J'ai reçu le feu vert du toubib pour reprendre le sport de manière plus intensive. Malgré le temps hivernal et les températures basses je suis heureux de pouvoir enfin aller courir tous les jours une heure et demie afin d'évacuer le stress qui me bouffe dès que je ne suis plus avec Éline. Au moins je sais que bientôt, très bientôt elle sera à mes côtés tous les jours et cela me soulage un peu.

L'autre crétin de Gaël est enfin reparti en mission. Dans le cadre du programme Building Partner Capacity il s'est envolé pour l'Irak hier matin. Je ne sais pas pour combien de temps mais j'espère que c'est pour une sacré longue période.

Du côté d'Axana c'est le silence radio complet. Je me dis que c'est une bonne chose et que son père lui a sans doute remonté les bretelles mais je me méfie quand même. Cette peste a plus d'un tour dans son sac et j'ai la désagréable impression qu'elle va continuer à s'accrocher à moi tant qu'elle peut. Et puis, vu qu'elle a le soutien de mon père, je dois m'attendre à tout.

Maintenant que je n'ai plus aucune séquelle de ma mission en Afghanistan, j'ai hâte de reprendre le boulot. Glander toute la semaine chez moi tout seul ça commence sérieusement à me taper sur le système. Heureusement que je passe déjà deux heures à la salle de sport en plus de mes séances de jogging quotidiennes sinon je deviendrais vraiment cinglé.

L'absence d'Éline à mes côtés a également un effet curieux sur moi : je n'ai jamais été autant inspiré et j'ai bien dû composer une dizaine de morceaux depuis mon retour en Belgique. Bon, ils sont tous très mélancoliques mais finalement ils ne font que refléter mon état d'esprit actuel : sans elle, je suis paumé, avec elle je me sens vivre.

Ce matin, j'effectue mon footing avec Flo. Nous nous sommes donné rendez-vous au pied de l'Atomium à 9h. J'avais complètement oublié que c'était la CrossCup de Bruxelles mais comme nous sommes là deux heures avant les premières courses et que je connais bien l'un des gars qui s'occupe du parcours, il nous laisse nous entraîner pendant une heure. Depuis que je suis gamin je n'ai jamais loupé une seule édition de cette compétition prestigieuse qui permet aux athlètes belges de se confronter à de très bonnes pointures du cross européen et même mondial.

J'avoue que cela me fait drôle de venir courir ici ce matin en sachant que cet après-midi je ne serai pas sur la ligne de départ.

J'ai tout connu ici : la pluie, la boue, la neige, le brouillard,...J'ai réussi de très bonnes perfs et j'y ai connu de très grosses désillusions. L'année prochaine, je reprendrais bien un dossard dans un club de la capitale pour pouvoir prendre part à quelques cross, ça me manque. Ma mère disait que j'étais désespérant quand j'étais gamin : au plus il y avait de boue et de crasse au plus j'étais content. Elle soupçonnait même que je m'arrangeais pour passer dans les flaques d'eau quand il y en avait. Si elle savait...

- Alors...elle vient s'installer quand chez toi ta femme ?

- On n'est pas marié Flo, arrête de dire ça, après je vais...

- Oh c'est bon petit frère, on sait très bien toi et moi que tu ne vas pas attendre une plombe avant de lui demander de t'épouser hein ?

- Mmmmm...

- Quoi, tu ne veux pas te marier avec elle ?

- Bien sûr que si !

- Ah je le savais ! Tu vois quand tu veux on peut tout te faire dire.

- Putain Flo tu fais chier.

- Pourquoi tu ne veux pas avouer que tu ne penses qu'à ça ?

Je profite de la seconde côte du parcours pour accélérer l'allure et pendant quelques minutes mon frangin ne peut plus parler afin de pouvoir suivre le rythme infernal que je lui impose.

- Hey vas-y doucement ! Le toubib a dit « reprise en douceur » il t'a pas demandé de te faire une tendinite dès le début.

- Aurais-tu du mal à me suivre ? Je te rappelle que toi, tu n'as pas arrêté le sport pendant six mois...

- Ouais mais tu as toujours été le plus doué en athlé.

Je m'arrête un instant pour reprendre un peu mon souffle et Florian en profite pour en remettre une couche dans notre discussion :

- Romain, tu as peur de quoi ?

- De quoi tu parles ?

- Dès qu'on te parle mariage et gamins tu te braques.

- Je ne me braque pas.

- Mais si ! Quoi, tu as peur qu'on te dise quelque chose ? Tu as 28 ans mon pote, on ne va pas te reprocher de vouloir te marier, surtout quand on voit à quel point tu es accro à Éline...

- Ça ne fait même pas un an qu'on se connait. Et encore. On est ensemble depuis mon retour.

- Ouais, et alors ? Tu sais, au risque de passer pour un cinglé, elle et toi c'est...ça paraît tellement évident. Limite j'ai presque l'impression que ça fait des années que vous êtes ensemble.

- Je ne veux pas lui faire peur.

- Peur ?

- Elle est déjà obligée de venir habiter en Belgique parce que je ne peux pas moi, aller vivre en France.

- Si cela ne lui plaisait pas elle n'aurait pas accepté. Tu crois vraiment qu'elle te dirait non si tu la demandes en mariage ?

- Je ne veux pas lui forcer la main.

- Seigneur, quand tu as une idée en tête toi, qu'est-ce que tu peux être têtu. Et con aussi.

Tu ne vas pas lui forcer la main Romain crois-moi.

Et au passage, si tu as peur de ce que les gens diront, laisse les dire.

