Chapitre 1.1 : Astrid
Le mois d'avril, l'annonce des temps plus doux. Les insectes bourdonnaient, les fleurs fleurissaient, les oiseaux chantaient. Le printemps, tout simplement.
Mais aussi les cours ennuyants.
Astrid, une jeune lycéenne d'apparence tout ce qu'il y avait de plus banal en ce bas-monde, assistait à son cours d'anglais dans son lycée accablant. Ou plutôt, elle le subissait, en témoignaient l'expression de son visage et sa posture indifférente.
Sa paume gauche écrasée nonchalamment sur sa joue et son autre main agrippant fermement un crayon à papier de type critérium, la jeune fille préférait dessiner plutôt que d'écouter le cours. Généralement à cette période de l'année, les élèves commençaient pour la plupart à décrocher. Avec ce temps magnifique dehors ainsi que ces bonnes odeurs de fleurs tout juste émergentes, il était en effet déplorable d'être forcé à rester enfermé dans une salle de classe. Enfin, Astrid, elle, elle avait déjà décroché depuis un bon bout de temps déjà. Peut-être depuis le mois de décembre maintenant. Les cours l'ennuyaient depuis un certain moment, pour ne pas dire depuis la deuxième semaine de l'année scolaire ; Astrid n'avait jamais aimé les cours. De toute manière, un léger regard furtif à l'ensemble de la classe lui laissa comprendre qu'elle n'était pas la seule dans cette même situation. Beaucoup d'élèves avaient certes les yeux fixé sur la projection de l'écran sur le tableau blanc, mais la plupart avait cette même expression profondément ennuyée dans le regard. Certains étaient même avachis sur leur bureau, se servant de leur sac comme d'un coussin particulièrement moelleux pour s'y reposer, rattrapant des heures de sommeil si injustement manquées.
L'adolescente reprit son dessin, indifférente aux regards de mécontentement que lui lançaient certains de ses camarades. Ceux-là faisaient plutôt partis de l'élite qui aimaient les cours, ou tout du moins qui en voyaient un intérêt important pour leur avenir.
Après quelques secondes de griffonnage, Astrid relâcha son crayon qui résonna tout contre le plateau du bureau. D'un geste négligé, la jeune fille ramena ses mèches aux pointes bleutées hirsutes vers l'arrière de sa tête. Ceux-ci l'empêchaient de voir correctement ce qu'elle faisait, en lui tombant régulièrement devant les yeux – mais, même si l'idée de les couper lui avait déjà traversé l'esprit, elle savait d'avance que sa chevelure indomptable en ferait constamment des siennes. Astrid avait répété ce geste à de nombreuses reprises depuis le début de l'année qu'il en était devenu presque inconscient ; une sorte de réflexe voire de tic impossible à s'arracher.
Elle reprit son instrument et continua son gribouillage. Ses yeux noirs fixaient le bout de papier à l'origine blanc mais désormais recouvert de traits gris. D'ordinaire, la jeune fille dessinait vraiment ce qui lui passait par la tête lorsqu'elle s'ennuyait ferme, comme maintenant. Ainsi apparaissaient aux coins de ses feuilles de leçons un petit cœur, une fleur, un œil... En bref, des petits griffonnages sympathiques et sans aucun intérêt si ce n'était faire passer le temps plus rapidement.
Seulement, depuis quelques jours, un visage lui revenait sans cesse ; celui d'un garçon qui devait avoisiner son âge. Il était coiffé de courts cheveux blonds en bataille qui faisaient ressortir la beauté de ses yeux bleus lagon qui pétillaient de malice. Ceux-ci lui rappelaient par ailleurs avec une certaine nostalgie ces magnifiques ciels bleus d'été de son enfance, cette période de sa vie qu'elle regrettait de plus en plus amèrement, ces moments insouciants envolés à jamais. De plus, les traits du visage de son personnage étaient plutôt sympathiques, avec sa mâchoire carrée de pré-adulte, sa peau légèrement basanée, et son nez arrondi. Elle aurait presque pu envisager d'être son amie, malgré sa réticence à faire des nouvelles rencontres ; mais dommage : il n'était pas possible, dans ce monde si morne, de donner forme de vie à un dessin.
Astrid ignorait d'où lui était apparu cet étrange personnage ni depuis quand elle l'avait inventé. Un rêve, peut-être ? Mais une chose était certaine : il l'intriguait. Elle devait sérieusement envisager, un jour ou l'autre, d'en faire le personnage central d'une histoire.
