20 novembre 2016 - Éline

Nous avons peu de temps avant que je ne reprenne l'avion pour Lyon, aussi nous ne nous attardons pas sur les divers évènements qui ont bouleversé notre weekend de retrouvailles.

Comme je l'avais fait pour lui à Lyon, Romain me sert de guide pour une petite visite rapide de Bruxelles.

Même si je sais à présent pourquoi, il n'a plus rien de l'homme que j'ai retrouvé vendredi après-midi. Je sais que Romain est tendu, angoissé, anxieux au sujet de notre avenir commun. Cette nuit je lui ai à nouveau prouvé à quel point je tenais à lui et j'espère qu'il l'a compris.

Main dans la main il m'entraîne vers la Grand-Place et son hôtel de ville gothique. Au centre trône un imposant sapin de Noël arrivé de Slovaquie trois jours auparavant. Je n'aurais pas l'occasion de découvrir le marché de Noël car il ne commence que vendredi prochain mais dans le rues de la ville les ouvriers communaux s'activent pour l'édition 2016 des Plaisirs d'hiver.

La Grand-Place est considérée comme l'une des plus belles du monde et je dois reconnaître que cette réputation n'est pas usurpée. C'est un ensemble assez homogène de bâtiments publics et privés et de nombreux touristes, asiatiques pour la plupart, mitraillent l'endroit sous toutes ses coutures.

Autour de la place, il y a plusieurs petites rues où les magasins de souvenir sont les plus présents à côté de restaurants et de bars en tous genres.

Le centre historique de la ville est majoritairement piéton et c'est agréable de pouvoir flâner au beau milieu des petites ruelles pavées de la capitale belge. Romain ayant décrété que je ne pouvais pas quitter sa ville sans avoir vu le Manneken Pis, il m'entraîne donc vers cette incontournable statue que j'imaginais plus grande avant de l'apercevoir en vrai pour la première fois.

Malgré la présence visible de nombreux militaires, je trouve que l'ambiance est assez détendue : les gens ne semblent pas fuir, ils n'ont pas le visage grave et à plusieurs reprises nous croisons quelques habitants qui discutent joyeusement sur un trottoir.

L'approche des fêtes de fin d'année y est peut-être pour quelque chose.

Romain semble vouloir se venger des kilomètres que je lui ai fait parcourir à Lyon car après le Manneken Pis, il m'emmène sur les hauteurs de la ville, près du Palais de Justice.

La vache, et moi qui croyait que Bruxelles c'était tranquille ! Après tout, il n'y a pas une chanson de Jacques Brel qui parle du plat pays ?

Faudra qu'on m'explique parce que ça grimpe bien à certains endroits. Mais je reconnais que cela en valait la peine.

Romain se la joue guide touristique puis nous redescendons vers le parc et le palais de Bruxelles. Nous croisons dans les allées du parc un petit groupe d'ados qui chassent les pokemons avec leur smartphone puis Romain m'indique qu'il veut aller saluer deux de ses collègues qui sont en poste devant le bâtiment du numéro 16 de la Rue de la Loi, le bâtiment qui abrite les services du Premier Ministre belge.

Je me sens assez intimidée lorsque Romain me présente à deux militaires aussi grands et aussi baraqués que lui. Seigneur, ils ont tous été faits dans le même moule ou quoi ?

Je grimace légèrement en entendant qu'ils sont déjà au courant de la plainte de Gaël puis je les dévisage tous les trois très étonnée car ils se sont mis à parler en néerlandais et je ne comprends absolument rien.

- Ze spreek geen Nederlands en versta het niet.

- Ze is schattig. We hebben gehoord dat jullie samenwonen.

- Nee. Ze woon en werkt in Lyon.

En hoe was de betoging ?

- Veel mensen maar...

- Ja...Traangas en waterkanon...

Au moins j'ai compris qu'ils parlaient en partie de moi. Lyon en néerlandais reste Lyon manifestement.

Romain se rend compte de ma grimace car il se remet à parler en français et s'excuse auprès de moi.

- Désolé mon cœur mais...Koen est néerlandophone alors, une fois il parle en français, une fois je lui parle en néerlandais. Mais je te rassure, je n'ai rien dit de mal à ton sujet.

