24 décembre 2016 - Romain (2ème partie)
Je n'avais pas compris que mon père m'avait piégé. Devant la crème des officiers supérieurs à la retraite ou encore en activité je ne pouvais pas faire de scène.
J'imagine le désarroi d'Éline, elle qui comptait passer la soirée avec moi.
Oh, je jure que je le ferai payer à mon crétin de père d'une manière ou d'une autre.
Ma mère profite d'un instant où je ne suis ni accaparé par Axana ni par mon paternel pour poser délicatement sa main sur mon bras. Je me tourne brusquement vers elle et je déverse alors sur elle toute ma rage, en anglais et en chuchotant.
- Pourquoi tu le laisses faire maman ? Pourquoi tu ne nous défends pas ?
- Je suis désolée Romain je n'y arrive pas.
- Alors ça te plait de nous voir souffrir ? Tu l'as laissé me faire du mal quand j'étais gamin, tu l'as toujours laissé faire, pourquoi ?
- Sans lui je ne serais pas là Romain comprends-moi. Il m'a toujours dit qu'il était sévère avec vous parce que c'était pour votre bien, que vous deviez vous endurcir pour ne pas souffrir plus tard.
- Soit. Que tu l'aies cru lorsque nous étions gosses passe encore. Mais à présent ? Ce qu'il a fait avec Annelise et avec Myriam ? Tu trouves cela normal ?
- Non...
- Alors pourquoi tu le laisses faire maman ? Pourquoi ?
- Dès qu'il hausse le ton...cela me rappelle ma famille d'accueil Romain, tant de mauvais souvenirs que je voudrais oublier. Pardonne-moi de ne pas vous avoir soutenu comme il se doit.
- Tu peux encore changer cela. Maman, j'ai des projets sérieux avec Éline...
- Je le sais Romain, je l'ai bien compris.
- Alors aide-moi s'il te plait.
- Je te promets que je vais lui parler mais pas ce soir, ce n'est pas le bon endroit.
- Merci maman.
Mon père demande alors à ma mère de changer de place avec lui. Ouais, il ne doit pas apprécier que je lui parle au lieu de discuter avec l'autre connasse.
Et à la tronche qu'il tire, je comprends que ce qu'il va me dire ne va pas me plaire du tout.
- Je crois que tu n'as pas tout à fait saisi le problème Romain. Je me suis renseigné sur cette fille.
- Sérieusement ? Tu as osé faire cela ?
- Savais-tu au moins que son père était un escroc ?
- De quoi tu parles ?
- Tu penses peut-être qu'il est possible de vendre des appartements et des maisons de luxe à des célébrités honnêtement ?
- Qu'est-ce que j'en sais moi ? Éline m'a dit qu'elle n'avait plus aucun contact avec son père depuis que ses parents ont divorcé. Et ça je peux te le confirmer. Elle n'a rien à voir avec lui.
- Tu es naïf Romain. Cette fille n'est pas claire du tout. Et je refuse que notre nom soit associé à un quelconque scandale.
Maintenant, tu vas m'écouter attentivement : je suis peut-être à la retraite mais je peux toujours faire annuler ta nomination à l'ERM. Je peux également demander à ce que tu reçoives une affectation plus digne de notre famille.
- Tu n'oserais pas ?
- Si je dois passer par là pour te ramener dans le droit chemin je le ferai sois en certain.
Putain l'enfoiré. Il a vraiment pensé à tout. En serrant les dents, je m'entends lui répondre :
- Tu veux quoi ?
- Tu vas t'occuper de notre invitée et tu vas ouvrir la soirée dansante avec elle.
- Hors de question.
- Je ne t'ai pas demandé ton avis. Et je te préviens Romain, tu n'es pas encore à l'ERM.
Comme si Axana attendait un signe de mon père, elle se rapproche de moi dès qu'il a fini notre petite conversation. Écœuré par les paroles de mon paternel, je ne pense même pas à retirer sa main posée sur ma cuisse. Et quand mon père me fait comprendre que je dois me lever pour aller sur la piste de danse je m'exécute sans trop réfléchir.
Je suis obligé de poser une main sur ses hanches et d'entrelacer mes doigts aux siens. Je frissonne de dégoût. Que doivent penser mes frères ? Et Manu ? Et...Éline...
Elle va vraiment croire que je me suis foutu de sa gueule.
Pas une seule fois pendant le slow je ne regarde Axana. J'essaie de me concentrer sur tout ce qui m'entoure sauf elle.