Elle le trouvait assez charmant, mais pas vraiment son style. D'abord, Astrid ne s'était jamais réellement intéressée aux garçons. De son âge ou non. Elle entendait souvent des jeunes filles autour d'elle s'émerveiller devant tel ou tel acteur. Astrid trouvait cela complètement ridicule. Comment pouvait-on être amoureuse d'un homme uniquement pour son physique ? De plus, ces types-là ne les connaissaient même pas et avaient, pour la plupart, déjà fondé une famille, et leur était de ce fait inaccessible. Voilà pourquoi Astrid trouvait que cela était totalement ridicule. Pourquoi fantasmer sur des hommes qui ne leur prêterait jamais aucune intention ?
Alors qu'Astrid allait finir de dessiner les cheveux de son personnage, après de longues et minutieuses heures de travail, une voix la coupa dans son geste :
« Well, Astrid. Can you repeat please? »
Agacée mais aussi surprise par cette interruption soudaine, Astrid leva les yeux vers sa professeure d'anglais.
C'était une femme devant avoisiner la quarantaine d'années. Ses cheveux châtains aux reflets blancs tombaient en de fines boucles sur ses épaules, lui donnant un air plutôt sympathique. Cependant, la sévérité qui se lisait dans ses yeux couleurs noisette témoignait du contraire, sans parler de son tailleur qui lui conférait une allure stricte, à l'image de ses vieilles professeures du temps de grands-parents d'Astrid. Ceux-là même qui vous conféraient des bonnets d'âne en guise de punition ou des coups de règle sauvages sur le bout des doigts. La jeune fille n'aurait certainement pas aimé vivre à cette époque.
Astrid haussa les épaules, l'air totalement indifférente.
– Je sais pas, j'ai pas entendu.
Astrid ne prenait même pas la peine de répondre en anglais. Déjà qu'être là ne l'enchantait pas, alors elle n'allait pas se creuser la tête pour faire des efforts non plus. Faire acte de présence était, en son sens, déjà fortement suffisant.
– Forcément, tu ne risquais pas d'entendre en dessinant en même temps.
La professeure ne haussait même pas le ton, mais sa voix sèche et froide reflétait toute la sévérité dont elle pouvait faire preuve.
L'adulte lui arracha son papier des mains, ce qui arracha des paroles de protestation de la part d'Astrid. Elle attira les regards des curieux sur elle, mais elle fit mine de ne pas les voir, bien que ses joues prirent une teinte rougeâtre, qu'elle pouvait sentir piquer sévèrement sur ses pommettes. Astrid n'avait plus qu'une envie en tête : se cacher pour l'éternité et ainsi oublier cette scène de malaise dont elle se serait volontiers passé.
– Tu viendras me voir à la fin du cours, annonça la professeure toujours sur ce même ton froid mais calme.
Astrid souffla de protestation et s'affala sur sa chaise, levant les yeux au ciel. Tout cela était tellement injuste ! En quoi dessiner dérangeait-il le cours ? Elle ne faisait rien de mal !
De plus, Astrid voulait tellement le finir, ce dessin ! Il lui avait demandé une bonne partie de la nuit plus les deux heures de cours d'avant pour le créer ! C'était l'un des plus beaux qu'elle n'avait jamais réalisé ! Comment osait-elle le lui prendre comme ça, devant les yeux de tous les autres élèves ?
Astrid mourait d'envie de se lever et de le lui reprendre des mains en personne. Ses doigts ainsi que ses jambes la picotaient dangereusement, prêts à agir rapidement pour récupérer son œuvre.
Mais sentant tous les regards de ses camarades braqués sur elle, Astrid s'abstint. Elle allait encore se donner en ridicule pour rien et passer pour l'idiote de la classe. Elle s'était déjà assez mis la honte durant l'année devant les autres. Notamment lorsqu'elle s'amusait à répliquer face à leur professeur de français quand elle avait le malheur de faire autre chose qu'écouter le cours et prendre des notes.
Pas question de subir des moqueries une fois encore, alors l'adolescente contint son envie de se dresser contre sa professeure du mieux qu'elle put.
Jetant un rapide coup d'œil en direction de la pendule au-dessus du bureau de leur enseignante, Astrid parvint à se rassurer en se disant que l'heure était de toute façon bientôt achevée.
