Extrait 21
Enfin, la vérité. Allongé à plat ventre, le visage contre le tapis poussiéreux du bureau où il avait autrefois cru apprendre les secrets de la victoire, Harry avait finalement compris qu'il n'était pas censé survivre. Sa tâche consistait à marcher calmement vers les bras accueillants de la mort. Au long du chemin, il devait détruire les derniers liens qui rattachaient Voldemort à la vie. Ainsi, quand il finirait par se jeter en travers de sa route, sans même lever sa baguette pour se défendre, l'issue serait claire et nette, le travail qui aurait dû être accompli à Godric's Hollow serait terminé : ni l'un ni l'autre ne vivrait, ni l'un ni l'autre ne pourrait survivre.
Il sentit son cœur tambouriner furieusement dans sa poitrine. Il était étrange que, dans sa peur de la mort, il batte d'autant plus vite, le maintenant vaillamment en vie. Mais il allait devoir s'arrêter, et bientôt. Ses pulsations étaient comptées. Combien y en aurait-il encore pendant le temps qu'il mettrait à se relever, à traverser pour la dernière fois le château, à sortir dans le parc et à pénétrer dans la Forêt interdite ?
La terreur le submergea tandis qu'il demeurait étendu par terre, avec ce tambour funèbre qui battait en lui. Mourir était-il douloureux ? Toutes les fois où il avait cru que c'était la fin mais avait réussi à s'échapper, il n'avait jamais vraiment pensé à la chose elle-même. Sa volonté de vivre avait toujours été beaucoup plus forte que sa peur de la mort. Pourtant, en cet instant, il ne lui venait pas à l'idée d'essayer de s'échapper, de distancer Voldemort. C'était fini, il le savait, et il ne restait plus que le fait en soi : mourir.
Si seulement il avait pu mourir en cette nuit d'été où il avait quitté pour la dernière fois le 4, Privet Drive, cette nuit où sa noble baguette à la plume de phénix l'avait sauvé ! Si seulement il avait pu mourir comme Hedwige, avec une telle soudaineté qu'il ne s'en serait même pas rendu compte ! Ou s'il avait pu s'élancer devant une baguette magique pour sauver quelqu'un qu'il aimait... À présent, il enviait même la mort de ses parents. Cette marche de sang-froid vers sa propre destruction exigerait une autre forme de bravoure. Il sentit ses doigts trembler légèrement et s'efforça de les contrôler, bien qu'il n'y eût personne pour le voir. Tous les tableaux accrochés aux murs étaient vides.
Lentement, très lentement, il se redressa en position assise et se sentit alors plus vivant, plus conscient qu'il ne l'avait jamais été de la vie qui animait son propre corps. Pourquoi n'avait-il jamais su apprécier ce miracle que constituait son être, ce cerveau, ces nerfs, ce cœur qui bondissait dans sa poitrine ? Tout cela allait disparaître... Ou tout au moins, devrait-il l'abandonner. Son souffle était lent, profond, sa bouche et sa gorge complètement asséchées, ses yeux aussi.
La trahison de Dumbledore n'était presque rien. Il existait un plan plus vaste, bien sûr. Harry avait simplement été trop sot pour le voir, il s'en rendait compte à présent. Il n'avait jamais mis en question sa conviction que Dumbledore voulait qu'il reste vivant. Maintenant, il voyait que son espérance de vie avait toujours été déterminée par le temps qu'il mettrait à éliminer les Horcruxes. Dumbledore lui avait passé le relais en le chargeant de les détruire et, docilement, il avait continué à rogner les liens qui unissaient non seulement Voldemort mais lui-même à la vie ! Comme il était ingénieux, élégant, d'épargner des vies supplémentaires en confiant la tâche dangereuse au garçon qui était déjà destiné au sacrifice et dont la mort ne serait pas une calamité mais un nouveau coup porté à Voldemort.
Et Dumbledore avait su que Harry ne se défilerait pas, qu'il irait jusqu'à la fin, même si c'était sa fin à lui, car il avait pris la peine de chercher à le connaître, n'est-ce pas ? Dumbledore savait, comme le savait Voldemort, que Harry ne laisserait personne mourir à sa place après avoir découvert qu'il était en son pouvoir d'en finir. L'image de Fred, Lupin et Tonks allongés morts dans la Grande Salle s'imposa dans son esprit et pendant un moment, il put à peine respirer : la mort était impatiente...
Mais Dumbledore l'avait surestimé. Il avait échoué : le serpent était toujours vivant. Même après que Harry aurait été tué, il resterait un Horcruxe qui rattachait Voldemort à la terre. Il était vrai que cela faciliterait la tâche à quelqu'un d'autre. Il se demanda qui s'en chargerait... Ron et Hermione sauraient ce qu'il fallait faire, bien sûr... c'était sans doute pour cette raison que Dumbledore avait voulu qu'il partage ce secret avec eux... pour que, si jamais sa destinée s'accomplissait un peu trop tôt, ils puissent prendre la relève...
