Chapitre 11 : Le grand plongeon, version Daniel

Les vampires reprirent joyeusement la tête de notre expédition et observèrent le plan dans ses moindres détails pour essayer de le comprendre. Autant dire que cette histoire ne me disait absolument rien qui vaille. Mais après l'évocation d'une prime d'exploration nocturne, j'avais décidé qu'il était de mon devoir de veiller à ce que cette enquête soit promptement résolue.

Une bonne demi-heure et cinq mouchoirs de Gary plus tard, mes cons de voisins se rendirent compte qu'ils ignoraient complètement comment descendre dans les souterrains. Pour mon plus grand malheur, ils se tournèrent alors vers moi.

— Le seul accès que je connaisse est fermé à cette heure, grommelai-je aussitôt.

Hors de question que je les aide à descendre dans ce labyrinthe sombre bourré de squelettes !

— Bonsoir messieurs, auriez-vous un peu de temps à nous accorder pour parler de notre Saigneur et Maître Gutulgu ?

Je me questionnai alors sur ma place dans l'univers et sur tous les torts que j'avais pu inconsciemment lui faire pour qu'il m'en veuille autant.

Zigoto numéro un nous observait tous les quatre de son regard de poisson mort. Zigoto numéro deux avait jeté son dévolu sur une mouche qui virevoltait autour d'un lampadaire.

D'abord ma chambre d'hôtel, puis les catacombes, puis ici, en pleine nuit ? Ils me pistaient, ou quoi ?

Les catacombes ? Mes yeux se posèrent sur les prospectus que Zigoto numéro deux serrait entre ses mains. Ils n'avaient commencé à apparaître qu'à mi-parcours. Après cette grille derrière laquelle un tunnel se prolongeait dans l'inconnu et l'obscurité...

Il fallait à tout prix que nous partions d'ici avant que mes cons de voisins...

— Bonsoir, messieurs ! Nous en serions ravis, mais nous cherchons actuellement un moyen de descendre dans les catacombes, expliqua Léonard.

La tête de Zigoto numéro un tomba sur l'une de ses épaules, comme si un tendon de son cou s'était rompu.

— Les catacombes ? s'enquit-il d'un ton morne.

— Les anciennes carrières souterraines. Nous sommes en pleine enquête, voyez-vous. La sécurité et le bien-être des habitants de cette cité en dépendent !

Aux côtés de son frère, Jocelyn hocha farouchement de la tête. Gary se moucha dans un mouchoir orné de petits zombies verdâtres.

La caboche de Zigoto numéro un pencha de l'autre côté.

Malgré cette prime que me promettaient les vampires, ma réticence ne faisait que croître à mesure qu'une solution pour pénétrer dans les catacombes en pleine nuit se rapprochait. Je finis par craquer et décidai que parcourir la centaine de kilomètres carrés qu'occupait Paris était bien plus attrayante que de passer ne serait-ce que quelques heures dans de sombres souterrains en compagnie de trois abrutis.

— Nous ne voudrions surtout pas prendre plus de votre temps, me lançai-je. Nous nous débrouil...

— Parleriez-vous de ces formidables tunnels, par hasard ? Nous nous y sommes effectivement rendus cet après-midi dans le cadre de notre campagne électorale. La compagnie y est charmante. Peu loquace, mais fort à l'écoute. Suivez-moi, je vous prie.

Zigoto numéro un tourna les talons et se mit en route à petits pas. Son comparse le suivit en se léchant les babines. La mouche qu'il fixait jusqu'à présent avait dû se trouver un autre lampadaire car son ombre ne tournicotait plus autour de celui dont nous quittions la lumière.

Quelques minutes plus tard, nous nous trouvions au-dessus d'une bouche d'égout que rien ne distinguait vraiment des autres.

Zigoto numéro un inclina la tête, tendit un prospectus aux vampires et nous salua :

— Que les préceptes de Bobo le Magnifique vous guident dans vos recherches et assombrissent votre nuit.

Tandis que le duo d'ahuris s'éloignait enfin, Jocelyn parcourut rapidement le programme du dénommé Gutulgu en hochant la tête.

— Fort intéressant, commenta-t-il. Ce démon a de grandes ambitions, nul doute qu'elles trouveront un jour récompense.

Léonard, quant à lui, sautilla joyeusement autour de la bouche d'égout avant de se mettre à quatre pattes pour la desceller. Quelques secondes plus tard, il tenait au-dessus de sa tête la fausse plaque en plastique (j'avoue qu'en pleine nuit, on aurait pu se laisser avoir, mais son apparente légèreté ne laissait pas la moindre place au doute) et regardait joyeusement l'abysse ténébreuse qu'il venait d'ouvrir.

Je déglutis et cherchai désespérément une excuse pour me défiler. Hors de question que je descende dans ce trou, nom de Dieu !

Le téléphone de Gary vibra dans sa poche et il l'en sortit aussitôt d'un ample mouvement fébrile du bras qui me cueillit dans les côtes. Je trébuchai et, avant d'avoir pu comprendre ce qui m'arrivait, mon pied rencontra le vide et je basculai dans l'obscurité.

Une terreur sans nom me saisit et j'agitai mes bras et mes jambes dans tous les sens. L'une de mes mains finit par rencontrer une barre métallique à laquelle je m'accrochai de toutes mes forces. Je sentis un claquement dans mon épaule quand toute la masse de mon corps et l'énergie cinétique de ma chute se répandirent dans mon bras.

Quand je réalisai que je ne tombais plus, je cherchai à tâtons d'autres appuis pour ma main gauche et mes jambes tremblantes. Cela fait, je restai immobile un instant pour que mon pauvre cœur cesse de jouer au marteau piqueur.

