Yume rentrait tout juste d'une mission qu'il avait dû effectuer en dehors de Fikternand. Cette fois-ci, il avait dû se rendre, avec son escouade, dans une petite bourgade tranquille, un peu perdue en plein milieu de la Forêt des Hiboux. Un rapport inquiétant de la part d'un des habitants de Buxih – c'était le nom du village – indiquait qu'un voleur faisait rage toutes les nuits, et qu'il s'était alors porté volontaire pour en informer les membres de l'Élite. Teki, qui était en charge de distribuer les missions (comme à son habitude, de son air faussement ravi), avait donc ordonné à Yume et son petit groupe d'aller enquêter sur cette affaire, et il n'avait pas eu son mot à dire.

Une fois sur place, l'Épéiste, accompagné de ses Miliciens, se fit passer pour un voyageur itinérant en repos à Buxih. Une fois la première nuit passée, le voleur eut la mauvaise idée de s'en prendre en premier à Yume, pensant qu'en étant un voyageur, il serait manifestement sans défense ; ce n'était – malheureusement pour le voleur – pas le cas. Après une course poursuite effrénée, Yume et ses hommes étaient parvenus à lui tendre une embuscade en plein cœur du village pour ensuite l'arrêter. Pour les remercier, les habitants de Buxih avaient tenu à leur offrir un grand festin ainsi qu'une nuit supplémentaire dans leur charmante petite bourgade. Les soldats n'eurent d'autre choix que d'accepter, fortement touché par la familiarité dont faisaient preuve ces braves et honnêtes gens.

Yume revenait donc à Fikternand avec un prisonnier sous les bras. Le jeune homme passa à peine devant le bâtiment de l'Élite pour y déposer sa prise. Il repartit aussi vite qu'il était venu. Tant qu'il était loin d'ici, mieux il se portait !

Cela faisait maintenant quelques jours qu'il l'avait appris. Le plus lourd secret de Seven. Il savait tout. Enfin, pour être plus exact : Yume en savait une bonne partie. Mais elle était assez suffisante pour dévoiler au grand jour la véritable fonction de l'Élite.

S'il avait su, jamais Yume n'aurait accepté toutes ces missions, toutes ces quêtes pour eux ! Il supposait qu'il en allait de même pour Fileya. D'ailleurs, le jeune homme n'avait pas revu sa meilleure amie depuis qu'il lui avait annoncé la terrible vérité. Elle avait eu l'air tellement... sonnée, choquée. Yume ne savait même pas comment décrire sa réaction. De l'horreur, de l'incompréhension, du doute peut-être ? Pas envers lui, mais envers elle-même.

Tout cela pour dire que le blond n'avait aucune nouvelle de son amie depuis ce fameux jour. Sans doute irait-il la voir dans la semaine, histoire de prendre de ses nouvelles. Mais aussi discuter de sujets plus... sensibles, plus graves, importants.

Fileya méritait également de savoir comment il avait découvert tout cela. Yume ne pouvait cependant pas lui raconter tout ce qu'il avait vu. S'il le faisait, il aurait peur de la réaction que pourrait avoir l'Invoqueur. Au lieu de chercher à détrôner Seven, sans doute chercherait-elle à faire bien pire.

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Yume rentra directement chez lui, pas trop d'humeur à courir les rues ce soir.

Son habitation, il s'agissait d'un petit studio, tout ce qu'il y avait de plus simple. Une banquette par-ci, collée contre le mini-bar de sa cuisine, la télé par-là, juste en face. Le studio comportait également une petite chambre toute simplette reliée directement à la salle d'eau.

Yume avait les moyens de se payer une maison de luxe s'il le voulait, grâce au salaire que l'Élite lui versait encore. Mais la simplicité lui plaisait bien.

Le jeune homme préférait économiser son argent pour mieux le dépenser ensuite dans des améliorations pour son épée, qu'il chouchoutait comme s'il s'agissait de son petit bébé.