Il devait mourir : cette vérité irréfutable avait la réalité d'une surface dure contre laquelle ses pensées venaient s'écraser comme des gouttes de pluie contre les vitres d'une fenêtre. Je dois mourir. Il faut que cela finisse.
Ron et Hermione lui paraissaient distants, dans un pays lointain. Il avait l'impression de les avoir quittés depuis très longtemps. Il n'y aurait pas d'adieux, pas d'explications, il y était résolu. C'était un voyage qu'ils ne pouvaient accomplir ensemble et leurs tentatives pour essayer de l'arrêter lui feraient perdre un temps précieux. Il regarda la vieille montre en or bosselée qu'il avait reçue en cadeau pour son dix-septième anniversaire. La moitié de l'heure que lui avait accordée Voldemort pour se rendre était écoulée.
Il se leva. Son cœur bondissait contre ses côtes à la manière d'un oiseau pris de panique. Peut-être ce cœur lui-même savait-il qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps, peut-être avait-il décidé, avant sa fin, de battre autant qu'il l'aurait fait pendant une vie tout entière. Harry ne regarda pas en arrière lorsqu'il referma la porte du bureau.
Le château était vide. En le parcourant seul, il avait l'impression d'être un fantôme, comme s'il était déjà mort. Les portraits étaient toujours absents de leurs cadres. Il régnait autour de lui une immobilité sinistre, inquiétante, comme si les derniers restes de vie s'étaient concentrés dans la Grande Salle, où se serraient ceux qui pleuraient les morts.
Harry étendit sur lui la cape d'invisibilité et descendit les étages jusqu'à l'escalier de marbre qui menait dans le hall d'entrée. Une part infime de lui-même espérait peut-être qu'on s'apercevrait de sa présence, qu'on essayerait de l'arrêter, mais la cape, comme toujours, était impénétrable, parfaite, et il atteignit facilement la porte d'entrée.
Neville faillit se cogner contre lui. Aidé de quelqu'un d'autre, il ramenait un corps du parc. Harry baissa les yeux et reçut un nouveau coup au creux de l'estomac : Colin Crivey, bien que non encore majeur, avait dû revenir subrepticement, tout comme Malefoy, Crabbe et Goyle. Dans la mort, il paraissait minuscule.
— Tu sais, je peux m'en occuper tout seul, Neville, dit Olivier Dubois.
Il hissa Colin sur son épaule à la manière des pompiers et l'emporta dans la Grande Salle.
Neville s'adossa un moment contre le montant de la porte et s'essuya le front d'un revers de main. Il avait l'air d'un vieil homme. Puis il redescendit les marches de pierre pour aller chercher d'autres corps dans l'obscurité.
Harry jeta un coup d'œil derrière lui, vers l'entrée de la Grande Salle. Il voyait des gens passer, certains essayaient de se réconforter les uns les autres, d'autres buvaient, d'autres encore étaient agenouillés auprès des morts, mais il n'apercevait personne parmi ses amis les plus proches. Il n'y avait pas trace d'Hermione, de Ron, de Ginny, ni d'un autre Weasley, ni de Luna. Il aurait donné tout le temps qui lui restait pour pouvoir les regarder une dernière fois. Mais aurait-il eu alors la force de les quitter des yeux ? C'était sans doute mieux ainsi.
Il descendit les marches et s'enfonça dans l'obscurité. Il était près de quatre heures du matin et le parc, figé dans une immobilité mortelle, donnait l'impression de retenir son souffle en attendant de voir si Harry parviendrait à mener à bien ce qu'il devait accomplir.
Il s'approcha de Neville, penché sur un autre corps.
— Neville.
— Bon sang, Harry, j'ai failli avoir une attaque !
Harry avait ôté la cape d'invisibilité. L'idée lui était venue d'un coup, née du désir de s'assurer que tout irait jusqu'au bout.
— Où vas-tu tout seul ? lui demanda Neville d'un air soupçonneux.
— C'est une partie du plan, répondit Harry. Je dois faire quelque chose. Écoute... Neville...
— Harry !
Neville parut soudain effrayé.
— Harry, tu ne songes pas à te rendre ?
— Non, répondit-il, sans éprouver de difficulté à mentir. Bien sûr que non... il s'agit d'autre chose. Mais je vais peut-être disparaître pendant un moment. Tu connais le serpent de Voldemort, Neville ? Il a un énorme serpent... il s'appelle Nagini...
— J'en ai entendu parler, oui... Et alors ?
— Il faut le tuer. Ron et Hermione le savent, mais simplement au cas où ils...
