3 avril 2016 - Eline

Lyon, 3 avril 2016

De : Éline Castellan

A : Romain Dalmans

J'ai suivi ton conseil, je suis allée voir un psy. J'ai cru que j'allais lui faire bouffer son stylo. J'étais déjà sur les nerfs rien que par le trajet jusqu'à son cabinet.

Je n'ai pas arrêté de regarder partout dans la rue, les gens ont vraiment dû croire que j'étais folle. Non ce n'est pas cela. Pathétique. Oui, je suis pathétique.

Je n'étais pas sortie de chez moi depuis mon retour. Je passe mon temps à commander des trucs tout faits pour manger, je n'ai même plus envie de faire la cuisine.

Tout ce que je sais faire c'est rester couchée dans mon lit à attendre que les cauchemars cessent.

Mais j'ai fini par bouger et je suis donc allée voir ce gentil psy hier qui m'a regardé pendant cinq minutes sans prononcer une parole et qui n'a pas arrêté de prendre des notes dans un petit carnet. J'aimerais bien savoir sur quoi puisque je n'avais rien dit.

Il m'a demandé ensuite comment je me sentais. Non, sans blague ?

Alors je lui ai dit : «Je rêve d'explosions, de corps déchiquetés, de sang et je me demande toujours pourquoi moi je suis en vie. Mais à part ça je vous assure tout va très bien »

Je n'ai pas pu m'en empêcher. Il m'a énervée. J'ai écourté la séance, j'ai vite compris que ça ne servirait à rien.

Ensuite j'ai essayé de faire ce que ce gars avait dit, écrire dans un carnet mes pensées, mes angoisses, tout. J'ai écrit trois lignes et j'ai déchiré la feuille. En quoi un stupide carnet pourrait-il m'aider ? Ce n'est pas lui qui va répondre à mes questions.

Et puis j'ai repensé à la deuxième proposition du psy, parler de tout ça. Et j'ai réfléchi.

Ma meilleure amie est en Australie, j'imagine pas nos factures de téléphone.

Mon père, je n'ai jamais osé lui parler de mes problèmes quand j'étais gosse, ça ne risque pas de s'arranger maintenant.

Ma mère, non je ne sais pas pourquoi mais non.

Mes deux sœurs, impossible, ça fait des siècles que je ne leur parle plus.

Et mon chat,...je ne pense pas qu'il me sera d'un grand secours.

Alors j'ai pensé à ta proposition. Je t'ennuie déjà depuis une semaine. Est-ce que je pourrais encore le faire quelque temps ?

Ne crois pas que tu as été inutile. Romain, si je suis là aujourd'hui à t'écrier un mail qui ne contient que des bêtises et des phrases sans queue ni tête, c'est bien la preuve que non, tu n'as pas été inutile.

Ne t'excuse pas, c'est...gentil de te soucier de moi et je suis heureuse de savoir que tu n'as pas trop souffert non plus.

La culpabilité du survivant, il en a parlé aussi le psy. Moi je m'en sors avec une légère commotion, une entorse à la cheville, des coupures partout sur les bras et le visage mais, au moins, je ne suis pas brûlée et il n'a pas fallu m'amputer un membre.

J'ai eu le malheur de tomber sur un article sur le net qui recensait toutes les victimes avec leur âge. J'ai vu que plusieurs personnes avaient entre 24 et 29 ans. J'en ai 26.

Et tous les soirs je me demande : Pourquoi moi ? Pourquoi est-ce que j'ai échappé au pire ? Pourquoi n'ont-ils pas eu cette chance ? C'est tellement injuste.

Je dois arrêter, j'ai les mains qui tremblent et,... je crois bien que je vais pleurer. Encore.

Éline

 

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