2 novembre 2016 - Romain

Je pensais avoir plus de mal à parler de moi à Éline. Finalement, je lui ai confié bien plus que ce que je ne voulais à la base. Mais ce n'est pas plus mal. Elle a le droit de savoir et il faut qu'elle sache, qu'elle comprenne qui je suis.

Je dois admettre qu'elle avait entièrement raison en me disant que cela ne servait à rien de nier, de faire semblant d'être insensible parce qu'en effet, c'est tout le contraire. Et, quelque part, le fait qu'elle m'ait percé à jour n'est pas pour me déplaire. Elle pourra ainsi me comprendre plus facilement. Je l'espère en tout cas.

Est-ce que je pourrais changer, je ne sais pas mais je vais essayer.

Il doit être largement passé 10 heures lorsque nous décidons de nous lever. Franchement, j'aurais pu rester couché toute la journée. Et ça aussi, c'est tout nouveau pour moi de penser une chose pareille.

Auparavant, jamais, mais vraiment jamais cela ne me serait venu à l'idée de rester au lit avec une fille. Je faisais mon truc et puis c'est tout. Aucun sentiment. Même avec les deux que j'avais côtoyées pendant deux ans. Elles le savaient, elles étaient d'accord et cela m'arrangeait bien.

Les apparences, c'est tout ce qui comptait pour moi. Ne pas passer pour le loser de service auprès des gars et pouvoir m'afficher avec une fille à mon bras en cas de nécessité.

Non mais qu'est-ce que je pouvais être con alors. Ça m'étonne pas que les frangins captent plus rien à présent.

Ils vont finir par croire que je suis bon pour l'asile.

Surtout si je leur parle de ce qui me trotte dans la tête la tout de suite alors que je suis en train d'observer Éline qui s'habille rapidement dans la salle de bain.

- Tu n'en as pas encore eu assez ?

- Bah quoi, j'adore te regarder.

- Oui, et plus particulièrement quand je n'ai rien sur moi hein...

- Je ne suis pas un saint Éline je te l'ai déjà dit. Alors non effectivement, si je peux, je ne vais pas me priver de t'admirer.

Ça va me manquer tout ça, nos échanges, nos petites piques que nous nous lançons en permanence et puis elle, surtout elle, son corps, nos caresses, nos baisers, sa présence à mes côtés,...

Putain, j'ai jamais désiré une femme à ce point-là.

Non, c'est bien plus que ça.

Éline avait dit dans l'un de ses mails, lorsqu'elle avait appris que j'avais disparu, qu'elle avait besoin de moi.

C'est exactement pareil. J'ai besoin d'elle. Mes frères, mes potes, ce n'est plus suffisant. Et cette journée me fait prendre conscience de l'importance d'Éline dans ma vie à présent.

Est-ce parce que j'approche de la trentaine j'en sais rien mais j'ai envie de donner un sens à mon existence.

Nous avons confiance l'un en l'autre, avec elle, il n'y a pas de faux semblants, je suis moi-même, tout le temps. Sans que je ne lui en dise des tonnes, elle a compris qui j'étais, elle a compris le mal-être de mon enfance. Sa seule présence à mes côtés suffit à m'apaiser et...la seule idée de devoir la quitter me fout le moral plus qu'à zéro.

Merde, merde et merde, il va falloir que je trouve rapidement quelque chose parce que je vais pas supporter longtemps ce genre de journée d'adieu.

Nous ne faisons pas grand-chose jusqu'à ce que je me décide, d'un pas lourd, à aller chercher mon sac que j'ai laissé dans la chambre.

Éline reste dans le salon et quand je reviens auprès d'elle, son regard désemparé me déchire le cœur.

Bordel, j'ai encore l'impression que je suis en train de l'abandonner.

Je me précipite vers elle et je la prends dans mes bras.

Je lui ai promis de revenir le 9 décembre pour la fête des Lumières mais je vais pas pouvoir tenir un mois sans la voir, impossible.

- Tu crois que tu pourrais venir à Bruxelles ? Dans deux ou trois semaines ?

- Même si je devais avoir quelque chose de prévu, oui, je ne vais pas pouvoir attendre aussi longtemps.

- Moi non plus.

Si je pouvais, je l'emmènerai avec moi. Mais ce serait vraiment égoïste de ma part. Et puis Éline a son job, son appart ici.

Etroitement enlacés, nous sortons de l'appart sans parler.

Éline me propose d'une toute petite voix de conduire sa voiture mais je refuse :

- Si je prends le volant, c'est jusque Bruxelles. Donc ça va pas le faire je crois...

