Chapitre 4.2 : Astrid

 Astrid passa la dernière heure à dormir sur sa table. Batailler avec ce corpus ne servait à rien. Elle ne le comprenait tout simplement pas. Alors autant faire quelque chose qui lui sera réellement bénéfique : rattraper des heures de sommeil !

Seulement, Astrid refit de nouveau cet étrange rêve. La jeune fille vit une fois encore le jeune homme qu'elle avait dessiné la veille. Il s'agissait toujours de la même scène. Le garçon, recroquevillé au sol, se tenait le ventre et hurlait de douleur, crachant du sang par moment. Ce dernier avait répété la même phrase : « Astrid, tu es notre seul espoir ! »

Puis le décor changea de nouveau. Encore cette ville en proie aux flammes. Mais cette fois-ci, le temps parut comme figé. Certaines flammes avaient stoppé leur course en s'étirant vers le ciel, dévoilant leur superbe dégradé de rouge, jaune et orange. Des briques s'effondraient des maisons mais n'avaient pas pour autant fini écrasées contre le sol ; elles flottaient dans les airs. Astrid était plantée là, dans ce décor, sans rien pouvoir faire, à part admirer la fatalité qui s'abattait sans aucune raison apparente sur cet endroit.

La brune décida cependant de faire un petit peu le tour de la place. Pas question pour elle de rester immobile à atteindre que quelque chose ne se déclenche. C'était plutôt étrange, car elle pouvait toujours ressentir la chaleur écrasante du feu, même si tout semblait glacé dans les méandres du temps. Astrid entendait également des cris apeurés tout autour d'elle, qui signifiaient qu'elle n'était pas seule. Mais aucun mouvement.

Soudain, l'adolescente entendit des pleurs venir de l'église, là où le clocher lui était tombé sur la tête, lors de son premier rêve. Le toit de l'immense bâtisse commençait à s'effondrer. La grosse cloche tombait également, mais elle s'était arrêtée dans sa chute, exactement comme le reste du tableau. Les portes en bois du bâtiment semblaient déjà ravagées par les flammes. La lycéenne ne pouvait pas passer par là, au risque de finir dans le même état que ces pauvres portes. Elle découvrit cependant, en faisant le tour de l'église, une entrée dans un des murs fissurés. Astrid décida de s'introduire par là.

Une fois à l'intérieur, les pleurs se firent de plus en plus insistants. La jeune fille reconnu les cris d'un enfant, peut-être même était-ce un innocent nourrisson. Voulant impérativement sauver le malheureux, elle parcourut l'immense salle d'un regard circulaire inquiet. Ses yeux se posèrent alors sur l'autel, à l'autre bout de l'allée que formait autrefois les bancs. Dessus était posé un panier fait de paille. La brune s'élança à toutes jambes dans sa direction.

Dans sa course, Astrid n'avait pas remarqué le banc en bois avachi sur le sol. Elle trébucha dessus et atterrit à son tour sur le parquet froid des vieux pavés en pierres. Elle s'égratigna légèrement les genoux, mais peu lui importait. Elle devait impérativement sauver ce pauvre enfant !

Ni une ni deux, la voilà déjà relevée et prête à reprendre sa course.

Une fois arrivée, Astrid prit soin de prendre le landau et de l'emporter en dehors de l'église, en prenant garde à ne pas trébucher cette fois-ci. Elle devait être plus prudente, maintenant qu'elle avait le bébé dans les bras.

Dehors, la jeune fille se décida enfin à regarder le visage du bébé à l'intérieur du panier. Il s'agissait d'une adorable petite fille. Elle arborait de drôles de cheveux blancs, qui semblaient presque invisibles sur son crâne luisant à la lumière des flammes. Cette dernière fermait cependant les yeux, et Astrid ne put pas voir la couleur de ceux-ci. Le nourrisson était vêtu d'une simple robe blanchâtre immaculée aux dégradés roses pâles. Autour de son poignet se trouvait une gourmette argentée où trônait de drôles inscriptions, dans un alphabet qu'Astrid ne connaissait guère.

