Chapitre 5.1 : Astrid
Jamais deux sans trois. Cette expression très connue s'avérait bien souvent vraie. Elle n'avait pas été inventée pour rien. Astrid en témoignait par elle-même.
Elle refit cet étrange rêve pour la troisième fois.
Comme les fois précédentes, le jeune garçon de son dessin était étendu sur le sol, la suppliant de lui venir en aide. A lui, mais aussi au monde entier. Jusqu'à ce que le décor changea. Encore cette ville victime des flammes. La première fois, Astrid était morte écrasée par un clocher seulement quelques secondes après avoir effectué deux pas. La seconde fois, le temps s'était arrêté et la jeune fille avait sauvé une petite fille alors prisonnière dans une église en proie aux flammes et à la destruction imminente, avant de confier l'enfant à un étrange chevalier aux mystérieux yeux jaunes. Qu'allait-il se passer cette fois-ci ? Si elle suivait la logique, l'histoire allait encore changer à ce niveau-là du rêve, au moment où elle entrait dans la ville.
Une fois de plus, le temps semblait avoir été mis sur pause. Comme son rêve précédent, Astrid entendait toujours les cris affolés des habitants autour d'elle et ressentait toujours la chaleur écrasante des flammes.
La brune avança de quelques pas, et se retrouva de nouveau devant l'église. Rien d'étonnant. Son rêve avait la fâcheuse habitude de se terminer ici. Même si Astrid n'empruntait jamais le même chemin dans la ville, elle revenait sans cesse sur cette place, comme si elle n'était pas réellement maîtresse de ses mouvements. Peut-être y avait-il un lien avec cette église ? Impossible à dire.
Cette fois-ci, une petite fille se trouvait devant les portes enflammées de la bâtisse en pierres. Elle devait avoir environ six ans. Ses longs cheveux blonds voletait dans la faible brise créé par l'agitation des habitants en fuite. Elle portait une mignonne petite robe blanche, mais n'avait pas de chaussures à ses petits pieds laiteux. Astrid pensait la reconnaître. Pour elle, il s'agissait de la petite fille qui était apparue dans sa chambre, la nuit dernière. Mais un détail attira son attention. Ses yeux. Autrefois verts, les voici désormais rouges comme le sang. Ses pupilles luisaient de détermination. Était-ce normal pour une si jeune fille ?
Devant cette dernière se tenait un chevalier d'argent. Astrid aurait presque pu parier qu'il s'agissait exactement du même que celui qui lui était apparu comme par miracle dans son précédent rêve. Ce même chevalier à qui elle avait confié l'enfant.
Mais quelque chose n'allait pas. L'homme aux yeux d'ambre tenait fermement dans sa main droite une épée en acier. Il semblait prêt à se battre. Mais face à qui ? Cette innocente petite fille ? Mais pourquoi ? Qu'avait-elle fait pour qu'un noble chevalier lève son arme contre elle ?
La petite blonde soupira de dépit avant de faire apparaître comme par magie un long bâton argenté dans ses mains. Astrid écarquilla les yeux de stupeur en voyant la longueur de l'arme : elle devait faire exactement la même taille que la petite fille, si ce n'était pas plus ! Allait-elle vraiment se battre avec ce bâton ? A son extrémité se trouvait une drôle de pierre bleue cristalline. Un tourbillon blanc tournoyait à l'intérieur de cette sphère, comme si une puissante forme de magie s'y était réfugiée. De la magie ? Pourquoi pas, c'était un rêve. Tout pouvait être possible.
La petite fille aux yeux rouges brandit son bâton en direction du chevalier, le fixant d'un air menaçant.
– Je souhaite éviter toute forme de conflit, déclara-t-elle alors, mais je ne vais pas me laisser tuer sans rien faire.
– Un simple bâton ? railla le chevalier. Il faudra faire mieux pour m'impressionner !
L'homme fut le premier à passer à l'offensive. Il fondit sur la petite fille à la vitesse de l'éclair, son épée pointée vers l'avant, près à lui porter un coup, sans doute fatal. Cette dernière n'avait pas l'intention de se laisser faire aussi facilement. Elle prit son bâton d'une seule main seulement puis leva son deuxième bras droit devant elle, la paume ouverte. La petite blonde ferma puissamment les paupières puis récita une sorte de formule magique, dans une langue inconnue pour Astrid :
– Vfizùsu-dia kux kúdiwx, lennu awqaxalu.
Une bulle opaque et violette se forma tout autour d'elle. Le chevalier porta alors un coup directement sur la sphère de défense. Son épée ricocha sur l'étrange bulle de protection, créant par la même occasion une légère onde de choc qui ébranla le sol. Astrid se protégea du mieux qu'elle le put de l'onde de choc en mettant ses bras devant son visage tout en se recroquevillant sur elle-même. Mais l'énergie provoquée était tellement puissante qu'elle força la jeune fille à poser un genoux à terre, qui devenait cendres.
