25 juillet 2016 - Eline
Je dois trouver un moyen de contacter sa famille.
Mon regard s'arrête sur le brouillon de mon dernier mail, celui que je n'ai pas osé envoyer.
Tout était là, il ne m'avait fallu que dix petites minutes pour enfin mettre des mots sur ce que j'avais refusé de voir au fil des semaines.
La sonnerie de la porte d'entrée me fait relever la tête. Je n'attends personne.
Avec un soupir je me lève et quand je me retrouve face à face avec Loïc, je ne peux m'empêcher de faire une grimace.
- Hum...salut. Je...je passais dans le coin et je voulais savoir si ça te tentait de venir boire un verre avec moi ?
- Loïc,...je...Ecoute, je préfère être honnête avec toi, je ne veux pas te donner de faux espoirs en acceptant ta proposition et je...je préfère que...
- Il y a un autre homme n'est-ce pas ?
- Je...Oui. Je suis désolée.
- J'apprécie ta franchise. Éline...tu es sûre que ça va ?
- Oui,...je suis un peu fatiguée, rien de grave.
- D'accord. Manon a mon numéro. Si jamais tu veux discuter, n'hésite pas à m'appeler.
En refermant la porte derrière Loïc, je sais parfaitement que je ne le contacterai pas. Mon cœur bat à tout rompre. Il y a un autre homme. Oui. Mais il a disparu quelque part au beau milieu de l'Afghanistan.
Je me réinstalle devant mon portable et je fixe l'écran le regard vide. Puis tout à coup je me rappelle quelques phrases que Romain avait prononcées juste après l'explosion, quand il essayait de me calmer et de me faire penser à autre chose.
Son frère...son frère aîné...Oui, il m'avait dit qu'il était heureux que je ne doive pas me rendre dans cet hôpital militaire où il travaillait.
J'ouvre rapidement une page de recherche et je tape quelques mots clés. Lorsque je vois le nom de l'établissement, je sais immédiatement que c'est celui dont Romain m'avait parlé, l'hôpital militaire de Neder-Over-Heembeek. Avec un nom pareil je me demande comment j'ai pu l'oublier !
Je parcours quelques pages du site web rapidement, sans trop savoir ce que je cherche puis tout se remet petit à petit en place dans mon esprit. Et lorsque j'arrive sur la rubrique consacrée à la chirurgie, tout s'éclaire.
L'hôpital a accueilli 93 patients victimes des attentats de Bruxelles, je l'ai lu sur le net quelques jours après mon retour chez moi. Quinze de ces blessés étaient soignés au centre des grands brûlés car ils présentaient des lésions dues au souffle des explosions et comparables à celles observées sur des soldats de retour d'Afghanistan.
Le centre des grands brûlés...
Je clique nerveusement sur le bouton gauche de ma souris et j'arrive sur la page consacrée à ce service particulier de l'hôpital.
A droit il y a une liste des membres du personnel avec pour certains, la possibilité de leur envoyer un mail via un formulaire de contact.
Mes yeux s'agrandissent quand je vois un nom que je commence à bien connaître.
Grégoire Dalmans, chirurgien.
Cela ne peut être que lui, le frère aîné de Romain, il n'y a aucun doute possible !
Je regarde rapidement les numéros de téléphone qui permettent de contacter le service où il travaille puis je saisis mon smartphone en tremblant.
Après avoir tapé les quatre premiers chiffres, je m'arrête brutalement.
Et si je me trompais ? Et si mes souvenirs n'étaient pas exacts ? Est-ce qu'il était possible que je les ai inventés simplement parce que j'ai besoin de contacter un membre de la famille de Romain ?
Assaillie par la crainte et l'appréhension, je m'écroule dans mon divan en dévisageant bêtement mon smartphone.
Je reste là sans bouger pendant de longues minutes puis je me réinstalle devant mon portable pour consulter les sites d'actualité.
Deux combattants de l'état islamique, cette organisation terroriste qui est derrière les attentats de Paris, de Bruxelles et de Nice, ont fait exploser leur ceinture explosive lors d'un rassemblement chiite dans le quartier Dehmazang à Kaboul il y a deux jours faisant plus de 80 morts.