Une question se posait désormais : qu'allait-elle faire de l'enfant ? Elle ne pouvait malheureusement pas l'emporter avec elle. La brune ne savait pas comment on s'occupait d'un bébé, et elle était bien trop jeune pour veiller seule sur lui !

La petite fille dans son landau se remit soudain à pleurer.

– Non, non, non ! Il ne faut pas pleurer ! ...

Astrid essayait de prendre sa voix la plus douce et posée pour calmer l'enfant. Elle la berçait tout en lui parlant. Le nourrisson se calmait peu à peu, au fur et à mesure que la jeune fille lui parlait, comme si ses paroles l'apaisaient. La brune lui racontait seulement quelques petites anecdotes sur son quotidien. Étant à court d'idées, elle lui parla de son beau dessin qui avait pris forme humaine dans son rêve, de l'apparition de l'étrange petite fille aux longs cheveux blonds. Elle lui parla même de son horrible corpus ! Pour dire à quel point elle ne savait visiblement pas quoi lui raconter ! Les histoires à voix hautes, ce n'était pas exactement fait pour elle. Les histoires, elle préférait les écrire. Sur papier ou sur ordinateur. Peu lui importait, du moment qu'elle partageait son univers.

Soudain, un hennissement se fit entendre non-loin. Astrid releva subitement les yeux et chercha d'où est-ce qu'il pouvait bien provenir. Peut-être que quelqu'un arrivait enfin pour venir en aide à ce village ? Peut-être cet endroit n'était-il pas si désert et désolé qu'il n'y paraissait ? Des gens avaient dû survivre à cette tragédie ! Si oui, alors elle donnerait l'enfant à la première personne qui se présenterait à elle. Qui que cela soit, cette tierce personne saurait mieux s'en occuper qu'elle, sans aucun doute possible !

Arriva au trot un chevalier d'argent chevauchant un magnifique cheval blanc. Peut-être les yeux d'Astrid lui jouaient-ils des tours, mais il lui semblait que la robe du cheval avait quelques reflets métalliques, exactement comme l'armure de son maître. Très étrange ! Le chevalier, quant à lui, arborait une armure en fer grise, comme en portaient autrefois ceux du Moyen-Âge. Un casque était également posé sur sa tête, de fait à masquer son visage, rendant le cavalier d'autant plus mystérieux.

La jeune fille lui fit de grands signes avec son unique bras valide, l'autre soutenant le bébé, l'incitant à venir vers elles. Le chevalier les remarqua immédiatement et se rapprocha au pas de course. Une fois à leur hauteur, il tira sur les rênes de son cheval pour le stopper. Ce dernier se cabra alors sur ses deux pattes arrière et hennit de mécontentement face à cet ordre soudain. Astrid eut un mouvement de recul tout en serrant le panier d'osier contre elle, pas vraiment rassurée par la brusquerie de l'animal. Elle souhaitait surtout mettre l'enfant le plus en sécurité possible.

Le chevalier descendit avec adresse de sa monture, comme s'il l'avait fait de milliards de fois auparavant. Il ne se présenta même pas à l'adolescente, se contentant uniquement de lever la visière de son casque, permettant ainsi de voir ses yeux : deux pupilles aussi jaunes et pétillantes que le soleil. Astrid n'en avait jamais vu des comme cela auparavant. Une chose était donc sûre pour elle : il s'agissait bien là d'un rêve, car personne ne pouvait posséder tels yeux. N'est-ce pas ? Mais tout lui semblait tellement réel en même temps... Rêvait-elle vraiment ? Difficile à affirmer pour l'instant.

L'homme lui tendit les bras. La brune comprit instinctivement qu'elle devait lui remettre l'enfant. Tout en le lui donnant, Astrid lança un dernier regard au nourrisson. La petite fille semblait dormir paisiblement, maintenant. Ses histoires l'avaient calmées. La brune cala avec des gestes lents et calculés le panier dans les bras du chevalier. Ce dernier la remercia alors d'un simple hochement de tête avant d'enfourcher de nouveau son cheval, tenant fermement le panier d'osier contre son cœur. Puis il fit demi-tour et repartit d'où il venait, sans même un dernier regard pour l'adolescente.

