Chapitre 6.1 : Fileya
Fileya sirotait tranquillement sa tasse de thé en compagnie d'Espaiceghia, son tout nouvel Hybride. Installée confortablement dans son canapé, la jeune fille écoutait les histoires de la manipulatrice de glace d'une oreille attentive. Cette dernière lui racontait comment elle s'était retrouvée à l'état de sphère, depuis la mort de son dernier maître.
Espaiceghia lui avait déjà conté cette histoire des dizaines de fois depuis son acquisition, mais, étrangement, Fileya ne se lassait jamais de l'entendre, comme si elle cherchait un petit indice reliant la mort de l'ancien maître à l'Élite. La jeune fille en était persuadée : c'était l'Élite qui l'avait assassiné. Ou plutôt Seven. Après ce que lui avait affirmé Yume un peu plus tôt concernant le bel homme qu'était leur dirigeant, ce lien ne pouvait qu'être évidant.
Malheureusement, Fileya ne pouvait pas débarquer devant le conseil des Anciens et affirmer avec certitude que l'Élite devait être dissoute rapidement à cause du secret que cachait Seven. Cela paraissait tellement surréaliste qu'ils risquaient de penser que tout ceci n'était rien de plus qu'une farce, ou bien que Yume était un menteur.
S'écrasant un petit peu plus dans son canapé en cuir bordeaux, la jeune fille fixa son regard sur l'une des colonnes de marbre qui soutenaient sa petite maison, se perdant dans les tréfonds de ses pensées.
Alors qu'elle atteignait l'âge de se débrouiller enfin d'elle-même, c'était River qui décida de lui acheter cette petite maison en centre-ville, non loin du bâtiment principal de l'Élite pour, en quelque sorte, qu'ils soient toujours près l'un de l'autre.
Vu de l'extérieur, le bâtiment ressemblait à une maison ordinaire. Pourtant, une fois à l'intérieur, tout le charme de la bâtisse prenait vie. Les multiples colonnes de marbre, accompagnées de plants verts tournant tout autour des piliers soutenant le toit, donnaient un certain attrait à la maison. Il y avait un petit quelque chose d'ancien qui plaisait énormément à Fileya. Lorsque venait la saison des bourgeons, les plantes donnaient de jolies petites fleurs rouges qui dégageaient un parfum exquis.
Malgré tout, la maison ne semblait pas aussi vieille qu'elle n'en avait l'air. L'on remarquait aisément que, dans le fond du séjour, se tenait une immense baie vitrée donnant sur la magnifique place centrale de Fikternand. L'on y voyait, à travers celle-ci, l'immense fontaine, ainsi que les innombrables petits marchés qui s'étalaient à perte de vue, et ce tous les jours, parfois même jusque tard dans la nuit. Ceci uniquement pour le séjour ! Les autres pièces devaient être tout aussi splendides !
Fileya avait tout de suite adoré cet endroit. Elle s'y était sentie immédiatement chez elle, rien qu'en regardant l'impressionnante architecture mêlant à la perfection ancien et moderne ; et c'était River, son adorable mentor, la lui avait donné. « L'Élite s'occupe de tout ! », c'était ce qu'il avait affirmé. Jamais elle n'avait eut à payer quelconque facture, pas même un loyer. Cependant, l'adolescente soupçonnait l'Ancien de tout prendre à ses frais, et cela la mettait quelque peu mal à l'aise. Elle s'était alors promis qu'un jour, elle lui rendrait la monnaie de sa pièce. Plus tard, c'est elle qui s'occuperait de lui. Le vieux bonhomme méritait bien cela, tout de même. Après tout, il s'était toujours occupé d'elle, alors qu'elle avait perdu ses parents très jeunes, tués par un Hybride d'après les dires de Seven ; River l'avait élevé malgré son vieil âge et la chouchoutait comme sa propre fille. Fileya devait à présent à son tour lui démontrer tout l'amour qu'elle possédait également pour le plus ancien des Anciens.
– Maîtresse, quelque chose ne va pas ?
La voix glaciale d'Espaiceghia tira la jeune fille de ses pensées.
Elle secoua négativement la tête, puis adressa un petit sourire rassurant à sa nouvelle amie.
– Je vais bien, ne t'en fais pas trop pour moi.
En réalité, Fileya disait cela pour ne pas l'inquiéter. Ce que lui avait révélé Yume un peu plus tôt la travaillait fortement. Cependant, comme Yume lui avait communiqué le désir de ne pas divulguer cette information à qui que cela soit, elle se retint de se confier à la jeune femme de glace. Jamais Fileya ne se serait doutée un seul instant que l'Élite cachait un tel secret ! Cependant, une chose semblait la déranger. Non pas qu'elle n'avait pas confiance en son meilleur ami, loin de là, mais comment avait-il fait pour découvrir le secret de Seven ? Elle venait de se rendre compte qu'il ne le lui avait même pas expliqué !