— Mais... Attendez-nous, monsieur Murphy ! s'exclama la voix de Léonard quelques mètres au-dessus de ma tête.

Je passai un bras derrière une barre métallique pour m'assurer une prise plus solide. Le temps que mon cerveau rassemble et reconnecte tous les neurones qui s'étaient lancés dans un french cancan désordonné au sein de ma boîte crânienne. Et puis il aurait été dommage que mes mains faibles et tremblantes me lâchent maintenant, juste après m'avoir sauvé d'une chute mortelle. Surtout que j'éprouvais les plus grandes difficultés à bouger mon épaule droite.

J'entendis des bruits de pas descendre les barreaux rouillés de l'échelle. Puis quelque chose (je crois que c'était un pied) atterrit sur ma tête.

— Allons, ne restez pas immobilisé là ! Descendez, monsieur Murphy ! protesta Léonard.

Je desserrai prudemment ma prise sur une barre, manqua glisser sur la suivante, puis poursuivit ma descente jusqu'à toucher la terre ferme.

Enfin... Jusqu'à atterrir dans une flaque.

Les pieds et le bas du pantalon trempés, l'épaule droite finalement très douloureuse (et très certainement déboîtée), les mains engourdies et les jambes encore flageolantes, je me retrouvai donc plusieurs mètres sous terre dans le noir absolu. Un frisson me parcourut.

Quelque chose (je crois que c'était le même pied) me heurta et je tombai à plat ventre dans l'eau. Aïe, mon épaule.

— Allons, ne restez pas immobilisé là ! Avancez, monsieur Murphy ! s'exclama Léonard.

Il avait l'air bougon. Je me faisais des idées, ou bien il était jaloux que je sois « descendu » en premier ?

Je me relevai en grommelant. J'étais à présent trempé de la tête aux pieds. Et je ne voyais toujours strictement rien.

Derrière moi, des bruits d'éclaboussure m'annoncèrent que tout notre petit groupe était à présent six pieds sous terre.

— Je dois raccrocher, maman, je vais visiter les catacombes... Je t'aime très, très fort... sanglota Gary. Maman ?

Il fondit à nouveau en larmes et se moucha. Quelqu'un avait dû oublier de le prévenir qu'il n'y avait pas de réseau ici.

— Ne vous en faites pas, Gary. Nous serons bientôt de retour à la surface et vous pourrez rappeler votre maman, le rassura Jocelyn.

— Bien ! Voyons un peu ce plan ! déclara Léonard.

Un bruit de papier qu'on dépliait emplit le silence du souterrain.

— Mais moi, je vois rien ! gémit le zombie.

Moi non plus et j'agissais pourtant en adulte...

— Oh, attendez, je dois avoir quelque chose qui... marmonna Jocelyn.

Je l'entendis farfouiller dans sa cape puis il poussa un petit cri victorieux. Il y eut un bruit d'embrasement et une douce flamme vint illuminer l'obscurité.

Le vampire se tenait là, tout guilleret, une grosse torche puante enflammée à la main.

D'où est-ce qu'il sortait ça, lui ?

Gary renifla. À la lueur dansante du feu, sa dégaine travaillée de zombie n'en paraissait que plus terrifiante. Il regarda ensuite son portable.

— J'en veux pas, ça sent pas bon et puis ça va faire fondre ma peau.

C'est ainsi que j'héritai de la torche.

Après m'être assuré que le feu restait au bout et n'allait pas venir lécher ma main, j'observai l'environnement dans lequel j'avais bien failli me rompre le cou.

Le tunnel dans lequel nous avions débouché se prolongeait d'un côté et de l'autre vers l'obscurité. Le sol, recouvert d'eau, émergeait par endroits pour former de petits îlots secs. L'ocre des parois lisses était couvert de tags. J'en fus quelque peu rassuré : ainsi, des personnes bien vivantes avaient visité ces galeries... Peut-être même y en avait-il pas trop loin pour me tirer de là avant que les abrutis qui m'accompagnaient ne fassent plus de bêtises.

Léonard regarda le plan. Il le tourna à quarante-cinq degrés. Puis à quatre-vingt-dix. Puis à cent quatre-vingt. Puis à quarante-cinq à nouveau. Cet angle parut le convenir et il afficha un petit sourire satisfait.

— Nous sommes ici et il faut aller dans cette direction, déclara-t-il en indiquant le tunnel qui partait sur notre droite.

J'ignorais où était ce « ici » et ce que nous trouverions exactement en allant « dans cette direction », mais c'était lui qui avait le plan, je n'avais d'autre choix que de le suivre. Et cette perspective ne m'enchantait pas le moins du monde.

Notre petit groupe se mit donc en route dans les galeries étroites et humides, éclairées de la lueur de ma torche.

Après quelques bifurcations accompagnées de rotations approximatives du plan jauni, nous nous arrêtâmes à la croisée de deux chemins et je sortis enfin de mon silence :

— On est perdus, c'est ça ?

Léonard tourna vers moi des yeux outrés.

— Que racontez-vous là, monsieur Murphy ? Perdus ? Que nenni !

Il fit pivoter une nouvelle fois le plan et se gratta la tête.

— Il semblerait simplement que certains embranchements ne fussent point représentés ici...

Il haussa les épaules, s'attarda deux secondes sur chacun des tunnels qui se présentaient à nous et sembla en sélectionner un au hasard.

— Et puis comment voulez-vous que nous nous perdions si nous ne savons déjà pas où nous nous rendons ? ajouta-t-il.

Jocelyn poussa un « Oh ! » illuminé et suivit son frère en acquiesçant fortement. Gary leur emboîta le pas dans un bruit de trompette et je restai là, coi.

Mais qu'est-ce que je foutais ici, crénom de nom ?

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