2 novembre 2016 - Éline
J'aurais tant aimé que ces vacances ne finissent jamais, que cette dernière nuit ne finisse jamais...
J'ai toujours adoré ma ville, ma région mais là, je me hais presque d'être lyonnaise, de vivre et de travailler aussi loin de Bruxelles.
Hier, c'est Romain qui m'avait entraînée aux quatre coins de Lyon, comme s'il voulait emmagasiner un maximum de souvenirs. Le soir, lorsque nous étions rentrés chez moi, assez fatigués de notre périple dans les rues de la ville, il m'avait alors glissé à l'oreille qu'il avait des choses à me dire.
Je l'avais regardé, j'avais essayé de deviner ce que son air grave cachait mais il m'avait alors soulevée dans ses bras pour me porter dans la salle de bain et là,...j'avais une nouvelle fois tout oublié quand il avait commencé à se dévêtir.
Nous avions continué dans ma chambre ce que nous avions largement entamé sous la douche puis, épuisés tous les deux nous nous étions endormis étroitement enlacés.
Je regarde mon réveil : 5h du mat. Ma nuit est finie, ça c'est une certitude. Mon estomac noué et mes angoisses ne me permettront plus de me rendormir je le sais.
Je regarde d'un air attendri Romain qui dort encore profondément. Il ne m'avait rien dit finalement et je ne sais pas si je dois lui rappeler sa promesse, surtout aujourd'hui.
Je caresse doucement son visage détendu et je l'observe un instant : je suis toujours autant fascinée par ce corps musclé que le drap recouvre à peine et j'ai tout le loisir de le contempler dans les moindres détails, même les plus intimes. En essayant d'oublier que dès ce soir je dormirais à nouveau seule, je me blottis à nouveau contre lui.
Quelques minutes plus tard Romain se réveille et il m'embrasse tendrement.
- Éline,...
Allongée face à lui, j'observe ses traits qui se sont instantanément durcis.
- Ça ne va pas ?
- Ça fait plusieurs jours que je me dis que je dois te parler de plusieurs choses. De mon père, de moi...
Comprenant qu'il est sur le point de me révéler sans doute une part douloureuse de son passé et que cela le met très mal à l'aise, je me redresse un peu et je lui caresse le visage.
- Tu n'es pas obligé. Si tu préfères prendre le temps...
- Non. C'est important pour moi que tu saches et que...
Je veux que tu puisses me faire confiance.
- Je te fais confiance Romain, n'en doute pas un instant.
Je le vois malgré tout grimacer puis il fixe un instant le plafond sans rien dire.
Il commence alors son récit, toujours sans me regarder :
- J'étais très turbulent quand j'étais gamin, je te l'ai dit. A la maison j'enchaînais connerie sur connerie, pour défier mon père je suppose.
A l'école par contre, je faisais attention. J'étais souvent dans les mauvais plans mais j'arrivais toujours à ce qu'on ne puisse pas m'y associer.
J'ai détesté mon père très tôt : il voulait me faire grandir plus vite, il voulait faire de moi un homme comme il disait. Pourquoi est-ce qu'il s'est acharné sur moi, j'en sais rien, je ne l'ai jamais su.
Maman m'a raconté, parce que je ne m'en rappelle plus, qu'à deux ans, il m'avait balancé dans une piscine pour me forcer à apprendre à nager. C'est Greg qui m'a sauvé de la noyade.
Puis, je pense que j'étais encore en maternelle, je ne sais pas comment tu appelles ça en France, il m'a attrapé une fois pour me forcer à m'assoir sur une branche d'un arbre qui se trouvait dans notre jardin. J'avais quoi, quatre ans je pense, j'étais à près de trois mètres du sol et il voulait que je saute sur un petit tapis qu'il avait placé en dessous. Je ne voulais pas, j'avais peur, alors il m'a laissé la toute la journée et toute la nuit. Heureusement c'était en été il faisait très chaud mais le lendemain, je grelottais, j'avais faim, j'avais soif et je crois que c'est à ce moment-là que j'ai développé une phobie du noir et du vide.
Mon père l'a bien compris alors, systématiquement, quand j'étais puni, j'étais enfermé à la cave, dans le noir, pendant dix minutes ou deux heures selon la connerie que j'avais faite.
