20 octobre 2016 - Éline


Blottie contre Romain dans l'imposant divan de son salon, je caresse son visage distraitement.

- Tu es sûre que ça va ?

- Hum...

Après la matinée plus qu'agréable que nous avons passée ensemble, mes angoisses refont surface. Je ne suis pas stupide, j'ai bien vu la manière dont m'avait dévisagée le Colonel Dalmans à l'aéroport et je sais qu'il ne veut pas de moi dans sa famille.

Je regarde l'horloge qui est accrochée au mur de la cuisine et je constate qu'il est presque 15 heures.

- Je sais à quoi tu penses...

- Romain...ton père me déteste, ne dit pas le contraire !

- Comment pourrait-il te détester il ne te connait même pas !

- Justement, il ne veut pas de moi, je l'ai vu hier, je...

- Éline...je me fiche royalement de ce qu'il pense. Il va devoir s'y faire. Et puis merde j'ai 28 ans, je fais ma vie comme je le souhaite, il n'a pas à me dicter ma conduite ni à choisir celle qui sera ma future femme.

Nous avons le soutien de mes frères et de ma mère je te rappelle. Oui c'est vrai je ne vais pas te cacher qu'il risque de t'en faire voir de toutes les couleurs, il va sans doute essayer de te déstabiliser mais...je serai là, avec toi. Tu te rappelles le 22 mars, tu m'as demandé si j'allais t'abandonner. Je l'ai fait une fois et je m'en veux. Je n'ai plus l'intention de commettre cette erreur à nouveau, je te le promets.

Et puis regarde, je vais être jaloux, Berlioz t'as déjà adoptée.

Je fixe Romain un instant puis je lui souris. Qu'est-ce que je peux faire quand il me regarde comme ça ?

- Viens.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- J'ai envie de te faire écouter quelque chose.

Je le suis vers son piano et je m'assieds à ses côtés tandis que ses mains commencent à effleurer lentement les touches noires et blanches.

https://youtu.be/WIbUNfg_wmM

Ma gorge devient horriblement sèche et je frissonne sans arrêt tandis qu'une douce mélodie envahit l'appartement. Je n'ai jamais rien entendu d'aussi beau et d'aussi triste en même temps.

Merde, comment est-ce possible de ressentir autant de choses en même temps ?

Je pose lentement ma tête sur l'épaule de Romain et je me laisse submergée par l'émotion. Il arrive tant bien que mal à finir de jouer mais à sa respiration irrégulière je sais qu'il a du mal à retenir ses larmes.

Je vois ses mains qui tremblent quand il s'arrête et en bredouillant je lui demande de qui est ce morceau.

- De moi.

- Quoi ?

- Je l'ai composé en grande partie lorsque j'étais en Afghanistan. Il...il représente tout ce que je ressens pour toi.

Sur le coup, j'ai du mal à réaliser ce qu'il est en train de me dire. Il a...écrit un morceau pour moi ? Là je vais vraiment me trouver mal...

Romain fixe toujours les touches de son piano puis il se lève brusquement et il me soulève dans ses bras. Pour ne pas tomber en arrière, je noue mes jambes autour de ses hanches. Le baiser qu'il me donne à cet instant est en même temps doux et sauvage. Notre étreinte a quelque chose de presque désespéré. Je suis bouleversée.

Pendant quelques instants nous restons étroitement enlacés sans rien dire.

Lui seul peut me comprendre et je sais que j'ai eu énormément de chance de le rencontrer. Je lui dois la vie après tout. Mais il n'y a pas que ça. C'est tellement dingue ce qui m'arrive et pourtant, quand je le regarde, quand il me serre dans ses bras, tout cela m'apparaît si évident.

Je sais maintenant pourquoi je l'aime, j'ai simplement à le regarder et tout est là, tout est écrit dans ses yeux.

J'avoue qu'il m'agace un peu à se montrer aussi possessif et parfois assez directif avec moi mais finalement c'est ce qui fait son charme. Il est vrai, il est sincère avec moi, il m'apporte tellement et je sais à présent que la moindre minute sans lui sera terriblement douloureuse.

- Regarde-moi.

Je relève la tête et je vois des larmes qui brillent au coin de ses yeux. Romain me dévisage avec une tendresse inouïe. Il me relâche doucement et lorsque mes pieds retouchent le sol, je m'écarte un instant de lui avant de me rapprocher à nouveau. Toujours troublée par le morceau qu'il a joué pour moi, je dessine lentement de mes doigts les contours de son visage tandis qu'il me maintient fermement contre lui.

- S'il y a bien une chose que je retiendrais de cette putain de mission, c'est que je ne veux pas te perdre. J'ai un peu de mal parfois à dire ce que je ressens et...je veux que tu comprennes par cette musique à quel point tu...me bouleverses et tu me rends heureux.

J'ai lu tes trois mails ce matin quand tu dormais encore. Ceux que tu as envoyés quand tu as appris que j'avais disparu.

Moi aussi j'ai besoin de toi Éline. Je ne me suis jamais senti aussi sûr de moi : c'est toi que je veux dans ma vie et je me battrai pour ça.

Je sais que tu as peur de mon père mais on affrontera cela ensemble toi et moi. Tu me fais confiance ?