Astrid sentit soudain un coup de coude contre son bras. Elle déplaça à peine son regard vers sa voisine de table, pas même surprise.
– Tu devrais vraiment arrêter, dit cette dernière tout bas, pour ne pas se faire entendre, et ses yeux rivés sur le tableau.
– Amy, tu sais bien que j'en ai rien à faire des cours. Pour rester polie, ajouta-t-elle après un certain temps d'hésitation.
La dénommée Amy leva les yeux au ciel d'agacement puis se concentra de nouveau sur le cours, contrairement à sa meilleure amie, qui cherchait désespérément un nouveau moyen pour s'occuper l'esprit.
Les cheveux blonds de cette jeune fille attachés en une queue de cheval haute reflétaient légèrement son air un peu strict. Quant à ses yeux verts qui débordaient d'une profonde innocence, ils fixaient le tableau affichant le cours du jour, qui ne comportait rien de bien intéressant – comme tous les cours en somme.
Astrid ne s'était que très peu intéressée à la leçon du jour. Il lui semblait que c'était un truc sur la génétique, un cours très scientifique. Si la jeune fille avait choisi une voie littéraire, ce n'était pas pour rien : les sciences, c'était très peu pour elle. En anglais cela rendait le sujet encore plus... lassant et inintéressant. Ne pouvaient-ils pas plutôt se pencher sur tous les problèmes de la société, à commencer par le manque de liberté dû à l'école ?
Astrid posa ses yeux sur la page remplie de mots en anglais de sa meilleure amie, se demandant sérieusement comment elle pouvait apprécier un tel cours. L'écriture d'Amy était fine et soignée, tout le contraire de la sienne qui était bien plus bâclée et rapide.
Amy et Astrid ne se connaissaient en réalité pas depuis très longtemps. Elles avaient commencé à se côtoyer seulement l'année précédente. Mais, même en si peu de temps, les deux jeunes filles étaient parvenues à développer un lien d'amitié très fort. Elles plaisantaient sur les mêmes choses, débattaient sur les mêmes sujets fâcheux dont certains n'osaient parler – à savoir l'homosexualité entre autres et le véritable rôle de l'État dans la société –, partageaient les mêmes centres d'intérêts pour les jeux-vidéos et les mangas, mais aussi bien d'autres choses. Certains disaient même qu'elles ressemblaient à deux fausses jumelles, toujours collées l'une à l'autre. Lorsque l'une n'était pas là, l'autre ne savait plus quoi faire. Amy et Astrid se disputaient très souvent également mais se réconciliaient tout aussi rapidement. Comme de véritables sœurs, finalement.
Astrid posa son coude dans un geste las sur son bureau puis écrasa sa joue dans sa paume. Elle s'ennuyait à mourir. Pas question pour elle de commencer un nouveau dessin. L'adolescente voulait d'abord finir son premier. Sinon, et cela elle en était persuadée, il allait tomber à l'abandon, comme ses prédécesseurs. Bon nombre de ses dessins étaient toujours inachevés, et elle comptait bien le terminer, celui-là ! Après tout, il faisait partie de ses plus beaux. Rares devaient appartenir à cette liste ! Peut-être une dizaine maximum...
La professeure d'anglais annonça alors les quelques devoirs pour dans deux jours, ce qui réjouit grandement Astrid car cela annonçait la fin du cours. L'enseignante leur demanda de reprendre la leçon de leur côté – qu'Astrid n'avait bien évidemment pas noté – et faire deux exercices dans le manuel pour vérifier qu'ils avaient bien compris. Comme d'habitude, la jeune fille allait demander de « l'aide » à Amy pour faire ses devoirs. Bien évidemment, Astrid n'avait aucune envie de les faire, et ce serait Amy qui lui passerait ses réponses. Comme à chaque fois qu'elle n'écoutait pas le cours de toute façon. Ce qui arrivait très souvent, au plus grand malheur de la pauvre Amy !
L'affreuse sonnerie retentit tout à coup dans tout le bâtiment, indiquant (enfin!) la fin des cours tant espérée. Pourquoi qualifier la sonnerie « d'affreuse » ? Pour la simple et bonne raison qu'il s'agissait d'une petite mélodie, quoique à caractère plutôt vive, vraiment agaçante. Elle avait été installée lors de la fin d'année de seconde d'Astrid. L'ancienne, très classique, était pourtant très bien. Mais jamais les élèves ne comprendraient pourquoi l'établissement avait décidé de la changer en cette horrible musique de trente secondes. Astrid et Amy avaient compté.
