Chapitre 1 - Le début et la fin (9)


Le trio se sépara. Sur le chemin du retour, Alyss et son père restèrent silencieux. Le regard interrogateur et déçu que lui lançait sa fille tenait lieu de gifle. L'Artificier n'avait pour autant pas à se justifier auprès d'elle. Elle ne comprendrait pas, de toute façon. L'homme regarda droit devant lui, son gant de fer toujours rivé au bras de sa petite. Il entraîna son poids plume dans la montée qui les menait à leur maison. Qu'importe s'il lui faisait mal. Elle n'avait rien à foutre toute seule dehors. Il le lui avait déjà suffisamment répété. Il avait d'autres choses à gérer que ses marmots. Merde, des gens comptaient sur lui ! Regrettant au fond de lui ces ecchymoses que ses doigts d'acier, malhabiles, allaient faire fleurir sur la peau de son enfant, l'homme serra les dents et avança de plus belle.

Alyss baissa la tête qu'elle avait désespérément tenté de lever au-dessus de l'épaule de son père. Il faisait presque nuit. Un vent plus frais s'élevait de l'ouest, chargé d'humidité. Un orage se préparait, qui allait enfin étancher la soif du tell et faire retomber la poussière. Il était temps, car les puits menaçaient de tomber à sec, à l'instar des greniers. Tout comme le faisaient les nuages, l'adolescente retenait ses larmes. Son bras droit la faisait de plus en plus souffrir sous l'étau de la pince de fer. Mais c'était surtout l'impression amère d'avoir été humiliée qui la tourmentait le plus. Aucun mot de réconfort de la part de son paternel n'était venu la consoler. L'injustice lui brûlait les yeux. Elle les leva vers les premières étoiles et, dans une prière silencieuse, demanda réparation à qui voudrait bien l'écouter.

Une comète fila au loin sous la lune naissante.

Ce fut à mi-chemin que son père brisa enfin le silence :
— Alyss, ton comportement devient intolérable !
— Mais, papa ! protesta-t-elle.
— Silence ! Tu te tais et tu m'écoutes ! la coupa l'Artificier en resserrant plus encore l'étreinte de sa pogne.

Mais Alyss ne l'écoutait déjà plus. Elle le regarda fixement ne pas la regarder. C'était comme si tout son sang était retourné vers l'intérieur de son cœur, la laissant exsangue et le souffle coupé. Elle avait subitement blêmi, attendant la sentence. Confuse, elle déporta son attention à leurs pieds et s'aperçut que son père portait de nouvelles bottes. Elles étaient en cuir et renforcées par des plaques de métal. Quelques dispositifs étaient fixés à l'arrière. Des améliorations mécas ? L'Artificier n'était pas coutumier de ce genre de luxe, et Alyss en déduisit que l'événement qu'il préparait pour ce soir revêtait un caractère plus que spécial. Elle regarda ses propres bottines, que la course du jour avait fini de fusiller. Leurs semelles avachies laissaient désormais passer l'air au niveau des coutures qui avaient craqué, et leurs languettes pendantes les faisaient ressembler à deux rats éreintés.

— Tu m'écoutes, oui ? s'indigna son père en la soulevant presque de terre.

L'adolescente n'osa pas lui répondre. Elle se contenta d'opiner du chef, sans vraiment savoir de quoi était constitué le sermon. La rue exhalait ce parfum de terre, de sueur et de déjections si caractéristique du tell. Alyss trouva cette odeur de misère réconfortante, car elle ne connaissait qu'elle. Cette traversée de ce Ghetto, même à peine éclairé par de rares lampes à magnec vacillant sous le coup de bourrasques, la rassérénait néanmoins. La lumière révélait des inscriptions sur le bardage des cabanes, réaffirmées chaque jour à la craie blanche, et qui indiquaient le nom ou le métier de leurs occupants. Un coup de chiffon permettait de faire changer les maisons de propriétaires. Le plus souvent en fonction des décès, et, parfois, de la lente ascension des familles vers la Zone 3. Même si depuis quelque temps celle-ci semblait paralysée.

La vue familière de leur cabane fit sortir Alyss de ses pensées. La douleur de son bras ankylosé joua le rôle de piqûre de rappel quant à ce qui l'attendait une fois rentrée.

— Toi qui faisais ma fierté ! poursuivit son père.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top