– Ta précieuse barrière ne tiendra pas bien longtemps, releva l'homme sur un ton neutre, presque sarcastique.
– Malheureusement pour toi, tu ne seras plus là pour en témoigner.
Liant le geste à la parole, la petite fille leva de nouveau sa main puis récita une nouvelle formule magique. Astrid regardait la scène avec de grands yeux, émerveillée par tout qui se déroulait devant elle. Cette petite l'étonnait vraiment ! Elle arrivait à tenir tête à un adulte, toute seule, et elle savait se servir de la magie ! Ces deux détails lui prouvèrent une fois de plus que tout cela n'était qu'un rêve, forcément.
La petite blonde ferma cette fois-ci le poing, le ramena vers sa poitrine, puis le balança de nouveau vers l'avant, comme effectuant une sorte de chorégraphie, tout en hurlant :
– Nux Bnyddux ku n'Uwbuf kúifufiwz ziw ydu ; an w'uw fuxzufy jeu ruwkfux.
Un gerbe de flammes se créa lentement tout le long du bras droit du chevalier, qui en perdit son épée sous la douleur, tandis qu'il lâchait un long râle plaintif. La petite fille sourit, visiblement fière de son coup.
Astrid grimaça d'horreur. Avoir le bras totalement brûlé devait faire extrêmement souffrir ! Il faudrait sans doute des mois, si ce n'était des années, avant que cet homme ne soit complètement guéri !
La petite fille n'en avait pas pour autant terminé avec lui. Elle tint fermement cette fois-ci son bâton à deux mains puis le plaça à la verticale. Le cristal à son extrémité scintilla intensément, éblouissant Astrid, qui se cacha instinctivement les yeux derrière deux bras. Quand la brune rouvrit les paupières, elle constata avec étonnement qu'un dragon était apparu dans la bataille.
Ce dernier se tenait aux côtés de celle qui venait de l'invoquer. Le dragon devait bien faire trois mètres de haut. Il possédait deux grandes ailes rouges – comme le reste de son corps – dans le dos, dont l'une semblait cassée, sans doute la marque d'une récente – ou non – bataille. Ses yeux péridots fixaient son adversaire avec haine, comme s'il ne supportait pas que l'on s'en prenne à sa maîtresse. Enfin, une cicatrice barrait la moitié de sa mâchoire. Sans doute les suites d'un violent combat.
Remarquant tous les bâtiments en flammes autour d'eux, le dragon se précipita sur le plus proche. Là, une fois sur le toit d'une bâtisse, il ouvrit grand la gueule et le feu s'insinua dans tout son être. Il avalait les flammes.
Astrid, mais aussi le chevalier, le regardait faire avec de gros yeux. Un dragon mangeur de flammes ! Récupérait-il de la force ainsi ou bien était-ce juste sa façon de se nourrir ? Tout cela semblait si incroyable aux yeux de la jeune fille !
Le dragon leva alors sa tête vers le ciel et cracha une volée de flammes, souhaitant faire une démonstration de sa toute puissance.
– Et maintenant Brazéra, débarrasse-nous de cet homme un peu trop collant ! ordonna celle qui l'avait appelé.
– Sans problème, Maîtresse, répondit le dragon d'une voix rauque.
Il parlait en plus de cela ! Astrid faisait un rêve vraiment étrange, c'était peu dire, sans aucun doute le meilleur !
Seulement, l'homme aux yeux jaunes n'allait pas se laisser tuer aussi facilement. Rassemblant le peu de force qui lui restait, il reprit son épée alors tombée au sol constitué de cendres. Le brasier sur son bras semblait s'être estompé, mais cela lui avait laissé une marque de brûlure importante, le feu ayant mordu et réduit en poussière les plaques métalliques de son armure, qui laissaient de ce fait apercevoir son bras meurtri. Le chevalier prit son arme à deux mains puis s'accroupit au sol. Il la tint alors au-dessus de sa tête tout en la pointant en direction du dragon. Ce dernier volait vers lui, la gueule grande ouverte, prêt à finir le travail de la petite fille et de brûler entièrement le chevalier d'argent, cette fois-ci. Le guerrier attendit qu'il soit à bonne distance puis lança l'épée directement dans la gueule de la créature. Cette dernière le transperça immédiatement. Le dragon tomba à terre, dans un hurlement de douleur indescriptible, vaincu.
– Brazéra ! hurla la petite blonde en lâchant son arme sous la surprise et la douleur.
