2 août 2016 - Grégoire Dalmans

Rappelé en urgence à l'hôpital, il est 6h30 quand je me recouche dans mon lit. Myriam était déjà levée et à sa tête j'ai bien vu qu'elle songeait encore à notre discussion d'il y a deux jours, celle qui malheureusement avait fait remonté à la surface de mauvais souvenirs.

Eline et Romain ne méritent pas de vivre le même enfer que nous, que Florian et Annelise, surtout pas après ce qu'ils ont vécu.

Incapable de me rendormir je rejoins Myriam à la cuisine.

- Je sais à quoi tu penses...

- Ton père ne changera jamais n'est-ce pas ? Si Romain est vivant et qu'il rentre au pays, s'il décide de lui présenter Éline, tu sais comme moi ce qu'il se passera.

- Je suis certain que Romain lui tiendra tête.

- Mais s'il n'y arrive pas ? D'après ce que tu dis, Éline est très fragile psychologiquement. Florian a rompu avec Morgane quand elle a fait une tentative de suicide tu te rappelles ? Et Annelise était à deux doigts de craquer elle-aussi.

- Je sais.

- Il y a un moment où il faudra que vous parliez à ton père, Florian, Romain et toi.

Myriam quitte ensuite la maison pour aller conduire les enfants chez ses parents avant de se rendre à son travail et je m'installe dans le salon.

Je me rappelle parfaitement ce 5 mars 2006, le jour des 18 ans de Romain. Nous étions tous réunis pour fêter son anniversaire et mon père était fier d'apprendre que son fils cadet avait choisi de rejoindre à son tour l'armée. Je ne sais plus exactement pourquoi mais la discussion avait dégénéré et comme d'habitude, Myriam avait été le souffre-douleur de mon père.

Sauf qu'à ce moment-là, elle était enceinte de 12 semaines et dans un état de stress si important que son gynécologue l'avait obligé à arrêter le travail.

Nous n'étions pas mariés, nous venions à peine d'acheter un appartement et les parents de Myriam exerçaient des fonctions indignes de notre famille aux yeux de mon père.

Nous avions tous passé la soirée aux urgences, tous...sauf lui.

Jamais il n'avait présenté ses excuses à Myriam et jamais il n'avait montré la moindre compassion pour la perte de notre bébé.

Je me lève pour regarder quelques photos de famille, des clichés de Malia, Niels et Aymeric. S'il avait vécu, leur frère aurait eu 10 ans à présent.

Myriam avait raison, si en apparence nous formions une famille unie, mon père était la cause de nombreux problèmes.
S'il tolère à présent Myriam et Annelise, je sais parfaitement qu'il sera infernal avec Éline si Roman réapparait et qu'il se décide à la présenter officiellement à notre famille.

Si mon père n'était pas si obnubilé par sa position sociale dans la société, par l'image et l'étiquette nous n'en serions certainement pas là.

La sonnerie de mon smartphone m'avertissant que j'ai reçu un mail me sort de mes réflexions. En constatant l'heure à laquelle Éline m'a envoyé ce message  je ne peux m'empêcher de redouter une mauvaise nouvelle.

En parcourant petit à petit son très long message, je souris malgré moi. Finalement elle avait décidé de ne pas se laisser abattre et elle cherchait coûte que coûte à trouver des réponses.

Je la rassure immédiatement en lui disant que sa démarche n'est pas stupide et je l'informe que je vais transmettre ses pistes de réflexion au chef de mission en Afghanistan.

Jusqu'à présent, il a toujours parlé d'un possible enlèvement, non pas par les Talibans ou l'EI mais par des opposants à ces deux organisations.

La logique du raisonnement d'Éline me laisse entrevoir de nouvelles possibilités. Elle a parfaitement raison. Tous, nous n'avons qu'envisagé un kidnapping. Je n'ai jamais songé à la possibilité que Romain et ses collègues se soient enfuis de leur plein gré.
Mais dans ce cas, pourquoi ?

Je soupire profondément.

Bordel Romain qu'est-ce que tu fous ? Pourquoi est-ce que tu nous laisses ainsi sans nouvelles ?

