18 novembre 2016 - Romain (2ème partie)
J'ai l'impression que tout s'écroule en une seconde.
Mes paroles qu'Éline a entendu au bar l'ont terriblement blessée je le sais, sinon elle n'aurait pas réagi de cette manière. J'avais déjà compris lorsqu'elle avait joué un peu avec Malia le mois dernier chez mon frère qu'elle aussi adorait les enfants et qu'elle avait très envie d'en avoir.
J'aurais voulu pouvoir amener les choses plus lentement, petit à petit, pour la ménager. Mais là c'est trop tard.
Et devoir lui apprendre que je ne pourrai pas combler son désir de maternité me brise le cœur.
Je ne suis pas con : elle a 26 ans, elle a une situation stable, je suis certain que son horloge biologique la travaille tout doucement et maintenant qu'elle sait que jamais je ne pourrai devenir père naturellement, je me doute qu'elle va sérieusement songer à son avenir.
Elle s'est levée et elle m'observe d'un air totalement incrédule.
Je ne sais pas quoi faire pour dissiper la gêne qui est en train de s'installer entre nous. Alors je m'assieds à nouveau sur le lit et je prends ma tête entre mes mains.
- Romain...
Je me redresse en entendant sa voix tremblotante.
- Je comprendrais parfaitement que tu souhaites prendre tes distances un moment pour réfléchir à ton avenir, à...à ce que tu veux et...
- Attends, tu insinues quoi là ?
- Éline, j'ai compris que tu voulais avoir des enfants et moi, je ne pourrai jamais combler ce désir alors...je ne t'en voudrais pas si tu...
Je n'arrive pas à terminer ma phrase. Au plus profond de moi, je suis convaincu qu'elle va me quitter. Peut-être pas là dans l'immédiat mais si elle réfléchit un peu...
Avec mon père qui a décidé de me caser avec une autre et qui lui a clairement fait comprendre qu'elle était indésirable dans la famille, avec Axana qui me tourne autour et maintenant ça,...
Des emmerdes, elle n'aura droit qu'à des emmerdes en permanence en restant avec moi.
- Romain...est-ce que tu es en train d'essayer de me dire que si je décide d'aller voir ailleurs tu ne me retiendras pas ? C'est ça ?
Il n'y a plus de trace de chagrin dans sa voix mais de la colère cette fois. Je ne l'avais jamais entendu parler ainsi jusqu'à présent et je suis vraiment surpris. A tel point que je suis incapable de lui répondre.
- Tu as donc si peu confiance en moi ? Tu ne comprends pas à quel point tu es important pour moi ? Lorsque Grégoire m'a annoncé que tu étais blessé, j'ai songé que tu avais peut-être dû être amputé d'un membre ou ce genre de truc comme je le voyais souvent aux infos avec les soldats américains. Et je savais que, quoi qu'il arriverait, peu importe l'état dans lequel tu rentrerais en Belgique, que mes sentiments pour toi ne changeraient pas.
Si je comprends bien, si je te dis là tout de suite que demain je rentre chez moi tu ne me retiendras même pas ?
Tu sais ce que ton collègue m'a dit dans les toilettes tout à l'heure ? Tu es en train de lui donner raison !
Éline sort alors de ma chambre d'un pas rapide et je la vois se diriger à nouveau vers la mezzanine.
Jusqu'à présent je ne m'étais jamais vraiment préoccupé de ce problème.
Je ne sais même plus pourquoi j'avais accepté, à la requête de Sofia, de passer ces tests à l'hôpital, puisqu'elle ne voulait pas de gosse.
Je me rappelle parfaitement l'appel du médecin à ce sujet, son malaise de devoir indiquer à un homme de bientôt 24 ans en excellente santé qu'il ne pourrait jamais avoir d'enfant.
Sur le coup, je n'avais rien dit. Mais les jours suivants j'avais explosé. J'étais touché, profondément blessé. Ma virilité en avait pris un sacré coup, je m'étais senti humilié comme jamais. Avant même d'avoir rencontré la femme de ma vie, j'avais dû faire le deuil de ma fertilité et je l'avais très mal vécu. Et comme je n'ai pas fait les choses à moitié en plus, je ne peux même pas envisager la procréation médicalement assistée. Ma seule possibilité c'est de faire appel à un donneur et ça...c'est hors de question. Je n'arrive pas à envisager l'idée d'avoir un gosse qui ne serait pas de moi.