Pendant un moment, l'horreur de cette hypothèse le suffoqua, l'empêcha de parler. Mais il se reprit : c'était crucial, il fallait faire comme Dumbledore, garder la tête froide, s'assurer que d'autres viendraient en renfort, poursuivraient la tâche. Dumbledore était mort en sachant que trois autres personnes connaissaient l'existence des Horcruxes. À présent, Neville prendrait la place de Harry : ainsi, ils seraient toujours trois à connaître le secret.
— Au cas où ils seraient... occupés... et que toi, tu en aies l'occasion...
— Tuer le serpent ?
— Tuer le serpent, répéta Harry.
— D'accord, Harry. Ça va, tu te sens bien ?
— Ça va très bien, merci, Neville.
Mais lorsque Harry voulut s'éloigner, Neville lui saisit le poignet.
— On va tous continuer à se battre, Harry. Tu le sais ?
— Oui, je...
L'émotion étouffa dans sa gorge la fin de sa phrase, il ne put continuer. Neville ne sembla pas s'en étonner. Il tapota l'épaule de Harry, le relâcha, et s'en alla chercher d'autres corps.
Harry étendit à nouveau sur lui la cape d'invisibilité et poursuivit son chemin. Un peu plus loin, quelqu'un d'autre se penchait sur une silhouette allongée sur le ventre. Il n'était qu'à quelques mètres lorsqu'il reconnut Ginny.
Il s'immobilisa. Elle était accroupie auprès d'une fille qui murmurait en appelant sa mère.
— Ne t'inquiète pas, disait Ginny. Ça va aller. Nous allons te ramener à l'intérieur.
— Mais je veux rentrer à la maison, répondit la fille. Je ne veux plus me battre.
— Je sais, reprit Ginny d'une voix qui se brisa. Tout ira bien.
Harry sentit comme une onde glacée à la surface de sa peau. Il aurait voulu hurler dans la nuit, il aurait voulu que Ginny sache qu'il était là, qu'elle sache où il allait. Il aurait voulu qu'on l'empêche de continuer, qu'on le ramène en arrière, qu'on le renvoie chez lui...
Mais il était chez lui. Poudlard était le premier foyer qu'il ait connu, le plus accueillant. Lui, Voldemort et Rogue, les garçons abandonnés, avaient tous trouvé un foyer ici...
Ginny, agenouillée à présent auprès de la fille blessée, lui tenait la main. Au prix d'un effort considérable, Harry se força à reprendre sa marche. Il crut voir Ginny jeter un coup d'œil au moment où il passa près d'elle et se demanda si elle avait senti la présence de quelqu'un à proximité, mais elle ne dit rien, et il ne regarda pas en arrière.
La cabane de Hagrid se dessina dans l'obscurité. Il n'y avait aucune lumière, Crockdur ne grattait pas à la porte, on n'entendait pas ses aboiements résonner en signe de bienvenue. Toutes ces visites qu'ils avaient faites à Hagrid... tous ces souvenirs... le reflet de la bouilloire de cuivre sur le feu, les gâteaux durs comme le roc, les asticots géants, son gros visage barbu, Ron vomissant des limaces, Hermione l'aidant à sauver Norbert...
Il poursuivit son chemin, puis s'arrêta lorsqu'il eut atteint la lisière de la forêt.
Un essaim de Détraqueurs glissait parmi les arbres. Harry sentait le froid qu'ils répandaient alentour et n'était pas sûr de pouvoir passer parmi eux sans dommages. Il n'avait plus assez de forces pour produire un Patronus. Il ne parvenait pas à contrôler ses tremblements. Mourir n'était, finalement, pas si facile. Chacune de ses respirations, l'odeur de l'herbe, la fraîcheur de l'air sur son visage, lui étaient infiniment précieuses : penser que la plupart des gens avaient des années et des années devant eux, du temps à perdre, un temps si abondant qu'il traînait en longueur, alors que lui se raccrochait à chaque seconde. Il pensait qu'il lui serait impossible de continuer tout en sachant qu'il le devait. Le long match était terminé, il avait attrapé le Vif d'or, le moment était venu d'atterrir...
Le Vif d'or. Ses doigts sans force fouillèrent un moment dans la bourse qu'il portait au cou et il l'en sortit.
« Je m'ouvre au terme. »
La respiration rapide, saccadée, il le contempla. Maintenant qu'il aurait voulu voir le temps passer le plus lentement possible, il paraissait au contraire s'accélérer, et sa compréhension des choses était si rapide qu'elle semblait avoir contourné sa pensée. Le terme était là. Le moment était venu.
Il pressa le métal doré contre ses lèvres et murmura :
— Je suis sur le point de mourir.
J.K. Rowling, Harry Potter et les Reliques de la Mort, Chapitre 34 : Retour dans la forêt
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