Chapitre 10 : Chez Rima

— Allons, Gary, ne vous inquiétez pas, nous la retrouverons. Faites-nous confiance !

Jocelyn plaça une main compréhensive sur l'épaule du zombie en pleurs. Ce dernier sortit son mouchoir à nounours et se moucha bruyamment.

— Qu'est-ce que je vais faire si on ne la retrouve pas ? Nous nous entendions si bien...

Nouveaux sanglots, nouveau jeu de trompette.

Entre ces effusions de larmes et les cris enthousiastes de Léonard, très, très motivé à l'idée de poursuivre notre enquête, je n'étais pas vraiment sûr d'avoir tout compris. Je crois que la fille que Gary fréquentait depuis quelques jours lui avait posé un lapin dans l'après-midi et qu'il avait décrété qu'elle avait été mystérieusement enlevée. Encore.

Jocelyn tapota une nouvelle fois l'épaule du zombie en un geste réconfortant. Il se tourna ensuite vers moi, sans doute pour essayer de changer de sujet.

— Alors, monsieur Murphy, qu'avez-vous fait avec votre famille aujourd'hui ?

Je marmonnai sans tarder une réponse contenant les mots « balades », « tour Eiffel » et « catacombes ». Sur ce dernier, les yeux de Jocelyn s'écarquillèrent, sa bouche se fendit en un grand sourire et son frère fit volte-face, la même expression sur le visage.

Un très, très mauvais pressentiment me serra le ventre.

— Pourquoi n'iriez-vous pas visiter les catacombes demain ? suggéra le cadet des vampires au zombie. Peut-être vous y ferez-vous des amis.

— Rendons-nous-y de ce pas ! s'enthousiasma Léonard.

Non. Non, non, non, non, non.

— Mais... Et l'enquête, mon très cher frère ? s'étonna Jocelyn.

Oui. Oui, oui, oui.

— Nous ne pouvons délaisser les souterrains ! Trouvons une carte et partons à la découverte de galeries inexplorées !

Mais non ! Il faisait nuit noire, il n'y aurait rien ni personne là-dessous, juste les squelettes, trois cinglés et moi ! Ils ne voulaient pas laisser tomber leurs idioties une petite heure ou deux et s'y rendre pendant la journée, comme tout le monde ?

— Je vous assure que je n'ai rien vu dans les catacombes, suppliai-je presque. Je vous laisse revérifier et je vais rentr...

— Quelle splendide idée vous avez eue là, monsieur Murphy ! Sans votre grande sagesse, jamais nous n'aurions songer à explorer ce lieu si mystérieux et ô combien fascinant !

C'est ça... Bravo Daniel. Ça t'apprendra à te taire, me réprimandai-je.

Je regrettais l'absence de mur dans ma proximité immédiate pour m'y faire rentrer ces mots dans le crâne. Je les connaissais, pourtant, ces abrutis ! Comment avais-je pu imaginer une seule seconde qu'ils ne sauteraient pas sur l'occasion de célébrer leur bêtise à la simple mention du mot « catacombes » ?

J'ignorais que c'était encore possible, mais la motivation de Léonard avait semblé triplé. J'eus beau essayer de me défiler un certain nombre de fois, il était lancé dans une intense diatribe passionnée sur l'histoire des catacombes agrémentée de quelques anecdotes personnelles inventées pour l'occasion et n'écouta pas un traître mot de ce que je lui racontais.

Nous arrivâmes au pied d'un immeuble haussmannien soigneusement entretenu et Léonard appuya sur l'une des sonnettes. Je me demandai qui parmi leurs connaissances pouvait bien habiter dans un bâtiment pareil. Peut-être un homme d'affaire ou une riche héritière. Après tout, eux-mêmes croulaient sur l'or, il n'aurait pas été surprenant que, malgré leur excentricité, ils connaissent du beau monde.

Bon, cette déduction ne répondait pas aux deux autres questions que je me posais, à savoir : « que fait-on ici ? » et « nous répondra-t-on à vingt-trois heures trente ? ».

Étonnamment, deux minutes plus tard, la grande porte s'ouvrait sans un bruit.

Et puis zut.

— Bah mes cons, qu'est-ce que vous glandez là à cette heure ? traduisit aussitôt Gary entre deux sanglots.

La vieille folle se tenait dans le hall de l'immeuble en robe de chambre rose un peu délavée, pantoufles en moumoute bleu flashy et boue verte étalée sur le visage. J'entendis comme un pépiement émaner de sa tignasse emmêlée, quelque part au niveau d'une plume qui s'y était coincée.

Léonard la salua aussitôt avec enthousiasme :

— Bonsoir, madame Irma, nous souhaiterions nous rendre dans les catacombes. Auriez-vous l'amabilité de nous fournir un plan des tunnels si vous avez la grâce d'en posséder un ?

— Mais qu'est-ce que vous voulez que je foute d'un plan des...

Ses yeux se posèrent sur moi et des rouages semblèrent se mettre en route quelque part dans son cerveau. Le pépiement se fit plus fort.