Mes collègues avaient dégusté pendant trois mois : on m'avait demandé d'aider à la supervision de la formation des candidats para-commandos et je ne m'étais pas privé pour leur en faire baver durant les 18 semaines de leur formation. Et quand mes frères avaient commencé à me poser des questions après ma rupture avec Sofia, je leur avais sorti ce putain de mensonge.
Je m'approche de la porte de ma chambre et je regarde Éline qui est toujours appuyée contre la rambarde. C'est alors que ma carapace, celle que je m'étais construite petit à petit, pour cacher mes peurs en rentrant dans l'armée puis pour ne plus penser à cette véritable honte, cette carapace se fissure entièrement.
Je m'écroule et je tombe assis par terre en pleurant comme un gamin. Plus de quatre ans après avoir reçu cette nouvelle, je ne l'accepte toujours pas et maintenant, maintenant que je suis certain de vouloir faire ma vie avec Éline, je me sens vraiment minable.
Recroquevillé sur moi-même, je sens sa main qui se pose doucement sur mon épaule.
- Ça ne changera rien entre nous. Mais j'aimerais...j'aimerais vraiment que tu arrêtes de faire celui qui s'en fout de tout, qui joue à l'insensible alors qu'il ne l'est pas.
Romain, c'est avec toi que je veux vivre, c'est toi que je veux près de moi. Alors arrête de te comporter avec moi comme tu le fais avec tes hommes. Parfois j'ai l'impression que tu ne me fais pas confiance.
Je me frotte machinalement les yeux : je suis pitoyable. Comment est-ce que je peux lui dire que je me sens totalement inutile, que je me sens blessé au plus profond de moi-même, que tout ce que j'avais rêvé est devenu impossible pour moi depuis cinq ans.
- Éline..., je ne crois pas que tu te rendes bien compte de la situation et que...
- Que quoi ? Tu as peur que je ne m'y fasse pas ?
Eline me regarde à nouveau avec une certaine colère dans les yeux. Bon Dieu, mais pourquoi elle ne comprend pas ?
- Ce n'est pas vraiment ce à quoi une jeune femme de 26 ans rêve n'est-ce pas ? Ose me dire le contraire.
- Qu'est-ce que tu veux Romain ? Pourquoi est-ce que j'ai l'impression que...que tu me pousses à...à te quitter ?
- Je ne veux pas que tu sois malheureuse Éline.
- Mais je ne le suis pas !
- La seule possibilité qui s'offre à toi, si...si tu restes avec moi, c'est d'adopter. Ou de faire appel à un donneur. Et dans ce cas, ce sera ton enfant, pas le mien. Ce ne sera jamais le mien.
Voilà, ça...c'est dit. Merde, elle va sûrement pas bien le prendre...
- Je vois...
- Non tu ne vois pas ! Un de mes collègues a...il a appris la même chose il y a trois ans. Sa femme lui a dit qu'elle comprenait et que cela ne changeait rien pour elle, qu'ils feraient face ensemble. Elle avait 29 ans à l'époque, ils n'avaient pas encore d'enfants et le gars savait qu'elle en voulait un absolument. Ils se sont renseignés pour l'adoption mais au final, elle s'est barré deux ans plus tard en disant qu'elle avait passé les trente ans et qu'elle n'arrivait plus à accepter la situation. Je ne veux pas vivre la même chose Éline, essaie de me comprendre.
- C'est bien ce que je dis. Tu n'as pas confiance en moi.
Elle s'éloigne à nouveau de moi pour retourner vers le hall de nuit.
Je n'arrive pas à bouger : je reste assis par terre, la tête entre les mains, paumé, complètement paumé.
Le silence pesant dans l'appart me fait relever la tête et je me remets à pleurer en voyant qu'Éline se trouve à quelques mètres seulement de moi et qu'elle m'observe sans rien dire.
J'ai l'impression d'être devenu une vraie loque. Si jusqu'à présent j'avais réussi à mettre de côté ce sentiment d'injustice que j'avais éprouvé la première fois lorsque ce toubib m'avait annoncé la mauvaise nouvelle, ma rencontre avec Éline a tout fait remonter à la surface.
