Prologue
Lorsque je n'étais encore qu'une petite fille, on me répétait sans arrêt les mêmes choses : il ne fallait pas confondre les rêves et la réalité. Une fois ceux-ci mélangés, je ne ferais plus jamais la différence entre les deux.
Qu'est-ce que cela pourrait bien signifier, d'après toi ? Je suis en train de nager en plein rêve ? J'imagine tout ça ? Tout ce qui m'entoure, les personnes que je rencontre, les lieux que je visite, les objets que je touche ; ils ne seraient que le fruit de mon imagination ? Tu ne serais que le fruit de mon rêve, issu du monde imperturbable que je me suis créé ? Tu ne serais pas réel ? Mais comment l'expliquer ? Comment expliquer les sentiments que j'éprouve pour toi, pour vous tous ?
Si vous n'étiez pas réels, je ne sentirais rien. Ce serait le vide autour de moi. Mon cœur serait aussi dur que de la roche. Alors comment expliquer qu'il fond en ta présence ? Tu pourrais me l'expliquer, toi ?
... Es-tu réel ? Peux-tu seulement répondre à mes questions ? En es-tu capable ? J'ai tellement besoin de réponses, aussi vagues soient-elles. Je ne voudrais en aucun cas me réveiller un beau jour en me disant que tout ça, tout ce que j'ai vécu, n'était pas réel. Que tu n'étais pas réel. Si ça devait être le cas, qu'on me prévienne, au moins, pour que la vérité soit un peu moins dure à avaler. Juste un peu...
Je ne cherche que des réponses.
****
Dans une forêt près d'une falaise, un petit groupe de quatre personnes seulement entourait un feu de camp précaire. Le craquement du bois mourant sous les flammes résonnait dans la tête du petit groupe comme une mélodie mortuaire, synonyme d'angoisse et de mauvais présage.
Le regard noir, les quatre compagnons fixaient le sol, pensifs, et ne disaient mot. Ce silence complet, inhabituel de leur part, eux qui étaient d'ordinaire si jovials, n'avait rien de très rassurant.
Au centre des personnages, les flammes du feu encore récent dansaient joyeusement, s'étirant fièrement vers les cieux alors couverts par le feuillage dense des arbres, ignorants l'ambiance pesante et lugubre qui pesait sur le groupe. Malgré tout, une étrange jeune fille aux yeux aussi rouges que le sang se leva, ne tenant plus en place. Ses poings tremblants et serrés près de son corps trahissaient une certaine gêne, il suffisait d'un regard en direction de ses prunelles rubis pour le comprendre.
Ce remous impromptu attira le regard de ses camarades sur elle. Mais elle ne dit rien.
– Où vas-tu ? questionna l'une d'eux.
Celle qui venait de prendre la parole était une très jolie jeune fille aux cheveux aussi blancs que la neige, légèrement ondulés. Ces derniers étaient relâchés autour de ses épaules et dans son dos, lui conférant une sorte de manteau capillaire particulièrement impressionnant. Mais ce qui était sans doute le plus surprenant chez cette jeune fille fut sans aucun doute ses magnifiques mais étranges yeux vairons. L'un était jaune et l'autre rouge.
– J'ai besoin d'être seule un moment, déclara l'adolescente sur un ton un peu froid.
Elle n'avait pas voulu paraître méchante devant son amie, mais elle ne pouvait pas freiner la tornade d'émotion qui faisait rage dans son cœur et ses pensées torturées.
Cette jeune fille-ci avait de longs cheveux noirs dont les extrémités se terminaient par des pointes bleutées couleur de l'océan. La légère brise nocturne les faisait voleter doucement dans son dos, lui conférant presque une sorte d'aura mystique, en harmonie avec le personnage qu'elle était censée représenter aux yeux de tous.
Tous la regardèrent s'enfuir à travers les arbres épais, mais personne ne fit rien pour la retenir. Ils le savaient. Tous avaient conscience du terrible conflit qui faisait rage au plus profond d'elle-même. Ils ne pouvaient que compatir. Aucun, ici présent, n'aurait voulu être à sa place et endurer ses souffrances internes.
La jeune fille se dirigea sur le bord de la falaise, peut-être un peu trop près. La pointe de son pied fit tomber quelques gravats qui n'émirent aucun bruit alors qu'ils s'enfonçaient dans les abysses en contre-bas.
Une drôle de pensée envahit soudainement l'adolescente : si elle sautait ? Elle était inutile, ici. Elle ne manquerait à personne. Elle ne causait que des problèmes. Comment pouvait-elle tous les sauver ? Comment elle pouvait-elle être la sauveuse dont tout le monde semblait avoir tant besoin ? Elle n'était qu'une banale adolescente qui confondait ses rêves et la réalité.
Elle n'avait positivement rien d'une grande héroïne, celle que tous semblaient impatients de voir à l'œuvre. Et cela la terrifiait. Commet ferait-elle, si elle n'était finalement pas à la hauteur ? Comment regarder les autres en face, si elle venait à échouer ?
La brune se pinça un bras, le plus fort possible, jusqu'à s'en faire mal et rougir sa peau. Rien.