A plusieurs reprises elle me susurre que je ne regretterai pas mon choix et qu'elle saura me faire oublier la salope qui avait tenté de profiter de moi.
Putain, si j'avais été ailleurs, si je n'avais pas des dizaines d'officiers supérieurs autour de moi, je lui en aurais collé une direct.
Comment peut-elle traiter Éline de cette manière ?
Le slow me semble durer une éternité. Bordel j'en peux plus...
Dès que la musique s'arrête je m'écarte brutalement d'Axana avec l'idée de rejoindre Éline pour lui expliquer l'odieux chantage de mon père. Mais le général-major Daems qui avait également dansé avec son épouse, m'appelle et je n'ai pas d'autre choix que d'accepter de le rejoindre.
Tout en essayant de cacher ma frustration, je l'écoute me demander d'aider l'un de ses neveux pour réussir sa formation de para-commando. Pour ne pas le froisser je lui indique que je vais réfléchir à sa proposition puis je me lève rapidement : en même temps je remarque que mon père n'est plus là et qu'Axana affiche un sourire satisfait. Pris d'un soudain malaise je tourne enfin la tête vers la table où se trouve le reste de ma famille. Grégoire, Flo et Manu ne sont plus là. Et Éline non plus.
Totalement paniqué, je traverse rapidement toute la salle sans même jeter un coup d'œil à mes belles-sœurs.
Lorsque je me retrouve à l'extérieur de la pièce, je regarde de tous les côtés sans trop savoir où chercher Éline.
C'est alors que je vois mes frères et Manu près du hall d'entrée de l'hôtel et ils ont l'air très remontés. Je me précipite vers eux et j'agrippe le poignet de mon père.
- Où est Éline ? Qu'est-ce que tu as fait ?
Il se dégage d'un geste brusque en me toisant sévèrement :
- Ce que je devais faire Romain. Et je te préviens, si tu revois encore une fois cette femme,...
- OU EST ELINE ? QU'EST-CE QUE TU AS FAIT D'ELLE ?
J'hurle, je ne suis plus capable de cacher ma colère. Je prends à peine conscience de la présence du Vice-Amiral Van Der Bruggen et du général-major Daems derrière moi.
- Je lui ai demandé de quitter les lieux.
Mon corps tendu à l'extrême je m'approche dangereusement de mon père mais je suis stoppé dans ma progression par Greg, Florian et Manu qui doivent se mettre à trois pour me ceinturer et m'empêcher de frapper mon père.
A force de gesticuler, je finis par me défaire de leur étreinte. Je fixe mon père droit dans les yeux et en prenant bien soin à ce que mes paroles soient entendues de ses amis je lui dis :
- Je te hais. Tu es l'homme le plus répugnant, le plus abject et le plus méprisant qui soit. C'est fini, je ne te laisserai plus jamais diriger ma vie. J'ai honte de faire partie de ta famille, j'ai honte que tu sois mon père. A partir d'aujourd'hui, tu peux considérer que je ne suis plus ton fils. Tu n'existes plus pour moi. Tu es le plus grand connard de toute la terre. Et tu peux essayer de faire annuler ma nomination à l'ERM avec tes trucs louches, ça ne changera rien. Ne m'approche plus jamais.
Etrangement, je me sens soulagé d'avoir vidé mon sac. Pourquoi est-ce que je n'ai pas osé le faire plus tôt ?
Mais à présent, je dois retrouver Éline à tout prix. Qu'a-t-il pu lui dire pour qu'elle s'enfuie de la sorte ?
Mes frangins n'ont certainement rien vu et rien entendu sinon ils l'auraient retenue j'en suis certain.
Oh putain je vais me sentir mal. Je cours comme un malade sur le trottoir pour rejoindre le parking souterrain où est garée ma bagnole.
Heureusement, elle se trouve non loin de la sortie : je démarre en trombe et je manque de renverser un piéton lorsque je quitte le parking. Je conduis de manière brutale et saccadée. Mes freins crissent régulièrement mais je m'en moque. J'appuie dangereusement sur l'accélérateur et dans les rues presque désertes de la capitale, je dépasse allègrement les limitations de vitesse.
Je me fiche royalement de devoir payer un PV par la suite, je veux juste retrouver la femme que j'aime. Mais dans quel état est-elle ? Pourquoi n'a-t-elle pas essayé de venir me voir ?
