Chapitre 4.1 : Astrid
Je devais en parler à quelqu'un. De mon rêve je veux dire. Seulement, la seule personne digne de confiance qui me venait à l'esprit était Amy. Comment allait-elle le prendre ? Qu'allait-elle en penser ? Certes, elle était comme ma meilleure amie, mais je ne la connaissais que depuis un an. Allait-t-elle me considérer comme une folle ? Amy allait-elle seulement me croire ? Je n'en savais rien. D'où mon doute. Je voulais parler de toi en particulier. Expliquer à quel point tu me paraissais réel. Devrais-je parler de la petite fille aussi ? Ça, Amy ne risquait en aucun cas de me croire. Elle ne l'a donc pas su ce jour-là, et elle ne saura sans doute jamais.
12H00. Les deux jeunes filles sortaient en retard de leur cours de sport, comme à chaque fois. Elles avaient eu une évaluation en basket-ball, ce qui expliquait en quelque sorte qu'elles soient en retard pour aller manger. Heureusement pour les meilleures amies, le gymnase se situait juste à côté du self. Seulement...
– Mon Dieu, cette file ! s'exclama Amy, ouvrant de grands yeux surpris.
Beaucoup d'élèves attendaient pour aller manger, ce jour-ci. Comme par hasard. La queue, partant des deux grandes portes vitrées, faisait minimum cinq mètres de long. La file semblait ne jamais s'en finir, et de plus en plus d'élèves venaient se rajouter dans la file d'attente. Certains arrivaient, grâce à de perfides stratagèmes, à passer devant un bon nombre d'étudiants, provoquant une nuée d'insultes dont ils semblaient ne même pas se soucier. Quelle terrible période que l'adolescence.
Tout ce monde mettait Astrid terriblement mal à l'aise. Elle était ce genre de fille qui ne supportait pas les gens en masse autour d'elle. Se retrouver au milieu de tant d'êtres humains avait le don de lui retourner l'estomac et de lui faire perdre tout son appétit. Cette masse d'élèves lui suffisait pour lui donner la nausée.
A cause de cela – sans doute une sorte d'agoraphobie – Astrid ne mangeait que très rarement au lycée, et tout le monde savait à quel point l'attente avant de manger ici pouvait être longue et pénible. Pire qu'un restaurant chic, et ce n'était que le self d'un bahut répugnant...
En conclusion : si Astrid avait un peu d'argent de poche, elle mangeait dehors ; si elle n'avait aucun sou sur elle, elle ne mangeait pas du tout. Triste sort réservé aux victimes du porte-feuille vide. Malgré tout, elle ne s'en plaignait jamais. La lycéenne arrivait à tenir toute une journée sans rien avaler, « à force d'entraînement », disait-elle.
Astrid fouilla alors son sac à la recherche de son porte-feuille. Absent. Bien évidemment. Direction la permanence, alors ! A moins que.
– Amy ? débuta la brune avec un large sourire qui laissait tout sous-entendre quand à la suite de sa demande.
– Oui, j'ai de l'argent si c'est ça que tu voulais me demander.
– Tu me connais bien.
****
Les deux amies achetèrent des sandwichs dans le supermarché du coin, pas très loin du lycée. Le soleil étant de sortie ce jour-là, elles décidèrent de s'installer dans l'herbe, près des abris-bus. Il n'y avait rien de bien exceptionnel ici. De l'herbe verte, un peu de boue datant de l'humidité du matin, deux ou trois grands arbres qui couvraient du soleil. Et la route. Avec beaucoup de passage. Mais cela ne gênait pas tellement que ce que l'on pouvait penser, sauf lorsque des inconscients s'amusaient à faire plusieurs fois le tour du rond-point, musique à fond, dont l'unique but de s'attirer les regards des jeunes fille. Astrid et Amy trouvaient juste cela fortement ridicule, sans aucun intérêt, et qui n'avait rien d'attirant du tout.