– Bien sûr, murmura-t-elle à voix basse, son regard rubis se perdant sur la masse sombre dans le précipice sous ses pieds. Cela serait bien trop facile. Ce n'est peut-être pas mon rêve, après tout...
La jeune fille, les yeux emplis de larmes qu'elle tentait de contenir du plus profond de son cœur, trouva le courage de lever les yeux vers l'horizon, à l'endroit exact où les arbres prenaient fin. En ce magnifique milieu de soirée, la grande ville s'étendant à perte de vue était illuminée par d'innombrables petites lumières jaunes. La Capitale semblait comme flotter sur l'eau, à l'image d'un bateau encore amarré à quai, avec son immense entrée en bordure de forêt, et son port se jetant sur l'océan. La cité reflétait, tel un miroir parfait, les étoiles scintillantes du ciel nocturne. Elles atteignaient la mer, au loin, qui elle aussi redessinait les contours parfaits de la lune ronde et turquoise. La surface de l'eau, bien qu'elle se trouvait à des kilomètres de la jeune fille qui l'admirait sans un mot, faisait danser par ondulations la réverbération de l'astre.
On avait une vue réellement splendide, de là-haut. La Capitale était sans aucun doute plus belle que jamais, sous ce ciel aux étoiles innombrables, mais la jeune fille ne pouvait s'empêcher de la trouver affreuse. Parce qu'elle y avait déjà foulé les pieds, elle savait que tout ce qui demeurait entre ces murs n'étaient qu'hypocrisie et domination écœurantes.
Une paire de bras vint soudainement entourer sa taille. La jeune fille ne réagit pas. Autrefois, elle aurait facilement pu se pétrifier sur place de terreur, hurler de surprise. Mais pas cette fois, pas ce soir. Car elle savait de qui il s'agissait.
Une tête se lova dans le creux de son cou. Elle appartenait à un garçon aux cheveux blonds, un jeune homme qu'elle connaissait bien.
La jeune fille sentit ses dernières barrières s'effondrer, celle qu'elle avait mis tant de mal à construire autour de son cœur. Alors, une larme dévala le long de sa joue gauche. Puis une seconde sur la droite. Elle pleura en silence, contenant pudiquement toute la rage et l'impuissance qui pourtant ne demandaient qu'à être évacués.
Sans rien dire, une main sécha alors ces gouttes d'eau salées, après quelques secondes d'hésitation.
Sa main.
Le jeune homme qui l'avait rejoint retira ses bras puis força son amie à se tourner, de sorte qu'ils puissent tous les deux se regarder dans les yeux. Il lui sourit doucement, d'un rictus si chaleureux et tellement sincère, pas celui arrogant et sûr de lui qu'il avait pourtant l'habitude d'arborer. Il prit ensuite le visage de son amie entre ses mains et colla son front au sien, dans un geste purement protecteur.
– J'ai confiance en toi, dit-il dans un murmure, d'une voix si profonde et si chaude.
Les deux compagnons restèrent dans cette même position de longues secondes. Cependant, au bout d'un certain temps, la jeune fille attrapa les mains de son camarade et les écarta de son visage, le regard étrangement fuyant, des rougeurs naissants sur ses joues rondes. Non qu'elle n'aimât pas ce contact, bien au contraire, elle aurait souhaité demeurer ainsi pour l'éternité. Elle fit ce geste tout en baissant nerveusement la tête, fixant ses pieds avec gravité.
– Je dois vraiment le faire ? questionna-t-elle d'une voix brisée par des sanglots refoulés.
– Bien sûr. Rappelle-toi qui tu es.
– L'Enfant aux Yeux Rouges, murmura la jeune fille pensivement. Mais, et si ce n'était pas moi ?
– Alors qui d'autre ?
L'adolescente lui tourna une nouvelle fois le dos, cette fois-ci pour cacher ses larmes. Elle n'aimait pas que l'on puisse remarquer à quel point elle pouvait être vulnérable. Elle lui en avait déjà trop dévoilé à son goût.
Une brise légère et salée, en provenance de la mer, passa furtivement entre les deux compagnons, soulevant leurs vêtements en tous sens qui s'agitèrent dans le vent. Tragiquement, les deux amis se faisaient face, mais l'un des deux refusait toujours catégoriquement tout contact visuel.
Des cris puissants se firent soudainement entendre en direction de l'épaisse forêt dans laquelle ils avaient décidé de passer la nuit ; la dernière avant la bataille finale.
– Ils arrivent, s'écria le jeune homme en perdant son sang-froid, son corps se tournant à moitié en direction des hauts arbres qui les toisaient en silence, tu dois croire en toi et accepter ton destin !
L'adolescent lui tendit une main, invitant son amie à le suivre, la suppliant par la seule force de son regard.
La jeune fille aux pupilles couleur du sang la fixa un instant, les yeux complètement dénués de toute émotion. Elle devait faire le vide dans ses pensées. Ne plus rien ressentir, au risque de flancher, quitte à faire du mal aux autres. À se faire du mal à soi-même...
Elle ne saisit pas sa main. Elle se contenta de le contourner, le regard fixé en direction de la forêt, son esprit déjà présent sur le champ de bataille.
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