Yume lui avait déjà acheté par ailleurs quelques petits sorts bon marché qu'il avait trouvé par-ci par-là lors de ses missions en dehors de Fikternand. Il n'achetait jamais de magie directement dans la grande cité, car le blond la trouvait de fort mauvaise qualité. Au bout de cinq utilisations, il fallait de nouveau remplir la sphère dans laquelle la magie était contenue. De plus, le prix de celle-ci était exorbitant à Fikternand ! Plus de deux-cents Néos le flacon ! Et encore, ce prix n'était valable que pour de la magie basique, du style Brasier ou Glacier, des sorts noirs. Dans des villages plus reculés, on trouvait pour le même prix trois flacons de magie différents, dont l'un d'eux était plus puissant que les autres, la magie qu'il contenait se rapprochant fortement de celles des Invoqueurs. Mais jamais les fabricants de magie n'étaient arrivés à obtenir un résultat semblable à celle utilisée par ce peuple ! Ils s'y rapprochaient de plus en plus, cependant. Ils y parviendraient sans doute un jour.

Pour en revenir aux flacons, l'on pourrait croire que ce bas prix était une arnaque, mais il n'en était rien. La durée de vie de la magie vendue dans des bourgades comme Buxih était rallongée de trois utilisations contrairement à celle de Fikternand. Beaucoup dans la cité ignoraient l'arnaque que constituait la vente de la magie dans des villes aussi puissantes que la capitale, car rares étaient ceux qui osaient sortir de l'agglomération ; et cela à cause des nombreux monstres qui rodaient en masse à l'extérieur des remparts qui protégeaient les Fikternandiens. Par ailleurs, il y en avait de plus en plus, des monstres, ces derniers temps. Yume ne serait même pas étonné d'apprendre que leur nombre croissant serait dû à ce que Seven tâchait de garder secret.

Se vautrant dans son canapé, Yume fit apparaître magiquement dans une gerbe d'étincelles turquoise son épée dans le creux de ses mains. Cette arme était son seul souvenir de son père. D'après ce qu'il se souvenait, car il ne possédait presque plus aucun souvenir de son village natal, si ce n'était une chaleur insupportable, cette épée se passait de générations en générations depuis des lustres dans sa famille. Yume ne savait pas depuis combien d'années exactement. Peut-être deux à trois siècles de générations. Tous ses ancêtres étaient des grands et puissants guerriers, ce qui expliquait son haut grade dans l'Élite : plus fort que Teki mais pas autant que Seven. A force d'entraînement, il y parviendrait. Il le savait. Non, il le devait. Pour la survie du Royaume tout entier, mais aussi des Royaumes alentours, Yume devait terrasser Seven, coûte que coûte. Peut-être pas au point de le tuer. Il n'était pas comme cela. Peut-être juste devait-il le bannir dans le mythique Royaume Cauchemardesque, histoire qu'il ne fasse plus des siennes, et qu'il croupisse pour l'éternité avec ses affreux semblables.

Le Royaume Cauchemardesque était une légende urbaine que l'on racontait beaucoup aux enfants. S'ils n'obéissaient pas ou manquaient de respect envers leurs parents ou autrui, alors un ange des Enfers du Royaume Cauchemardesque viendrait les chercher. Il les emmènerait alors dans un lieu froid et sombre, où vivaient les créatures les plus dangereuses qui pouvaient exister. Un endroit parfaitement effrayant. Cela fonctionnait étrangement bien ! Enfants comme parents, tous avaient peur de ce lieu. Est-ce que ce Royaume existait réellement ? Ce qui s'y rapprochait le plus en tout cas se trouvait juste sous le bâtiment principal de l'Élite. Oui, Seven y aurait parfaitement sa place, là-bas, au milieu de tous ces monstres.

Yume se demandait comment il avait fait pour être aussi aveugle durant tout ce temps. Comment avait-il fait pour ne pas remarquer que Seven était bien trop discret et mystérieux pour cacher un terrible secret ? C'était juste sous son nez depuis le début ! Ou plutôt sous ses pieds.

