Florian ne manque décidemment pas d'idées pour taquiner son petit frère. Mais vu l'état d'anxiété de Romain j'ai préféré lui demander d'y aller doucement au risque de lui faire réellement péter un câble. Lorsque nous nous tournons vers le reste de notre petit groupe, je suis très étonnée de ne plus voir Romain à mes côtés. Je le cherche des yeux pendant un bon moment puis mon cœur a un raté lorsque je le trouve : il est assis à ce qui me semble être la table d'honneur. Il discute avec animation avec un homme âgé d'une soixantaine d'années que je ne connais pas. Oh, bien entendu cela ne me dérange pas, Romain connait la plupart des militaires présents ici. Non, ce qui me fait très peur c'est que son père est assis à côté de lui et il discute avec le Vice-Amiral Van Der Bruggen et Axana.

Le Colonel Dalmans arbore une mine satisfaite et je le dévisage totalement pétrifiée. Je me tourne vers Grégoire qui vient, lui-aussi, de remarquer où se trouve Romain. Nous nous regardons sans rien dire et je me demande ce que je dois faire. Florian vient alors me donner le coup de grâce en m'indiquant, le regard sombre, que nous sommes bien tous ensemble, à l'exception de Romain qui a été placé à la table d'honneur avec son père et sa mère.

Je découvre presque en même temps que Romain cette perfidie du Colonel. Je le vois se lever après avoir salué le militaire avec lequel il discutait mais il est obligé de se rassoir très vite sur un geste impérieux de son père. Je vois le regard de Romain s'arrêter sur les petits cartons posés sur la table pour indiquer la place des invités et quand il se retourne vers moi il est en même temps furieux et désemparé.

Axana, elle, affiche un très large sourire. Elle est vêtue d'une robe très sobre mais l'air suffisant qu'elle arbore en dit long sur ce qu'elle éprouve à cet instant.

Écœurée je la vois prendre place à côté de mon compagnon puis se pencher vers lui pour l'embrasser dans le cou.

Je tremble de rage et des larmes de colère se mettent à couler lentement.

Je fais un pas vers le fond de la salle mais Florian me retient par le bras.

- Non Éline, s'il te plait n'y va pas. C'est ce que mon père cherche. Il veut te provoquer, il veut que tu te ridiculises en public. Ne le fais pas. Pour mon frère, ne le fait pas s'il te plait.

Je n'avais jamais vu Florian avec un regard aussi implorant. Je ravale difficilement mes larmes et je le suis à notre table. Manu, qui est seul également et qui n'est pas au courant des manigances d'Hugues Dalmans, me tend la main et en rigolant il me dit :

- Cool je vais avoir la plus belle fille de l'assemblée rien que pour moi.

Il s'interrompt très vite en remarquant que je frotte discrètement mes yeux.

- Éline ? j'ai...j'ai dit quelque chose de mal ?

- Oh...non, non...

Ne sachant pas comment esquiver les questions indiscrètes, je me tourne vers Grégoire et Florian. L'aîné des Dalmans prend alors le temps d'expliquer posément à Emmanuel que son père ne m'aime pas et qu'il a déjà essayé, via Axana, de briser le couple que nous formons Romain et moi.

Lorsque le supérieur de mon compagnon se tourne vers la table d'honneur et qu'il remarque le comportement d'Axana, il se tourne vers moi avec une mine totalement dégoûtée :

- S'il y a bien une chose que je peux te certifier Éline, c'est que tu n'as rien à craindre de Romain. J'ai dû supporter ses crises pendant deux mois en Afghanistan et je peux te garantir qu'il est accro à toi. Jamais il ne lui viendrait à l'esprit de te faire du mal. Mais merde Greg c'est révoltant ce que fait ton père. J'ai le plus grand respect pour ce qu'il a fait au sein de la Défense mais pour ce qui est de l'aspect privé...

- On y est passé aussi Flo et moi.

- QUOI ?

- Il ne trouvait pas Myriam et Annelise dignes de notre famille, il leur a mené la vie dure.

- Mais enfin !

- Sauf que là,... je ne sais pas, il...semble vraiment haïr Éline et je ne comprends pas pourquoi.

- On sait tous qu'il est un grand adepte de la discrétion. Tu penses qu'il en veut à Romain pour...hum...la manière dont il s'est comporté à Melsbroek ?

- Ce serait quand même un peu fort. Non, il veut absolument que Romain gravisse les échelons et pour cela il a besoin du soutien de plusieurs officiers supérieurs. En faisant de Van Der Bruggen son beau-père,...

- Ouais, pas la peine de m'en dire plus. Et le choix de Daems n'est pas innocent non plus.

Emmanuel se tourne vers moi et il pose doucement sa main sur mon épaule.

- T'inquiète pas Éline, nous on est là pour vous soutenir. Mais je vais quand même réfléchir pour éloigner cette garce de Romain.

Oh la salope !

Comme moi, Emmanuel gardait un œil vers la table d'honneur et comme moi, il remarque la main d'Axana posée négligemment sur la cuisse de Romain. Mon compagnon est droit comme un i sur sa chaise et je vois à sa tête qu'il se retient comme il peut. Mais là tout de suite, j'aimerais bien qu'il lui colle une gifle monumentale à cette garce. Non, en fait, je meure d'envie d'aller lui donner moi-même.

De son côté Hugues Dalmans discute tranquillement avec les autres officiers placés à sa table mais il jette régulièrement des regards appuyés vers Romain.

Cela fait longtemps que je n'écoute plus les conversations, mes yeux restent fixés sur cette partie de la salle et j'ai de plus en plus de mal à rester indifférente à ce que je vois.

Axana n'y va pas de main morte : elle se comporte exactement comme si elle était la petite amie de Romain et lui,...je ne comprends pas pourquoi il ne cherche même pas à la repousser.

