Chapitre 13 : Ou l'art de se perdre

— Et c'est alors qu'ils sont arrivés dans mon dos, voyez-vous ? Furtivement, tels les lâches qu'ils étaient... Et ils sont repartis comme ils étaient venus, sans que je me doute de rien.

J'ignorai le comte et poursuivis mon chemin en veillant à ne pas perdre de vue le dos de Gary. C'était bien la cinquième version du larcin qu'il me racontait. Deux minutes plus tôt, il s'était fait arracher ce quelque chose qu'on lui avait dérobé à la suite d'un combat acharné au cours duquel il avait failli perdre une jambe et Mamour, son fidèle destrier.

Au moins, il semblait avoir intégré définitivement le fait que je ne parlais pas un mot de français.

— Ils hurlaient, voyez-vous ? « Rendez-le-nous ! », « Voleur ! ». Ils m'ont pris en traître et m'ont sauté dessus pour me rouer de coups.

Sixième version.

— Fort heureusement, un brave passant est intervenu et a su convaincre ces mécréants que mon noble statut ne leur permettait nullement de telles incartades. J'ai fait preuve de mansuétude et les ai donc laissés partir vivants. Sans cet homme, ils auraient tous fini sur le fil de mon épée, foi du comte de Beaujeançais de Millepertuis ! Et leur sauveur, quel homme ! Ses paroles ne manquaient pas de perfidie malgré sa petite taille.

Il s'arrêta un court instant avant de reprendre d'une voix pensive :

— Sa toute petite taille...

Je n'avais vraiment pas envie de me laisser prendre au jeu. Vraiment, vraiment pas. Mais si cela me permettait d'être payé en avance et d'apprécier pleinement mes derniers jours de vacances à Paris sans avoir à me soucier d'une pseudo-enquête, soit.

Je laissai donc mon intuition parler et demandai :

— Avec un costume et un chapeau vert ?

Ses yeux se perdirent une nouvelle fois dans le vide et je craignis qu'il ait complètement oublié ce que je venais de demander (je ne pense pas que j'aurais supporté une septième version de son histoire). Enfin, il marmonna :

— Eh bien, maintenant que vous le mentionnez...

Bob.

Est-ce qu'ils manquaient d'idées pour leurs antagonistes ? Ou peut-être qu'ils avaient un contrat avec le nain pour en faire le grand méchant de toutes leurs histoires ? Ça faisait deux fois d'affilée, tout de même.

Il m'en fallait toutefois informer les abrutis de devant sur-le-champ. Je me rendis alors compte que je ne les avais jamais interpellés... Comment devais-je les appeler ? Messieurs du Bois de... Non, trop compliqué à prononcer. Léonard et Jocelyn ? Trop familier. Les cons ?

— Eh, devant ! fis-je. Votre copain me dit qu'il a croisé Bob quand on lui a volé son... quelque chose.

Les vampires firent aussitôt volte-face et Gary rentra dans Jocelyn. Il se baissa pour récupérer un petit truc rond qui était tombé (encore ? Il n'était pas très inventif), le nettoya et le remit... quelque part... au niveau de son visage.

— Vraiment ? Peut-être Bob saura-t-il ce que nous devons chercher ! s'exclama Jocelyn.

— Ou peut-être est-ce lui le véritable coupable ! suggéra Léonard. Ce vil leprechaun nous a déjà montré qu'il ne reculait devant rien pour accomplir ses sombres desseins !

— Mais... Il était dans le coin pendant la Révolution ? demanda Gary.

Je devais bien admettre que dans l'état où il se trouvait, je ne m'attendais pas à entendre le zombie participer à la conversation. J'admirais son professionnalisme.

Les vampires se regardèrent.

— N'était-il pas en Écosse à cette période ? se rappela Jocelyn. Nous avions passé quelques jours avec lui au pub après notre court séjour à Paris. Comment aurait-il fait pour se trouver en deux lieux distincts en même temps ?

Léonard sembla réfléchir un instant puis il demanda :

— Honoré, mon cher, pourriez-vous nous décrire plus en détails ce leprechaun que vous avez rencontré ?

Je me retournai.

Le comte avait disparu.

— Oh non ! Nous avons croisé une galerie perpendiculaire il y a de cela trente-sept secondes ! Se serait-il égaré ? s'affola Jocelyn.

Il s'était surtout fait la malle, oui... Le vampire pensait-il vraiment qu'Honoré s'était perdu alors que je marchais juste devant lui avec une torche ? Dont la lueur faiblissait, d'ailleurs, mais j'essayais de ne pas trop y penser.

— Il n'aura jamais été très habile pour s'orienter, déclara Léonard en haussant les épaules. Tant pis, il ne mourra pas davantage. Concentrons-nous plutôt sur notre affaire ! Je ne connais qu'un seul leprechaun si maléfique qu'il interviendrait dans une telle querelle et il s'agit de nul autre que cet abominable Bob ! Peut-être a-t-il usé de quelque sorcellerie ou d'un habile subterfuge pour rendre son méfait possible ?

Donc maintenant qu'on avait identifié Bob comme le grand méchant de l'histoire, il n'était plus vraiment utile de garder Honoré avec nous ? Bon, comme je vous le répétais depuis le début, la logique ne s'appliquait pas vraiment à ces gens-là et je n'allais pas non plus insister pour faire demi-tour. Cet Honoré avait sans doute un plan quelque part sous ses haillons et avait gentiment tiré sa révérence une fois son rôle accompli.

Nous reprîmes donc notre errance sans que le sort du comte ne semble plus importer à ses « amis » le moins du monde.

