Mathilde

La salle à manger, une pièce immense et richement décorée, était bien silencieuse. Seul le raclement des couverts plaqués or contre la porcelaine brisait ce silence de plomb.

Nous étions quatre autours de la table en bois massif.

À ma gauche, assise bien droite, Alice, ma future belle-sœur, ne faisait rien pour me mettre à l'aise.

En face de moi, mon futur beau-frère lançait des regards étranges à Aren, mon fiancé, qui mangeait tranquillement en bout de table. Ce dernier était bien le seul à ne pas remarquer l'ambiance tendue qui stagnait dans l'air.

Il levait les yeux vers moi et je lui souriais gentiment. En reportant mon attention sur ma propre assiette, je croisais le regard du jeune homme en face de moi, retenant un frisson. Quelque chose se tramait.

Alice tendait le bras vers l'extérieur de la table, attendant qu'un serviteur lui remplisse son verre. Le liquide rouge, semblable à du sang, me sembla couler au ralenti. Elle le vida d'une traite.

J'avais beau être nouvelle dans la famille, je sentais que les relations entre les trois frères et sœurs étaient plus que glaciale.

— Ta fiancée ne semble pas à son aise, lança Atlance avec un sourire narquois.

— Tu ne fais rien pour arranger les choses, répondait Aren sans se donner la peine de lever les yeux de son assiette.

Le silence se réinstalla seulement quelques instants.

— Où est père ? changea de sujet Alice.

Un sourire carnassier se dessina sur le visage du cadet, comme s'il savait quelque chose que nous ignorons.

— Que manigances-tu, Atlance ?

— Je pourrais te poser la même question, Aren.

Les deux frères se faisaient maintenant face, leurs yeux lançant des éclairs.

La dernière phrase du cadet me fit me remémorer un événement qui avait eut lieu la veille.

Je prenais l'air dans les jardins du château ducal, je n'arrivais pas à dormir.

C'était ma première nuit chez la famille de mon fiancé. Le mariage aurait lieu dans quelques jours. Je n'en revenais pas de ma situation, moi, fille de comte, me retrouvait promise au fils aîné du Duc.

Aren était plutôt gentil, j'aurais pu tomber sur pire.

Au détour d'un buisson, je tombais sur deux silhouettes qui essayaient probablement d'être discrètes. Mes yeux ne distinguaient pas leurs visages, mais je reconnaissais la voix de mon futur mari.

— Me menacerais-tu, mon frère ? grondait Aren, me faisant revenir à la réalité.

Allaient-ils en venir aux mains ?

Tout à coup, les doubles battants de la porte s'ouvrirent en claquant.

— Père, enfin vous voilà, commença Alice.

Sans un regard pour sa fille, le Duc ordonna à son cadet :

— Atlance, occupe-toi de ton frère.

Sans hésitation, le jeune homme sortit un poignard de son dos et le planta dans le ventre de son aîné avant qu'il ne puisse réagir.

Je hurlais son nom alors que mon fiancé s'écroulait au sol, entraînant avec lui la nappe immaculée.

Alice, les yeux probablement aussi exorbités que les miens, attrapa mon bras et me tira en arrière. Elle dit quelque chose mais, je ne l'écoutais pas. Comment tout avait pu basculer ainsi ?

— Emmenez mesdemoiselles Alice et Mathilde dans leurs appartements, ordonna le Duc en contournant le corps de son fils.

Je ne réussissais pas à détacher les yeux de la flaque rouge qui tachait le tapis de la grande salle tandis que l'on me traînait dehors.

Prisonnière de ceux qui devaient devenir ma belle famille, j'attendais, résignée que l'on me dise ce que j'allais devenir.

J'étais prostrée ainsi sur le sol depuis plusieurs heures maintenant, lorsqu'un bout de parchemin glissa sous la porte de ma chambre.

« Rejoins-moi sous le saule pleureur. »

Qui cela pourrait-il être ?

J'avais beau ne pas être confiante, je sentais qu'il fallait que j'y aille.

Rassemblant les forces qu'il me restait, je me levai donc et entreprenais d'entre-ouvrir la porte. Il n'y avait personne.

Je me glissais donc à l'extérieur et, traversant les couloirs calmes, je finissais par déboucher dehors. Le froid mordant me fit regretter de ne pas avoir pris de quoi me couvrir, mais j'avançais quand même courageusement sous le ciel noir.

C'était la nouvelle lune, je ne distinguais donc pas grand-chose. J'arrivais tout de même à l'arbre demandé, me glissant discrètement sous les feuilles, je guettais un quelconque mouvement.

Une main se posa alors sur ma bouche et quelqu'un chuchota à mon oreille :

— Ne craignez rien, c'est moi qui vous aie fait venir.

Je ne reconnaissais pas la voix, mais je n'appréciais guère qu'il soit aussi près de moi. Je me dégageais donc et me retournais vivement.

C'était un jeune homme brun aux yeux tout aussi noir que le fond d'un puits. Il avait le regard fatigué et les traits tirés. Je ne devais pas avoir meilleur mine, cela dit.

— Vous devez fuir au plus vite, lâcha-t-il de but en blanc.

— Je ne peux pas, que deviendrait ma famille si je disparaissais ? Le Duc a une grande influence dans les terres du nord.

— Vous accepterez donc d'épouser celui qui a tué Aren ?

— Comment ça ?

— Le Duc a décidé que Atlance prendrait la place de son aîné mort accidentellement.

— Accidentellement ?! C'est donc ainsi qu'ils ont annoncé son meurtre.

L'autre acquiesça le visage neutre.

— Qui êtes-vous ? demandais-je soudain.

— Un ami d'Aren et donc votre ami.

— Pourquoi vous occupez-vous de moi ? Les noces n'ont pas eut lieu.

— Aren vous appréciait beaucoup, mademoiselle. Il s'en voudrait sûrement de vous voir en mauvaise posture à cause de lui.

— C'était donc avec vous qu'il discutait l'autre nuit. Que complotez-vous ? Atlance a-t-il eu raison d'éliminer son frère ?

— Effectivement, nous complotions contre le Duc. Seul le bien du peuple comptait pour Aren, or son père souhaite étendre son territoire en attaquant les contrées du sud, mettant en danger tout ce que nous détenons déjà. Si nous laissons faire le Duc et Atlance, nous mourrons tous.

— Soit. Mais je ne fuirais pas.

— Vous épouserez donc Atlance et subirez le même sort qu'Aren. Un coup de poignard dans le ventre. Oh, peut-être pas de votre nouvelle belle famille évidemment, mais des guerriers du sud qui ne se laisseront pas faire aussi facilement.

— Non. Aren est mort, vous n'avez donc plus d'espion dans le cercle du Duc, n'est-ce pas ?

L'autre ne répondait pas attendant la suite.

— Je serais donc celle qui renversera le Duc et son fils de l'intérieur.

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