Amnesty International avait immédiatement réagit en indiquant que le conflit en Afghanisatan ne faiblissait pas mais qu'il s'aggravait bien au contraire et les Etats-Unis avaient annoncé qu'ils prolongeaient leur présence militaire dans le pays car ils avaient constaté la dégradation de la sécurité sur place avec le départ d'une partie des troupes étrangères.
Je ne n'étais jamais vraiment préoccupée de la situation là-bas jusqu'à ce que Romain y soit envoyé. Et je faisais le même constat que les américains : le pays était tout sauf un endroit sûr.
Obama avait annoncé début juillet le maintien de 8.400 soldats en Afghanistan jusqu'à la fin de son mandat et il avait souligné que les talibans restaient une menace et que les forces de sécurité afghanes n'étaient pas encore aussi fortes qu'elles devraient l'être.
Je finis par retrouver le minuscule article que je cherchais, sur un site d'information belge, coincé entre deux textes évoquant une fusillade dans un centre commercial à Munich et une attache à la hachette dans un train à Wurtzbourg.
Je relis encore et encore les trois malheureuses phrases de cet article :
Les deux militaires belges et les quatre policiers afghans disparus le 9 juillet dernier en Afghanistan demeurent introuvables. La Défense a indiqué qu'elle ne communiquerait plus à ce sujet afin de ne pas perturber le déroulement de l'enquête. Elle rappelle également que le climat instable dans le pays oblige l'armée belge à prendre de nombreuses précautions qui ralentissent le travail de recherche.
Je connais ces phrases par cœur à force de les avoir lues et relues.
Je regarde à nouveau mon smartphone et cette fois, je compose le numéro complet du centre des brûlés de l'hôpital militaire de Neder-Over-Heembeek.
Mes mains tremblent et je peine à articuler mes mots quand une secrétaire prend mon appel.
- Hôpital militaire Reine Astrid, centre des brûlés.
- Euh...Oui bonjour Madame, je...je souhaiterai parler au Docteur Grégoire Dalmans. Est-il...est-il disponible ?
- Je regrette, le Docteur Dalmans est actuellement au bloc opératoire. Vous êtes une patiente ou de la famille d'un patient ?
- Non, je...je l'appelais à titre personnel. Hum...je, j'ai vu qu'il était possible de le contacter par mail, est-ce que vous savez s'il consulte ses messages régulièrement ?
- Plusieurs fois par jour. Désirez-vous que je l'informe de votre appel ?
- Oh...euh, non merci c'est gentil, je...je vais lui envoyer un mail. Hum, si, finalement, est-ce que vous pouvez le prévenir de mon appel ?
- Votre nom ?
- Je m'appelle Éline Castellan et je...je voulais m'entretenir avec le Docteur au sujet de son frère le lieutenant Romain Dalmans.
- Puis-je avoir un numéro de téléphone où il peut vous rappeler ?
- C'est un numéro français, je...suis domiciliée en France. Le voici, 0033 ** ** ** ** **. Mais s'il le souhaite il peut m'envoyer un mail. Mon adresse est castellan.eline @hotmail.com
- C'est noté. Je lui transmets dès qu'il a terminé au bloc.
Lorsque je coupe la communication, je ne sais pas si je suis déçue ou pas.
Je me remets devant mon ordinateur et pendant plus d'une heure j'essaie d'écrire un texte cohérent pour le frère de Romain.
Je doute qu'il me recontacte par téléphone. Les prix des communications se sont largement démocratisés ces dernières années mais un appel international ça reste cher quand même et il suffit que la conversation s'éternise pur exploser son forfait.
Il est près de 20h 40 lorsque la sonnerie de mon smartphone me fait bondir de ma chaise. Je suis toujours devant mon pc à tenter d'écrire ce fichu mail pour Grégoire Dalmans j'ai le dos en compote et j'ai les épaules toutes raides.
- Oui allo ?
- Éline Castellan ?
- Oui, c'est moi-même.
- Bonjour Mademoiselle Castellan, je suis Grégoire Dalmans. Vous avez tenté de me joindre cet après-midi à l'hôpital.
- Oui...en effet.
Mes mains se mettent à trembler si fort que je peine à tenir mon smartphone. Et quand j'entends les mots du frère de Romain, je suis au bord de l'évanouissement.
- Il se trouve que je cherchais justement à vous contacter.
- Ah bon ?