Puis ce qui devait arriver arriva : le téléphone de Gary s'éteignit et il se remit à pleurnicher (oui, il avait décidé de garder la lampe allumée alors que j'avais ma torche). À son tour, la flamme mourante qui dansait péniblement sur mon bout de bois rendit l'âme dans un dernier râle de fumée grise.

J'essayai d'empêcher le désespoir de m'envahir et sortis mon téléphone portable pour en allumer la lampe. J'ignorai combien de temps tiendrait la batterie, mais je ne m'attendais pas à la voir survivre plus d'une demi-heure.

Ni Léonard ni Jocelyn ne semblèrent remarquer les différentes variations de luminosité et tous deux poursuivirent leurs pérégrinations aléatoires sans casser leur allure (Léonard avait fini par ranger le plan et menait le groupe au hasard. « Nous sommes en pleine aventure ! », s'était-il exclamé en repliant le parchemin et en le glissant sous sa cape).

Un sifflotement et quelques rires devant nous me firent bondir de joie.

— Bonjour ! nous salua un jeune homme (enfin... Disons que c'est Gary qui me salua pour lui) quand son tunnel déboucha sur le nôtre. La forme ?

Il fut rapidement rejoint par deux autres jeunes. Ils devaient avoir à peine vingt ans, étaient armés de lampes torches et de grands sourires.

— Bonjour, messieurs, madame, répondit Léonard.

Il ponctua son dernier mot d'une gracieuse révérence pour la femme du groupe. Celle-ci la lui retourna en riant.

— Nous achevons notre enquête sur les fantômes qui hantent vos rues depuis plusieurs nuits. N'ayez crainte, ces esprits ne vous porterons plus préjudice très longtemps.

Les jeunes échangèrent des regards étonnés et amusés.

— Eh bien merci, c'est gentil de votre part... rit le jeune. Vous êtes tous seuls ? Vous n'avez pas de guide ? De lampes torches ?

Il baissa les yeux sur les mains vides de Léonard.

— Un plan ?

L'aîné des vampires sortit le parchemin d'un geste théâtral et le présenta fièrement au jeune homme. Ce dernier ouvrit des yeux ronds.

— Mais il date de quel siècle, votre plan ?

Je m'en doutais... Comment la vieille folle qui nous l'avait vendu voulait-elle qu'on se repère dans ce labyrinthe avec un plan périmé ? C'était de la mise en danger de la vie d'autrui ! Que disais-je... Une tentative de meurtre !

Le souvenir des yeux exorbités de la voyante me revint en tête. Bon, j'allais laisser passer cette fois-ci. Je n'avais pas envie de la revoir et je ne me sentais pas capable de lui tenir tête. Elle faisait quand même de sacrées clés de bras et mon épaule était déjà bien assez douloureuse.

— On... va vous raccompagner à la sortie... décida le jeune homme après avoir consulté ses compagnons du regard.

Je soupirai de soulagement. Enfin des gens censés qui nous conduiraient à la surface !

Léonard parut déçu d'être démis de ses fonctions de meneur et Jocelyn posa une main sur son épaule pour le réconforter. Nous nous mîmes ensuite en route pour la sortie et...

— Voilà ! annonça le jeune homme une minute plus tard.

Il désigna un trou étroit dans le mur. Je grimaçai déjà à l'idée de devoir ramper là-dedans avec mon épaule démise. Déjà que j'étais plié en deux tant la galerie dans laquelle nous nous trouvions était basse de plafond... Tout ça n'était vraiment plus de mon âge !

— À vous l'honneur, monsieur Murphy, s'inclina Léonard. Pour avoir retrouvé ce cher Honoré et avoir démasqué Bob, vous méritez de sortir en premier de ces galeries.

Merci bien. Je ne me faisais pas prier et me jetai presque sur le trou avant qu'il change d'avis.

Après quelques contorsions douloureuses, je parvins rapidement dans un espace dont je devinai grâce au bruit de ma respiration qu'il était plus vaste que les galeries souterraines.

Pourtant, je ne voyais ni Lune, ni étoiles, ni la moindre source lumineuse. Étais-je toujours dans les catacombes ?

Je ressortis mon téléphone en râlant et éclairai les alentours. Je me trouvais dans une espèce de tunnel en pierres taillées dont je ne parvenais pas à voir les extrémités, ni d'un côté ni de l'autre.

Formidable, on n'était pas encore sortis de l'auberge.

Un petit faisceau lumineux vint ensuite se balader sur les parois avant de m'atterrir dans la figure.

— Oh, un grand tunnel, remarqua Gary. Regardez, monsieur Murphy, les gens en bas m'ont donné une lampe !

J'aurais bien regardé, mais c'était difficile avec la torche braquée dans les yeux. Quand le zombie eut repris ses explorations et que ma vue se fut remise de ses émotions, je découvris Léonard et Jocelyn, debout à côté du trou des catacombes en train d'épousseter leur cape.

La lampe de mon téléphone passa de Jocelyn au trou à Jocelyn et une nouvelle fois au trou. Comment avait-il bien pu passer ?

— Merci de m'avoir porté, très cher frère, fit-il en levant les yeux sur Léonard.

— Je vous en prie. Mais vous devriez vraiment surveiller votre ligne : même transformé, vous êtes ridiculement lourd.

Peut-être que la graisse qui recouvrait le ventre du cadet était étonnamment malléable ?

— Bien, en route ! s'exclama Léonard. Retrouvons Bob et faisons-lui avouer ses crimes !

Il regarda d'un côté du tunnel, de l'autre, encore de l'autre et finis par choisir une direction au hasard.

On n'était vraiment pas sortis de l'auberge.

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