Je me sens abandonné par la vie et je n'arrive pas à faire le deuil de ma fertilité. J'ai la chance d'avoir rencontré une femme merveilleuse et je n'ai jamais autant ressenti cette envie d'avoir des enfants comme mes frères. Mais je ne peux pas, je ne pourrai jamais vivre la même chose.
Je me rappelle de la tête de Flo lorsqu'Annelise avait perdu les eaux avant la naissance de Liam et je ne pourrais jamais oublier la panique de Grégoire, lui le chirurgien imperturbable, quand il m'avait téléphoné de l'hôpital et que le travail avait à peine commencé pour Myriam.
Et moi, je n'aurai jamais l'occasion de vivre des moments pareils. Je ne risque pas d'être déboussolé devant les envies parfois curieuses d'une femme enceinte, je ne me rendrai pas à l'hôpital pour les échographies, je ne couperai pas le cordon ombilical après l'accouchement, je ne saurai jamais ce que c'est les nuits blanches ou les biberons à préparer à deux heures du matin.
Nous ne pourrons jamais Éline et moi, guetter les premiers signes annonciateurs, je ne la verrai jamais avec un ventre rond...
Je croyais avoir déjà versé toutes les larmes de mon corps à l'époque mais j'ai l'impression que c'est pire maintenant.
Le médecin avait dit que je devais laisser faire le temps, que petit à petit j'arriverais à oublier ce manque mais il s'est planté : je n'y arrive pas. Si en surface, j'arrive à paraître détaché, à faire comme si ma vie était parfaite, à l'intérieur de moi je suis littéralement brisé.
Je ne sais pas quelle image je renvoie à Éline là tout de suite mais je n'ai plus rien à voir avec le militaire sûr de lui.
J'ai envie d'hurler, de crier ma frustration, ma colère, ma jalousie envers mes frères qui ont envahi petit à petit mon corps et mon esprit, ce mal qui me détruit et me ronge depuis cinq ans.
L'amour avec un grand A, a un prix, celui de l'injustice, je l'ai compris il y a cinq ans.
Certains, dans un moment d'égarement, réaliseront mon rêve qui en restera définitivement un, sans se rendre compte du cadeau que la vie leur fait et ils appelleront cela une erreur.
Le temps qui passe n'est pas devenu mon ami mais bien mon ennemi car il me fait mal : mal dans ma tête, dans mon corps et surtout dans mon cœur.
Le pire dans tout cela, c'est sans doute savoir que jamais mon tour ne viendra. Je n'ai aucun espoir, je ne dois guetter aucun miracle, le toubib a été clair à ce sujet.
Je me relève péniblement et au même moment Éline se précipite sur moi. Elle pose brutalement sa main dans mon cou, elle m'oblige à baisser la tête puis elle m'embrasse violemment.
- Lieutenant Dalmans, maintenant écoutez-moi bien et tâchez d'imprimer cela dans votre cerveau.
Ça me fait mal de te voir comme ça Romain, tu n'imagines pas à quel point je me sens dévastée par ce qu'il t'arrive. Et je te le dit, je te le répète, ça ne change rien pour moi. Je ne vais pas te cacher que c'est perturbant pour moi. Mais je ne te laisserai pas tomber. Jamais. Parce que c'est toi que je veux dans ma vie, toi et personne d'autre. Alors,...on va se laisser le temps de penser à tout ça et...je veux bien que nous réfléchissions à l'adoption dans quelques mois. En attendant, j'aimerais que tu te sortes toutes ces stupides idées de ta petite tête.
Je la contemple sans pouvoir articuler le moindre mot. Qu'est-ce que je peux dire face à cela ? Je sais bien que cela doit lui en demander beaucoup de me dire ça, de renoncer à son désir d'enfant naturel à son âge pour moi.
Pour moi...
Je me jure intérieurement de tout faire pour la rendre heureuse, de la mériter, pour essayer de compenser un peu son sacrifice et mon incapacité à pouvoir lui faire un enfant.
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J'ai eu un peu de mal à écrire ce chapitre. Je voulais quelque chose de poignant et d'émouvant, j'espère que c'est ce que vous ressentirez.
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