- De toute façon, tu peux me raconter n'importe quoi, je n'ai rien compris !

- On ne va pas traîner, le Premier ministre donne une conférence de presse dans deux heures, les journalistes ne font pas tarder à se pointer pour photographier son arrivée ici.

Romain salue ses deux collègues puis nous reprenons le métro vers le très beau parc public de Laeken non loin de la résidence officielle des souverains de Belgique et de l'Atomium, un curieux monument représentant les provinces du pays et qui a été construit pur l'exposition universelle de 1958.

- Je viens souvent courir ici, c'est un endroit sympa.

- Oui, c'est joli.

Après avoir arpenté les allées du parc de long en large, Romain me montre le palais royal de Laeken puis nous regagnons le parking où Romain avait laissé sa voiture ce matin et il m'emmène manger à la brasserie De drie Fonteinen à Vilvoorde. L'endroit est très beau et le bâtiment qui abrite le restaurant est situé au cœur d'un vaste parc parfaitement entretenu.

Je songe de plus en plus à apprendre le néerlandais car à Bruxelles, même si tout est affiché également en français, j'avoue que je me sentirais un peu moins bête si je pouvais comprendre un minimum ce qui se dit autour de moi. Et puis de voir Romain qui passe d'une langue à l'autre avec une facilité déconcertante, j'avoue que ça me rend un peu jalouse.

Je regarde dans un premier temps la carte qu'un serveur nous a apportée et j'essaie de deviner quelques mots en néerlandais. Certains sont assez faciles à comprendre finalement mais d'autres...

- Qu'est-ce que c'est spekreepjes ?

- Des lardons.

- Et...euh...koninginnehapje ?

- Vol au vent.

- D'accord. Seigneur c'est compliqué comme langue !

- Mais non ! Je t'apprendrais. L'accent surtout.

- Pourquoi ?

- Hum...ne te fâche pas s'il te plait mais...

- Ouais, ok. Je vois. Ne dit rien.

Notre longue promenade de la matinée nous a donné faim. Nous commandons chacun une entrée, un plat typique de la cuisine belge et un dessert. Malgré la période hivernale l'endroit est bien rempli. Comme nous sommes arrivés en même temps que des amis de Grégoire et que Romain connait bien, nous avons mangé avec eux et c'était très sympathique. Etant la seule à ne pas parler néerlandais, j'ai parfois un peu de mal à suivre lorsque mon compagnon, spontanément répond dans cette langue à son voisin de table. A plusieurs reprises il s'excuse en m'embrassant doucement sur la joue. Nous ne nous attardons pas pour boire un café car je dois retourner à l'appart de Romain pour y reprendre mon sac avant de me rendre à l'aéroport.

Alors que nous nous apprêtons à pousser la porte d'entrée de l'immeuble, je vois le fameux Gaël qui discute avec animation avec un autre homme dans le petit hall où sont installées toutes les boites aux lettres des locataires.

Romain se crispe immédiatement mais d'une petite pression sur sa main et par mon regard je tente de le rassurer et de le calmer. Par contre j'ai une petite idée derrière la tête et je veux absolument la mettre à exécution avant de rentrer chez moi.

Je m'arrange pour que Romain se retrouve à ma droite afin qu'il ne frôle pas son collègue. Ce dernier s'arrête de parler lorsqu'il nous voit rentrer et il nous fixe d'un air mauvais.

Je ne lui laisse pas l'occasion d'ouvrir la bouche car je lâche la main de Romain et j'assène une puissante gifle à cette espèce de crétin en uniforme.

J'entraîne alors fermement Romain vers les escaliers pour gagner le deuxième étage puis, je change d'avis, je fais demi-tour et je me plante devant l'arrogant sergent Montheyne.

- Alors vous, un conseil, ne m'approchez plus jamais et fichez nous la paix. Sinon je vous assure que je pourrais vraiment devenir méchante.

Romain et son collègue sont tellement abasourdis qu'ils sont incapables de prononcer le moindre mot. Je rejoins ensuite mon compagnon et nous gagnons son appartement sans rien dire.

Toujours très énervée par Gaël, je jette presque mes affaires n'importe comment dans mon sac.

