25 décembre 2016 - Éline (2ème partie)

J'avais prévue plusieurs tenues de soirée dans mon sac puisque nous étions censés manger avec les parents de Romain ce midi. Et comme Florian a exigé que nous soyons tous vêtus correctement, je décide de porter l'une de mes robes noires préférées.

- Tu es à tomber...

Je sursaute en entendant la voix de mon homme derrière moi.

- Ça devient une manie chez toi de me faire peur comme ça !

- Hum, pardon mon cœur.

Il m'enlace tendrement mais je le repousse gentiment lorsque je vois une certaine lueur briller dans ses yeux.

- Plus tard Lieutenant Dalmans. Je vais dire quoi à ton cher frangin si je descends et que mes cheveux sont ébouriffés hein ? C'est déjà assez gênant que Florian nous ait surpris dans la cuisine alors...

- Il peut bien dire celui-là. Ce n'est pas le dernier pour...

La voix de Malia qui nous appelle à grand renfort de cris en tous genres nous fait sortir rapidement de notre chambre.

Nous la retrouvons sur le palier et elle nous passe un sacré savon du haut de ses huit ans :

- Parrain m'a dit que je devais vous demander si vous n'aviez pas perdu la clé de votre chambre.

- Hein ?

Romain secoue la tête d'un air agacé. OK, je pense que Florian ne va pas vraiment nous lâcher cette semaine.

Il indique à Malia que son parrain devrait arrêter de poser des questions idiotes puis nous rejoignons le reste de la famille Dalmans au salon.

Les enfants, qui n'ont toujours pas reçu leurs cadeaux de Noël trépignent d'impatience. Ils regardent avec envie les trois énormes sacs qui sont posés à côté de l'imposante cheminée en pierre.

Grégoire met fin rapidement à leur attente et j'observe les cinq enfants déchirer rapidement les emballages de leurs cadeaux. Pendant une demi-heure les cris de joie se succèdent et nous devons tous sans exception admirer et donner notre avis sur chaque jeu.

Lorsque le calme revient un peu, chaque enfant s'installe dans un coin pour profiter des cadeaux reçus.

Florian assure le service de l'apéritif et pendant quelques minutes nous discutons de tout et de rien.

Puis, il reprend un air grave et il se tourne vers Romain.

- Il vaut mieux que tu saches ce qu'il s'est passé hier soir après ton départ. Daems a demandé des explications à papa étant donné que jamais tu ne t'étais permis un tel écart de conduite.

- Attends, il l'avait largement mérité.

- Oui ça je sais mais, le dire devant deux autres officiers supérieurs...

Bref, le fait que tu aies mentionné qu'il puisse essayer d'annuler ta candidature à l'ERM ça ne leur a pas plu du tout.

D'ailleurs,...il t'a vraiment dit ça ?

- Oui.

- Donc, autant que tu saches, Daems a demandé à ce qu'une enquête soit ouverte au sujet de ton recrutement.

- Putain c'est pas vrai.

- Je lui ai dit que papa ne voulait pas que tu postules. Tu penses bien qu'il m'a regardé comme si j'étais cinglé. Il a quand même maintenu sa requête mais je pense que c'est surtout pour s'assurer que tu puisses bien avoir le poste.

- Manquerait plus que ça !

Grégoire intervient alors et je le regarde avec une certaine anxiété.

- Daems a ramené papa dans la salle et moi, j'ai expliqué à Van Der Bruggen ce qu'il magouillait avec Axana. Il m'a parlé d'un appel que tu lui avais passé le mois dernier à son sujet et il m'a demandé de te dire qu'il était profondément déçu de la conduite de sa fille. Comme il parlait avec les autres officiers il n'a pas remarqué tout ce qu'Axana avait fait hier et il n'a pas compris que papa t'avait fait du chantage.

L'image de papa a pris un sale coup je peux te l'assurer.

- Tant mieux.

- Mais lui, on aurait dit que ça ne l'a même pas touché. Il est reparti à sa table comme s'il ne s'était rien passé. Flo et moi on n'a pas supporté. On s'est barré avant le plat principal. Ça et le fait que toi tu n'es jamais revenu non plus, je ne te dis pas les regards lorsque nous avons quitté la salle.

Je soupire bien malgré moi. Je suis l'unique responsable de tout ça.

Je regarde alors l'ainé des Dalmans et je lui dis que je suis désolée pour tous les ennuis qu'ils ont par ma faute. Ça ne rate pas, j'ai droit en retour à trois regards très mécontents et à des cris de protestation.

Grégoire me fixe alors presque d'un air sévère :

- Éline s'il te plait, tu n'es pas responsable. Ce n'est pas de ta faute si...

- Si notre père est le plus gros connard de la terre.

Evidemment, Romain ne peut s'empêcher de finir la phrase de son frère sous le regard courroucé de Myriam qui jette un rapide coup d'œil aux enfants. Heureusement aucun d'entre eux n'a entendu le langage grossier de leur oncle mais la belle-sœur de Romain lui demande de faire attention à sa manière de parler.

Mon compagnon la regarde en serrant les dents puis il se lève pour aller préparer le repas. Il est suivi très vite par Florian et Grégoire.

Je regarde Annelise très étonnée mais elle m'explique que nos hommes ont décrété que nous n'avions pas à faire quoi que ce soit.

Je pense également qu'ils veulent se retrouver à trois à l'abri de nos oreilles indiscrètes.

Lorsqu'ils ont quitté le salon, Myriam soupire :

- À trois comme ça, j'espère qu'ils ne préparent pas un mauvais plan.