La jeune fille se leva d'un bond. Fileya allait retrouver Yume et lui poser la question qui lui brûlait les lèvres. Elle réajusta un peu les plis de sa robe d'un geste rapide de la main, puis se tourna vers Espaiceghia, une mine désolée plaquée sur son visage de porcelaine.
– Je vais devoir te renvoyer dans le Monde de Kristal..., déclara Fileya, quelque peu peinée de devoir contraindre son Hybride à retourner dans son cristal.
– Ne vous en faites pas, je comprends.
Contrairement à ce que l'on pensait au premier abord, Espaiceghia était bien plus gentille et attachante qu'elle ne le laissait croire. Pourtant, ses fins et froncés sourcils tombant sur ses paupières laissaient entrapercevoir le contraire. Ses pupilles couleur d'orage semblaient très froids également et crépitaient constamment, et ils étaient tellement frais que l'on pouvait aisément prouver qu'ils pouvaient geler le Royaume Cauchemardesque d'un seul minuscule battement de cils. Mais Fileya avait apprit en discutant peu à peu avec son Hybride que les apparences pouvaient parfois être trompeuses. Espaiceghia renfermait une profonde gentillesse et était d'une compassion sans égale. La meilleure amie dont tout le monde devait avoir sous le coude et sur qui compter en cas de besoin.
Fileya jugeait énormément sur la tête des personnes qu'elle croisait, et Espaiceghia n'avait pas fait exception. Lorsqu'elle croisait quelqu'un, dans la rue ou même à l'Élite, la jeune fille essayait constamment de deviner si tel ou tel personnage était bon ou mauvais. En faisant cela, l'adolescente se laissait la douce impression d'avoir un don unique. Malheureusement, elle se rendait compte aujourd'hui qu'il n'en était rien. Depuis sa plus tendre enfance, elle ne possédait aucun pouvoir qui la distinguait des autres Invoqueurs, cette petite chose qui la rendait unique. Bien sûr, en sachant utiliser la magie, Fileya était tout sauf une personne ordinaire. Mais à côté des autres Invoqueurs de l'Élite, elle semblait bien petite et insignifiante, avec son seul Hybride. Seulement, depuis l'arrivée de la manipulatrice de glace, la jeune fille se persuadait qu'elle allait remonter petit à petit la pente, et qu'elle allait peut-être graver son nom dans l'Histoire. Avec le secret que lui avait confié Yume un peu plus tôt, son sentiment de puissance ne faisait que croître. Elle avait un moyen de pression sur Seven, bien qu'elle ne sache pas vraiment comment s'en servir pour l'heure.
Elle devait impérativement trouver et parler à son meilleur ami pour tenter de savoir le fin mot de l'histoire !
Faisant apparaître son large bâton en argent entre ses doigts fins et laiteux, Fileya renvoya Espaiceghia dans le cristal violet des Hybrides, celui qui ornait le haut de son arme. Ce cristal était très important pour un Invoqueur et un Hybride. En effet, sans lui, impossible pour eux d'appeler leurs amis Hybrides à l'aide, ou même d'avoir recours à la magie. Bien sûr, la magie se trouvait à bon prix sur différents marchés du Royaume, mais aucune n'arrivait à la cheville de celles que détenaient les Invoqueurs et, en plus de cela, elle n'était réservée que pour les Miliciens et les Épéistes.
Fileya n'était qu'à un niveau intermédiaire dans son apprentissage, mais elle espérait bien continuer à évoluer de plus en plus, et un jour prétendre au rôle de Prêtresse. Seuls rares Invoqueurs avaient atteint ce niveau. Pour cela, il suffisait juste d'accomplir une action importante pour le Royaume, ou alors posséder le plus grand nombre d'Hybrides possible. Le record à battre à ce jour était de cinquante. Personne n'avait encore réussi à atteindre un tel chiffre ! Certains en possédaient maximum dix. Malheureusement, posséder des Hybrides enlevaient une partie de la force vitale des Invoqueurs. Fileya n'espérait donc pas vraiment compter sur cette option pour devenir Prêtresse ; il était pour elle hors de question de se rendre malade uniquement pour atteindre son rêve ! Non, son but serait de révéler au monde entier le vrai visage de l'Élite et, en faisant cela, elle marquerait – en compagnie de Yume et de tous ceux qui leur viendraient en aide bien entendu – son nom dans la grande Histoire du Royaume ! Ou plutôt, c'était le vrai visage de Seven qu'il fallait montrer au monde entier. Pour l'instant, seul Yume pouvait l'aider dans cette importante tâche, mais la jeune fille espérait bien quérir des aides extérieures à l'Élite. Le peuple du Royaume lui serait certainement fort utile. Elle verrait cela au moment venu.