Moi je vois une chose c'est que sans elle tu es malheureux. Et infernal.

Ah et grossier aussi. Non, ça finalement c'est tout le temps.

- Ça va c'est fini ?

- Epouse-là Romain. Et si tu as envie de le faire dans le mois fait-le. Il n'y a pas de délais obligatoires à respecter. Mais sois gentil, préviens-nous quand même !

Je lève les yeux au ciel. Ils sont pénibles mes frangins parfois. Surtout à me déchiffrer aussi facilement.

Nous terminons notre tour puis nous repartons vers le parking où nous avons laissé nos bagnoles.

En guise d'au revoir, Florian me donne une grande tape dans le dos puis il me dévisage avec un air tellement sérieux qu'il me fait presque peur :

- Arrête de réfléchir comme ça Romain. Ecoute ton cœur et n'attends pas qu'un autre te brûle la politesse.

Ça,...c'était la phrase à ne pas dire...

- Qu'est-ce que tu veux dire ? Tu sais des choses que j'ignore ?

- Mais non sombre crétin ! Ce que je veux dire c'est qu'à force de te poser des questions et de gamberger, tu risques de la faire fuir et de la jeter involontairement dans les bras d'un autre qui n'ira pas par quatre chemins pour la séduire.

- Hors de question !

- Donc...bouge ton cul petit frère. Même si vous avez confiance l'un en l'autre la distance ça n'aide pas et ça peut parfois instaurer le doute dans un couple.

- Depuis quand tu joues les psys toi ?

- Depuis que mon adorable petit frère pourri la vie de toute la famille parce qu'il n'ose pas s'engager avec la femme qu'il aime.

Lorsque je rentre chez moi, je suis énervé. Trop de choses se bousculent dans ma tête. Oui, Flo a raison, je meure d'envie de demander à Éline de devenir ma femme et oui, il a également raison, je me pose trop de questions parce que j'ai peur.

Je crève de peur de me faire rejeter par Éline, j'ai peur qu'elle trouve que tout va trop vite entre nous. J'ai bien vu qu'elle avait longtemps hésité à accepter de venir vivre avec moi.

Alors, lui demander de m'épouser ? Je vais la faire fuir.

J'avais tenté de lui faire comprendre lors de mon départ de Lyon que ce que je lui proposais ce n'était pas une cohabitation à l'essai mais bien un véritable engagement vis-à-vis d'elle.

Je sais qu'on ne peut pas connaître une personne comme ça au bout de trois mois mais j'ai envie de faire confiance à mon intuition, à cette petite voix au plus profond de moi qui me dit que j'ai réellement trouvé la femme de ma vie.

Le jugement des autres, honnêtement je m'en moque.

Après, nous pouvons nous fiancer et attendre un peu avant de nous marier. Comme Flo l'a dit, rien n'est figé, nous pouvons choisir nous même le moment.

Peut-être bien que mon frangin a raison je dois être totalement cinglé. Cette façon de me comporter tel un kamikaze qui fonce dans le tas, ça ne me ressemble pas. J'ai toujours été très prudent, je n'avais jamais promis à l'une de mes ex un engagement longue durée. En fait je n'avais jamais rien promis du tout puisqu'il n'y avait pas de sentiments.

Je n'aime pas cette idée de coup de foudre, j'appellerai plutôt cela un flash raisonné, ouais. Je ne sais pas comment expliquer ce que j'ai ressenti pour Éline dès le départ mais très vite, dans nos échanges de mails, la situation me devenait chaque jour plus évidente. Elle était tout ce dont j'avais besoin et après mes différentes pseudo-relations, je savais ce que je voulais, ce que je cherchais. Et je l'avais trouvée elle.

Pourquoi devrais-je attendre alors que tout me semble si clair?

Ce que j'aime chez Éline c'est que nous partageons cette même insouciance tout en restant lucides et responsables. Nous avons toujours été sur la même longueur d'onde, peu importe le sujet.

Mais malgré ça j'ai peur. Et je ne sais pas pourquoi.
Jade n'aurait pas autant poussé Éline à vivre avec moi si elle n'était pas certaine que nous deux c'était du solide, elles se connaissent depuis si longtemps.
Et Kasja non plus n'aurait pas insisté si elle craignait que cela se passe mal pour sa fille.

Perdu dans mes pensées, je ne fais pas attention à mon smartphone qui ne cesse de vibrer sur la table de la salle à manger. Ce n'est que lorsque je vois Berlioz qui joue avec que je m'approche et je constate que j'ai cinq appels en absence de ma mère.

Inquiet je la contacte immédiatement :

- Mum ? Did you try to call me ?

- Romain, you...

Les cris de mon père ne permettent pas à ma mère de continuer sa phrase. Je les entends échanger quelques mots puis ma mère reprend notre conversation d'un ton las.

- Ton père veut que tu lui confirmes ta présence samedi prochain.

- J'ai dit oui maman ! Je lui ai dit que je viendrais. Il n'a pas confiance en moi ?

- Il...

- Maman ?

- Il veut que tu viennes seul.

- No way !

- Romain...

- Maman, dit lui que ça ne sert à rien qu'il s'acharne sur moi. Merde il fait vraiment chier !

- Roman, ton langage !

- Tant qu'il ne me lâchera pas, ça ne risque pas de s'améliorer.

Moins de cinq minutes plus tard je raccroche, furieux.

Et si je trouvais une excuse pour ne pas aller à ce dîner à la con ?

-------------------

Je ne sais pas pour vous mais je la sens mal cette fameuse réception....