Elle accourut rejoindre son dragon au sol. Elle s'accroupit tout en versant de chaudes larmes : « Je vais te soigner, je vais te soigner ! » disait-elle entre plusieurs sanglots. La puissante créature, au sol, les yeux clos, ne répondait pas. Il ne respirait déjà plus. La lame était encore plantée dans sa gueule, dont s'échappait quelques gouttes de sang qui vinrent s'écraser doucement sur le visage de l'enfant. Cet unique coup lui avait été fatal.
Astrid portait les mains sur son cœur et baissait la tête, en proie elle aussi à une profonde tristesse, mais surtout choquée et apeurée. Elle aurait aimé pouvoir faire quelque chose. C'était tout de même son rêve, il pouvait donc y avoir moyen de modifier le cours de l'histoire ! Elle tentait, de tout son cœur, de faire revenir le dragon. Elle y songeait mentalement, mais rien ne semblait vouloir se produire. Astrid était malheureusement impuissante face à cette scène barbare. Une terrible conclusion lui vint alors : peut-être n'était-ce pas un rêve. Peut-être se trouvait-elle dans un autre monde, différent du sien. Non, impossible ! Comment expliquer que les événements se répétaient sans cesse ? C'était un rêve ! Ou ce n'en était pas un... Astrid était totalement perdue.
Alors que la petite blonde préparait un nouveau sort, sans doute dans le but de soigner son ami, toujours en proie à de violents sanglots, elle ne remarqua pas le chevalier qui se trouvait juste derrière elle, son épée de nouveau dans sa main, et dégoulinant d'un liquide vermeil qui n'était autre que le sang du dragon.
Astrid essaya de crier pour la faire réagir, lui faire prendre conscience du danger, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle tenta également de bouger, mais son corps parut comme figé. Des larmes commencèrent à se former aux coins des ses yeux noirs, se trouvant face à sa propre incompétence à sauver une personne en danger de mort.
L'homme aux yeux d'ambre abattit violemment et sans aucun remord son arme. L'épée transperça la petite fille au niveau de son cœur. Cette dernière écarquilla les yeux sous l'effroi et la surprise. Du sang sortit de sa bouche et vint tâcher le blanc parfait de sa petite robe. Quelques gouttes tombèrent également sur le cadavre de son ami dragon.
Le chevalier sortit tout aussi sauvagement son épée du corps sans vie de la pauvre petite fille qu'il avait assassiné de sang froid. Il regarda, avec un certain plaisir malsain, son petit cadavre tomber doucement sur celui de son ami, mort quelques minutes seulement avant elle. Les yeux grands ouverts, ils affichaient encore la surprise ressentie au moment du coup. Pupilles rouges comme le sang, mais vides de toute émotion.
– L'Enfant de la Prophétie est mort, déclara le chevalier en se parlant à lui-même, soulevant fièrement son épée rougie par le sang de ses victimes. Désormais, plus personne ne pourra se mettre en travers de ma route.
Il rengaina son épée, sans même la nettoyer, cherchant peut-être à garder une sinistre trace de cette bataille, puis il partit comme si rien de tout cela ne s'était passé.
Astrid, ayant retrouvé l'usage de son corps, s'effondra au sol, anéantie par une telle tragédie. Les larmes ne cessèrent de dévaler le long de ses joues. Elle venait d'assister à la mort de cette petite fille sans rien pouvoir faire ! Il lui faudrait des années pour oublier cette scène immonde !
Le temps reprit sa course. Le clocher également. La jeune fille finit, une fois encore, écrasée sous son poids, sans même chercher à se dérober à ce qu'il semblait être son destin.
Je crois bien que... c'était l'une des choses le plus insupportable à regarder. A part à la télé, jamais je n'avais vu une vraie mort. Ca m'effraie, la mort. Et la voir d'aussi près... Dire que j'étais effrayée, devant une telle barbarie, relèverait de l'euphémisme. Je ne pourrais même plus te décrire le fond de ma pensée à ce moment là. Tristesse. Colère. Haine. Dégoût. Peur. Je ne sais plus très bien. Peut-être tous à la fois. Ou l'un après l'autre. Mais ils étaient là, je le sais, j'en suis même certaine. Le pire dans cette histoire, c'est que ma quête n'avait même pas commencé à l'époque. Et des morts, j'en ai vu ! Mais jamais d'aussi affreuses.
Oui, je sais. Il y a eu une mort encore plus horrible que celle-ci. Cette mort-là m'a réellement marquée, moi aussi. Mais elle s'est sacrifiée pour te sauver, ne l'oublie pas. Son sacrifice. Mais elle aussi. On trouvera un moyen de la retrouver. Elle est encore là, quelque part. Attends-moi, d'accord ? Ne pars pas à sa recherche sans moi...
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