Mais ça ne m'a calmé pour autant. Au plus il me punissait, au plus je le haïssais et au plus je le défiais.
Je me redresse lentement, le cœur battant et j'observe Romain qui a toujours ses yeux fixés sur le plafond. Sa voix est monocorde, presque comme s'il énumérait une liste de faits totalement insignifiants pour lui mais je suis convaincue qu'il feint cette indifférence pour ne pas me montrer à quel point il se sent mal.
Je me rappelle qu'il m'avait écrit une fois lorsque nous évoquions son départ en Afghanistan qu'il avait l'habitude de faire le dur pour ne pas montrer ses émotions et je sais que c'est exactement ce qu'il fait pour le moment.
Il veut que je lui fasse confiance mais il faut que cela aille dans les deux sens :
- Romain,...ne fais pas comme si tout allait bien. Je sais que là tu te sens mal et...je veux que tu saches qu'il n'y a aucune honte à le reconnaître. Tu veux que je te fasse confiance, alors fait-moi confiance à ton tour. Si tu as peur que je me moque de toi tu te trompes. Je ne comprendrais jamais pourquoi les hommes en général persistent à vouloir faire semblant d'être des gros durs et à nier qu'ils ne ressentent rien parce que ce n'est pas crédible. Tu me l'as dit une fois que tu cachais tes émotions mais je t'en prie, pas avec moi s'il te plait. Tu n'es pas sur le terrain, tu n'es pas en mission, tu es juste avec moi. Il n'y a que toi et moi, personne n'entendra ce que tu me diras et ça restera entre nous, uniquement entre nous.
Il me regarde enfin et il soupire bruyamment.
- Tu as raison. Comme toujours. J'en viens à me demander ce qu'il y a de bien chez moi. Je suis trop brusque avec toi, trop possessif, je crève de jalousie à l'idée qu'un autre puisse t'approcher et Greg m'a reproché d'avoir des réactions disproportionnées et violentes. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi Éline ?
- Romain, arrête ça tout de suite !
- J'ai peur de te perdre Éline. Je ne me suis jamais attaché à une femme avant toi, jamais. Et je crève de trouille. Que tu te lasses de moi, que tu en ais assez de moi et de ma manière de me comporter comme un abruti et surtout, que mon père arrive à te convaincre d'aller voir ailleurs.
- Rien de ce qu'il dira ne me fera renoncer à toi.
- J'essaie de m'en convaincre mais j'ai peur. Cette distance, ne plus te voir pendant des jours, devoir attendre je ne sais combien de temps...L'Afghanistan ça m'a suffi amplement. Je ne veux plus vivre ça.
Mon père..., il m'a cassé Éline. Pourquoi est-ce que je ne voulais pas entrer dans l'armée à ton avis ? Parce que je connaissais, par mes frères, les entraînements et la formation de base et je savais que je n'y arriverais pas. Rien que tous les exercices en hauteur, je savais parfaitement que je n'en serais pas capable.
Une fois, nous sommes partis une semaine complète dans les Ardennes, en plein hiver. Je me rappelle il faisait moins 15 c'était affreux. Mon père voulait que je m'endurcisse, que j'apprenne à survivre dans n'importe quelles conditions. Lui il était chaudement vêtu. Moi j'avais un pull léger et un pantalon très fin. Je me suis toujours demandé comment je n'avais pas attrapé la crève.
Je pense qu'il m'en a fait baver parce que je suis le seul à ne pas avoir montré un intérêt pour l'armée. Je suppose qu'il a voulu envers et contre tout me l'imposer.
- Alors...comment tu as fait ? Et pourquoi finalement tu as obéi à ton père ?
- Parce que j'ai voulu lui prouver que je n'étais pas une mauviette. Ses paroles, quand j'ai eu 17 ans m'avaient profondément blessé. Alors, avec l'aide de Grégoire et de Florian, j'ai commencé à m'entraîner en cachette. Je pratiquais l'athlétisme depuis que j'étais gosse, j'étais déjà bon en sport et en endurance mais ce n'était pas suffisant. Pendant un an, j'ai tout fait pour combattre mes phobies. Le jour de mes 18 ans, j'ai annoncé à mon père que je m'engageais dans l'armée pour devenir officier de la Composante Terre. Je crois que c'est la seule et unique fois que je l'ai vu me regarder en souriant.