Comme prévu, la brune resta dans la salle, attendant que tout le monde sorte de la pièce pour pouvoir récupérer son dessin. Cependant, la jeune fille savait qu'un sermon l'attendrait par la même occasion, et concernant cela, elle en était bien moins enthousiaste.
Croisant les bras sur sa poitrine avec colère à l'idée de passer un sale quart d'heure, Astrid regardait presque méchamment ses camarades de classe sortir de la salle, comme si elle leur intimait l'ordre silencieux de se dépêcher. Le temps qu'ils quittent tous la pièce semblait interminable, et la jeune fille crut qu'ils faisaient exprès de ralentir le moindre de leurs mouvements ! Cela l'exaspérait et la rendait d'autant plus sur les nerfs et de mauvaise humeur qu'elle ne l'était déjà auparavant.
Amy lui adressa un regard désolé lorsqu'elle passa devant elle pour sortir à son tour.
– Je t'attends dehors, lui indiqua-t-elle avec un faible sourire qui se voulait encourageant.
Amy aurait bien aimé sortir Astrid de cette embrouille mais que pouvait-elle faire face à un professeur ? Rien du tout, malheureusement. Elle, la petite fille modèle, qui ne se faisait jamais remarquer, ne pouvait pas se permettre de perdre sa splendide image de fifille parfaite et sans histoires. À se demander comment Astrid et elle pouvaient aussi bien s'entendre. Elles semblaient tellement différentes mais identiques à la fois. Un véritable mystère...
Une fois tous les élèves sortis, l'adulte alla fermer la porte de la salle, baissant ainsi le volume sonore insupportable en provenance du couloir. Les élèves pouvaient réellement se montrer bruyants, lorsqu'ils se retrouvaient entre deux heures de classe ! On se croyait presque en pleine gare aux heures de pointe.
La professeur prit une chaise qu'elle plaça devant son bureau puis invita Astrid à s'y installer en la lui indiquant du plat de la main. Soupirant et levant les yeux au ciel en ne cherchant même pas à être discrète, la jeune fille s'exécuta sans un mot. Elle déposa son sac au sol puis croisa les bras sur sa poitrine tout en fixant son dessin. Même s'il n'était pas tout à fait achevé, il lui sembla, l'espace d'un fugace et étrange instant, que le jeune homme la fixait avec amusement. Malgré tout, Astrid voulait juste récupérer le dessin le plus rapidement possible.
– Tu as de grands talents, tu sais, complimenta la professeure.
Astrid ne perçut aucune ironie dans le ton de sa voix, et ses propos transpiraient la sincérité. Cependant, ce n'était pas en l'amadouant qu'elle allait gentiment se laisser passer un savon. Affirmer cela était très mal connaître Astrid !
L'enseignante rendit le dessin à son élève. Cette dernière s'empressa de le reprendre et de le ranger soigneusement dans une pochette pour ne pas l'abîmer, qu'elle plaça ensuite dans son sac de cours. Après tout, elle se devait d'en prendre soin, après tout le mal qu'elle s'était donnée pour le créer ! Réaliser des dessins aussi beaux, et sans modèle qui plus était, ne lui arrivait pas souvent ! La jeune fille y tenait autant qu'un trésor particulièrement coûteux et rare.
Astrid se leva de sa chaise dans le but de partir, puisqu'elle avait récupéré ce qu'elle voulait, mais l'adulte la retint encore.
– Parlons un peu de tes notes, ce trimestre.
Astrid soupira à nouveau tout en levant les yeux au ciel. Elle savait déjà ce qui l'attendait. Elle qui nourrissait un infime espoir de partir plus tôt et ne pas subir de remontrance, elle pouvait désormais le jeter par la fenêtre.
Elle se rassit mollement, appréhendant la suite de leur petite discussion, dans un énième soupir d'agacement. Elle savait pertinemment de quoi elle voulait lui parler. Et elle n'avait pas besoin de l'entendre, elle était assez grande pour se rendre compte par elle-même ce qui clochait.