Je la dévisage très inquiète :

- Comme quoi ?

- Aucune idée mais vu comme ils sont remonté contre leur père...Ceci dit je les comprends. Même envers nous deux Hugues n'a jamais été aussi agressif.

Greg a passé plus de deux heures au téléphone ce matin avec Rachel. Je n'en suis pas certaine mais je pense qu'elle a demandé le divorce. Il ne m'a rien dit ensuite mais...il y a plusieurs phrases qu'il a prononcées dans sa conversation qui m'ont semblé étranges.

- Vous la connaissez mieux que moi toutes les deux et je me trompe peut-être mais pourquoi ne réagit-elle pas ? Pourquoi est-ce que j'ai l'impression qu'elle accepte tout ce que fait son mari sans broncher ? Romain m'a raconté tout ce que son père l'avait obligé à faire quand il était gamin. Comment une mère peut-elle tolérer cela ?

- C'est compliqué Éline.

Rachel a...été confiée aux services sociaux en Angleterre à six ans. Ensuite elle a connu plusieurs familles d'accueil où elle a été souvent maltraitée. Elle s'était enfuie lorsqu'elle a croisé Hugues par hasard à Londres. En fait, elle vivait dans la rue depuis quelques jours et elle a essayé de lui voler son portefeuille.

Ça va te sembler étrange mais il a été ému par son histoire. Oh, bien entendu, avant d'aller plus loin il a fait soigneusement vérifier ses dires. Puis il a profité de son bref séjour pour faire plus ample connaissance avec elle.

Deux mois plus tard Rachel arrivait en Belgique et ils se sont mariés moins d'un an après leur première rencontre.

Elle n'arrête pas de dire qu'elle lui doit tout. Alors,...elle n'a jamais osé lui faire face, surtout à cause de son passé. Ce n'est pas faute de lui en avoir parlé mais elle n'a jamais réussi à passer au-dessus de ses peurs liées à son enfance.

Avec Romain cependant, c'est différent.

- C'est le petit dernier.

- Oui. Greg m'a expliqué qu'elle l'avait toujours couvé pour essayer de lui faire oublier les mauvais traitements de son père. Il m'a expliqué qu'elle s'était opposée à Hugues à deux reprises : lorsque Romain a annoncé qu'il ne voulait pas rejoindre l'armée et lorsqu'il est revenu d'Afghanistan en octobre.

- Romain ne m'a rien dit à ce sujet.

- Lorsque vous avez quitté l'aéroport, ils sont passés chez nous. Hugues était...dans une colère noire. Rachel n'a pas cessé de répéter qu'il devait laisser son fils vivre sa vie.

Elle déteste Axana et je crois que ce qui s'est passé hier soir,...ça été la goutte d'eau qui a fait débordé le vase.

- Romain est au courant qu'elle a appelé ce matin ?

- Non je ne pense pas. Cela va sans doute te sembler étrange mais je crois que si Rachel veut vraiment demander le divorce, il sera le premier à la soutenir.

- Non ça ne me semble pas bizarre. Au contraire. Je voudrais savoir...comment ça s'est passé pour vous ? Je veux dire,...le colonel a arrêté de vous ennuyer après...combien de temps ? Comment Grégoire et Florian réagissaient-ils ?

- C'était très compliqué pour eux car Hugues était encore dans l'armée. Il était donc leur supérieur hiérarchique même s'ils ne faisaient pas partie de la même composante. C'est comme ça qu'il les tenait, par la menace et le chantage perpétuel.

Grégoire a alors pris la décision d'ignorer son père lorsque j'étais enceinte de Malia. Il a pris une interruption de carrière d'un an et nous avons vécu pendant cinq mois chez mes parents. A partir de ce moment-là, le Colonel nous a laissé tranquille sans pour autant me considérer comme un membre à part entière de sa famille.

Pour Annelise,...il a commencé à la rabaisser publiquement lors de chaque réception ou dîner officiel auxquels nous participions.

Annelise continue son récit d'une voix basse :

- Je sortais d'une rupture difficile. Florian a mis six mois pour me convaincre de sortir avec lui. Lorsque j'ai rencontré le Colonel la première fois il a très vite compris que psychologiquement j'étais encore fragile. Nous étions en couple depuis quelques mois lorsque Flo a été obligé de partir à l'étranger trois mois pour une mission. Hugues en a profité : il m'appelait régulièrement pour me menacer et me dire que je n'avais pas les qualités requises pour être la compagne de son fils. Il a cru que j'avais piégé Florian avec ma grossesse. Nous étions en couple depuis un peu plus d'un an seulement et nous ne vivions pas ensemble. Il n'a jamais cru que nous étions tous les deux d'accord, que cet enfant nous l'avions voulu. Comme pour Myriam, il s'est calmé après la naissance de Liam.

Je la regarde d'un air triste :

- Pourquoi est-il comme ça ?

- Aucune idée. Je sais qu'il a lui-même eu une éducation très stricte mais...je ne sais pas. Bien entendu le fait qu'il ait été obligé de se cantonner dans des tâches administratives les dix dernières années de sa carrière ça n'a pas amélioré son caractère. Il était terriblement frustré.

- Je m'en doute. Mais ce n'est pas une raison pour en faire voir de toutes les couleurs à ses fils et à vous deux.

- Je sais...

Les cris satisfaits de nos hommes nous font tourner la tête. Le repas est prêt et...ils ont faim.

Nous nous sourions toutes les trois puis nous appelons les enfants et nous gagnons la salle à manger.


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