Terriblement stressé, je fonce dans la nuit noire et j'arrive rapidement devant mon immeuble. Je suis tellement furieux et inquiet en même temps que je galère à ouvrir la porte de mon appart. Éline a un double de la clé, j'espère vraiment qu'elle est revenue ici.
Putain, j'oublierai jamais ce réveillon. J'ai toujours détesté ça mais là, ça ne va vraiment pas me réconcilier avec les fêtes de fin d'année.
Lorsque je réussis enfin à tourner la clé dans la serrure, je jette un regard sur le porte-manteau dans le hall d'entrée. Son manteau n'est pas là. Et ses chaussures non plus.
Non, non putain, non ! Elle ne peut pas être partie !
Lorsque j'arrive dans la salle à manger je gueule comme un malade :
- ELINE !
Mais je n'ai aucune réponse.
Je monte les escaliers quatre à quatre tandis que les larmes commencent à couler le long de mes joues.
- ELINE !
Je sanglote en criant son prénom. Je ne veux pas imaginer l'impensable, l'impossible. Non. Je ne veux pas croire qu'elle soit partie, qu'elle m'ait quittée comme ça à cause de ce salopard qu'est mon père.
Mais je la vois enfin, agenouillée devant notre lit dans la chambre. Ses cheveux sont défaits et elle pleure devant son sac de voyage. Je suis soulagé mais également terriblement inquiet à l'idée qu'elle ait quand même choisi de partir.
- Éline...
Elle se tourne lentement vers moi, ce qui me permet de voir des traces rouges sur sa joue. Mon sang ne fait qu'un tour et je bondis vers elle.
- Ne me dit pas qu'il...il a osé te frapper ? Mon connard de père n'a...
- C'est elle.
- QUOI ?
Interdit, choqué, révolté, j'assimile lentement ces deux mots. Je vais tuer Axana, je vais la tuer c'est une certitude.
Éline se relève lentement mais elle ne s'approche pas de moi. Je savais que cette soirée serait merdique, je le sentais depuis ce matin.
- Ne part pas je t'en supplie. Ne me laisse pas Éline, ne me quitte pas. Je n'ai pas eu le choix ce soir. Je ne savais pas ce que mon père avait prévu. Il m'a fait du chantage : il m'a menacé d'empêcher ma nomination à l'ERM et de m'affecter ailleurs. J'ai agi comme un con. Je n'ai pas osé le remettre à sa place à cause des autres officiers alors que j'aurais dû te rejoindre dès le départ.
Mais quand je l'ai vu dans le hall et quand il m'a dit qu'il t'avait obligé à quitter les lieux, j'ai explosé. Je lui ai dit que j'avais honte qu'il soit mon père. Je lui ai dit que je ne voulais plus qu'il me considère comme son fils et que je ne voulais plus jamais le revoir. Je lui ai dit qu'il était le plus grand connard de la terre. Devant Van Der Bruggen et le général-major Daems. Et je le pense sincèrement. Je ne remettrai plus jamais les pieds chez lui, je ne le laisserai plus jamais s'approcher de moi. Il n'existe plus pour moi.
Éline me regarde l'air totalement ahuri :
- Tu sais que tu risques une très lourde sanction...Tu as insulté un officier supérieur...
- Et je m'en moque royalement. Minute, comment tu le sais ?
Un pauvre petit sourire apparait sur le visage blafard de ma compagne ;
- J'ai mis à profit ces dernières semaines pour étudier un peu le fonctionnement de l'armée belge. Je voulais t'en faire la surprise et te montrer que je m'y connaissais un peu maintenant. Je n'en ai pas eu l'occasion.
- Peu importe. Tu n'as rien à me prouver. Éline...
- Je suis désolée Romain, vraiment désolée. Je...Ton père m'as fait si peur. Il m'a menacée, il a parlé de mon père et...mais je t'assure je ne sais rien de ses activités, je...
- Je le sais. Et même si réellement ton père a fait des conneries, tu n'as rien à voir avec ça. Je suis bien placé pour savoir que tu n'as aucun contact avec lui.
Je finis par oser m'approcher d'Éline et je la prends dans mes bras en recommençant à pleurer.
- J'ai eu si peur mon cœur. Je...j'ai cru que tu étais vraiment partie, qu'il t'avait convaincue de me quitter.
- Non...non jamais je ne pourrais faire ça. Je t'aime Romain. Je te le jure. Mais j'ai paniqué.
- Ne défait pas ton sac. Nous partons demain. Je veux m'éloigner d'ici à tout prix.
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