La moitié du trimestre était déjà entamé et ses notes ne faisaient que chuter. De plus en plus. Elles atteignaient presque le zéro, des fois. Pas seulement en anglais. Dans toutes les matières. Les cours ne l'intéressaient plus. Pourtant, Astrid savait bien que son avenir était en jeu, beaucoup plus que l'année précédente. Mais voilà, l'envie l'avait entièrement quittée. Elle faisait cependant un effort pour venir au lycée. Astrid pourrait tout aussi bien rester chez elle, à dessiner ou à faire autre chose dont elle mourait d'envie, mais ses parents tenaient aux allocations, et elle, à la vie.
L'adulte ouvrit un cahier à petits carreaux où elle rapportait toutes les notes de ses élèves. Elle posa ensuite son doigt sur le nom d'Astrid. La jeune fille sentit une boule de stress se former au niveau de sa gorge, à tel point qu'elle distingua un nœud particulièrement noueux quand elle déglutit.
– Huit à la compréhension orale ; cinq au contrôle de connaissances ; quatre à l'interrogation orale du cours précédent... C'est de pire en pire, commenta-t-elle en soupirant de lassitude.
Elle referma son horrible cahier puis leva le regard vers son élève, qui la fixait avec un masque d'impartialité. Pas question de lui montrer quoi que ce soit. Astrid n'était de toute façon pas une fille très expressive, et elle en jouait. Il était hors de question de montrer à sa professeure qu'elle gagnait.
– J'ai parlé de toi avec mes collègues, annonça l'adulte dont le ton de sa voix trahissait un début d'inquiétude. Tous me disent la même chose : Astrid n'écoute pas ; Astrid a le regard dans le vague ; Astrid dessine ; Astrid écrit, mais pas son cours.
Astrid ravala sa salive. Tous ses professeurs suivaient attentivement ses moindres faits et gestes ? Cela ressemblait presque à du voyeurisme !
– Ton prof de sport m'a également rapporté que tu sèches ses cours. Pourquoi ?
La jeune fille haussa les épaules. Elle ne savait pas vraiment quoi répondre, ou plutôt n'avait-t-elle pas envie de répondre. Que pouvait-elle confesser de toute façon ? Qu'elle trouvait le sport inutile à l'éducation ? Qu'elle détestait la discipline travaillée en ce moment ? Qu'elle avait peur du regard des autres en se donnant ainsi en spectacle ? Tout ce dont à quoi elle pensait semblait ridicule à entendre. Pourtant, pour elle, ça ne l'était pas. Mais les adultes ne comprenaient pas. Ils ne comprenaient jamais, et ce n'était pas faute d'avoir déjà essayé.
Astrid se contenta donc de regarder la personne en face d'elle dans les yeux, ne disant toujours rien. Un véritable mur imperturbable. Bizarrement, même les parois de la salle semblaient bien plus attrayantes et plus parlantes qu'elle.
Juste derrière le bureau de Madame Zalie – c'était son nom – se trouvait une carte du Royaume-Uni. Mais aussi une des États-Unis, de l'Australie, et autres pays anglophones. Ces cartes-ci, plus petites, entouraient l'immense représentant le Royaume-Uni. « Drôle de manière de disposer des cartes de pays », se disait Astrid. Penser à autre chose permettait de rester aussi expressive qu'un mur.
Qu'est-ce que cela peut bien lui faire, d'après toi ? Elle s'en fiche pas mal des problèmes de ses élèves ! Tout ce qu'elle veut, c'est qu'ils aient de bonnes notes pour avoir ensuite une « vie confortable ». Mais à quoi ça sert, au fond, de vivre confortablement si on n'est pas heureux ?
N'est-ce pas ? Qu'est-ce que tu en penses toi ? Est-ce que « vivre confortablement », avoir du pouvoir, de l'argent, peut rendre heureux ? Ne peut-on pas trouver autre chose que cela ?
A cette époque je n'aurais jamais trouvé. Mais maintenant... Tu es là. Enfin, tu étais là je devrais dire. Tu es ma raison de vivre. Comment je peux faire, maintenant, que tu n'es plus ? Que vous n'êtes plus...
J'ai comme l'impression que, petit à petit, je perds moi aussi la vie. Elle s'envole, s'effrite, sans que je ne puisse rien faire.
Si j'avais écouté ma prof d'anglais, ce jour-là, tu crois que ça aurait changé quelque chose pour moi ? Est-ce que j'aurais vécu toutes ces aventures ? Est-ce que je vous aurais rencontré ? Est-ce que je t'aurai rencontré ?
Je ne le saurais sans doute jamais...
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