— Bah c'est toi ! s'écria-t-elle, en anglais cette fois, en tendant un ongle crochu au vernis écaillé sur moi. Celui qui cherche pas ce qui se trouve sous ses pieds ! Tu m'as bien fait perdre mon temps hier avec cette séance de voyance inutile, hein !

Comment ça ? Mais c'était elle qui...

— Mais c'est vous qui... commençai-je.

— T'avais qu'à pas me suivre !

Je me tus et baissai le regard. Les éclairs qui jaillissaient de ses yeux me semblaient bien trop menaçants pour risquer de les affronter. Et je n'avais pas oublié la clé de bras.

— Ah ! Mais alors c'est vous qui cherchez ce qu'il avait sous les pieds, mes cons !

— Ce que nous cherchons se trouvait sous vos pieds ? Pourquoi avez-vous gardé pour vous une information si capitale, monsieur Murphy ? s'étonna Léonard.

Parce que cette vieille est folle ? Et qu'est-ce que vous pourriez bien chercher dans la Seine, de toute façon ? Un vélo rouillé ? Un poisson à trois têtes ?

— Montrez-nous ce que vous cachez sous vos chaussures, monsieur Murphy ! insista Jocelyn.

— Daniel Murphy ?

Je relevai la tête, constatai que la vieille me fixait et tournai des yeux mécontents vers mes voisins. Ainsi, ils avaient parlé de moi à cette folle ?

Elle me dévisagea un instant de son regard de tarée puis tourna les talons.

— Suivez-moi, mes cons ! Vous aurez votre carte !

Mes voisins la suivirent, tout excités, et je leur emboîtai le pas avec réticence, suivi de Gary qui avait sorti un nouveau mouchoir bleu avec des petits canards jaunes. Cette vision me rappela un certain CoinX et je détournai rapidement le regard, assailli par de mauvais souvenirs.

La vieille voyante habitait au dernier étage (sans ascenseur, si ça vaut la peine de le préciser), dans une ancienne chambre de bonne qui semblait avoir été conservée dans son état d'origine. Toilettes (non) incluses, vu l'odeur. À moins que ce ne soient les déjections des piafs qui avaient élu résidence en haut des étagères qui empestaient ainsi... Elle avait rédigé soigneusement son... nom... en majuscule (histoire de rendre sa bêtise plus évidente) sur un bout de papier scotché à côté de sa porte : « CHEZ RIMA, GRANDE VOYANTE ».

La folle fit quelques pas dans la pièce, remua deux ou trois piles de vêtements sales et de paquets de chips vides puis s'allongea à plat ventre sur le sol pour farfouiller sous son lit.

— Ah ! s'exclama-t-elle enfin.

Elle extirpa difficilement du bazar qui s'était glissé sous son sommier un petit cylindre en plastique, le retourna dans un sens, puis dans l'autre et sourit largement quand la boîte émit un meuglement un peu hésitant.

— Je me demandais où elle était passée, celle-là...

Tels des rapaces fondant sur leur proie, les vampires l'avaient aussitôt rejointe en entendant le bruit étrange et contemplaient à présent l'objet qui l'avait produit avec une fascination sans bornes.

Je détournai le regard du pathétique spectacle et observai les autres portes du palier en adressant un message de soutien silencieux à ceux qui logeaient de l'autre côté. Eux non plus n'étaient pas vernis en matière de voisins.

— Trouvé !

Je n'avais pas envie de voir la nouvelle absurdité qu'allait nous présenter la vieille, mais ma curiosité fut plus forte que mon dédain et je reportai mon attention sur l'intérieur de la pièce.

La folle tenait entre ses mains un vieux parchemin tout jauni. Elle le déplia et nous le montra à bout de bras. Les vampires délaissèrent la boîte à meuh pour planter des yeux enthousiastes sur la trouvaille de la vieille voyante.

Léonard tendit une main pour se saisir du plan mais ce dernier se retrouva aussitôt hors de sa portée, remplacé par une main tendue. Je ressentis depuis la porte l'immense contrariété doublée de déception qui émanait du vampire.

— Cinquante euros, ordonna la vieille.

Jocelyn plongea une main dans sa poche et en sortit un bout de papier orange (première fois que je voyais un billet de cinquante euros en vrai...) qu'il déposa dans la paume tendue de la voyante. Cette dernière sourit avec satisfaction et posa le plan déplié sur la tête de Léonard sans quitter son argent des yeux.

— Suis-je en présence du véritable plan des catacombes de Paris ? demanda l'aîné des vampires d'une voix émue depuis le couvert du parchemin.

— Euh... Ouais, plus ou moins... C'est une vieille amie qui me l'a refilé hier et... Bref, ça ira !

Son regard croisa brièvement le mien avant de se reposer sur le dos de son nouveau billet. Elle le leva bien haut en direction de la fenêtre pour mieux l'observer au clair de lune.

— Vénérable madame Irma, nous ne savons comment vous remercier, fit Jocelyn.

— Ouais, ouais. Barrez-vous, mes cons, MacRoaster et ChickNorris veulent dormir.

Elle tendit une main vers le sommet d'une étagère d'où émanaient quelques pépiements énervés, en descendit un oisillon rose et le fourra dans sa tignasse, où était sans doute déjà installé le deuxième.

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