- Non en effet.

Nous restons silencieux durant tout le trajet jusqu'à l'aéroport de Lyon. J'ai l'impression qu'Éline fait tout pour ne pas arriver trop rapidement sur place et je donnerais n'importe quoi pour que le temps s'arrête, pour que nous ne soyons pas obligés de nous quitter dans quelques heures.

Je sais que nous allons craquer tous les deux, je le sais, je le sens. Depuis ce matin, depuis que nous nous sommes levés, j'ai bien vu qu'Éline luttait comme moi, qu'elle se cachait derrière quelques plaisanteries, qu'elle évitait comme moi de parler de ce départ, de ce putain d'avion qui allait m'emmener loin d'elle.

Fin des vacances de Toussaint oblige, du moins pour la France, les parkings sont archi pleins à l'aéroport. Éline finit par trouver une place assez éloignée et quand elle coupe le contact, je soupire bruyamment.

Je m'oblige à sortir de la voiture, sinon je serais bien capable d'y rester indéfiniment et je prends mon sac dans le coffre.

Lorsqu'Éline me rejoint et que je vois les premières larmes couler le long de ses joues, c'est suffisant pour me transformer en fontaine vivante. Putain je crois que j'ai jamais autant pleuré de ma vie moi.

Je la presse contre moi et je me laisse totalement submerger par le chagrin.

Maintenant, moi aussi je vais savoir ce que c'est la séparation. J'en ai connu des départs en mission et à chaque fois j'assistais aux mêmes scènes : les épouses, les fiancées, les compagnes des autres gars qui avaient du mal à les laisser partir, les larmes qui coulaient sur les joues, les baisers et les câlins qui n'en finissaient pas...

Moi, il n'y avait que mes parents qui venaient, et encore pas toujours. Et quand c'était le cas, les au-revoir ne traînaient pas.

Maintenant je comprends, maintenant je sais pourquoi certains gars disaient qu'ils avaient l'impression qu'on leur arrachait le cœur parce que c'est exactement ce que je ressens.

Et je ne vais pas pouvoir supporter ça indéfiniment, c'est juste impossible.

Comment Éline a-t-elle fait pour prendre aussi vite autant de place dans ma vie ? Comment est-ce possible ?

Je lui fais promettre au moins une vingtaine de fois de venir à Bruxelles avant que moi je ne revienne ici au mois de décembre, je ne cesse de lui demander d'être prudente et de se méfier de Loïc.

Bordel je vais jamais réussir à monter dans ce putain d'avion moi !

Éline me fait promettre à mon tour un Skype tous les soirs sauf évidemment urgence professionnelle mais je la rassure, je suis sous certificat médical jusqu'au 31 janvier 2017, je suis pas là de retourner sur le terrain. Si j'y retourne bien entendu. Avec un peu de chance, le 1er février, je ferais mon entrée à l'ERM dans le corps enseignant.

Tout en l'embrassant je lui dis que je vais lui envoyer des dizaines de messages tous les jours et qu'elle ne risque pas de m'oublier d'ici au prochain weekend que nous passerons ensemble.

Enfin, après avoir bien pleuré tous les deux, après nous être rassurés mutuellement sur nos sentiments respectifs, après lui avoir dit au moins une centaine de fois que je l'aimais, après avoir séché nos larmes, nous nous dirigeons, main dans la main, vers les bâtiments de l'aéroport.

- Je crois que je vais détester cet aéroport aussi finalement.

Je me tourne vers Éline qui fixe l'entrée en faisant une petite moue boudeuse.

Si elle continue, je vais vraiment finir par renoncer à monter dans l'avion moi.

- Tu m'aides pas mon cœur. Tu veux que je culpabilise encore plus c'est pas possible.

Après avoir hésité au moins cinq bonnes minutes nous finissons par entrer dans l'aéroport proprement dit. Je me dirige rapidement vers les comptoirs d'enregistrement et j'expédie rapidement les formalités nécessaires pour mon départ.

Lorsque je me retourne et que je vois Éline un peu en retrait des différentes files d'attente et qui regarde un peu partout d'un air perdu, je sens une horrible contraction dans mon ventre et je me jure intérieurement de limiter au strict minimum ces journées d'adieu.

Pendant quelques instants je l'observe sans que nos regards se croisent. Elle est si belle, si attachante, si...

Stop mec, arrête, sinon t'es bon pour chialer une nouvelle fois.