- Oui...

Par contre...si tu pouvais arrêter de ronchonner en anglais ça m'arrangerait. Je me débrouille mais...

Je lui fais un petit sourire en coin ce qui a le don de le faire rire.

- Tu vois, rien que pour ça, tu me rends dingue ! Mais c'est aussi pour ça que je t'aime comme un fou.

Je vais essayer de faire attention mais je ne parlais qu'anglais avec ma mère et j'ai...j'ai tendance à...Quand je suis énervé c'est dans cette langue que je m'exprime.

- Je sais...j'ai vu ça !

Désolé d'être aussi nerveuse et anxieuse. Je vais pas te mentir, ton père me fout les jetons.

- A tout le monde tu sais. Mais,...avec Greg et Florian on forme un bloc. Je les ai soutenus quand ils ont été confrontés aux mêmes problèmes. Ils s'en sont sortis et maintenant mon père accepte Myriam et Annelise dans notre famille.

- Hum.

- Il y a encore quelque chose qui te tracasse...

- Oui. En fait, je n'ai pas eu le droit de savoir ce qui t'était arrivé en Afghanistan. Grégoire m'a dit que tu avais été blessé mais...il ne pouvait rien me dire de plus.

- Ah. Ok. Tu...tu ne sais rien du tout alors ?

- Non.

Romain détourne brusquement la tête et je le vois se mordiller les lèvres nerveusement. Je prends alors conscience qu'il n'a peut-être pas envie de revenir là-dessus.

Je noue mes bras autour de sa taille et je lui dis doucement :

- Mais si tu ne veux pas en parler, ce n'est pas grave.

- Non, tu as le droit de savoir.

Il m'entraîne à nouveau dans le salon puis, blottie contre lui, je l'écoute me parler de l'embuscade, de sa fuite dans les montagnes, de la cachette dans la grotte et de son retour au camp belge.

Je lui serre très fort la main lorsqu'il évoque l'arrêt cardiaque dont il a été victime.

Je réalise que j'ai été vraiment à deux doigts de le perdre et je fonds en larmes dans ses bras.

Tandis que je me calme peu à peu, il me parle de sa convalescence. Je commence à comprendre qu'il est très dynamique et actif et je réalise qu'il a dû devenir dingue à devoir rester allongé dans son lit pendant des semaines.

- J'en ai fait voir de toutes les couleurs à l'infirmière qui devait me surveiller et à Manu. Il m'apportait régulièrement des nouvelles puisqu'il était en contact avec Greg et je me suis énervé plusieurs fois parce que je savais que toi tu ne pouvais pas être mise au courant. Les choses traînaient, moi j'étais coincé dans ce lit dans ce putain de pays et toi, tu étais dans l'ignorance la plus complète. Ça m'a complètement sapé le moral.

J'avoue que...que j'y suis allé un peu fort certains jours.

- Un peu ?

Je dévisage Romain avec un petit sourire narquois. Grégoire m'avait dit quelques jours avant le retour de troupes en Belgique qu'en Afghanistan, les autres militaires l'avaient surnommé « l'ouragan Romain» tant il en faisait voir à tout le monde.

- Hum...d'accord, non, j'étais infernal tout le temps. Manu n'a rien dit mais...ouais j'ai...j'avais du mal à cacher ma frustration.

- Tu sais comment tes collègues t'ont surnommé ?

- Ouais, je l'ai entendu dans l'avion...

- ils ont dû être surpris du changement...Il parait que tu étais très calme avant.

- Ça ...c'est à cause de toi.

- Ah bin voyons ça va être ma faute maintenant !

- Non, non pas du tout ! C'est...c'est parce que tu me manquais tellement et... et moi j'étais coincé là-bas incapable de bouger alors que tout ce que je voulais c'est être auprès de toi.

La sonnette de la porte d'entrée retentit : je me crispe immédiatement et j'agrippe nerveusement le bras de Romain.

- Hey hey, calme-toi, ça va aller.

Je reste dans le salon pendant que Romain va ouvrir. Quelques secondes plus tard j'entends la voix de Florian qui semble en grande forme et d'humeur assez taquine. Romain est le premier à revenir vers moi et en un geste protecteur, il passe son bras autour de ma taille.

- Nan mais lâche-la un peu de temps en temps quoi ! Elle va pas s'envoler ta chérie !

Egal à lui-même Florian donne une petite tape amicale dans le dos son frère puis il me serre brièvement dans ses bras. Pas trop longtemps comme il me chuchote à l'oreille pour ne pas s'attirer les foudres de son petit frère.

Annelise m'embrasse rapidement puis c'est au tour de Grégoire et de Myriam de me dire bonjour.

Derrière eux, j'aperçois ensuite l'imposante silhouette du Colonel Dalmans. A ses côtés, Rachel semble presque minuscule.

J'ai droit à une chaleureuse accolade de la part de la maman de Romain et à une très brève poignée de main du Colonel. Au moins cette fois, il m'a regardé. Enfin,...il a posé ses yeux une seconde sur moi.

Nous nous asseyons tous dans le divan : Romain me tient toujours fermement par la taille et il fixe son père d'un regard noir comme s'il le défiait de prononcer la moindre parole.


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