Je compose rapidement le numéro d'Éline. Il faudra que je songe à changer de forfait car j'ai l'impression que nous allons être encore régulièrement en contact elle et moi.

J'entends très vite à sa voix qu'elle est épuisée.

- Ça me semblait plus simple de t'appeler. Je ne sais pas pourquoi mais je pense que tu as raison. Il n'a pas été enlevé. Maintenant que je relis ton mail, j'en suis même convaincu.

Il s'est forcément passé quelque chose qui l'a incité à disparaître. Quand il est sur le terrain, Romain n'agit jamais de manière irréfléchie.

- Tu penses que c'est une option qui n'a pas été envisagé par...par les gens qui sont sur place ?

- C'est possible.

- Grégoire...est-ce que je peux te poser une question...hum...plus personnelle ?

- Oui, vas-y.

- Quel est le problème avec ton père ? Parce qu'il y en a un n'est-ce pas ? Romain semblait terrorisé à l'idée qu'il apprenne que...que nous étions en contact lui et moi. Il a dit certaines...choses et je...

- Je ne vais pas te cacher que mon père est un homme compliqué. Maintenant...je pense qu'il vaut mieux que ce soit Romain lui-même qui t'explique la situation. Je ne veux pas envisager d'autres possibilités. Ton mail me redonne espoir et me fait voir les choses sous un angle tout à fait différent.

Oh, ma mère a rendez-vous cet après-midi avec un des anciens collègues de mon père. J'espère que j'aurais enfin une bonne nouvelle à t'annoncer ce soir.

Promets-moi une chose Éline, n'abandonne pas. Pour mon frère. Il aura besoin de toi à son retour.

- Et si je me trompais ?

La voix tremblante d'Éline me fait comprendre ce qu'elle ne me dit pas. Depuis que j'ai découvert l'existence de leur correspondance, je n'ai cessé d'y réfléchir et j'ai fini par me ranger à l'avis de Myriam : même s'il ne l'a pas dit explicitement à Éline, j'ai finalement compris que Romain est tombé amoureux d'elle.

J'hésite un instant à répondre puis je repense à plusieurs phrases que j'avais lu et qui m'avaient fait sourire bien malgré moi.

- Il t'a laissé dans ses courriers de nombreux indices pour te prouver à quel point il tient à toi Éline. Romain peut se montrer très subtil quand il veut.

Je te rappellerai si j'ai des nouvelles de ma mère.

Epuisé par une nuit agitée à l'hôpital et par les incertitudes liées à la disparition de Romain, je finis par m'endormir soudainement dans le divan du salon et je ne me réveille que lorsque Myriam rentre à la maison avec nos trois petits monstres.

Comme à leur habitude, ils se disputent pour savoir qui aura le privilège de jouer quelques minutes avec la tablette avant d'aller dormir. Cependant, ce soir, ni Myriam ni moi ne sommes d'humeur à supporter leurs éternelles disputes. Nous expédions rapidement le souper, la douche et nous les mettons au lit pour le plus grand mécontentement de notre aînée qui, du haut de ses 7 ans, ne se prive pas de nous dire tout le mal qu'elle pense de nous.

Après avoir cherché pendant plus de dix minutes le doudou de Niels, après avoir embrassé au moins vingt fois Aymeric et après avoir confisqué l'une des poupées de Malia, Myriam et moi nous pouvons enfin souffler. Ou plutôt, nous pouvons nous replonger dans nos réflexions suite à l'appel de ma mère.

Malheureusement, ni elle ni l'ancien collègue de mon père n'ont réussi à faire changer les choses. Nous sommes donc toujours contraints de laisser Éline dans l'ignorance la plus complète bien que, comme je l'indique à mon épouse, nous ne sommes guère plus avancés qu'elle.

Comme je le fais depuis un peu plus de trois semaines maintenant, je vérifie avant de me coucher que la sonnerie de mon smartphone est bien activée.

J'ai l'impression d'avoir à peine fermé les yeux quand le bruit strident me réveille en sursaut. Un instant hébété je regarde mon réveil qui indique 1h45 puis je saisis mon téléphone, croyant qu'il s'agit d'une nouvelle urgence à l'hôpital.

- Docteur Dalmans.

- Grégoire, nous l'avons peut-être retrouvé !

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