J'aimais être ici. Avec mes amis surtout. Enfin, ma seule et véritable amie je veux dire. Bien avant que je vous rencontre. Que je te rencontre. J'aimerais venir ici avec toi. Encore une chose que je ne te dirai jamais en face. J'aimerais te voir là, allongé sur l'herbe, te laissant dorer au soleil. Je t'imagine parfaitement : les yeux clos, visage tourné vers le ciel, un sourire plaqué sur ton faciès d'ange. Je me vois, à côté de toi. Je suis assise. Je te regarde. Je caresse gentiment ta chevelure blonde en bataille, celle que j'aime tant, rêvassant comme à mon habitude. Celle que je ne pourrai plus toucher. Avec le temps, tu finis par t'endormir. Morphée me tend ses bras, à moi aussi, mais je ne les saisis pas. Tu sais pourquoi ? Car j'aurai peur. Peur de me réveiller une nouvelle fois et de ne plus te voir.
Non mais écoute-moi ! Je parle comme si je t'avais retrouvé ! Je devrais arrêter de prendre mes désirs pour des réalités, ou sinon...
Astrid ouvrit le paquet de chips avec fracas, manquant d'en renverser certaines dans l'herbe encore mouillée. Elle en piocha une au hasard puis tendit le paquet à sa meilleure amie, qui refusa gentiment. La brune ne dit rien, se contentant simplement d'une petite moue boudeuse ainsi qu'un haussement d'épaules, puis posa le paquet au sol. Soudain, une forme au loin, sur le trottoir d'en face, près du panneau publicitaire, attira son attention. On aurait dit une silhouette. La jeune fille plissa les yeux, les frotta, se gifla mentalement, pensant devenir folle. Ce ne pouvait pas être... ? Si. La petite fille dans sa chambre, hier soir. Même cheveux blonds. Même robe blanche. Comment... ?
– Hey ! Astrid, tu m'écoutes ?
La jeune fille sursauta, sortant subitement de se rêverie. Elle quitta l'enfant des yeux pour les poser sur sa meilleure amie, qui arborait une mine inquiète.
– Ça va ? On dirait que tu as vu un fantôme !
« C'est un peu le cas... » répliqua mentalement Astrid avec un sourire crispé. Elle déplaça de nouveau son regard vers la petite fille. Elle n'était plus là. Qui était-elle ? Comment pouvait-elle apparaître et disparaître sans cesse ? Un fantôme, comme l'a suggéré Amy ? Étrange. La brune avait toujours cru aux histoires de fantômes, mais elle ne pensait pas être la victime de l'un d'eux. Astrid baissa les yeux. La scène dans sa chambre hier soir lui revenait doucement et cruellement en mémoire.
A ce moment-là, j'hésitai. Que devais-je faire ? Je voulais partager cette curieuse expérience avec quelqu'un, et Amy était la seule en qui je pouvais avoir confiance. Mais d'un autre côté, je ne voulais pas trop en dévoiler non plus. En fait, je ne voulais surtout plus lui parler de toi. Je ne sais pas vraiment pourquoi. C'est égoïste, tu crois ? Le fait de ne pas vouloir partager ma vision de toi. A l'époque, je ne comprenais pas ma réaction, ni les étranges sensations qui me tordaient le ventre et faisait battre mon cœur plus vite. Mais maintenant...
C'est bien clair ! Je ne te partagerai avec personne, tu m'entends ?!
Allez, rigole, je te taquine. Je ne t'entends pas rire. Ah oui, c'est vrai, tu n'es pas là. Je l'oublie souvent parfois. Désolée, je parle pour ne rien dire...
Astrid ravala sa salive. Elle prit une chips et l'engouffra entièrement. Puis une deuxième. Une troisième. Une dixième. Amy lui attrapa soudainement le bras, l'empêchant d'en prendre une de plus. Elle le sentait terriblement nerveuse, comme si elle lui cachait quelque chose.
– Ça ne va pas, affirma la blonde sur un ton ferme.
Astrid haussa nonchalamment les épaules, l'air de rien.
– Comment tu peux le savoir ?
– Je te connais.
L'adolescente souffla. Elle avait gagné. Astrid allait tout lui dire. Qu'avait-elle à perdre, de toute façon ? Sa crédibilité, sans aucun doute.
La brune libéra son poignet d'un mouvement brusque puis déballa tout d'une traite. La petite fille dans sa chambre, le dessin qui tombe, le mot écrit en sang, le rêve. Le rêve...
– Tu veux réellement mon avis ? questionna sérieusement la blonde.
– Bien évidemment ! Sinon je ne t'aurais rien dit.
Amy croisa les bras sous sa poitrine. Elle prit le paquet de chips, le plia et le fourra rapidement dans son sac.
– Tu es juste fatiguée.