Astrid le fixa s'enfuir au loin. Elle ne put s'empêcher d'avoir un petit pincement au cœur. La jeune fille espérait que tout irait bien pour cette petite fille. Les chevaliers étaient réputés pour être des personnes nobles, n'est-ce pas ? Il s'occupera bien de cet enfant. Non. Quelque chose, au fond de son cœur, continuait à douter terriblement. Peut-être avait-elle fait le mauvais choix. Ces yeux jeunes étaient loin de lui aspirer confiance. Mais avait-elle eu une autre solution ? Non. Astrid avait fait ce qu'il lui semblait juste. Pas de retour en arrière possible, désormais. Pourquoi se soucier ainsi ? Tout cela n'était qu'un rêve. N'est-ce pas... ?

Une fois le chevalier disparu de son champ de vision, un phénomène étrange se produisit. Le temps reprit son cours.

La brune se trouvait de nouveau au mauvais endroit au mauvais moment. Le clocher de l'église l'écrasa une fois encore sous son poids insoutenable. Son rêve s'acheva ici.

Si j'avais su, jamais je ne lui aurais donné cet enfant ! Quel être méprisant ! J'aurais dû me méfier de ses yeux jaunes ! Ils ne m'inspiraient déjà pas confiance à l'époque. Alors pourquoi avoir fait ça ? Je ne sais pas. Peut-être que... C'est ridicule. Mais tu veux savoir, hein ? Peut-être était-ce le destin qui m'a poussée à lui donner la petite fille. Je te vois rire. Arrête, je ne rigole pas ! Je suis très sérieuse !

Tu y crois au destin, non ? Tu me l'as dit. Je m'en souviens parfaitement. Tu sembles avoir oublié...

****

Astrid se réveilla en sursaut. C'était cette affreuse sonnerie qui l'avait tirée de son rêve ! Mais aussi la grosse cloche qui lui était tombée sur la tête, exactement comme la dernière fois. D'ailleurs, la jeune fille se passa une main au-dessus de son crâne. Une douleur vive s'emparait petit à petit de l'arrière de sa tête, comme si un clocher lui était réellement tombé dessus ! La douleur se propagea alors jusqu'à son front, lui créant d'horribles maux de tête qui lui fit froncer les sourcils de douleur.

Son professeur de français passait dans les rangs pour récupérer les copies des élèves impatients de sortir enfin de cet horrible examen.

Une fois devant Astrid, il souffla en récupérant sa copie. Il ne s'attendait pas à grand-chose de sa part, de toute façon. Mais il semblait cependant inquiet pour son élève, persuadé qu'elle n'obtiendrait jamais son bac. Non, ce n'était pas ça. Son professeur n'était pas inquiet pour elle, mais bien pour lui-même. Il savait qu'avec des résultats autant en chute libre, la jeune fille allait certainement redoubler et se retrouver une fois de plus parmi ses élèves. Le professeur ne voulait surtout pas la retrouver l'année prochaine. En ramassant la copie, il se promit de demander son carnet à Astrid la prochaine fois qu'ils auraient cours, pour obtenir un rendez-vous avec ses parents. Son cas devenait plutôt sérieux, pour ne pas dire désespéré ou irrattrapable.

Une fois sa copie donnée, Astrid se précipita pour ranger ses affaires et rapidement sortir de la salle. Dehors, elle remarqua qu'Amy l'attendait déjà de pieds fermes. En la voyant arriver, sa meilleure amie lui sourit.

– Alors ? questionna la blonde.

Pour toute réponse, Astrid se contenta de se diriger vers le prochain cours, celui d'histoire. Elle essayait tant bien que mal de se frayer un passage au milieu de tous ces élèves agglutinés dans le couloir tels des fourmis, impatients de rejoindre soit la sortie, soit la salle suivante sur leur emploi du temps. La brune, elle, souhaitait juste s'enfuir loin de tout cela. Loin du contrôle, loin du lycée, loin du bruit. Loin de tout. Du calme. Elle voulait juste du calme. Elle avait besoin de calme. Sa tête la faisait toujours autant souffrir.

