Chapitre 2 - Alyss remonte la pente (1)
Une odeur de viande brûlée. La saveur qui tombe dans sa bouche, fade et connue. Une musique électrique et diffuse, recouverte par des doubles battements saccadés. Un son arythmique qui semble se faire grignoter peu à peu, amplifiant la cacophonie générale. Pas d'image. Seulement un bourdonnement indistinct peuplé de points vermeils. Un mal de tête. Un cerveau qui tourne au ralenti. Une fréquence qui augmente, des pulsations qui rendent la tension insupportable. Une chaleur étouffante. Ses mains qui la guident et saisissent ce qui semble être des fils tendus vers le ciel. Une progression lente au travers de câbles et de filins de plus en plus inextricables. Une chose qui se cache, là, juste derrière. Sans se laisser voir ni sentir. Son bras au travers d'un dernier faisceau. Le contact de trop. Le couperet incarnat qui s'abat. Des myriades de carapaces qui déferlent le long des câbles et se lancent à l'assaut des corps. Des mandibules qui fouillent les chairs avec avidité et qui en détachent des copeaux carrés et incandescents. Désintégration. Des lentilles rouges qui clignent en tous sens dans un concert suraigu. L'appel de la mort.
— Alyss ! Alyss ! Réveille-toi, bon sang !
La jeune fille ne se souvenait que de bribes du trajet qui les avait menés un peu plus tôt à la première station du funiculaire. Elle avait suivi son père, telle une automate, jusqu'à la lisière des bas-fonds pendant qu'il lui avait débité à voix basse mais déterminée son sempiternel discours sur l'engagement politique, l'assistance aux familles, la lutte pour la liberté. Et aussi, évidemment, sur les mensonges du GCU, le Gouvernement Central d'Utica. Ils avaient aussi mangé les bâtons de milho, ce qui avait temporairement calmé leur faim.
— Tu sais, Alyss, c'est important de croire en quelque chose de plus grand que soi. Tiens, maintenant que tu as ce surnom à la con, la Rêveuse, tu pourrais rêver utile. Tu devrais penser plus loin, à l'avenir, au tien, à celui des autres.
Alyss, toujours déconnectée, suivait son père sans un mot. L'Artificier lui jeta un coup d'œil rapide avant de poursuivre d'un ton las :
— J'espère que tu arriveras à trouver ta place dans la communauté, la Rêveuse. Car il n'y a pas d'ailleurs. Il n'y a pas d'Utica. C'est d'ici, de la Zone 3, qu'il faut rebâtir ce putain de monde.
Alyss suivait, le nez en l'air, le ballet ordonné et habituel des holodrones du GCU. L'Artificier la regarda, exaspéré, avant de continuer en agitant le poing en direction des engins volants :
— Ce que je crois, moi, c'est qu'Utica, tout ça, là, c'est que de la merde en barre et de la poudre aux yeux. Pour qu'on baisse tous la tête et qu'on continue à bosser sans moufter, dans l'attente d'un monde meilleur. Pendant que ça profite à d'autres. Une fausse liberté de mouvement qu'on a là.
» Avec les gars, on est persuadés que ça n'existe pas, Utica. Un mythe pour les gogos, ni plus ni moins. Nous, ce qu'on va faire, c'est démonter tout ça, boulon par boulon, et prouver aux gens qu'on peut se débrouiller seuls et vivre dignement dans le Ghetto. Il est mort depuis longtemps, l'autre, le créateur, Protée. Quel âge crois-tu qu'il devrait avoir maintenant ? Deux cents, trois cents ans ? Quand je pense qu'il y a encore des gus pour croire qu'il est immortel ! Et qu'il nous attend quelque part, les bras ouverts, au bout de la terre !
La jeune fille fut obligée de s'arrêter quand son père lui saisit la main dans sa dextre de métal glacé. Alyss aperçut alors une lueur de folie dans son œil :
— Cette fois, c'est différent de nos balades habituelles. Tu es presque une adulte, maintenant. Je t'emmène assister à un événement très spécial. Notre combat passe à la vitesse supérieure, et les hostilités commencent ce soir. Ça va péter, parole d'Artificier ! Et c'est là-haut, derrière cette putain d'enceinte, qu'on saura...
— Papa, je la sens pas cette sortie. Qu'est-ce qu'on va faire tout là-haut ?
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