Astrid se mordit la lèvre inférieure. Elle devait dire qu'elle ne s'attendait pas vraiment à cela, comme réaction. Elle parut un peu déçue. Ou peut-être légèrement honteuse ? Les deux, sans aucun doute.
Sa meilleure amie se releva et déposa son sac sur ses deux épaules, prête pour l'après-midi qui s'annonçait rude. Elle tendit ensuite sa main à Astrid, l'invitant à la suivre.
– Allez viens, on va en cours.
« Oh, joie ! Contrôle en plus ! » Astrid retint ce commentaire pour elle.
La jeune fille attrapa gentiment la main de la blonde et se releva. Elle jeta son sac sur son épaule. Les deux amies retournèrent au lycée, sans réel enthousiasme.
****
Assise au fond de la salle, la jeune fille scrutait de ses yeux noirs son professeur de français distribuer les sujets de leur corpus. Astrid lançait des regards inquiets vers Amy, qui avait reçu sa feuille avant elle. La brune la questionnait silencieusement, lui demandant de quoi parlait le contrôle. Mais sa meilleure amie l'ignorait tout autant qu'elle, car personne n'avait le droit de retourner la photocopie avant que le professeur n'en ait donné l'autorisation.
Lorsqu'il arriva enfin vers elle, Astrid lui sourit doucement, chose improbable venant de sa part. En vérité, elle ne sentait pas du tout ce devoir. Comme tous les autres avant celui-ci, certes, mais là, encore plus qu'avant. L'adolescente ne saurait dire pourquoi, mais ce sujet l'effrayait.
Une fois la copie posée sur la table, l'adulte repartit tranquillement distribuer le reste aux autres élèves. Astrid essaya de lire à travers les feuilles mais rien n'y fit. Elle n'y arrivait tout simplement pas. La jeune fille dû donc attendre qu'il autorisât tous les élèves à retourner leur sujet pour qu'il se dévoile enfin. Comme elle s'y attendait, c'était une véritable catastrophe.
Sujet d'étude : « Le personnage de roman du XVII ème siècle à nos jours ». Jusque-là, tout allait bien, la brune aimait plutôt assez bien cette séquence.
La question : « Quelles raisons ces personnages féminins invoquent-ils pour justifier leur renoncement à l'amour ? ». C'était tout simplement l'hécatombe. Astrid n'y connaissait rien du tout à l'amour ! Ce manque de connaissance allait malheureusement lui être fatal pour ce devoir.
La lycéenne plaignit ceux qui avaient eu sur ce sujet le jour du baccalauréat, l'année dernière. En effet, leur professeur leur avait annoncé que ce sujet était tombé pour les élèves de la série Littéraire, l'an dernier. Il s'en était fallu de peu ! A un an près, et c'était son bac à elle qui aurait été raté !
****
Une heure venait déjà de s'écouler et seule une toute petite introduction apparaissait sur sa copie. Astrid n'aura pas la moyenne à ce devoir. Une fois de plus. Et puis, de toute façon, elle ne comprenait même pas le dernier texte ! Certes, la jeune fille ne connaissait rien à l'amour, mais pourquoi cette fille, cette Renée, voulait-elle laisser s'enfuir très loin de son âme-sœur ? Et cette Princesse de Clèves qui refusait de se laisser aller à ses passions en l'honneur de son défunt mari. A n'y rien comprendre ! Bon, d'accord, la troisième femme semblait la plus compréhensible de toutes. Cette pauvre Delphine était obligée de partir, laissant derrière elle à contre-cœur l'élu de son cœur, car elle ne voulait pas entacher le bonheur de Léonce, alors remarié avec une autre femme.
Même si je dois y laisser ma vie, sache que moi je ne t'abandonnerai jamais. Je ne comprends pas le choix de ces femmes. Lorsqu'on aime vraiment quelqu'un, nous devons nous battre pour cette personne, pour la garder après de nous, non ? Tu n'es pas d'accord ? Je me demande : est-ce que toi tu te bats pour moi ? Oui, bien sûr que oui. Je ne devrais même pas douter de cela.
Je t'aime. Et c'est pour cela que je vais trouver un moyen de te retrouver. Je te le promets. Nous allons bientôt être réunis. Juste un petit peu de patience, s'il te plaît. Je ne serai pas une autre Princesse de Clèves, Delphine, ou Renée. Jamais !
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