Amy parvint cependant à la rejoindre, malgré de nombreuses fois où elle s'était retrouvée bousculée par mégarde par d'autres élèves. Elle lui attrapa doucement le bras et lui offrit un sourire désolé.

– Pas génial, c'est ça ? devina-t-elle rapidement face à la mine déconfite d'Astrid.

Elle connaissait la jeune fille par cœur. Amy savait que lorsqu'elle partait comme ça, sans rien dire, après un contrôle, c'était parce qu'elle l'avait raté. Cela arrivait de plus en plus souvent, ces derniers temps.

La douleur dans la tête d'Astrid ne cessait de s'intensifier. Dangereusement, elle vit le monde autour d'elle tourner, et un bourdonnement s'empara de son ouïe. Cela recommençait. C'était exactement comme la dernière fois, mais dans le sens inverse. Elle avait d'abord fait le rêve avant de s'évanouir.

Les deux amies ne se trouvant pas très loin d'un escalier, la brune lui demanda si elles pouvaient bien s'asseoir quelques secondes, le temps de recouvrer ses esprits, ce que Amy ne put se résoudre à lui refuser.

Astrid s'assit sur la première marche, celle qui descendait vers la sortie. Elle prit sa tête entre ses mains tout en posant ses coudes sur ses genoux, se massant lentement les tempes, espérant faire diminuer la douleur. En vain. Elle ne faisait que s'intensifier, de secondes en secondes.

Amy, remarquant la détresse de sa meilleure amie, posa une main rassurante dans son dos.

– Hé, tu vas bien ? questionna la blonde, inquiète de voir son amie dans un tel état. Si c'est le contrôle, dis-toi que le jour du vrai, tout se passera bien mieux, et ...

– Qu'est-ce qui se passe ? s'écria soudain une voix derrière elles.

Amy se retourna vivement et remarqua « Pot-de-Colle » debout, juste derrière elles, fixant Astrid d'un air inquiet.

Astrid releva alors la tête, le regard dans le vide. Pour une fois, elle ne relevait pas la présence indésirable du photographe, ce qui étonna à la fois Amy et « Pot-de-Colle ».

– Je crois que j'ai besoin d'aller à l'infirmerie, déclara-t-elle dans un seul souffle.

Sa voix paraissait étrangement fatiguée, comme lointaine.

La lycéenne se releva avec difficulté, s'aidant de la barre d'escalier comme appui. Ses jambes ne tenaient pas toutes seules. La douleur de sa tête ne cessait de grandir et semblait descendre dans tout le reste de son corps, s'emparant férocement du reste de ses membres. Elle était la source de ses tremblements.

Astrid remonta la marche pour se diriger vers l'infirmerie, qui se trouvait au premier étage depuis peu, l'ancienne salle, d'origine au rez-de-chaussée, étant actuellement en rénovation. Le lycée avait en effet décidé de l'agrandir pour permettre d'accueillir une deuxième infirmière.

La brune fit deux pas en avant mais elle ne put pas aller plus loin. Ses jambes fléchirent sous son poids et elle s'effondra au sol, inerte.

Amy, prenant conscience des risques, se rua vers sa meilleure amie. Elle la secoua dans tous les sens, espérant la réveiller. Sous la panique, des larmes de peur et de tristesse commencèrent à lui monter aux yeux.

« Pot-de-Colle » regardait la scène sans rien faire, comme paralysé par la peur.

– Reste pas planté là ! s'écria Amy, folle d'inquiétude. Va chercher de l'aide !

Sans rien dire et semblant enfin comprendre l'urgence de la situation, le jeune garçon accourut chercher l'infirmière, en hurlant à plein poumons.

Je crois que les rêves sont néfastes pour la santé. Regarde dans quel état j'étais déjà à l'époque. Et maintenant, c'est encore bien pire. Je pense que nous ne devrions pas essayer de comprendre l'essence même d'un rêve. Car ils peuvent nous mener à la folie, à force d'acharnement. Oh, ce n'est que mon humble avis. Mais regarde où ils m'ont mené, ces stupides rêves. Je ne parle pas de toi bien sûr ! Non, bien sûr que non, je t'aime bien, toi. Et tous les autres aussi. Mais regarde moi. Je dépéris. Petit à petit...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top