Le repas débute et je comprends alors que je vais passer toute la soirée loin de mon homme. Grégoire, Myriam, Florian, Annelise et Emmanuel me jettent régulièrement des regards inquiets et, lorsque des serveurs viennent nous apporter l'entrée, je jette à peine un regard sur mon assiette.

- On la tient à l'œil Éline, t'inquiète pas.

Je me tourne vers Florian qui, pour la première fois depuis que je le connais, arbore une mine sévère.

- Mais lui,...je vais aussi avoir deux mots à lui dire. Il nous fait quoi la putain ?

Je comprends qu'il parle de Romain et lorsque je me risque à observer à nouveau la table d'honneur, je suis consternée en voyant que mon compagnon s'est levé et qu'il entraîne Axana pour aller danser.

Interdite, je suis obligée de faire face à la plus hideuse scène qui soit. Voir les mains de Romain se poser sur les hanches d'Axana, ces mains qui, ce matin encore, parcouraient mon corps avec tendresse, cela me donne envie de vomir.

Pourquoi se conduit-il ainsi ? Pourquoi accepte-t-il sans broncher ce que lui impose son père ?

Axana quant à elle, le fixe comme s'il s'agissait de sa propriété et ses doigts effleurent régulièrement le visage de Romain.

Ils sont rapidement rejoints par d'autres couples et pendant plusieurs longues minutes, je suis incapable de détourner le regard, déçue, choquée et terriblement malheureuse.

Je tiens le coup jusqu'à ce que la musique s'arrête. Je profite de ce moment pour me rendre aux toilettes. Je m'enferme dans l'une d'entre elles pour éclater en sanglots.

Je n'ai qu'une envie, partir, partir de cette horrible soirée pour ne plus devoir supporter la vue de Romain en compagnie de cette horrible femme.

Lorsque j'ai bien pleuré, je sors de la toilette et je me contemple dans le miroir : je suis affreuse. Mes yeux sont gonflés et rougis par les larmes et mon mascara a coulé lamentablement le long de mes joues.

Lentement je me frotte le visage avec un mouchoir en papier et je tente de me calmer. Heureusement je suis seule, je n'ose même pas imaginer devoir m'expliquer avec l'une des femmes présentes à la réception.

Je n'ai pas envie de retourner dans la salle mais je sais que je n'ai pas le choix. J'inspire profondément et je m'apprête à quitter les toilettes lorsque la porte s'ouvre sur la personne que je déteste sans doute le plus au monde.

La colère et le dégoût me font trembler de rage. Je m'approche lentement d'Axana mais celle-ci est plus rapide que moi, elle me gifle violemment puis elle m'attrape le poignet et elle le serre brutalement :

- Ecoute-moi bien pauvre conne. Tu n'arriveras jamais à rien avec Romain. Je t'ai laissée t'amuser avec lui mais maintenant c'est terminé. Tu n'es pas des nôtres. Alors tu vas dégager vite fait bien fait. Son père ne veut pas de toi. Tu n'es pas une fille ni une sœur de militaire, tu n'as rien à faire ici. Si tu as un minimum d'intelligence, je te conseille de faire ton sac et de retourner d'où tu viens. Romain n'est pas stupide, il sait où se trouve son intérêt.

Elle me lâche ensuite subitement et elle quitte les toilettes aussi vite qu'elle n'y était venue. Terriblement abattue, je ne sais plus que faire. Je dois avouer qu'Axana m'a fait peur, très peur. Son regard était différent de l'unique fois où je l'avais croisée. Lors du repas chez les parents de Romain, elle semblait accablée, aujourd'hui c'est une toute autre femme.

Mon compagnon n'avait cessé de me dire qu'il fallait se méfier d'elle et ses paroles prennent tout leur sens ce soir car je comprends qu'Axana est véritablement dangereuse.

Encore sous le choc, je quitte les toilettes d'un pas lent et dans le couloir qui mène à la grande salle de réception je croise le Colonel Dalmans. Ne croyant pas une seule seconde à une coïncidence, je relève la tête et je tente de montrer que je n'ai pas été atteinte par les paroles d'Axana.

Il se dirige d'un pas rapide vers moi et ses yeux semblent lancer des éclairs.

Il m'aborde directement d'un ton sec :

- Que cherchez-vous Mademoiselle Castellan ? Que voulez-vous obtenir de mon fils ?

- Je...

Hugues Dalmans est terriblement intimidant. Son regard me glace littéralement et je suis incapable de lui répondre.

- Je me suis renseigné sur votre père. Et ce que j'ai trouvé n'est pas très reluisant.

- Je n'ai plus aucun contact avec mon père depuis qu'il a quitté la France. Je ne m'occupe pas de ce qu'il fait.

- Vous prétendez ignorer que vous êtes la fille d'un escroc ?

- Que... QUOI ?

- Je ne veux plus que vous approchiez de mon fils Mademoiselle Castellan. Je vous demande de quitter cet hôtel immédiatement. Et pour être certain que vous obéissiez à mes ordres cette fois je vais vous raccompagner personnellement.

Sans que je puisse réagir, le père de Romain m'entraîne vers le vestiaire : il s'assure que je récupère mon manteau puis il me montre la sortie d'un geste impérieux.

- Mademoiselle Castellan, tâchez de garder ceci à l'esprit : je n'hésiterai pas à utiliser ce que je sais contre vous si vous persistez à vouloir fréquenter mon fils. Romain a une brillante carrière qui l'attend. Il n'est pas question qu'il gâche son avenir à cause d'une petite intrigante comme vous.

Incapable de dire quoi que ce soit, je cède à ses menaces et je m'enfuie de l'hôtel pour me diriger vers les taxis qui attendent devant le bâtiment.