Yume sortit de sa poche une sphère de couleur vert pomme. Elle était incroyablement mignonne, avec sa petite tornade de magie blanche en son centre. La couleur vert signifiait qu'il s'agissait d'une magie curative. Un sort de Soin pour être plus exact. Le jeune homme avait eut l'incroyable chance de tomber sur l'une d'elle lors de son escale à Buxih. Il avait sauté sur l'occasion, les magies curatives se faisant de plus en plus rares ces derniers temps. A cause des attaques excessives de monstres, le peuple avait de plus en plus besoin de se soigner, et la magie était le remède miracle, grâce à son efficacité quasi instantanée. Bientôt, les trousses de premiers secours n'existeraient plus.

En plus de cette sphère de Soin, Yume eut également droit à trois nouvelles fioles de Brasier et trois autres de Foudre. Il en possédait déjà des centaines, mais il valait mieux en avoir en réserves, en cas de coup dur ! Même si cette magie n'était pas aussi puissante que celle de Fileya, elle faisait tout de même de sacrés dégâts lorsqu'elle était combinée à une arme !

Pendant qu'il rangeait son nouveau sort sur l'étagère prévue à cet effet, les pensées de Yume se dirigèrent vers l'Élite. Que devait-il faire ? Déserter ? Il se ferait poursuivre par la Milice à travers le Royaume tout entier pour cela. Jamais ils ne le laisseraient tranquille. Prévenir les Anciens ? Le croiraient-ils seulement ? Certes, le blond aurait le soutien infaillible de Fileya, mais cela ne suffisait pas. Mais... et si ce qu'il pensait avoir vu était en vérité une toute autre chose ? Quand même, il n'était pas encore fou... ! Tous ces corps verdâtres, ensanglantés et enchaînés ! Et ces cris de supplications ! Ce ne pouvait pas être rien ! Cependant, comment ne pas être sûr que les Anciens y étaient eux aussi impliqués ? Yume ne savait même plus en qui faire confiance.

Quelqu'un tambourina violemment à sa porte d'entrée, ce qui le fit sortir immédiatement de ses pensées. Le jeune homme dématérialisa magiquement son épée puis se leva à contre-coeur pour aller ouvrir. Sans doute devait-il s'agir de Fileya. En tout cas, il l'espérait. Mais en y réfléchissant bien, c'était peu probable. La jeune Invoqueur n'était pas aussi violente avec les portes ! A moins qu'elle venait de découvrir une chose très importante et que son excitation prenait le dessus sur ses actions. En tout cas, en étant un dimanche soir, ce ne pouvait être qu'elle.

Yume ouvrit. Les personnes qui se dressèrent alors devant lui n'augurèrent rien de bon, pour sûr. Teki était là, face à lui, droit et le regard impassible, accompagné d'une dizaine de Miliciens. Ils avaient tous, pour l'instant, leurs armes baissées. Mais tout de même, les Miliciens ne sortaient jamais leurs fusils, sauf s'il s'agissait d'un cas d'extrême urgence. Fikternand était-elle sujette à une terrible menace qu'ils devaient éradiquer au plus vite ?

Teki tenait également ses doubles lames en or dont il était fier de raconter qu'elles avaient été forgées par des Elfes en personne. Le second de Seven ne prenait pratiquement jamais part aux missions. Alors oui, sa présence ici indiquait que quelque chose d'anormal se passait ce soir.

– Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? demanda Yume en fronçant les sourcils, bras croisés sur le torse, et prenant appui contre l'embrasure de la porte.

Même s'il était son supérieur en quelques sortes, le blond s'autorisait tout de même à tutoyer Teki. Après tout, il était plus faible que lui, en plus d'être à la botte de Seven. Cet homme ne méritait aucunement son respect.

– Ne faites pas l'innocent. Vous savez très bien la raison de notre présence ici.

Lui préférait le vouvoyer. Chacun ses préférences après tout.

Yume regarda tour à tour les Miliciens derrière Teki. Même sous leurs casques noirs, le jeune homme s'imaginait parfaitement les regards foudroyants que les soldats lui adressaient. Exactement les mêmes que son interlocuteur.