c'est pas mes cons ! Comment vous allez, les abrutis ? traduisit aussitôt Gary.

Je me retournai en même temps que mes ahuris de voisins et me planquai aussi sec derrière leur grande cape.

La vieille folle de l'après-midi ! Qu'est-ce qu'elle fichait ici ?

— Chère dame Irma, quelle joie de vous revoir en ce lieu après toutes ces années, la salua Léonard en se penchant pour lui baiser la main.

— Vous étiez pas censés être bannis ? C'est la Punaise de Lit Suprême qui va en faire, une tête, s'il vous découvre ici...

Jocelyn posa également ses lèvres sur sa main avant de la rassurer :

— N'ayez crainte pour nous, chère madame, nous avons pris soin d'arriver un dimanche.

La vieille essuya le dos de sa main sur son châle en grimaçant :

— C'est pas pour vous que je m'inquiète, mais plutôt pour les parigots. Vous allez pas me les saigner tous, hein ? C'est pas bon pour le commerce !

Tandis que les vampires lui expliquaient grosso modo la raison de leur présence ici, je sortis mon téléphone pour faire mine d'être très occupé. Je me retrouvai par hasard sur ma boîte mail personnelle que je regardais tous les trente-six du mois et y découvris alors plusieurs messages d'un livreur de pizzas. Validations de commande, confirmations de livraison, demandes d'avis... Tout ça à notre adresse, tous les soirs depuis notre départ. Qui avait bien pu...

— Bref, c'est pas tout ça, mais j'ai une assemblée de sorcières ce soir. En plus, il y aura plusieurs grosses pointures du milieu et comme je suis déjà à la bourre... Ciao mes cons !

Quand je jetai un coup d'œil par-dessus l'épaule de Jocelyn, la vieille avait déjà disparu dans la bouche de métro la plus proche.

Léonard se tourna une nouvelle fois vers nous et répéta :

— Réfléchissons... Il nous faut retrouver les traces de ce cher Honoré...

— On serait peut-être mieux installés dans un pub, je commence à avoir un peu soif, moi, suggéra Gary.

J'eus beau protester, mes trois compagnons m'ignorèrent joyeusement et m'entraînèrent jusqu'au bar qu'ils avaient trouvé hier après mon départ (ils étaient allés chercher loin de Bastille, finalement).

L'ambiance bondée et chaleureuse me rappela un peu Temple Bar et une bouffée de mal du pays me saisit.

Dans ma grande sagesse (avec en fond le souvenir d'Enat), je me contentai d'une limonade. Quand je la saisis, un frisson me parcourut et je m'imaginai la silhouette désapprobatrice de Bob perchée sur le tabouret à côté de moi. La vision me parut si réelle que je crus même apercevoir un couvre-chef vert assis à une table un peu plus loin. Accompagné d'un sombrero, qui plus est.

Je me frottai les yeux, constatai que la fatigue commençait à me jouer des tours et rejoignis le groupe d'abrutis un peu plus loin.

Dès qu'une table se fut libérée, nous y prîmes place et Léonard commença sans tarder à nous exposer son idée, soigneusement retranscrite à la plume sur une feuille par Jocelyn.

— Il nous faut quadriller toutes les rues de Paris, déclara-t-il. Nous diviserons la capitale en quatre zones que nous nous répartirons. Nous les parcourrons jusqu'à ce que nous retrouvions ce cher Honoré à compter de ce soi...

Gary vida alors son verre d'une traite et le reposa bruyamment sur la table.

— Super plan ! Bon, moi, je vais me coucher, je veux être frais demain. Bonne nuit !

Il se leva et quitta le bar.

— ... à compter de demain soir, termina donc Léonard. Il nous serait difficile de mener ce projet à bien à trois.

Ah, parce qu'à quatre, c'était mieux, selon eux ? Je soupirai déjà à l'idée de passer mes nuits dehors à chercher quelqu'un qui se trouvait très certainement loin d'ici.

Bah, au moins, j'étais payé en horaires de nuit.

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