Je suis sorti premier de ma promotion, avec un master en sciences sociales et militaires que j'ai terminé en trois ans au lieu de cinq. Ce que ni mon père ni mes frères n'ont jamais su, c'est que même si je faisais les exercices comme si ça me laissait indifférent, je vomissais ensuite dans un coin à l'abri des regards dès que c'était terminé.
Je suis toujours incapable de grimper en haut d'un arbre ou d'un mur sans ensuite être malade pendant des heures.
J'ai caché tout cela en devenant un homme froid et distant avec les hommes de ma compagnie : je leur ai clairement fait sentir que moi j'étais officier et qu'eux étaient mes subalternes.
Je commence à comprendre petit à petit que Romain a vraiment eu une enfance difficile et je reste très étonnée qu'il ait fini par céder à son père même si je pense que c'est surtout parce qu'il a été touché dans son orgueil et qu'il a surtout voulu remettre le Colonel à sa place.
J'ai du mal à l'imaginer froid et distant comme il vient de me l'expliquer et je lui en fais la remarque.
- Je ne montrais pas mes émotions. Si j'avais peur, si j'étais fatigué, si j'avais faim ou soif, personne ne pouvait le deviner. Je me montrais imperturbable en toutes circonstances. C'est ce détachement, ce flegme britannique comme disait Manu, qui me permettait de tenir devant les autres.
C'est aussi un trait de caractères des paras. Ne jamais montrer sa fragilité. Il faut être fort peu importe ce à quoi tu es confronté. Au combat, la moindre faiblesse peut te coûter la vie.
Si c'est ce qui t'inquiète je n'ai jamais été désobligeant avec les autres. Simplement, je les recadrais si nécessaire.
J'ai commencé à me montrer agressif lorsque nous sommes arrivés en Afghanistan. Avant de te rencontrer je m'accommodais très bien de ma situation. Là, tout avait changé.
Je ne vais pas te cacher que j'appréhende de rentrer chez moi, de me retrouver seul dans mon appart mais aussi de te savoir ici, loin de moi, ça...me fait flipper grave.
- Mais je ne serais pas seule. Jade m'a promis de passer tous les soirs, avec mes collègues j'ai aussi quelques sorties ciné et shopping prévues, ma mère va sûrement s'inviter régulièrement pour que je lui parle de toi...
- Elle va me manquer elle aussi.
- Qui, ma mère ?
- Ouais...ouais elle va me manquer tiens. Elle est vraiment sympa. Ça me change de mon paternel. J'ai adoré comment elle t'a limite engueulé hier parce que tu n'avais pas osé lui dire que nous nous échangions des mails régulièrement.
- Mouais, c'est surtout que ça l'a empêché de faire ta connaissance plus vite. Je ne suis pas aveugle Romain...Seigneur heureusement que je connais ma mère mais George Clooney a du souci à se faire...
- Hein ?
- Elle est dingue de ce gars depuis qu'elle l'a vu dans la série Urgences.
- Et toi c'est qui, Jamie Dornan ?
- Absolument pas. D'ailleurs je n'ai ni lu 50 nuances ni été voir le film. Ça ne me tente mais alors pas du tout.
- Qui alors ?
- Peu importe. Il n'a de toute façon aucune chance contre toi !
- Haha très drôle.
- Et tu changes de sujet encore une fois...
- Hum...pardon.
Même si j'ai envie d'en savoir plus à son sujet, je suis convaincue que Romain a gardé certains souvenirs pour lui et je décide de ne pas aller plus loin pour le moment. Ce sont nos dernières heures ensemble, je ne veux pas les gâcher.
Je fais glisser lentement mes mains sur son torse : il n'en faut pas plus pour qu'il comprenne mes intentions.
Je le vois qui s'apprête à se relever mais je l'en empêche.
- Déjà au garde à vous, monsieur le militaire ?
- En même temps, je te rappelle que tu ne portes rien du tout...
Malgré mon intention de ne pas me laisser faire, Romain se retrouve allongé sur moi avant même que je ne fasse le moindre geste.
Il sait parfaitement comment s'y prendre avec moi et une nouvelle fois, cela ne rate pas...
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