J'ai encore deux bonnes heures avant d'embarquer pour Bruxelles et je compte bien en profiter au maximum avec elle. Je m'avance d'un pas décidé vers elle et je lui prends la main pour l'entraîner un peu à l'écart.

Pour essayer de me changer les idées, de nous changer les idées, je demande à Éline ce qu'elle connait de la Belgique et de Bruxelles en particulier et ce qu'elle voudrait que je lui montre quand elle y reviendra. Je lui promets ensuite de l'emmener un weekend pendant les vacances de Noël dans les Ardennes, qu'il y ait de la neige ou non. J'ai besoin de planifier, de penser à tout ce que j'ai envie de faire avec elle afin d'oublier que l'heure de la séparation arrive petit à petit.

Elle me parle de cette fête des Lumières qu'elle a hâte de me faire découvrir. Je sursaute ensuite lorsque j'entends une voix rappeler aux passagers du vol Lyon-Bruxelles de se présenter pour l'embarquement.

Je prends alors le visage d'Éline dans mes mains et j'embrasse ma compagne jusqu'à devoir m'écarter d'elle afin de reprendre mon souffle.

- Fait attention à toi !

- Soyez sage Lieutenant Dalmans...

- Préviens-moi dès que tu sais quand tu peux me rejoindre.

- Je regarde à ça dès demain, promis.

J'inspire profondément puis je prends mon sac et je me dirige lentement vers les portes d'embarquement. Avant qu'elle ne disparaisse de ma vue, je me tourne une dernière fois vers Éline et je serre les dents en la voyant pleurer à nouveau.

Je rejoins ma salle d'embarquement tel un zombie puis je présente mon billet à l'hôtesse pour le premier contrôle. Cette dernière n'hésite pas, par son regard et ses paroles à me faire comprendre qu'elle me trouve à son goût et je lui jette un regard noir qui a le don de lui clouer la parole et d'effacer son sourire aimable. Désolé mais là, je suis pas vraiment d'humeur à plaisanter.

Je suis appelé dans les premiers pour me rendre dans l'avion. Je laisse toutes les familles surexcitées passer devant moi. J'ai jamais compris pourquoi tout le monde se précipite quand les hôtesses font l'appel, nos sièges sont de toute façon numérotés et réservés.

Mes pieds semblent peser une tonne à présent et mes jambes ont du mal à me porter.

Est-ce qu'elle est encore là ? Est-ce qu'elle est déjà retournée dans sa voiture ?

Avant de m'en voir interdire l'utilisation, j'envoie rapidement un message à Éline.

Je vais embarquer. Tu me manques tellement mon cœur. Skype ce soir. Je t'enverrais un message quand je serais rentré. Fait attention à toi. Je t'aime Éline, je t'aime comme un fou.

Moins de deux minutes plus tard je reçois déjà sa réponse :

La dernière fois, vous m'aviez promis de faire attention et vous avez disparu pendant plusieurs semaines Lieutenant Dalmans. Ne me refaites pas le coup cette fois parce que je jure de vous pourrir la vie par la suite !

Moi aussi je vous aime Monsieur le militaire et j'ai hâte de vous revoir, de vous entendre me donner des ordres et de pouvoir vous reprocher encore et encore d'être très possessif avec moi.

Merde Romain, qu'est-ce que tu as fait de moi ?

Je t'aime tant.

Nan mais elle va réussir à me faire chialer à distance elle c'est pas possible.

Lorsque je m'assieds à ma place, côté hublot, je regarde distraitement le tarmac et les bâtiments de l'aéroport et je fais à peine attention à mon voisin.

Lorsque l'avion se met à rouler lentement sur la piste je serre les poings. Et quand le sol commence à s'éloigner petit à petit, je ferme les yeux pour ne pas me mettre à chialer une nouvelle fois.

Je sens une main qui se pose sur mon bras et je rouvre immédiatement les yeux.

La dame qui est assise à côté de moi et qui doit être âgée d'une trentaine d'années, me regarde d'un air angoissé.

- Vous êtes sûr que ça va ? Si vous êtes malade dites le moi parce que je ne supporte pas d'avoir quelque qui vomit à côté de moi.

Je la rassure rapidement et je lui indique que je ne suis jamais malade en avion.

Elle ne semble pas totalement convaincue car je la vois régulièrement jeter des regards discrets vers moi au-dessus de son magazine.

C'est alors que je remarque l'un des titres écris sur la couverture : mon cœur se met à battre plus vite et la réponse m'apparaît évidente.

Je n'ai jamais été aussi sûr de moi.


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