Quand je me retourne pour sortir de la chambre je pousse un cri de surprise car Romain m'observe avec un petit sourire.

- Ça va, tu me diras quand tu seras calmée ?

- Mais je suis calme !

- Ah oui ? Tu as oublié ce que tu viens de faire à Gaël...

- Ne me parle plus de celui-là ! La prochaine fois...

- Tu es de quel signe astrologique toi déjà ?

- Capricorne.

- Je ne savais pas que c'était des sales petites bêtes ces machins-là !

- Quoi ? Mais !

Avant même d'avoir pu réagir je me retrouve allongée sur le lit avec mon beau militaire au-dessus de moi.

- Et j'en connais une qui ferait bien de se dépêcher sinon elle va louper son avion...

- Je devrais peut-être m'arranger pour le rater tiens.

En soupirant je me redresse lentement. Ce n'est jamais que la deuxième fois que nous devons nous séparer et j'appréhende encore plus cette fois-ci. Le weekend a été mouvementé et je redoute les baisses de moral de Romain d'ici au 9 décembre.

Maintenant que je sais tout de lui et qu'il m'a avoué le lourd secret qu'il cache depuis cinq ans, je suis vraiment anxieuse. J'espère sincèrement qu'il a confiance en moi et surtout, en nous.

Je préfère ne pas éterniser les adieux dans le hall de l'aéroport. Je me sens déjà très mal à l'aise dans ce lieu que je revois sans cesse dévasté dans mes cauchemars et je sais que si je m'attarde de trop, je n'aurais plus le courage de repartir à Lyon.

Le visage tendu de Romain me fait mal au cœur. Je sais qu'il se retient de pleurer et que ce n'est qu'une fois seul dans sa voiture qu'il se laissera aller.

Ma mère m'accueille à mon arrivée à Lyon Saint Exupéry. J'ai du mal à lui cacher que je ne suis pas particulièrement enthousiaste de la retrouver. Bien entendu ce n'est pas méchant, mais mon lieutenant ultra protecteur et jaloux me manque terriblement.

Sur le trajet vers le centre-ville, nous parlons très peu et nous échangeons des banalités.

Ce n'est que lorsque j'invite ma mère à boire une tasse de café avant qu'elle ne rentre chez elle qu'elle ose aborder le sujet qui la tracasse manifestement depuis quelques temps.

- Combien de temps vas-tu faire cela ?

- De quoi tu parles ?

- Les allers et retour entre Lyon et la Belgique.

- Je ne sais pas faire autrement.

- Bien sûr que si. Vas le rejoindre.

- Hein ?

- Éline...vos séparations semblent t'anéantir complètement. Lorsque Romain est retourné chez lui, quand je suis venu te voir dans la soirée tu m'as presque éjectée de chez toi parce que vous deviez vous parler via ton ordinateur. Tu ne crois pas que tu serais mieux près de lui ?

- Maman...j'ai mon job ici, mes amis,...

- Mais pas l'homme que tu aimes. Je suis certaine que tu pourras retrouver un emploi assez facilement. Et puis Romain pourra t'aider non ?

- Mais...mais tu seras toute seule ici et...

- Éline...je ne suis pas seule. Il y a mon club de lecture, j'ai mes amies, le bénévolat, je ne manque pas d'occupation. J'avoue que je t'ai toujours un peu trop couvée et que j'ai eu du mal à te voir grandir mais tu es une adulte à présent. Il est temps que tu penses à toi.

Et puis...

- Oui ?

- Jacqueline ne cesse de me demander si tu songes à te marier et avoir des enfants. En plus, Bruxelles c'est nettement moins loin que Calabasas.

Je détourne la tête terriblement gênée. Evidemment, ma mère espère que je lui donne des petits enfants à mon tour. Comment vais-je pouvoir lui expliquer la situation ?


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Je profite de cette petite "visite touristique" pour vous mettre les photos des lieux que j'ai évoqué dans le texte ;-)

Pour la traduction en néerlandais je pense qu'en réfléchissant un peu c'est compréhensible ;-) Betoging veut dire manifestation . Je vous laisse un peu deviner et ensuite je mettrai la traduction ;-) 

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