Alors que Fileya se préparait à aller à la rencontre de Yume, on toqua soudainement à sa porte d'entrée. Fronçant les sourcils devant cet imprévu, la jeune fille se demanda qui pouvait bien venir lui rendre visite un dimanche soir. Elle espérait, au fond d'elle, que cela soit Yume, car cela lui éviterait d'aller le chercher. Comme ce dernier était bien souvent en vagabondage, il semblait difficile pour la jeune fille de le trouver rapidement. Le savoir devant sa porte lui enlèverait une fort belle épine du pied !
L'Invoqueur entrebâilla la porte pour découvrir qui lui rendait visite à une heure aussi tardive. Fileya fronça les sourcils face à la personne se tenant droitement devant elle. « Oh non, pas lui ! », désespéra-t-elle en son fort intérieur. Elle ne pouvait pas encadrer cet homme ! Le voir tous les jours à l'Élite l'exaspérait déjà à un point inimaginable, et le voilà qu'il s'introduisait dans sa vie privée ! Il ressemblait drôlement à une sangsue ; impossible de le décoller une fois attaché, il ne vous lâchait malheureusement plus une seule seconde. Au grand désarroi de la jeune fille.
Fileya lui adressa un large sourire. C'était très souvent sa manière de faire, et cela face à n'importe qui ; elle cachait ses véritables pensées à son entourage. Ainsi, personne ne savait si elle était triste, en colère, dégoûtée – comme à présent. Mais des fois, son sourire était sincère. Notamment avec Yume, l'un des rares en qui elle vouait une confiance aveugle. River aussi avait droit aux sourires sincères. Il le méritait bien.
– Teki ? demanda-t-elle d'une voix qu'elle se voulait étonnée tout en fronçant légèrement les sourcils. Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?
Ce dernier se passa une main dans ses cheveux bruns, toujours plaqués en arrière. Sa coiffure habituelle en somme. Ses deux pupilles bicolores la regardaient de haut en bas, appréciant sans aucun doute la vue qui s'offrait devant ses yeux.
Fileya frissonna de dégoût. Non, elle ne pouvait pas supporter lorsqu'un homme la fixait comme il le faisait actuellement ! Et le regard que portait cet Épéiste sur elle était sans aucun doute le pire du Royaume !
La jeune fille ne fit cependant aucun commentaire désagréable quant à cela. Elle préférait dissimuler ses émotions au plus profond d'elle-même, et afficher ce sourire en guise de masque pour ne pas froisser les personnes qu'elle jugeait détestables à ses yeux. Elle était bien trop gentille, Fileya.
‒ Mademoiselle Fileya, déclara Teki sur un ton solennel, le conseil m'a chargé de venir vous chercher. Je dois impérativement vous emmener avec moi.
La jeune fille écarquilla les yeux de surprise. A cet instant précis, elle s'imagina le pire. Lorsque le conseil avait besoin d'elle, ils envoyaient généralement Yume ou River pour la mander, mais certainement pas cet homme ! Pourquoi ce n'était pas son meilleur ami qui se tenait devant elle ? En plus, l'heure avancée témoignait d'une certaine urgence.
– Si vous voulez bien me suivre..., poursuivit le second de Seven.
Le jeune homme lui tendit sa main gantée, l'invitant à le rejoindre. Fileya la regarda un instant, à la fois surprise mais aussi fatiguée, avant de lancer avec un petit sourire timide :
– J'apprécie votre aide, mais je n'ai nullement besoin que l'on me tienne la main. Je ne suis plus une petite fille.
Le sourire enjôleur de Teki s'effaça d'un seul coup. Cette simple déclaration avait pris comme l'effet d'une bombe dans son cœur. Elle venait de mettre lamentablement fin à tous ses espoirs de pouvoir enfin l'approcher de plus près. Fileya n'allait tout de même pas faire croire à cet homme que ses désirs pouvaient devenir réalité. Elle devait lui faire comprendre qu'elle n'était pas du tout intéressée, et qu'elle ne le serait jamais, même si son cœur n'était pris par un quelconque homme.
Fileya sortit de chez elle puis ferma la porte de sa maison, en tremblant légèrement. Cette réunion imprévue n'avait rien d'habituel, notamment un dimanche soir. Tout le monde savait que le dimanche était un jour de repos dans tout le Royaume, à part pour les marchands, mais rien n'arrêtait ces gens cupides, alors pourquoi faire une réunion maintenant ? Allaient-ils parler d'un sujet grave, qui mettrait en péril l'avenir du Royaume ? L'absence de Yume la laissait fortement douter.
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