- Vous êtes en contact avec mon frère depuis la fin du mois de mars c'est bien cela ?
- Je...euh...oui mais comment...?
- Le responsable de la mission belge en Afghanistan m'a appelé il y a une dizaine de jours, juste après la disparition de mon frère. Je suppose que c'est à ce sujet que vous aviez essayé de me joindre ?
- Oui.
- Romain a demandé que je sois la première personne à contacter s'il lui arrive des problèmes lorsqu'il est en mission et je suis le seul à pouvoir accéder à sa boite mail si nécessaire. Comme nous ne savons toujours pas s'il a été enlevé ou pas, son supérieur a demandé à ce que son ordinateur personnel et son smartphone soient examinés.
Il avait soigneusement verrouillé l'accès à tous ses dossiers personnels. Je ne sais pas comment mais il a fallu un expert en informatique pour retirer toutes les protections qu'il avait installées.
J'ai pu consulter ses mails ce matin. Manifestement il vous a parlé de notre père... Je comprends pourquoi c'est vers moi que vous vous êtes tournée.
Qu'y a-t-il exactement entre vous deux Éline ?
- Entre nous ? Euh...rien, je...il a pris contact avec moi juste après les attentats. Mais vous le savez puisque vous avez consulté ses messages et...
- Éline, je sais que vous êtes importante à ses yeux. Votre photo figure en fond d'écran de son portable et de son smartphone et vos échanges se trouvaient dans un dossier doté de nombreuses protections.
Mon frère n'est pas vraiment le genre à afficher la photo d'une femme de la sorte ni à s'arranger pour que sa correspondance ne soit pas accessible.
A la lecture de vos derniers échanges, j'ai vite compris qu'il y a bien plus qu'une simple amitié entre vous.
Le dernier mail que mon frère vous a envoyé est bien celui du 8 juin où il vous propose de discuter par Skype ? Vous n'avez plus eu de contacts par la suite ?
- Oui son dernier mail date bien du 8 juin mais nous...nous avons discuté ensuite par Skype à trois reprises.
- Et la dernière fois c'était...?
- Le 28 juin.
- D'accord. Ecoutez Éline, j'ai été contacté ce matin par un inspecteur de la Sûreté de l'Etat qui doit mener enquête à votre sujet.
- Que...quoi ? Mais...mais pourquoi ?
- Vous êtes la seule personne civile avec laquelle mon frère était en contact ces derniers mois. Et comme nous ne savons toujours pas s'il a été enlevé ou non,...
- Je...je n'ai rien à voir avec cela, je...
- Je le sais, je l'ai bien compris en lisant vos mails, surtout les derniers. Je dois d'ailleurs m'excuser de m'être ainsi introduit dans votre intimité mais...je n'avais pas le choix.
- Je...comprends.
- Je suppose que si vous avez essayé de me contacter c'est pour avoir des nouvelles de Romain ?
- Oui...
- Malheureusement, à ce sujet, les consignes sont très strictes, seuls les membres de la famille que le soldat a mentionnés dans son dossier administratif peuvent recevoir des informations. Même si j'apprends quelque chose à son sujet, je ne pourrais rien vous dire.
- Mais...Mais...Vous voulez dire que je vais devoir attendre que la presse publie des informations et que...
- Je regrette Éline, mais en effet, seul Romain peut donner l'autorisation à l'administration de la Défense de vous contacter à son sujet.
Incapable de me retenir plus longtemps je fonds en larmes et pendant plusieurs minutes je ne peux prononcer le moindre mot.
La voix calme et posée de Grégoire Dalmans me ramène alors au présent.
- Vous avez des sentiments pour mon frère n'est-ce pas ?
- O...Oui.
- Et je suis convaincu qu'il vous aime également. Jeconnais mon frère, il y a certaines phrases dans vos mails qui...Enfin bref. Je ne peux rien vous promettre Éline mais...je vais essayer de négocier avec une personne de la Défense. Vos échanges ne prouvent rien mais le soin que mon frère a mis pour les dissimuler et votre photo affichée sur son portable pourraient peut-être jouer en votre faveur.
Lorsque je contemple mon smartphone quelques instants plus tard, après avoir remercié Grégoire Dalmans pour son appel, je ne retiens une nouvelle fois plus mes larmes.
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